Lourdes, mardi 23 avril 2019
C’est la question que m’ont posée des amis un peu avant que je ne parte au pèlerinage diocésain qui commençait hier. Ils l’ont fait très fraternellement.
J’aime beaucoup me trouver devant une grotte ou entrer dedans. Je pense à la grotte de Dampierre mon village natal où j’allais jouer avec mes copains étant enfant. J’ai aimé me diriger vers la grotte de Bethléem dans laquelle est né Jésus le Prince de la paix. J’y étais allé au pas de l’âne Isidore en 2012-2013, afin de me désarmer de mes violences. Je pense à beaucoup d’autres grottes que j’ai eu le bonheur de visiter : Lascaux, les Moidons, les Planches en Arbois, la grotte Chauvet, celle d’Amange … C’est beau une grotte. C’est profond ce qui peut nous venir à l’esprit, nous apparaitre, ce qui peut surgir à notre conscience quand on entre dans l’une d’elle et que l’on fait silence en soi. Ça aide à voir d’où l’on vient, de quel ventre maternel nous sortons, et ainsi de mieux parvenir où la vie nous appelle à aller, quels citoyens du monde nous sommes appelés à devenir.
Mardi matin, au lendemain de notre arrivée à Lourdes, tous les gens du pèlerinage du Jura, nous nous sommes rassemblés, avec beaucoup de gens des quatre coins du monde, au pied de la grotte de Massabielle, où Marie la maman du Christ Jésus est apparue à Bernadette. Cette béance de notre mère la terre, m’impressionne profondément, cette cavité dans le ventre de notre planète, où est venue se loger à plusieurs reprises de l’année 1858 la Vierge Marie. Je suis émerveillé de lire au pied de la statue qui représente cet événement, les paroles : « Que soy immaculata conceptio », « Je suis l’immaculée Conception ». C’est ce que Marie a dit à Bernadette quand elles se sont demandé et dit l’une à l’autre qui elles étaient et ce qu’elles attendaient l’une de l’autre. Et en entendant s’égrener le chapelet de ces rencontres, la foule n’arrête pas de chanter : « Ave Maria » et je suis de ceux-là.
Qu’est-ce qui peut bien continuer de se concevoir, de se conscientiser et de se dire au travers de tous les échanges entre les membres de notre humanité blessée, au bord de l’abîme, de nous tous qui en portons très lourd dans notre cœur et dans notre sac à dos, entre tous les humains que nous sommes et la Maman de Jésus, le Fils du Très Bas. Qu’est-ce qui peut bien m'apparaître quand je dis et reconnais que « le fruit de vos entrailles est béni » ?
Ce qui sort alors du ventre de la terre est « bien dit ». C’est une « béné-diction ». N’est-ce pas une parole qui peut réparer notre humanité ? Ne sommes-nous pas en présence des pièces multiples d’un puzzle à reconstituer ?
Ça y est, la messe est enclenchée. Le souffle de Jésus, son Esprit-Saint, nous fait prendre conscience que nous tous, les gens qui sommes là, nous sommes le Corps du Christ. A celles et ceux sur qui nous nous appuyons, celles et ceux qui nous ont dit : « Au pied de la grotte, tu déposeras ce que l’on te partage, ce dont on t’a chargé ... ». A nous tous il apparaît : « Le Corps du Christ ».
Ce sont les membres du Corps du Christ qui viennent d’être déchiquetés au Sri Lanka en un acte violent, odieux et fou, par d’autres membres de notre humanité, qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Eux aussi, ne sont-ils pas les membres du Corps du Christ ?
A la communion, je comprends que l’esprit du Christ nous est donné pour que nous arrêtions de nous massacrer les uns les autres. L’enquête qui va être faite au Sri Lanka et aux Nations Unies, ira-t-elle jusqu’à chercher et trouver, et dénoncer de quels trafics et fabrications criminelles, viennent les armes qui ont déchiré une fois encore, la chair de notre humanité. Donne-nous la force, Ami Jésus, de nous démunir de nos violences, d’inventer des chemins où nous oserons arrêter de fabriquer et vendre des armes.
Il me revient alors à la pensée le visage d’un homme avec qui j’avais créé une profonde amitié. J’étais tout jeune prêtre, cet homme était en grande souffrance et douleur. La violence l’assaillait de bien des endroits. Il voulait, lui, citoyen de la ville où nous habitions, faire acte de justice, pensait-il, il voulait descendre le maire de la cité avec sa carabine 22 long rifle. Je comprenais dans ma prière, que l’amitié qui nous reliait, me demandait de l’aider à se défaire de sa carabine. Ça lui permettrait de ne pas passer à l’acte. J’osai humblement lui proposer de me la confier. Je la cachai sous mon lit. Ça ne suffisait pas, des fois il revenait déjeuner chez nous. Il me la redemandai avec insistance. Je lui disais : « Non ! » C’était pas facile, car il savait que la carabine n’était pas loin. Je priais et demandais à Jésus de me souffler les mots et l’attitude qu’il fallait avoir. Un jour j’arrivais à lui faire accepter qu’on détruise cette carabine. Il fut un petit peu d’accord. Je me dépêchais de briser la gâchette et le percuteur avec une masse, et de faire disparaître le tout. Mon ami m’en voulut pendant un temps. Je lui faisais alors percevoir sa dignité retrouvée. Il vint un peu de paix en lui, petit à petit. Il ne fut jamais assassin d’un de ses frères.
Je pense que je ne cesserais jamais d’être reconnaissant à Jean-Marie Muller et aux membres du M.A.N.V. de nous avoir fait découvrir qu’à l’impossible d’enrayer l’armement nucléaire de la France de manière unilatérale, nous sommes tenus. C’est ce que j’étais heureux de dire dans ma prière devant la grotte de Massabielle, au moment du baiser de paix, j’ajoutais dans ma prière au Christ : «Tu m’as aidé à persuader mon ami de se défaire de sa carabine 22 long rifle … d’arrêter ainsi de menacer de tuer le maire de notre ville … pourrais-tu souffler aux cinq évêques de France qui sont là avec leurs diocésains, dont notre évêque Vincent et nous-mêmes, que nous cherchions et trouvions moyen de créer un rapport de force non-violente avec notre président de la République. Que nos évêques s’engagent et se mouillent pour que notre président arrête de laisser fabriquer des bombes atomiques. Qu’il stoppe dans l’immédiat, de faire perfectionner les armes et engins nucléaires dont nous sommes possesseurs, qu’il fasse entrer notre pays la France, dans le traité signé par les pays de l’ONU en septembre 2017. »
Voilà ce qui m’apparaissait devant la grotte de Lourdes.
Et en recopiant ces notes sur mon cahier, afin de les partager aux amis que vous êtes, j’entendais Jésus qui me priait et me disait : « T’aurais pu te mouiller toi aussi, en le leur disant, à vos évêques, en pleine messe, au moment où ils vous ont dit : « La Paix soit avec vous »
Je ne l’ai pas fait. Une fois de plus je ne suis pas allé jusqu’au bout de l’objection de conscience. Quand, le ferai-je ?
Lulu Converset
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