Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Lulu en camp volant

Ramasser des graines de non-violence.

28 Mai 2014, 13:25pm

Publié par luluencampvolant

Alger, dimanche 9 mars 2014

 

NOUS NOUS PREPARONS A PARTIR RAMASSER LES GRAINES DE LA NON VIOLENCE DANS LES JARDINS DE TIBHIRINE

 

Ayant conscience que l’accompagnement de Claude, Nelly et Bernard me permet de vivre des moments de grâce  inouïe, j’essaye de n’en rien perdre. Je ramasse tout ce que je peux dans mon cahier …

 

Il y a quelques jours « Le jardinier de Thibirine », nous a proposé de nous emmener dans sa voiture  tous les quatre avec lui demain lundi 10 mars, à ce point-phare, pour notre humanité, qu’est Tibhirine.

 

Afin de bien m’y préparer, je savoure le calme et le repos que nous permettent de trouver dans la maison diocésaine d’Alger, les trois religieuses : Rita, Gabriella et Julia. Je lis et relis : « Sept vies pour Dieu et l’Algérie » par Bruno Chenu aux éditions Bayard. J’y reprends en priant le testament spirituel de Frère Christian page 210-212. Lu et médité ce soir à Alger, je reprendrai sans doute ce trésor, demain à Thibirine. Je découvre qu’il est de la même veine que ce que, toi, Ami Jésus, tu confiais à ton père la veille de ta passion, lorsque « Levant les yeux au ciel, tu lui disais : Père, l’heure est venue que je donne les paroles et les semences de la vie éternelle à tous ceux que tu m’as donné » ( Jean 17 )

 

Je me retrouve comme si, il y avait devant moi, sous mes yeux, deux sacs de graines précieuses. Et je sens bien que c’est de cela qu’il me faut me nourrir. Il y a quelque chose, comme une force qui est cachée dans ces deux sacs de graines, que sont ces deux testaments, celui de Jésus et celui de Christian. L’un et l’autre sont nouveaux, neufs, originaux. Je commence à les ouvrir l’un et l’autre. Je me mets à en manger une part, quelques mots de l’un et de l’autre. Ça me nourrit. Ça me fait du bien. Je savoure ce que je lis et que j’écoute, comme si c’était la 1ère fois que je les lisais et entendais. J’en garde une autre part que je ne mange pas. Je mets de côté les paroles qu’il faudra ensemencer, donner à d’autres, planter ailleurs, ne pas garder rien que pour moi, ni rien que pour nous.

 

Enfant de paysan, je me souviens alors, d’avoir vécu quelque chose de semblable avec mon père, lorsque chaque été, le mois de juillet venu, nous allions à Evans à la batteuse chez le Louis Muneret, entrepreneur. Nous y emmenions les deux premières charretées de gerbes de blé de la moisson que nous venions de commencer. Il y avait deux parts aussi qui étaient faites par nos mains, du grain qui venait de tomber dans les sacs : une part que nous emportions moudre au Moulin de la Bruyère. Avec la farine apportée chez le boulanger, nous faisions le pain pour nos repas familiaux. Et l’autre part du grain, nous la montions dans le grenier où il allait rester jusqu’à l’automne bien au sec. Nous le reprendrions pour les semailles au moment venu : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt … «  (Jean 12,23)

 

130a.jpg

 

A ta suite Frère Christian, et dans ton sillage Ami Jésus, toi Christ, je me mets à m’adresser à Notre Père, en empruntant vos mots à l’un et à l’autre et en les mêlant les uns aux autres.

Dès le commencement, c’est merveilleux comme ils se ressemblent :

Christian de Chergé : « S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme, qui semble englober maintenant … » (page 210)

Jésus Christ : «  Père, l’heure est venue maintenant … j’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner … » (Jean 17, 1,5,6)

Christian de Chergé : «  Ma vie était donnée à Dieu et à ce pays … (page 210)

Jésus Christ : « J’ai veillé sur eux, aucun ne s’est perdu » (Jean 17)

Christian de Chergé : «  Et toi, l’ami de la dernière minute qui n’a pas su ce que tu faisais … »  (page 212)

Jésus Christ : «  Sauf le fils de perdition, pour que l’écriture s’accomplisse … » (Jean 17, 12)

Christian de Chergé : «  Je sais le mépris dont on a pu entourer les algériens … »  (page 211)

Jésus- Christ : «  Le monde les a pris en haine … » (Jean 17, 14)

Christian de Chergé : «  Voici que je pourrai, s’il plait à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui, les enfants de l’Islam … » (page  212)

Jésus-Christ : «  Que tous soient un, comme toi, Père tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous …) (Jean 17, 21)

Oh ! Si c’est beau ! Comme vos paroles se rassemblent ! C’est peut-être aussi parce que les consonances de vos noms vibrent pareillement, Christian de Chergé … Jésus-Christ de Galilée … !

 

Je n’ai pas tout « égrainé «  … car je ne vais pas tout manger ce soir. Il me faut beaucoup en garder. En effet, à l’avenir je devrai guetter, voir venir le moment  et déceler l’endroit où semer et planter de ces paroles tellement vives, qui sont sorties de votre bouche à l’un et à l’autre, Jésus-Christ et Christian … en sorte que, elles parviennent de vos bouches à nos oreilles, et par là, «  jusqu’aux extrémités du monde. » (Ac. 1, 8)

Je vais me coucher tôt ce soir, afin de me trouver à pied d’œuvre demain matin. Une fois encore, «  il y aura eu un soir pour qu’il y ait un matin, et la lumière sera comme au premier jour. » (Gen. 1, 3,5 )

 

PS : n'hésitez pas à suivre les liens vers les personnes ou documents que citent Lulu... Ces liens sont positionnés par exemple sur les titres de livres cités. Vous retrouverez le testament spirituel de Christian de Chergé. (Exemple : voici un lien vers le site des moines de Thibirine)

Voir les commentaires

"Mon père, il est toujours ton frère !" (Hafiz)

20 Mai 2014, 09:42am

Publié par luluencampvolant

Oued Fodda, le 8 mars 2014 

 

«  MON PERE, IL EST TOUJOURS TON FRERE » (Hafiz)

 

Très désemparé lorsqu’il faut me servir d’un téléphone portable, je suis émerveillé en voyant comment mes amis d’Oued-Fodda savent l’utiliser pour créer des liens ou les entretenir. C’est étonnant comment « le téléphone arabe » fonctionne en ces coins aussi reculés.

Yahmina et son mari viennent de me raconter qu’il faudra que nous prenions du temps lorsque nous redescendrons de chez eux, du barrage de l’Oued-Fodda, pour nous arrêter à Karimia. Car c’est là que le grand frère Ahmed habite. En effet, Yahmina, Fatima et Alia lui ont téléphoné que Lucien l’ami de leur père Mohamed est arrivé au grand barrage avec trois français. Ahmed nous attendra chez lui à Karimia.

 

Ahmed est le fils ainé de Monsieur Mohamed H . Il avait été obligé de s’engager dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Il avait été envoyé en 1960 dans le secteur de Constantine. C’est là-bas qu’il recevait les lettres que son père me demandait de lui écrire.

Quelles déchirures cette guerre d’Algérie aura provoquées pendant des années dans nos familles, de chaque côté de la Méditerranée. Ahmed, algérien dont le père Mohamed a des sentiments et un engagement cachés pour la libération de son peuple, Mohamed le père est obligé de laisser son fils ainé Ahmed aller combattre dans l’armée française à l’autre bout de l’Algérie. Ahmed a pour ordre de tenter d’éteindre les foyers d’insurrection et d’annihiler les poches de résistance de son propre peuple algérien, face au maintien de fer et de feu de la présence colonisatrice française.

 

Mais Ahmed n’a pas pu attendre que nous redescendions à Karimia (ex Lamartine) pour nous saluer. Il veut nous voir et nous rencontrer dans l’immédiat du moment où il apprend notre arrivée dans leur pays. Il demande à ses fils de le monter en voiture de Karimia à Oued-Fodda…  Le voilà qui arrive..  Il s’est revêtu de ses plus beaux habits : sa belle gandoura blanche sur laquelle il a disposé sa grande et splendide djellaba pour nous accueillir. Nous nous embrassons comme des frères, les frères que nous sommes devenus par la parole créatrice de son père qui m’avait dit « qu’il était comme mon père, et que j’étais comme son fils. » Une profonde émotion envahit nos êtres.


116a.jpg

 

Beaucoup de signes de cette fraternité s’échangent entre nous. Monsieur Mohamed  H. est mort, mais le souffle de la fraternité suscité par sa parole de père est toujours vivant. Ni la distance, ni le temps, ni la guerre ne l’ont érodé.

Il a fait pousser la paix.

- Comment vas-tu Lucien ? Ta santé ?

- Et ta santé à toi Ahmed ? Tu me sembles bien fatigué.

- Voici mes fils … C’est eux qui m’ont conduits jusqu’à toi … Ils s’appellent Hafiz et Abderahmane …

- Je suis heureux de voir tes enfants, tes sœurs et leurs maris, leurs enfants, tes neveux et nièces, les petits-enfants de Monsieur Mohamed H. …

- J’ai encore d’autres fils : Mohamed, Mustapha, Rachid … Regarde combien déjà tu comptes à leurs yeux …

- Bien que nous ne nous soyons encore jamais vus … C’est la parole de ton père qui nous a fait frères.

 

En nous embrassant à nouveau et en nous serrant très fort dans les bras l’un de l’autre, je dis : «  Mais à propos Ahmed, est-ce que nous nous sommes déjà vus toi et moi ? Je n’en suis pas sûr. Je t’ai écrit sous la dictée de ton père lorsque tu étais soldat dans l’armée française. Je ne suis pas sûr que nous nous soyons vus. 


117a.jpg

 

En 1960, toi et moi nous étions l’un et l’autre loin de notre père, moi du mien, toi du tien. Je me souviens que la parole de ton père en Algérie avait apporté de la paix dans le cœur de mon père en France, ainsi que dans le cœur de ma mère et de mes frère et sœurs. Mais toi Ahmed, je pense que c’est dans les yeux et dans le regard de ton père que je t’ai vu, dans la force de ses paroles que je t’ai entendu.

Mais, comme on est en train de se voir, j’ai l’impression que c’est la 1ère fois que je te vois aujourd’hui. C’est dans le regard de ton père et dans ses yeux, dans ses paroles et dans ses mots que je t’ai connu. »

Avec beaucoup de déférence et de respect à l’égard de leur père et de moi, les fils d’Ahmed et leurs cousins écoutent et regardent ce qui se passe entre leur père et moi. Et voici qu’un des fils d’Ahmed me dit :  « Mon père, il est toujours ton frère »

 

Oh, comme elle est belle l’œuvre d’une parole  comme celle que prononça ton père à mon égard, Ahmed ! C’était lorsque la guerre  m’avait emmené, moi,  loin de mon père, et toi Ahmed loin de celui dont la parole nous rendaient frères. Je me souviens combien en France, particulièrement dans le cœur de mon père et dans celui de ma mère, dans celui de mes frère et sœurs, cette parole avait suscité de paix et de sécurité, grâce aux lettres que nous nous échangions. Les actes de ton père correspondaient tellement aux paroles qu’il prononçait. Il faisait ce qu’il disait, lorsqu’à nos retours d’opérations, tout bouleversé que j’étais, je pouvais trouver ouverte la porte de votre maison familiale à laquelle j’étais venu frapper. Il m’était possible d’entrer chez vous et de m’y trouver comme chez nous…

«  Les enfants, préparez le thé à la menthe pour Monsieur Lucien … n’allez pas le déranger dans son bureau, il est en train d’écrire…  « Monsieur Mohamed H. avait dénommé une pièce de votre mechta : « bureau de Monsieur Lucien. » C’est là que je ramassais dans mon cahier les paroles vives de mes camarades et les miennes durant les opérations Etincelle et Jumelles. J’y racontais aussi nos silences, le travail de nos consciences, la quête de quelqu’un de référent à qui j’aurais pu confier tout ce qui défigurait notre humanité, la mienne et celle des autres. Quelqu’un à qui j’aurais pu demander et dire : «  Dites-nous que nous avons raison de vouloir arrêter et stopper cette guerre qui n’en finit pas. » 

 

Il y avait Toi ami Jésus. Dans la prière, je te trouvais résident et dans cette mechta  et dans ma conscience. Mais en même temps, j’avais besoin de parler à quelqu’un de la façon de me dégager, libérer de cet enfer-mement dans lequel nous nous trouvions coincés et emprisonnés. J’aurais voulu trouver quelqu’un qui me dise ce que tu me disais ami Jésus, je cherchais un homme de France, de l’Eglise à qui j’aurais pu demander : « Dis-nous qu’il n’y a pas d’aménagement de la guerre, qu’il n’y a pas de manière humaine de faire la guerre. Dis-nous que nous avons une intuition juste en voulant rendre nos armes et nos bagages… »

C’est dans ce « bureau » que j’écrivais les lettres que ton père me demandait de t’envoyer Ahmed, c’est là aussi que j’écrivais les lettres à ma famille. C’est là que je venais relire celles que ma maman m’écrivait. J’en écoutais la musique familiale. Comme j’étais heureux de lire qu’ils avaient confiance qu’il ne m’arriverait rien de mal. En effet, la parole de ton père à mon égard, dont j’avais fait part à mon père et à ma mère, avait porté jusqu’à eux l’humble force constructive de demeurer des bâtisseurs de paix. Grace à ton père, ensemble, nous organisions notre défense de manière non violente, face au déferlement dévastateur de la violence et de l’horreur des armes. J’aimais beaucoup lire et relire dans « mon bureau de votre mechta », les lettres de ma maman toutes remplies de mots d’amour et de tendresse,  il y en avait toujours quelques uns qui étaient adressés à votre famille, ils étaient tout emprunts de respect. Ma maman y adjoignait ceux de mes petits frère et sœurs. C’était notre manière très humble « de faire cesser le feu » de cette horrible guerre.

 

Aujourd’hui, en ces retrouvailles avec Ahmed chez ses sœurs et leurs familles, en cet endroit même où nous avions tissé nos liens de fraternité malgré la guerre fratricide que nous nous faisions …

Aujourd’hui 8 mars 2014, il s’accomplissait entre nous, en présence de Claude, Nelly et Bernard, comme un travail de contemplation. Ça  transparaissait certainement sur nos visages et dans nos gestes. Une relation intense et profonde existait entre le peuple algérien et le peuple français par notre humble médiation.


119a.jpg

 

De là où habitent Yahmina et son mari, nous sommes invités à passer dans le lieu où réside Fatima et son mari et leurs enfants … Ils sont tous là … comme je voudrais garder dans mon cœur et dans ma mémoire leurs prénoms à chacun… J’en écris bien quelques uns, comme il faudrait prendre le temps d’écouter l’histoire de chacun… En effet, comment trouver les mots pour entendre l’histoire d’Alia qui est là… et celle d’Abdelkader qui n’est plus là … il a été tué peu après les moines de Tibhirine … Que sont devenus sa femme et ses enfants ?

Nous savourons chez Fatima et son mari les gâteaux et le thé à la menthe et le café confectionnés par les membres de la famille servis dans les plus belles tasses et vaisselle qu’ils possèdent. C’est bien lui Ahmed, fils ainé, dans le cœur de qui est resté déposée la parole du père : Mohamed. Il était fondamental que ses sœurs Yahmina, Fatima et Alia se dépêchent de faire venir ici même leur frère ainé pour nous rencontrer, mais en quelle année et pourquoi lui-même Ahmed est il redescendu de Oued Fodda à Karimia ?

 

Durant les trop courts instants que nous venons de vivre, il s’est créé une intensité de relations merveilleuses. Il va être très dur de nous quitter et de nous dire au-revoir. Il s’engendre dans de tels adieux, même si on n’en dit mot, une sorte de promesse évidente : « C’est sûr, hein, que nous allons nous revoir … Toi Lucien, tu reviendras en Algérie pour venir chez nous nous revoir … Nous, on fera tout pour aller te voir en France … »

Nous retrouvons Monsieur Sid Ali le chauffeur de taxi qui a passé tout l’après-midi à parler avec le gardien du barrage et les hommes venus causer avec eux… Nous quittons le barrage d’Oued Fodda pour descendre à Karimia. Nous nous arrêtons chez Ahmed en plein cœur de la ville, saluer son épouse Zohra.

 

124a.jpg

 

Une fois encore, nous buvons le thé à la menthe et mangeons les petits gâteaux confectionnés par cette femme. Nous nous exprimons ainsi avec beaucoup de respect, les sentiments de la fraternité, nous sentons bien qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps pour nous revoir … Inch  Allah !

 

Au moment de nous quitter, nous nous saluons en nous tenant dans les bras l’un de l’autre Ahmed et moi. Je repense à l’embrassement de son père Mohamed à mon égard quand, en septembre 1960 je quittais le barrage en pleine guerre. J’étais venu saluer Monsieur Mohamed H. et sa famille. Nous avions tenté de nous exprimer des signes de paix et l’humble petite espérance que la guerre s’arrêterait bien vite. Lorsque nous quittons Oued Fodda aujourd’hui, j’apprends par Hafiz et Abdéramane que leur papa est gravement malade et qu’ils ont du mal à trouver les médicaments qu’il lui faudrait pour se faire soigner. Ils me donnent photocopie de l’ordonnance pour l’obtention des médicaments. Ils nous accompagnent en nous précédant avec leurs voitures, nous les suivons jusqu’à ce qu’ils nous mettent sur le chemin qui nous fait directement retrouver la route qui va de Chelef à Alger. Hafiz et Abdéramane nous font comprendre les paroles des prophètes Isaïe et Zacharie  qui logent dans mon cœur depuis longtemps : « Regardez ! C’est la première fois que nous vous voyons, mais déjà vous comptez beaucoup à nos yeux. Vous avez du prix, qu’est ce que vous êtes précieux. » (Zach. 9, Isaïe 49) Notre grand père Mohamed t’avait dit Lucien : «  Je suis comme ton père, tu es comme mon fils. » Et bien, nous te disons aujourd’hui : « Notre père Ahmed, il est toujours ton frère ».

Voir les commentaires

"Jamais nous ne vous oublierons" Isaïe 49,15

13 Mai 2014, 13:53pm

Publié par luluencampvolant

 

Barrage de l’Oued Fodda, le 8 mars 2014  (suite)

 

«  JAMAIS NOUS NE VOUS OUBLIERONS » Isaïe 49, 15

 

Durant ce repas confectionné par les mains des filles et petites filles de Monsieur H, je repense, comme j’en ai parlé plus haut, à l’attitude et aux paroles essentielles de Madame Germaine TILLION. Alors qu’elle réalisait ses travaux d’ethnologue dans les Aurès pendant les années où je venais au monde en 1936-1937, elle avait toujours veillé à ne pas faire dire aux Chaouias qu’elle rencontrait ce que parfois elle aurait aimé entendre de leurs bouches.

« C’est ce qu’ils pensent et veulent me dire que j’ai à écouter et à écrire », disait-elle.

 

106

Volontairement donc, par respect pour ce qui nait et vient de la bouche de mes amis de l’Ouarsenis, je ne leur reparle pas de ma famille en France. Je laisse naitre et venir les choses. Et voilà que pendant que nous savourons ce repas de l’hospitalité offert par ces femmes de tout leur cœur, Yahmina et Fatima me disent : « Lucien, comment va ta petite sœur Bernadette ? » et quelques instants après : » et ton petit frère Georges, comment va t il ? » Les larmes me viennent aux yeux. Car ces noms de mes frère et sœurs de sang en France, que j’avais donnés à mes amis d’Algérie il y a plus de cinquante ans,  alors qu’ils me donnaient les leurs, ces noms sont restés écrits dans les paumes des mains des enfants de l’homme qui m’avait dit alors : « Ici tu es loin de ton Père. Je suis comme ton Père. Tu es comme mon Fils. »

 

Monsieur Mohammed H. avait alors donné à ses enfants ainsi qu’à moi et aux membres de ma famille de nous regarder les uns les autres comme des frères et sœurs. Quel bâtisseur de l’humanité il était ! N’était-ce pas bouleversant comment en pleine guerre la parole de cet homme, avait fait se rapprocher les deux rives et plages de la Méditerranée, comme se contractent les parois de l’utérus de notre Maman qui nous pousse à naitre. Cet homme avait alors suscité, et ça se continuait aujourd’hui, que cette mer en nous enfantant, nous engendre à nous reconnaitre de la même et unique humanité dans l’étonnement de nos différences : « Mare Nostrum, Nostra Mater »

 

108.JPG

 

Les enfants de Monsieur H. accomplissaient les paroles de leur père à mon égard, en adoptant et en parlant de mes frère et sœurs comme s’ils étaient les leurs. Ces femmes vont mettre encore une cerise sur le gâteau qu’elles sont en train de nous offrir. En effet, pour continuer de nous signifier que nos noms à chacun sont écrits dans les paumes de leurs mains, l’une d’entre elles en riant me dit : « Monsieur Lucien Converset, 9 rue Carondelet 39100 Dole » C’était mon adresse au moment où nous nous étions écrits peu de temps après que j’étais arrivé à la cure Notre Dame de Dole en septembre 1966.

 

Il s’est passé durant la guerre de libération d’Algérie, entre cette famille de Monsieur H. et ma famille, ce qui s’est passé entre Yahwé Dieu et le peuple hébreu retenu en exil sous Nabuchodonosor. Quelque chose d’aussi intense, profond et indélébile que ce que les prophètes ont relaté : « Yahwé Dieu nous a caché dans l’ombre de sa main » Isaïe 49, 2, pour nous protéger de la haine pendant la guerre. Nos noms à tous sont écrits sur les paumes de ses mains. En nous ouvrant les bras et les mains les uns aux autres, nous certifions l’efficacité de la Parole de Dieu : « J’ai gravé votre nom à chacun sur les paumes de mes mains »

« Je vais même aller plus loin, dit Dieu. Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit ? Cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles ? Eh bien, même s’il s’en trouvait une pour l’oublier, moi, je ne t’oublierai jamais. «  (Isaïe 49, 15)

Une fois encore le Verbe se faisait chair dans la chair de mes amis, dans celle des membres de ma famille et dans la mienne. (Jean 1, 14)

 

Oh, comme j’étais heureux ! Et je sentais bien que ce bonheur inondait le cœur de Claude, de Nelly et Bernard. Leur persévérance et leur confiance que nous arriverions à nous retrouver et à nous rencontrer avec la famille de Monsieur H., était en train de pleinement aboutir. Voilà que je me trouvais entouré d’amis, comme d’une grande famille, à l’endroit même où il y a 54 ans j’avais vécu à plusieurs reprises des retours d’opérations dans le Djebel qui faisaient que mon être se retournait.

 

112.JPG

 

Il y avait eu le moment où nous revenions de Ténès. Et celui là du retour de l’Oued El Ardjem et celui là encore de Teniet-el-Haad, et il y avait eu un soir une nuit particulière. Le soir où jusque très tard dans la nuit je m’étais battu avec moi-même, avec ma conscience, comme Jacob avec l’ange au gué du Yaboq (Genèse 32,23 ) Peut-être était-ce avec Dieu lui- même que moi aussi je m’étais affronté.  Et comme Jacob, « j’étais resté seul » Mes copains ne m’avaient pas délaissé. Ils m’avaient laissé seul. Et quelqu’un était venu lutter avec moi jusqu’au lever de l’aurore. De ce quelqu’un qui m’était apparu durant cette nuit, je n’avais pu percevoir qu’un reflet de sa présence. Je l’avais un petit peu envisagé dans le miroir de ma conscience. Ça avait suffi pour me faire comprendre que je ne pouvais pas, que je ne devais plus continuer à porter des armes, si je voulais poursuivre mon chemin afin de devenir un homme porteur de paix. Enfin, à travers beaucoup de tempêtes et de temps tumultueux, la pauvre embarcation de ma conscience parvenait au port quand nous revenions d’opérations et que nous entrions dans ce petit village d’Oued Fodda.  C’est Monsieur H. et sa famille,  qui étaient devenus en pleine guerre comme des phares dans la tempête, un havre de paix, une sorte de port d’attache.

 

Grâce à eux, avec eux et pour eux, et pour moi, j’allais naitre à l’objection de conscience.  Ils me faisaient comprendre que : « Tout ce qui est signe de pouvoir absolu sur les autres, il faut t’en défaire. De ces munitions explosives, il faut te démunir. » Et aujourd’hui, 50 ans après, il m’était donné en présence de mes amis, Nelly, Bernard et Claude, de pouvoir revenir en plein cœur de l’Ouarsenis, retrouver ce qui restera pour toujours le berceau qui me reçut alors que je naissais à l’objection de conscience.

 

Après ce repas, tout empreint d’amitié reconnaissante et réciproque, Yahmina et son mari et toute une partie de la famille, voulurent nous emmener à quelques pas de là, voir où ils habitent : «  C’est dans la maison où il y avait ton commandant quand tu étais militaire. »

 

 

Nous voici en train de prendre le thé, le café  et les petits gâteaux de leur confection, dans la maison, où après des jours et des nuits de lutte, 50 ans auparavant, j’avais osé venir frapper à la porte de l’endroit où résidaient à nos retours d’opérations, ceux qui détenaient l’autorité sur nous. Ils auraient bien voulu commander aussi  nos consciences de jeunes hommes «  qui avions 20 ans dans l’Ouarsenis ».  Afin de garder le territoire de l’Algérie Française, croyant faire œuvre de civilisation, à combien de jeunes Français ces centurions avaient fait perdre le sens du respect, de la dignité des Algériens et Algériennes que nous rencontrions et poursuivions.

 

 

Du sein d’une plénitude de mots d’amitié, de tendresse fraternelle de la part de mes amis d’il y a plus de 50 ans, il me revenait aussi le ressac des paroles de mon capitaine, qui m’avait laissé « au garde à vous »  en ce lieu même. Il n’avait pas voulu me donner de « repos » durant tout l’entretien que nous avions eu alors : «  Converset, vous n’êtes qu’un objecteur de conscience, vous refuseriez de défendre vos camarades de section … Déjà il y a quelque temps, j’aurais du vous faire passer le tribunal militaire … « J’avais dit à mon capitaine : « Nous n’avons pas le droit de torturer une femme comme nous venons de le faire. »  Il m’avait alors rétorqué : « Les femmes du Djébel je les connais, ce sont des traitres et des menteuses ! »

 

Il eut fallu à cet homme avec qui je m’affrontais en conscience, dans une démarche non violente, de se laisser interpeller comme l’avait fait trois ans plus tôt le général Jacques Paris de la Bollardière, en pleine bataille d’Alger, au printemps 1957. A l’époque, le général Jacques Paris de la Bollardière était allé dire sa réprobation au général Massu puis au Général de Gaulle, par rapport à la violence pensée et organisée avec laquelle se faisait le ratissage de la Casbah. J’aimerais retrouver la citation des paroles du général Massu, quelques années avant de mourir, disant que durant la guerre d’Algérie nous aurions du et pu, ne pas pratiquer la torture comme ça s’était passé. Ce regret et ces remords, qui ont taraudé la conscience du général Massu, probablement suite à son affrontement avec Jacques Paris de la Bollardière, peut-être ont-ils meublés aussi la tête et le cœur du capitaine avec qui nous nous étions affrontés en juillet 1960, en cet endroit même. Ce lieu où Yahmina et son mari venaient de nous faire entrer, devenait l’endroit où nous nous exprimions notre fraternité avec les enfants et petits enfants de Monsieur H.

 

En tout cas, comme dans la vie du centurion romain et de ses proches à Capharnaüm, tu venais d’entrer, ami Jésus, tu venais nous retrouver là, en cet endroit de fracture, pour que nous réussissions à reconstruire notre humanité.

Tu étais en train de te faire chair. Nous te disions une fois encore : « Descends dans nos vies, pour que nous ne mourrions pas (Jean 4, 49). Nous ne sommes pas dignes que tu viennes sous ce toit, mais donne-nous la sagesse de savoir panser nos blessures en nous écoutant les uns les autres, et penser notre guérison en trouvant les mots pour oser dire humblement ton chemin de libération.

 

PS : Voici les paroles du Général MASSU que recherchait Lulu :

Dans une interview au journal Le Monde le 22 juin 2000 et reprise par la LDH-Toulon, le Général MASSU regrette la torture :

 "Non, la torture n'est pas indispensable en temps de guerre, on pourrait très bien s'en passer. Quand je repense à l'Algérie, cela me désole, car cela faisait partie d'une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment".

Voir les commentaires

Conférence le 21 mai à18h00

10 Mai 2014, 22:00pm

Publié par luluencampvolant

Sec cath-copie-1Dans le cadre de la campagne de solidarité internationale du Secours Catholique  « one human family, food for all »

 

RENCONTRE – DEBAT

avec  INAS  SAWAHREH

De l’ONG PALESTINIENNE MSD

 

(Al Maqdese for Society Development)

Partenaire de Caritas Intenationalis

 Personal-Picture.jpg

Mercredi 21 mai à 18 heures

FJT Le Saint Jean

Place Jean XXIII   Dole

 

MSD a été fondée à Jerusalem en 2007 par des universitaires, avocats, acteurs sociaux, défenseurs des droits de l’homme. MSD agit pour la défense des droits politiques, sociaux, économiques et culturels et pour la formation.

 

 

Secours Catholique Dole    51 avenue J Duhamel  39100 DOLE

Voir les commentaires