Dampierre, le 14 avril 2020
« C’EST LE PETIT BROC D’EAU VENU D’AILLEURS QUI N’EST PAS TOUJOURS FACILE A TROUVER »
(Martine)
Avec les enfants des MESNILS PASTEUR et des cités ST GERMAIN de DOLE, chaque été nous aimions grimper dans les plateaux du JURA.
Durant nos randonnées au pas des ânes, nous marchions de chalets que nous rebâtissions, en fermes d’alpage où nous nous arrêtions afin d’abreuver nos ânes et nous restaurer nous-mêmes.
Nous avions remarqué quel esprit inventif avait habité les constructeurs de ces bâtisses merveilleuses. Ce qui nous ébahissait, c’était surtout la façon dont ils avaient résolu le problème de l’alimentation en eau de leurs fermes.
En effet sur ces plateaux jurassiens nous ne trouvions aucun point d’eau naturel.
Les sources se trouvaient au pied des falaises. Les toits de ces maisons étaient immenses afin de stocker dessous le fourrage et la paille durant les longs mois d’hiver. Et lorsque la saison des pluies et la fonte des neiges survenaient, à la base des toits, des chéneaux recueillaient le précieux liquide et le faisait rigoler dans une impressionnante citerne.
Cette citerne était bien enterrée. Elle gardait l’eau comme on garde un trésor. C’est qu’il en fallait de l’eau pour alimenter les vaches laitières du troupeau. Et l’été il fallait faire très attention à ce que l’eau ne vienne pas à manquer lorsque la soif tenaillait les animaux au corps.
Mais comment, par quel moyen nos mains et nos bras pouvaient bien accéder à ces lieux-réservoirs qu’étaient les citernes ? C’était la pompe, qui souvent était abritée par un petit toit protecteur, en raison de son importance, qui permettait de tirer l’eau pour la faire parvenir à l’abreuvoir.
Mais ce n’était pas forcément chaque jour que cette pompe était actionnée. En effet le troupeau était conduit de temps en temps dans un autre alpage. Alors la pompe se désamorçait.
Pour remettre la pompe en marche afin que l’eau remonte de la citerne il fallait « un petit broc d’eau venu d’ailleurs », que le berger faisait couler dans le mécanisme de l’engin. Alors seulement l’homme pouvait actionner le balancier de la pompe et l’eau apparaissait.
Un jour, durant un de nos campements itinérants alors que nous passions à proximité d’une ferme d’alpage, nos ânes et nous-mêmes avions soif. De loin nous avions aperçu le toit de la ferme. Les enfants et nous-mêmes nous disions : « nous allons trouver de l’eau. », puisque nous percevions un toit. Mais les fermiers et les bergers n’étaient pas là depuis plusieurs jours. Donc, la pompe de la citerne était probablement désamorcée. Parvenus aux abords de la citerne nous sentions que sous nos pieds une réserve d’eau s’offrait à nous, à condition que la pompe soit réamorcée, nous nous souvenions de ce que nous avait dit le vieux paysan de CHAUX-NEUVE : « Sur nos plateaux, si vous voulez avoir de l’eau de nos citernes, il faut toujours que vous ayez un ou deux litres d’eau dans une gourde sur le dos de vos ânes afin de réamorcer la pompe ». C’était « le petit broc d’eau venu d’ailleurs »
Nous étions en plein midi. Nous avions soif et nos ânes aussi. Oh l’émotion contenue dans l’être des enfants et en nous-mêmes animateurs, lorsque la gourde d’eau tirée du bât de l’âne fut confiée à un des enfants. Très délicatement sans en perdre une goutte, il fit dégouliner l’eau de la gourde dans le conduit de la pompe… un silence impressionnant accompagnait l’attitude de l’enfant. Aussitôt un autre des enfants se mit à actionner le bras de la pompe… à trois reprises… et l’eau sortit du goulot et vint se jeter dans l’abreuvoir… nos yeux étaient émerveillés… le museau et les narines des ânes étaient tout émoustillées…
Oh qu’elle était belle l’eau des plateaux du Jura. Rien que de la voir, déjà elle étanchait notre soif avant même que nous la buvions. Le dessus de la citerne ressemblait à une voûte de cave. Toutes les pierres se tenaient les unes contre les autres un peu comme celle des cathédrales. Et les enfants se mirent à causer :
«- Il doit y avoir des litres d’eau dans la citerne… mais t’as vu, on n’aurait pas eu avec nous la gourde d’eau pour réamorcer, on n’aurait pas pu en tirer les seaux qu’il nous fallait…
- C’est vrai ce que disait le vieux berger de CHAUX-NEUVE : « pour tirer l’eau de nos citernes il faut toujours un petit broc d’eau venu d’ailleurs. »
- Meureusement que l’Amélie ce matin a pensé à mettre une gourde d’eau sur le bât de l’âne… »
C’est cette histoire qui me revenait hier soir, en ce temps de confinement alors que le Président de la République venait de parler à la T.V. Il nous appellerait sans doute à un temps de confinement très prolongé. Tous nous serions appelés et nous le sommes déjà par notre conscience, à apporter chacun notre part à la résistance commune au fléau que vient souligner et provoquer le coronavirus.
Chacun de nous a en lui comme une réserve de compétences et possibilités, une citerne de trésors. Nous ressemblons aux fermes des plateaux jurassiens.
En ces jours je me laisse beaucoup marquer et interpeller par ce qui est arrivé aux moines capucins du monastère de CREST dans la Drôme. Hubert, un de leurs frères de la communauté de TIARET en Algérie est venu les voir courant Mars. Le coronavirus a surgi aux portes du monastère à ce moment-là, et a provoqué le confinement. Hubert n’a plus envisagé de repartir devant ce qui arrivait à ses frères. Il est resté pour les soigner et les accompagner… Cinq d’entre eux jusqu’à leur mort …
A Marcel, l’un d’eux, Hubert saura dire humblement : « Tu peux t’en aller tranquillement, si c’est l’heure Marcel, ou rester encore un peu avec nous si tu veux. »
Ton attitude et tes paroles, Hubert, relayées par nos amis journalistes de la CROIX et du MONDE, m’aident à trouver dans ma citerne intérieure ce que j’ai à offrir et à donner à celles et ceux qui m’appellent, parfois longuement, parce qu’ils sont profondément seuls. Hubert, tu m’aides à trouver le temps et les mots qui sont en moi et à les faire sortir pour les donner, « comme le petit broc d’eau venu d’ailleurs. »
Il y a quelques années j’avais demandé à François un de nos amis animateurs de campements, qui était aussi dessinateur, de dessiner tout ce qui est beau devant les fermes du Haut Doubs, sur les plateaux jurassiens : la citerne, la pompe, l’auge et le petit broc d’eau venu d’ailleurs.
J’avais dit à François « Tu écriras la parole du papy PAGNIER, le berger de Chaux-Neuve : « elle est belle et abondante l’eau dans nos citernes… mais pour en bénéficier il faut un petit broc venu d’ailleurs. »
A ma cousine Martine et à sa famille, il y a quelques jours à Pâques, pour leur souhaiter une bonne fête de la Résurrection de Jésus et de remises debout et de resurgissement de nos êtres en ce temps de confinement, j’avais envoyé la carte réalisée par François. Elle est toute simple mais qu’est-ce qu’elle est expressive !
Martine m’a répondu dans l’immédiat « elle est parlante la carte… mais c’est le petit broc d’eau venu d’ailleurs qui n’est pas facile à trouver. »
Et voilà que plusieurs petits brocs d’eau m’arrivaient d’ailleurs.
- Celui-là d’Hubert Le BOUQUIN de CREST
- En même temps celui-là de François, le Pape notre ami à tous, de ROME, qui dit URBI et ORBI : « de l’argent, des compétences, des intuitions, de technologie on est meublés de tout cela… mais il faut arrêter de les pulser dans la fabrication des armes, chimiques et nucléaires, et les propulser pour enrayer la famine et secourir les migrants… L’Arabie Saoudite fait cesser le feu contre le Yémen…
- et encore un petit broc d’eau venu d’ailleurs pour faire jaillir tout ce qu’il y a d’inventivité et possibilité dans nos citernes intérieures, c’est le témoignage de ASIA BAÏBUTOVIC :
« Je suis restée enfermée 30 mois au printemps 1992 en Yougoslavie… (Elle nous raconte ce qu’elle a cherché à inventer et trouver durant ces 30 mois de confinement et enfermement de la guerre de YOUGOSLAVIE). Pour moi aujourd’hui, c’est décidé je ne sortirai pas pendant le confinement. Chacun d’entre nous possède en soi des ressources insoupçonnables, une imagination et une créativité incroyables. Elles sont en vous. Vous pouvez leur faire confiance. Allez les chercher au fond de vous. C’est le moment. Faîtes-le. Et restez chez vous. Merci pour les vies que vous sauverez. »
Lulu