Samedi 26 octobre 2013 à Dampierre
Durant tout mon voyage au pas de l’âne Isidore et de l’ânesse Joséphine, de Dampierre à Bethléem, j’ai aimé me réveiller tôt le matin pour contempler le lever du soleil.
Je cherchais à laisser la petite fille Espérance souffler sur les braises de mon cœur, surprendre, entendre et voir le vent de la Liberté soulever des témoins de justice et des artisans de paix dans les peuples opprimés des pays que je traversais.
A plusieurs reprises, j’ai découvert que le soleil ne se levait pas rien qu’à l’est.
La lumière illuminant nos vies arrivait par des hommes et des femmes que nous ne soupçonnions pas et à des moments et en des lieux que nous n’attendions pas.
Je sens que le ruisseau de la petite fille Espérance se faufile entre ses deux grandes sœurs : la Tendresse et la Confiance, afin qu’aucun blessé de la vie ne soit laissé de côté.
Je voudrais partager avec vous ce que ces témoins m’ont fait découvrir, ne m’autorisant pas à garder rien que pour moi de tels trésors.
L’étau qui enserre et enferme les Israéliens autant que les Palestiniens, peut se desserrer et se décoincer par des événements et des gens que l’on attend pas.
Le 17 juin de cette année, j’avais conscience de n’avoir fait que de toucher au but de mon voyage en entrant dans Bethléem.
Il me restait à laisser entrer le souffle de Bethléem en ma vie, dans ma conscience et dans mon comportement.
L’état d’Israël ne m’autorisant à rester que jusqu’au 30 juin, je décidais de revenir en Palestine-Israël du 10 au 23 octobre avec un groupe d’amis, membres d’une association tissant des liens de solidarité et d’amitié entre la France et la Palestine.
Ce voyage de douze jours renforçat ce que j’avais découvert au mois de juin.
A mon retour de Bethléem le 24 octobre, mon sac à dos pesait très lourd.
En déballant les affaires qui étaient dedans et en sortant de ma tête et de mon cœur ce que j’y avais entassé, j’ai eu l’impression que je ne déposais qu’un tas de misères sur la table de la cuisine de notre maison familiale à Dampierre.
Je revoyais le mur en béton interminable, qui, tel un immense serpent enferme le peuple palestinien dans des conditions de vie non humaines.
Je me disais tout en faisant ce déballage, que les dirigeants politiques Israéliens qui font ériger ce mur en disposant dans les miradors leurs fils et leurs filles comme gardiens de cet apartheid s’emprisonnent eux-mêmes dans une attitude insoutenable et intenable.
Ils barrent la vue à leurs petits enfants et les empêchent d’envisager qu’un autrement soit possible.
En même temps que les images de rideaux de fils de fer barbelés électrifiés revenaient abîmer mon regard, je réentendais très souvent des Palestiniens et Palestiniennes nous dire : « Ici, en territoire palestinien c’est l’occupation que nous subissons. Elle déchire nos relations »
Quand nous nous déplacions avec les amis du groupe , sous la responsabilité de guides et de témoins, ce qui arrêtait nos regards en plein Jérusalem et Bethléem, comme ce qui barrait nos routes quand nous voulions aller à Hébron, Kalkilia, Tulkarem, ou Jéricho, c’était au chek-point la présence de jeunes soldats de 20 ans, aussi bien jeunes filles que jeunes garçons.
Ça giflait ma figure et ça intensifiait le déchirement qui travaille ma conscience. Parce que ça me rappelait que : « J’ai eu 20 ans dans les Aurès » et que moi aussi j’ai fait partie d’un peuple qui occupait un pays qui n’était pas le mien : l’Algérie. Tout cela me bouleversait.
Dans l’enfer-mement d’Hébron, lorsque je voyais des jeunes soldats fouiller les cartables de gamins se rendant à l’école, lorsque dans un quartier de Jérusalem : Sheik-Jarrah, j’entendais des pères et mères de famille nous expliquer comment les colons profitent d’absences prolongées d’hospitalisations pour envahir le quartier.
Ils s’installent dans certaines maisons de Palestiniens occupant la partie avant de la maison, alors que la famille palestinienne (qui nous accueille) habite dans la partie arrière.
Ils cherchent souvent un événement religieux pour justifier de telles exactions.
Ici à Sheik-Jarrah, la raison invoquée par les colons Israéliens pour expulser les Palestiniens, c’est le fait que la tombe de Simon le Juste, sage d’Israël, vivant au 3ème siècle avant Jésus-Christ se trouverait pas loin d’ici.
Cela leur donne droit, disent-ils, à ce que ces lieux leurs reviennent historiquement, c’est la colonisation.
Je voudrais vous dire ce que ça m’évoquait.
Je revoyais les femmes avec leurs enfants dans les bras, les vieillards, que nous avons brutalisés, se faire vider de leurs mechtas, poussés et parqués, tels des troupeaux de bestiaux et enfermés dans des camps de regroupement, durant les années 1959-1960.
C’était sous les ordres de généraux étoilés de l’armée française.
Eux-mêmes avaient reçus pleins pouvoirs d’une république qui se voulait détentrice des Droits de l’Homme. Et je voyais qu’entre Palestine et Israël se renouvelait ce que nous avions fait entre l’Algérie et la France.
J’ai été scandalisé d’apprendre à Bethléem que des Palestiniens ayant une grande famille à nourrir en étaient réduits à trouver en Israël des travaux qui contribuent à ériger le mur qui les mets en enfer-mement.
Je me suis rappelé ce que l’on a fait faire d’odieux aux algériens que nous avons enrôlés dans notre armée en tant que harkis.
Lorsqu’ à Bethléem, sous la responsabilité de guides éduquant nos regards nous sommes entrés dans les camps de Aïda et de Deishe, on a appris que ces camps avaient été institués depuis plus de 40 ans. Des milliers de gens y sont encore, attendant désespérément leur droit « au retour » dans leur village.
J’ai repensé aux harkis qui avaient échappés aux massacres perpétrés à leur égard en Algérie et que pendant des années nous avons parqués dans des camps à travers le Midi de la France après 1962.
J’en étais à me dire : « Tu ne vas quand même pas ramener et rapporter que ce tas de misères que tu sors de ton sac et de ta conscience »
C’est alors que j’ai pensé à ouvrir, vous savez la petite poche au fin fond du sac à dos où on dissimule et cache ce qui nous est le plus précieux : le passeport et les papiers auxquels on tient comme à la prunelle de nos yeux ou à la peau qui est sous nos pieds.
C’est alors que j’ai trouvé à côté du passeport ces paroles en actes toutes ruisselantes de vie tombées de la bouche de gens que nous avons rencontrés.
Souvent ce sont eux qui nous avaient accueillis, pris de leur temps et de leur pain pour nous recevoir, nous communiquant ce qui fermente entre eux et en eux, ce qui les poussent à se fédérer, à aller à la rencontre les uns des autres.
Tout au fond de mon sac, j’ai trouvé une poignée de petites graines d’Espérance. Je souhaite avec vous les cultiver dans nos cœurs.
« Comment s’en sortir sans sortir ! »
Eh oui ! A Gaza personne ne peut entrer ni sortir. Décret de l’état d’Israël. En cet endroit d’enfer, de prison à ciel ouvert, nous apprenons qu’avec presque rien, des hommes et des femmes arrivent à se nourrir, à aller à l’école, à s’organiser et à résister de manière non violente.
Ils cherchent comment se sortir de cet étau qui les coince et de ces tenailles qui les enserrent, sans pouvoir se sortir de cet endroit.
Un médecin Gazaoui le Docteur IZZELDIN ABUELAISH écrit en s’appuyant sur le Coran : « Je ne haïrai point ». Ses 3 filles aînées et sa nièce ont été tuées dans leur maison pendant l’opération « Plombs durcis »
Au sud de Bethléem, à la Tente des Nations, nous lisons, peint sur un mur : « Nous ne voulons pas être ennemis » alors que l’état d’Israël veut leur prendre leur terrain pour le coloniser.
Dans la ville d’Hébron, divisée en deux par une route et un mur séparateur, j’entends de la bouche de Rachid qui m’accueille dans sa maison : « Je ne supporte pas qu’il me soit interdit d’aller à Jérusalem parce que je suis palestinien, mais je pense que c’est l’attitude et l’action non violente qui seules peuvent user les violences que l’on nous fait. Nous savons depuis la 2ème Intifada, qu’il ne faut pas répondre à la violence par la violence, mais chercher à inventer des chemins de résistance »
Ne serait-ce pas du côté de la résistance non violente et de la résilience que le soleil est en train de se lever afin d’empêcher la construction du mur séparateur et la continuation de la colonisation.
Des ponts sont déjà en train de se créer sur ces sentiers de la non violence entre les peuples « Frères de sang »
Je vous partagerai plus tard ce que j’ai encore découvert en écoutant beaucoup d’autres témoins de l’action non violente, particulièrement Fayez à Tulkarem, Emilie à Bethléem, Issa dans la vallée du Jourdain, Michel W à Jérusalem et
à travers eux ce que j’ai entendu de la bouche même de Jésus sur la Montagne de Galilée « Bienheureux les pauvres en Esprit, bienheureux les artisans de Paix. Grâce à eux, la Terre est à tous »
Lulu