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Lulu en camp volant

De multiples arcs-en-ciels dans nos ouragans de guerres

29 Janvier 2015, 11:40am

Publié par luluencampvolant

Jeudi 29  janvier 2015

 

Un jour, pendant que nous nous promenions avec des enfants de l’Association Floriane, dans les coteaux des environs de Salins, un orage très violent nous était tombé dessus. Cela avait beaucoup tendu nos relations les uns avec les autres. Chacun avait eu tendance à se comporter en «  Sauve qui peut », en abandonnant à leur sort les plus faibles, ceux qui avaient du mal de marcher. Nous avions réussi cependant à nous réfugier avec nos ânes dans une maison qui est sur le flanc du Val d’Héry, la ferme d’Arloz, chez Bernard.


Très sympathique, cet homme nous avait dit : « Entrez ! Venez vite vous mettre à l’abri ! En attendant que le gros de l’orage se passe, vous allez boire quelque chose de chaud. Vous reprendrez ensuite votre chemin … » Cet accueil nous avait fait du bien. Une grande part de la tension agressive qui régnait entre nous était retombée.

 

Nous avions longuement et profondément causé avec cet homme. Il avait pris le temps de nous recevoir. Puis l’orage s’était un peu calmé au dehors et aussi entre nous. Bien que le ciel soit encore sombre, nous décidions de reprendre le chemin afin d’arriver à notre lieu de ralliement avant la tombée de la nuit. C’est alors que Bernard nous dit : » Oh, regardez ! Voila que se dessine un arc en ciel. Vous le voyez, entre le Fort Belin et le Fort Saint André. »

 

 

Oh ! Comme c’était beau ce qui se réalisait sous nos yeux ! L’arc en ciel reliait les deux forts. C’était comme une anse de panier, soutenant la ville de Salins blottie dans le fond de la vallée.

 

Je me souviens aujourd’hui que Bernard au moment de partir, nous avait invité en souriant à ce que nous allions chercher au pied de l’arc en ciel : « Vous creuserez. Vous allez y découvrir des trésors, ne passez pas à côté sans chercher »

 

Après l’avoir salué et remercié pour la manière dont il nous avait accueillis, nous nous étions dirigés en direction du pied de l’arc en ciel, en dessous du Fort Belin. C’était justement notre point de ralliement : le Rayon de Soleil.

 

C’était merveilleux alors, comment nous avions continué à traverser l’orage qui empestait notre groupe. Il me revient que nous avions cherché et trouvé la manière d’aménager l’allure de notre marche, ainsi que l’ambiance de notre équipée. Il était devenu essentiel que la solidarité imprègne intensément nos comportements, les uns vis-à-vis des autres. Nous nous rendions compte que, pour que l’ensemble de notre groupe aille bien, il nous fallait d’abord être attentifs aux plus petits, aux plus fragiles, à celles et ceux qui avaient le plus de difficulté de marcher. L’orage avait fait surgir en nous des agressivités les uns à l’égard des autres. Ce n’était pas très beau comme nous nous étions dévisagés au lieu de nous envisager. N’étant pas tous du même quartier, ni non plus de même niveau social, la façon dont nous étions habillés, avait fait surgir de nos bouches, des moqueries les uns envers les autres : « Oh ! T’as vu comme il est fringué ! … T’aurais pu trouver d’autres  godasses pour venir marcher avec nous … La prochaine fois, tu trouveras un autre anorak que celui que t’as sur le dos ! » C’était même allé jusqu’à des mots et des gestes durs et violents par rapport à nos origines, concernant nos mamans.

 

Grâce à notre halte chez Bernard et son appel à creuser au pied de l’arc en ciel, les membres de l’équipe animatrice et moi, nous étions intervenus pour découvrir et dire qu’il y a des paroles et des attitudes qu’il faut savoir nous interdire les uns envers les autres lorsque l’atmosphère est orageuse. En effet, ça peut devenir explosif. Particulièrement quand ça touche à l’image que nous avons de notre Maman. Nous devons nous interdire d’exprimer ce que l’on est tenté de dire des mamans des autres. C’est d’elles dont nous venons, d’où nous sommes originaires. Il est tellement délicat de toucher à cet essentiel. Il est sage de poser là, des interdits.

 

C’était beau ce que nous mettions à jour en reprenant notre chemin en direction du pied de l’arc en ciel. Que de trésors nous découvrions !

 

Je me souviens même des mots que l’un des enfants, Olivier, juché sur le dos de l’âne Isidore avait dit à l’un des plus petits qui était très fatigué : » Viens Maxime, je te donne ma place » il était alors descendu de l’âne et avait aidé Maxime à grimper à son tour sur le dos d’Isidore pour qu’il y trouve repos et joie. J’avais alors écrit sur mon cahier, que j’avais tiré de ma poche de veste : « Merveille sur un dos d’âne. » Nous arrivions devant la Beline. Le ciel se dégageait. Nous chantions notre joie. Simone notre vieille amie était sortie sur le pas de la porte de sa maison, pour nous donner à nous des chocolats et des carottes à nos ânes. Nous étions juste au pied de l’arc en ciel. Comme il faisait beau et bon à ce moment là et en ce lieu. De manière rigolote, nous nous étions creusés les méninges pour trouver comment faire, afin que chacun de nous découvre sa place, en commençant par les plus petits. Il me revenait les paroles du Père Joseph Wrezinski que Bernard et Colette Berthet m’avaient apprises à Champdivers au sein du Mouvement ATD quart Monde : « Commençons à faire de la place pour les plus faibles, comme ça on sera sûrs de n’oublier personne »

 

Aujourd’hui dans l’ouragan de  violence qui vient de nous tomber dessus en France, les 7, 8 9 janvier, nous prenons un peu plus conscience que des drames comme celui ci, s’abattent depuis plusieurs décennies en de multiples endroits de la terre.

 

En certains lieux de la planète terre, ce sont des cyclones de violence qui déchirent des pans entiers de notre humanité : Kobané à la frontière turco-syrienne, mis à feu et à sang par Daesch, Nigéria et Niger où des populations entières subissent pillages, viols et tueries de toutes sortes par Boko Haram et tant d’autres endroits où des personnes souffrent. Une question doit se poser à nos consciences. Il y a des origines à toutes ces violences. Ayons la lucidité et le courage de remonter en amont de ces guerres larvées, jusqu’aux violences premières. Nous en décelons quelques unes. L’omniprésence de l’idole argent. Ne devons nous pas entreprendre, à commencer par moi-même, de chercher et trouver des moyens pour arrêter de tout sacrifier à cette idole. Ne démissionnons pas de nos projets de construire notre humanité, mais démunissons nous de manière unilatérale, des violences qui barrent la route au souffle de l’Esprit : la fabrication et le commerce de tout armement, et particulièrement du nucléaire.

 

Comme nous y appelle sans cesse Jean-Claude Guillebeaud : « Arrêtons de foncer à grande vitesse de manière parallèle les uns et les autres, car, c’est alors que nous nous éloignons les uns des autres, nous nous individualisons. Prenons le temps de causer, de creuser au pied de nos arcs en ciels, de nous écouter, en donnant valeur à la parole de l’autre. Comme il fait bon de déceler dans ce que l’autre vient de nous dire, la part de vérité qui y est cachée, laissant à l’autre le temps de nous l’offrir. Evitons de  nous croire obligés d’aller jusqu’à caricaturer et tourner en dérision l’attitude et la parole de l’autre, sous le prétexte de la liberté d’expression. C’est la transversalité.

 

Dans beaucoup d’endroits de la planète, surgissent des arcs en ciels, des groupes de gens, qui en raison de leur manière de vivre, nous signifient que nous pouvons éviter de nous laisser engloutir dans nos ouragans de violence et de détresse. Il vient d’arriver un de ces arcs en ciels à nos yeux de lecteur, ce sont : Lettres à un ami fraternel, de Christian de Chergé, le prieur de Tibhirine aux éditions Bayard. Ce livre vient de paraitre il y a 15 jours, des amis me l’ont offert, c’est un merveilleux outil pour creuser au pied de l’arc en ciel qu’est Tibhirine, afin de sortir de nos violences pour nous libérer les uns grâce aux autres. Lorsqu’il y a un an, j’étais allé grâce à des amis, à Tibhirine en Algérie, j’avais deviné que la mort des 7 moines n’avait pas fini de nous mener à la vie. Je repensais à notre ami Gaby Maire, qui en 1989, quelques temps avant d’être assassiné au Brésil disait : « Je préfère une mort qui mène à la vie, plutôt qu’une vie qui mène à la mort ».

 

Quelques mois avant d’être emmenés prisonniers avec ses compagnons, Christian de Chergé écrivait à Maurice Borrmans (qui avait été son professeur à l’institut pontifical d’Islamologie de Rome) : « Chacun se sait voué au même témoignage d’amour auprès de ce peuple meurtri et trompé… Il y a ce qui mûrit en secret et qui fait que rien ne sera plus comme avant, y compris dans l’approche de l’Islam. »

 

Depuis que j’ai ce livre entre les mains, je dévore chaque jour quelques unes de ces lettres de Christian, afin de me nourrir pour le combat journalier et non violent contre ce qui n’est pas juste. J’y trouve une multitude de connivences avec ce qu’un certain galiléen nommé Jésus, a dit et fait dans le pourtour de la montagne qui nous permet de contempler la mer de Tibériade. C’est comme un arc de lumière afin de nous arrêter d’assombrir la situation de notre humanité : « On vous a dit : Aimez vos petits copains mais haïssez vos ennemis … il faut tous les descendre … Eh bien, moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour ne pas entrer dans la tentation de croire que c’est par la fabrication et le trafic des armes que vous arriverez à vous en débarrasser (Matthieu 5, 43-44 et 26, 41)

 

arc-en-ciel.jpg

 

Il arrive dans nos ciels d’orage, qu’à côté d’un arc en ciel en surgisse un second. En même temps que la parution de ce livre, nous arrivait par Internet un très profond document de Jean-Marie Muller : « Face à la tragédie de Charlie Hebdo » Ainsi, je peux écrire à Jean-Marie : « Merci pour ce bel arc en ciel dans nos épreuves que tu viens de nous faire parvenir. Comme les lettres de Christian de Chergé, comme l’Evangile de la non violence, aujourd’hui, vous nous permettez de creuser au fond de nos êtres, et de trouver les ressources pour empêcher nos malheurs. Nous sommes appelés à nous démunir de nos pouvoirs et de nos forces agressives, de nos armements de manière unilatérale et à faire confiance à la conjonction de nos trésors d’amour, de justice et de vérité.

 

Au moment même où je finis d’écrire cette lettre, il nous apparait encore un autre arc en ciel : c’est ce que fait et écrit Latifa, la maman de la première victime de Mohammed Merah. En allant rencontrer dans les cités et les écoles les jeunes, Latifa les aide à trouver des chemins de fraternité en abandonnant les tentations de violence.

C’est par la lecture d’un article écrit par Jacques et Elisabeth Lamy et paru ce matin même dans la Voix du Jura, que m’apparait la lumière de cet arc en ciel.

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Face à la tragédie de Charlie Hebdo #2

22 Janvier 2015, 16:00pm

Publié par luluencampvolant

Mise à jour le 23/01/2015

2ème partie de la lettre de Jean-Marie MULLER (1ère partie ici)

 

Prendre Gandhi à la lettre

Il faut prendre définitivement Gandhi à la lettre lorsqu’il affirme que la non-violence est la vérité de l’humanité de l’homme. Gandhi affirme également : « La seule manière de connaître Dieu est la non-violence. » En ignorant la non-violence, les religions ont méconnu Dieu dont l’être - en toute hypothèse - est essentiellement pur de toute violence. L’opposé de la foi, ce n’est pas l’incroyance, mais la violence. Mais ce qui est plus grave encore, c’est qu’en ignorant la non-violence, les religions ont méconnu l’homme dont l’être spirituel s’accomplit dans la non-violence. En justifiant la violence, c’est l’homme que les religions trahissent. C’est l’humanité de l’homme qu’elles nient.

 

Gandhi

Hommage à la non-violence devant la statue de Gandhi à Strasbourg

 

L’antinomie radicale entre l’amour et la violence

On a souvent critiqué les religions pour leur justification de la violence. Certes, les religions sont coupables par ce qu’elles apportent à la violence, mais surtout par ce qu’elles n’apportent pas à la non-violence. Cela implique qu’il n’est pas suffisant que les religions ne justifient plus la violence ; il est nécessaire qu’elles n’ignorent plus la non-violence. 

 

Même lorsqu’elles ont prêché l’amour, les religions n’ont pas osé affirmer la contradiction irréductible, l’incompatibilité essentielle, l’antagonisme absolu, l’antinomie radicale entre l’amour et la violence. Elles ont encore laissé croire aux hommes qu’il était possible de conjuguer ensemble l’amour et la violence dans une même rhétorique. Voilà l’erreur capitale. Car, dans cette rhétorique, le principe de non-violence se dissout. La transcendance de l’homme, c’est de craindre davantage le meurtre que la mort.

 

Les doctrines religieuses justifient le meurtre

De nombreuses voix se sont élevées pour prétendre haut et fort que « l’islamisme n’avait rien à voir avec l’islam ». Il importe certes de refuser tout « amalgame », de fermer la porte à la stigmatisation des musulmans qui seraient tous co-responsables de l’islamisme et de ses dérives criminelles. L’islamophobie doit être récusée et condamnée sans aucune concession. Cependant, on ne saurait nier la possibilité pour les islamistes de recourir à la caution de nombreux versets coraniques pour faire prévaloir, au-delà des compromissions de l'histoire, leur conception intégriste de l'islam. En toute rigueur, le droit musulman prescrit la plus extrême sévérité à l’encontre de ceux qui critiquent le prophète. La loi islamique n’exclut nullement le meurtre des blasphémateurs. Mahomet lui-même n’hésita pas à faire assassiner des dissidents qui avaient défié son autorité. Les islamistes peuvent prétendre qu'ils sont des orthodoxes conséquents, radicaux et donc intransigeants. Entre l'islam traditionnel et l’islamisme des intégristes, il existe des  passerelles dès lors que le texte coranique permet la lecture fondamentaliste qu’en font les islamistes.

 

Aussitôt qu’une telle critique de l’islam est amorcée, il est affirmé qu’il en est ainsi de toute religion. En toute hypothèse, cette affirmation  est une confirmation et non pas une infirmation. Sans aucun doute, l’analyse qui vient d’être faite du Coran vaut également pour la Bible dont de nombreux versets justifient la violence. Les compromissions du judaïsme et du christianisme avec la violence ont beaucoup varié au cours de l’histoire selon le temps et le lieu. Pour sa part, Jésus a récusé la loi du talion, il a demandé à ses amis de remettre leur épée au fourreau et de ne pas résister au mal en imitant le méchant. Pour autant, cela n’a pas empêché l’Inquisition d’être catholique avant de devenir musulmane et les guerres chrétiennes du XVIème siècle – « pensons à la nuit de la Saint Barthélemy » - n’ont rien à envier aux guerres musulmanes d’aujourd’hui.

 

Nécessité ne vaut pas légitimité

Certes, nous savons que la non-violence absolue est impossible en ce monde. L’homme peut se retrouver prisonnier de la dure loi de la nécessité qui l’oblige à recourir à la violence. Mais, même lorsque la violence apparaît nécessaire, l'exigence de non-violence demeure ; la nécessité de la violence ne supprime pas l'obligation de non-violence. Nécessité ne vaut pas légitimité. Justifier la violence sous le prétexte de la nécessité, c’est rendre la violence sûrement nécessaire et enfermer l’à-venir dans la nécessité de la violence.


En pactisant avec le meurtre, les religions n’ont pas commis des fautes, elles ont commis des erreurs, des erreurs de doctrine, des erreurs de pensée qui sont autant d’erreurs contre l’esprit.  Aujourd’hui comme hier, c’est un impératif moral catégorique que les religions décident de rompre une fois pour toutes avec leurs doctrines de la légitime violence et du meurtre juste et optent résolument pour la non-violence. Pour une part décisive, l’à-venir de l’humanité dépend de cette décision des religions. 

 

L’espoir, c’est que l’extrémisme de la violence commise en France mais aussi en de nombreux pays dans le monde au nom de la religion obligera les responsables religieux à opérer cette rupture.

 

Combattre l’antisémitisme

Le meurtre de quatre français de religion juive le 8 janvier Porte de Vincennes dans un supermarché Hyper Casher vient donner un surcroît de tragédie au drame de la mort des journalistes de Charlie Hebdo. Là encore, il importe de condamner absolument tout relent d’antisémitisme. Mais il faut reconnaître que, pour une part, l’origine de l’antisémitisme provient de la politique de l’État d’Israël menée au nom d’un judaïsme radical. Le risque est réel que la condamnation du racisme antisémite laisse entendre une justification de la politique du gouvernement israélien. De ce point  de vue, la présence du chef du gouvernement israélien à la manifestation du 11 janvier n’a pas été sans ambiguïté. Qui pourrait prétendre que les droits des Palestiniens sont respectés par l’État d’Israël ?


La France est en guerre

« La France est en guerre contre le terrorisme » a déclaré le Premier Ministre, Manuel Valls, le 13 janvier à l’Assemblée Nationale. Certes, les menaces « terroristes » qui pèsent sur la France sont bien réelles, mais il serait illusoire de croire que seules des mesures sécuritaires, c’est-à-dire policières et militaires, pourront les circonscrire et les éliminer.


Ne parler que d’horreur, de barbarie, de monstruosité risque fort de nous égarer en nous conduisant à occulter le caractère politique de ces actes. Pour comprendre le terrorisme, il ne suffit pas de brandir son immoralité intrinsèque. Dès lors que la dimension politique du terrorisme sera reconnue, il deviendra possible de rechercher la solution politique qu'il exige. La manière la plus efficace pour combattre le terrorisme est de priver leurs auteurs des raisons politiques et économiques qu'ils invoquent pour le justifier. C'est ainsi qu'il sera possible d'affaiblir durablement l'assise populaire dont le terrorisme a le plus grand besoin. Souvent, le terrorisme s'enracine dans un terreau fertilisé par l'injustice, l'humiliation, la frustration, la misère et le désespoir. La seule manière de faire cesser les actes terroristes est de priver leurs auteurs des raisons politiques invoquées pour le justifier. Dès lors, pour vaincre le terrorisme, ce n'est pas tant la guerre qu'il faut faire, que la justice qu'il faut construire. Ici et là-bas.

 

Une dernière réflexion qui apparaîtra peut-être encore incorrecte ; la tragédie de Charlie Hebdo n’a pas fait 17 mais 20 victimes. Les trois tueurs, jeunes Français nés en France mais dont la vie était en déshérence, sont aussi des victimes du terrorisme. Quelle que soit l’horreur criminelle de leurs actes, ils sont aussi des hommes. Au-delà de la mort, il nous appartient de leur restituer leur humanité. Il nous sera alors possible de prendre le deuil de ces trois hommes dans le respect de leur personne.


 

* Philosophe et écrivain.

Auteur notamment de Désarmer les dieux, Le christianisme et l’islam au  regard de l’exigence de non-violence, Le Reliè Poche, 2010.

Lauréat 2013 du Prix international de la fondation indienne Jmanalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.

www.jean-marie-muller.fr

 

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Face à la tragédie de Charlie Hebdo #1

21 Janvier 2015, 16:00pm

Publié par luluencampvolant

Lettre de Jean-Marie Muller* (1ère partie)

 

Dans l’après-midi du 7 janvier, ayant appris qu’un attentat avait été commis dans les locaux de Charlie Hebdo, je découvre sur Internet que Cabu est au nombre des journalistes tués. Cette nouvelle me bouleverse. Â plusieurs reprises, dans ma vie militante, j’ai eu l’occasion de le côtoyer et un lien d’amitié s’était créé entre nous. Le sourire qui illuminait son visage laissait transparaître une grande sérénité. Il témoignait d’une grande douceur. Chaque semaine, en ouvrant Le Canard Enchaîné j’avais hâte de découvrir ses dessins.

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Jean-Marie Muller caricaturé par Cabu en 1975

Dans le même temps, je découvre les noms des autres personnes tuées dans cet attentat – journalistes et policiers - et je mesure l’ampleur de la tragédie qui frappe la France tout entière. Ces meurtres odieux sont la négation et le reniement des valeurs d’humanité qui fondent la civilisation. Le dimanche 11 janvier, j’ai manifesté dans les rues de Paris pour affirmer avec des centaines de milliers d’autres Français notre détermination à refuser toute peur face aux menaces terroristes et à continuer de lutter pour la liberté. Cette formidable mobilisation populaire pourrait être un signe d’espérance pour la démocratie française. L’idée-force autour de laquelle ces milliers de Français ont voulu se rassembler était d’affirmer leur volonté de faire communauté au-delà de tout communautarisme, et de vivre ensemble une véritable laïcité qui respecte les convictions de tous dans l’affirmation d’une éthique universelle qui seule peut fonder l’égalité, la liberté et la fraternité.


La publication des caricatures de Mahomet en question

Pour autant, je dois avouer que je ne saurais être entièrement solidaire des décisions prises par Charlie Hebdo concernant la publication des caricatures du Prophète Mahomet.


Il se trouve que j’ai séjourné du 2 au 13 février 2006 à Jérusalem. J’avais été invité à me rendre à Gaza par Ziad Medoukh, professeur de français à l’Université Al-Aqsa de Gaza, afin d’y animer une session sur la non-violence. Lors d’un séjour précédent en Israël, le Consul de France m’avait assuré qu’il me donnerait tous les feux verts pour que je puisse aller à Gaza. Mais, cette fois, il m’a fait savoir qu’en raison de la publication des caricatures danoises en France (France-Soir les a publiées le 1er février et elles seront publiées le 8 février dans Charlie Hebdo) et des manifestations d’hostilité qu’elles ont provoquées parmi les Arabes, il était hors de question que je me rende à Gaza. Le 2 février, les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa avaient affirmé : « Tout Norvégien, Danois ou Français présents sur notre terre est une cible. »

 

C’est donc au Proche-Orient, dans ces conditions quelque peu particulières, que j’ai reçu les informations au sujet de la publication en France des caricatures de Mahomet. Sans aucun doute, ce décentrement m’a amené à une perception de la réalité sensiblement différente de celle qui a semblé prévaloir en Occident. Dès mon  retour en France j’ai écrit un article intitulé « Le choc des caricatures ». J’en reproduis ici quelques extraits :

 

« Si l’on s’en tient à juger les événements déclenchés par ces dessins, d’abord publiés au Danemark, à travers le prisme de l’idéologie laïque occidentale, on risque fort de ne voir dans ces publications qu’un exercice légitime de la liberté d’expression. On devient alors incapable de comprendre la lecture que les musulmans font de ces mêmes événements. En démocratie, la liberté d’expression est un droit imprescriptible, mais elle n’est pas un droit absolu. Elle trouve ses limites dans le respect d’autrui. Elle n’est légitime que si elle est conjuguée avec l’intelligence et la responsabilité, deux vertus qui se trouvent également au fondement de la démocratie. La rhétorique sur la liberté de diffamation qui prétend justifier la publication de ces dessins présente aux musulmans une caricature de la démocratie occidentale. Dès lors, toutes celles et tous ceux qui, au sein du monde musulman, s’efforcent de faire prévaloir les valeurs et les principes de la laïcité démocratique se trouvent placés dans une position intenable.

 

« Quand on considère le déficit de la liberté d’expression dans de nombreuses sociétés – notamment dans des pays dominés par des régimes qui font référence à l’islam -, on mesure mieux la valeur décisive de cette liberté pour construire une démocratie authentique. Ceux qui ont la chance d’en bénéficier ont la responsabilité de ne pas la déconsidérer par des abus déraisonnables. (…)

 

« Certes, toute religion doit être soumise à la critique de la raison et, tout particulièrement, sur son rapport à la violence. (…) Ce débat exigeant n’est pas facile, mais l’une des conséquences les plus graves de la publication de ces caricatures, c’est de le rendre plus difficile encore.

 

« Inconscients de leur arrogance, les occidentaux appellent les musulmans à savoir faire preuve d’humour face à l’insolence de dessins qui se voudraient humoristiques. Mais l’humour est un bien trop précieux pour être galvaudé. Il se renie lui-même lorsqu’il se transforme en dérision et en stigmatisation. Ces dessins, en réalité, ne présentent qu’une caricature de l’humour.

 

« Point besoin n’était d’être devin pour prévoir que de telles satires ridiculisant le Prophète Mahomet seraient interprétées par les musulmans comme autant d’offenses à leur religion. Pour autant, ces foules de musulmans en colère, instrumentalisées par des groupes ou des régimes politiques, qui profèrent des cris de haine à l’encontre de l’Occident, en allant parfois jusqu’à en appeler au meurtre, donnent assurément une image caricaturale de l’islam.

 

« Le plus dramatique, c’est que ce choc des caricatures nous a fait faire un pas en avant dans la logique détestable du « choc des civilisations ». Les relations entre le monde occidental et le monde musulman comportent un formidable défi. Pour le relever, il importe d’avoir l’audace de défricher le chemin d’un dialogue sans concession qui nous permette d’inventer un avenir commun en découvrant, au-delà des errements du passé, des références éthiques communes. »

 

Ces jugements apparaîtront peut-être durs à d’aucuns, trop durs. Je rappelle qu’ils ont été écrits en 2006 et qu’ils concernent les caricatures danoises publiées en France. Nous avons probablement oublié les passions qu’elles ont alors suscitées au sein des communautés musulmanes en France et partout dans le monde. Pour ce qui concerne les dessins de Charlie Hebdo publiés depuis, il faudrait certainement apporter des nuances. Ces dessins sont différents les uns des autres et chacun doit être jugé pour lui-même à travers un large spectre d’appréciations.

 

Les religions, malheureusement, ignorent la non-violence

Face à la tragédie des 7 et 8 janvier, les responsables religieux ont tenu à condamner ces meurtres en affirmant que les religions ne prêchaient que la tolérance et la paix et qu’elles étaient innocentes de cette tragédie. Mais ce langage  religieusement correct risque fort de contenir un déni  de la réalité.

 

L’histoire des hommes est criminelle. Jusqu’à la désespérance. La violence meurtrière semble peser sur l’histoire comme une fatalité. L’exigence universelle de la conscience raisonnable interdit le meurtre : « Tu ne tueras pas ». Cependant, nos sociétés sont dominées par l’idéologie de la violence nécessaire, légitime et honorable qui justifie le meurtre. Dès lors, pour de multiples raisons, l’homme devient le meurtrier de l’autre homme. Et souvent la religion apparaît comme une partie intégrante des tragédies criminelles qui ensanglantent le monde.

 

Même lorsqu’ils ne tuent pas « au nom de la religion », les hommes tuent maintes fois en invoquant la religion. En de multiples circonstances, la religion permet aux meurtriers de justifier leurs méfaits. Elle leur offre une doctrine de la légitime violence et du meurtre juste. Â de nombreuses  reprises, elle commet l‘erreur décisive de laisser croire aux meurtriers que « Dieu est avec eux ». 

 

Il est remarquable que, au-delà de certaines différences d’accentuation, les religions s’en tiennent pour l’essentiel à la même doctrine. Le plus important n’est pas ce que les religions disent de Dieu, mais ce qu’elles disent de l’homme, plus précisément ce qu’elles disent à l’homme et ce qu’elles ne lui disent pas.

 

Suite à venir....

 

* Philosophe et écrivain.

Auteur notamment de Désarmer les dieux, Le christianisme et l’islam au  regard de l’exigence de non-violence, Le Reliè Poche, 2010.

Lauréat 2013 du Prix international de la fondation indienne Jmanalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.

www.jean-marie-muller.fr

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Conférence ATD-Quart-Monde à Besançon

10 Janvier 2015, 11:00am

Publié par luluencampvolant

La misère est un scandale,

tous ensemble comment envisager l'avenir ?

 

ATD-Besancon.png

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"Le crime et les châtiments" Khalil Gibran

9 Janvier 2015, 11:00am

Publié par luluencampvolant

Nos armes : un crayon, un dessin, un poème, une bougie, un cercle de silence, un partage, une prière, un temps de réflexion....

 

"Alors un des juges de la cité se leva et dit, Parle-nous du Crime et du Châtiment.

Et il répondit, disant :

C'est quand votre esprit erre au gré du vent,

Que vous, seul et imprudent, causez préjudice à autrui et par conséquent à vous-même.

Et pour ce préjudice, vous devez frapper et attendre dans le dédain à la porte des élus.

Comme l'océan est votre moi-divin ;

Il demeure à jamais immaculé.

Et comme l'éther il ne soulève que ceux qui ont des ailes.

Comme le soleil est votre moi-divin ;

Il ne sait rien des tunnels de la taupe, ni ne cherche dans les trous des serpents.

Mais votre moi-divin ne réside pas seul dans votre être.

Beaucoup en vous est encore humain, et beaucoup en vous n'est pas encore humain,

Mais comme un nain informe qui marche endormi dans la brume, à la recherche de son propre éveil.

Et de l'humain en vous je voudrais parler maintenant.

Car c'est lui et non votre moi-divin, ni le nain dans la brume, qui connaît le crime et le châtiment du crime.

Souvent je vous ai entendu parler de celui qui a commis une faute comme s'il n'était pas l'un de vous, mais un étranger parmi vous et un intrus dans votre monde.

Mais je vous le dis, de même que le saint et le juste ne peuvent s'élever au-dessus de ce qu'il y a de plus élevé en chacun d'entre nous,

De même, le malin et le faible ne peuvent sombrer aussi bas que ce qu'il y a aussi en nous de plus vil.

Et de même qu'une seule feuille ne jaunit qu'avec l'assentiment silencieux de l'arbre tout entier,

Le fautif ne peut commettre de fautes sans la volonté secrète de vous tous.

Comme une procession, vous marchez ensemble vers votre moi-divin.

Vous êtes le chemin et les voyageurs.

Et lorsque l'un de vous chute, il chute pour ceux qui sont derrière lui, les prévenant de la pierre qui l'a fait trébucher.

Oui, et il tombe pour ceux qui sont devant lui qui, bien qu'ayant le pied plus agile et plus sûr, n'ont cependant pas écarté la pierre.

Et ceci encore, dussent ces mots peser lourdement sur vos cœurs :

Le meurtre n'est pas inexplicable pour celui qui en est la victime.

Et celui qui a été dérobé n'est pas irréprochable d'avoir été volé.

Et le juste n'est pas innocent des méfaits du méchant,

Et celui dont les mains sont pures n'est pas intact des actes du félon.

Oui, le coupable est souvent la victime de celui qu'il a blessé.

Et plus souvent encore, le condamné porte le fardeau de l'innocent et de l'irréprochable.

Vous ne pouvez séparer le juste de l'injuste et le coupable de l'innocent ;

Car ils se tiennent unis devant la face du soleil, comme le fil noir et blanc tissés ensemble.

Et quand le fil noir rompt, le tisserand examine le tissu tout entier, ainsi que son métier.

Si l'un d'entre vous mène devant le juge la femme infidèle, 9

Qu'il mette aussi en balance le cœur de son mari, et mesure son âme avec circonspection.

 

Et que celui qui voudrait fouetter l'offenseur, considère l'âme de celui qui est offensé.

Si l'un de vous punit au nom de la droiture et plante sa hache dans l'arbre tordu, qu'il en regarde les racines ;

Et en vérité, il trouvera les racines du bien et du mal, du fécond et du stérile, entremêlées ensemble dans le cœur silencieux de la terre.

Et vous, juges qui voulez être justes.

Quel jugement prononcez-vous à l'encontre de celui qui, bien qu'honnête en sa chair est voleur en esprit ?

Quelle sanction imposez-vous à celui qui tue dans la chair alors que son propre esprit a été tué ?

Et comment poursuivez-vous celui qui dans ses actes trompe et oppresse,

Mais qui est lui-même affligé et outragé ?

Et comment punirez-vous ceux pour qui le remords est déjà plus grand que leurs méfaits ?

Le remords n'est-il pas la justice rendue par cette loi même que vous voulez servir ?

Cependant, vous ne pouvez pas infliger le remords à l'innocent ni en libérer le cœur du coupable.

Inconsciemment il appellera dans la nuit, afin que les hommes se réveillent et se considèrent.

Et vous qui voulez comprendre la justice, comment le ferez-vous sans regarder toutes choses en pleine lumière ?

Alors seulement vous saurez que l'homme droit et le déchu sont un seul homme debout dans le crépuscule, entre la nuit de son moi-nain et le jour de son moi-divin.

Et que la clef de voûte du temple n'est pas plus haute que la pierre la plus profonde de ses fondations.

 

 

Extrait du livre "le prophète" de Khalil Gibran

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Ça aurait pu être moi #3

8 Janvier 2015, 11:00am

Publié par luluencampvolant

Ça aurait pu être moi, qui ait eu à tirer

sur l’homme qui vient de tomber.

 

3ème partie du témoignage de Lucien lors des journées "histoires et mémoires de la guerre d'Algérie" à Besançon. 

 

Je sens bien que si ce n’est pas moi qui ai tiré sur l’homme de l’Oued El Ardjemm, ça aurait pu être moi. 

Je suis donc impliqué dans la mort de cet homme.

 

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Mais sont impliqués aussi tous ceux et celles qui nous ont embarqués, poussés, obligés à faire cette guerre, comme ils nous poussent et nous obligent, jusqu’à en violer notre conscience à nous impliquer dans la guerre actuelle du Moyen Orient et d’Afrique, et dans la fabrication et la vente des armes et dans la préparation d’une guerre nucléaire.

 

Quand on se trouve comme moi, comme la poignée de mes camarades, impliqués à tendre une embuscade, dans le but de tuer des hommes, le champ laissé à nos consciences, pour rester des hommes est très limité et réduit. Des fois il disparaît totalement.

 

D’autant plus que surgissent dans un régiment comme celui dans lequel, je me trouve incorporé, des lois, non écrites : « les morts fellaghas où supposés tels, sont laissés sur le terrain ». J’avais fait des opérations avant celle ci dans la région d’El Milia, qui m’avaient prouvé, que les cadavres des hommes tués, pourrissaient sur le terrain et étaient mangés par les chacals.

 

Sans nous en apercevoir, nous avons fait là, un recul terrible en humanité. Nous avons basculé notre humanité en arrière. Nous nous sommes poussés à reculons, les uns les autres, pour nous reporter avant le moment de la préhistoire, où les humains ont commencé de donner des signes qu’ils devenaient des hommes, en enterrant leurs morts.

 

Nous sommes assis sur nos sacs à dos, autour du cadavre de l’homme de l’Oued El Ardjem, qui commence à se décomposer dans la chaleur torride de juillet.

 

Durant toute la matinée de ce dimanche, je lutte au plus profond de ma conscience, pour oser demander, au commandement de ma section et de ma compagnie, l’autorisation d’enterrer le corps de cet homme de l’oued El Ardjem. C’est long et difficile, d’oser se lever, et ressurgir de là, où la violence et la peur, nous ont fait tomber et nous maintiennent enfermés. C’est dur et difficile de chercher à aller à contre courant du mouvement ambiant qui consiste à laisser pourrir les corps des hommes que nous avons tués.

 

Ce qui m’apparaîtra être la grâce de Jésus, m’est donnée comme humble force, pour me lever, et oser affronter ceux à qui on a fait croire qu’ils avaient autorité et droit, d’enfouir plus bas que terre, notre humanité et la leur. J’appellerai cela « une humble audace ». Je me lève.

 

Cette humble audace m’est donnée par la médiation de quelques femmes, que je prie, d’être là, près de moi, avec moi, bien qu’elles soient très loin dans le temps ou l’espace. Qui donc est là, tout proche de moi ?

 

-         SUZANNE, ma maman…Il me revient dans mon cœur de fils, soldat, toutes tes luttes, Maman, et tes paroles de résistance et de résilience, lorsque ta vie partait là, où tombe notre humanité… A cette heure, en ce dimanche matin, tu es à la messe à Dampierre avec notre papa, mes sœurs et mon petit frère. C’est toi et notre papa, qui m’avez mis sur le chemin du respect de tout homme, et appris à ne laisser tomber personne, dans la mort et le mépris…

-         ANTIGONE, jeune fille qui s’est opposées aux décrets de son oncle Créon, détenteur du pouvoir. Il lui interdisait de recouvrir avec de la terre, le corps de son frère Polynice, tué dans une guerre fratricide. Antigone est tenace, pour donner à son frère une sépulture. Elle nous dit : « je ne suis pas venue sur terre, je ne suis pas née pour haïr mais pour aimer ».

-         MARIE, la mère de Jésus, serrant son fils, qui vient d’être décloué de la croix, transpercé. Elle le tient serré tout contre son corps, ce corps d’où il était sorti. Pieta, sous le regard d’une escouade de soldats : « je vous salue Marie, bénie avec toutes les femmes de la terre », vous apprêtant à déposer, le corps de votre fils, dans le ventre de la terre.

-         MADELEINE qui au lever du jour au matin de Pâques, vient embaumer le corps de Jésus : « Dis-nous Marie Madeleine, qu’as tu vu en chemin ? »

 

Ce sont les femmes qui, pour que ressurgisse notre humanité, savent chercher et trouver les gestes, afin d’enterrer les morts sans les enfouir, de sorte qu’ils puissent repousser… Comme quand quelqu’un plante un petit arbre.

 

Oh qu’elles sont merveilleuses tes mains maman, qui ont été les premières, à m’élever en humanité, quand je suis sorti de toi.

 

En vous saluant Marie, maman de jésus, et vous Marie Madeleine, Antigone, Suzanne, ma maman, je contemple vos mains, leur délicatesse, l’humble audace avec laquelle vous savez approcher nos corps d’hommes, accomplir les gestes dans lesquels, vont pouvoir être sertis, les mots libérateurs qui vont faire surgir, notre parole d’homme. Une fois encore, c’est par vous femmes, que « le Verbe va se faire chair ». (Jean 1 14).

 

Me voilà donc rendu fort, par la présence de ces femmes. Je peux oser affronter ceux à qui l’État à donné droit de vie et de mort sur nous tous.

 

Je m’adresse au sous lieutenant de ma section :

-         « je ne peux pas laisser pourrir cet homme sur le terrain. Est ce que vous me donnez l’autorisation de l’enterrer ? »

-         Ricanement du sous lieutenant qui me renvoie au lieutenant, qui fait fonction de capitaine de la compagnie. Je vais demander à ce lieutenant. Lorsque l’aumônier était venu célébrer la messe quelques temps au paravent, au régiment, j’avais remarqué que le lieutenant était à la messe. Je lui dis les mêmes paroles. Par contre, lui me signifie que je peux enterrer l’homme.

 

Au camarade qui m’est le plus proche, je demande : « veux tu m’aider à creuser la terre pour enterrer cet homme ? »

Et nous nous mettons à l’œuvre, en utilisant la petite pelle U.S. que nous avions avec nous.

Bien que le sol soit très rocailleux, nous arrivons à creuser un trou, dans la terre du flanc de l’Oued El Ardjem. L’homme va enfin pouvoir reposer, dans le ventre de la terre, notre mère. Tout cela s’accomplit, dans un silence de… Vie.

 

Il n’y a que le bruit de la pelle, avec laquelle, nous creusons la rocaille. Pas le moindre soupçon d’un mot de reproche, mais au contraire, un regard, tout pétri de fraternité solidaire, de la part de nos camarades, qui vont pour un temps, cesser d’être, « des compagnons d’armes ». Nous avons trouvé de la force, les uns grâce aux autres, pour nous désarmer, pour nous démunir de nos puissances violentes. Nous ne parlons pas.

Ce sont nos regards mutuels que nous entendons parler, particulièrement, le regard d’A., harki obligé de s’engager, en tant qu’ « interprète » dans notre compagnie, il y a un an et demi, et qui dans la nuit de Noël 1959 en Kabylie, à Ou Maden, m’avait dit : « Lulu, Allah ne me veut pas dans son paradis, car j’en ai tué 17 de ma race, dont 4 cousins ».

 

En creusant ce trou dans le ventre de la terre, afin de lui confier, l’homme que nous venions de tuer, même le lieutenant qui lui non plus, ne bouge pas et ne dit rien, accompli ce geste de sépulture avec nous.

Car il s’est dessaisi du pouvoir et de l’ordre odieux de ne pas enterrer les morts, quand il a accepté que nous enterrions l’homme dans le flanc de l’Oued El Ardjem.

 

Nous redevenons des hommes, lui et nous.

Nous remettons humblement notre humanité à sa place, dans l’évolution du monde.

Pauvre petite espérance en notre humanité ! Que tu es belle !

 

Mais c’était sans compter, avec les autorités supérieures du poste de commandement (P.C.). En effet, nous étant assis à nouveau sur nos sacs à dos, il y a à peine une heure que l’homme repose dans la terre, que nous entendons le radio du P.C. émettre sur les ondes qui arrivent sur notre chanel :

 

-         « Ici P.C. m’entendez vous ?

-         oui, ici Bleu, nous vous recevons.

-     Votre prise de cette nuit nous intéresse beaucoup. Un hélicoptère part sur votre position, dans quelques instants, préparez le cadavre ! »

Le sous lieutenant qui avait ricané, me regarde et me dit :

-         « Converset, tu sais ce qu’il te reste à faire ».

 

Oh comme se fut douloureux, pour trois de mes camarades et pour moi de déterrer l’homme de l’Oued El Ardjem, de l’extraire et le désincarcérer, de le sortir du ventre de la terre, de l’endroit où nous l’avions fait reposer.

Je sentais que de ces mains de Mère, la Terre luttait de toutes ses forces vives, pour le retenir. Je l’entendais qui nous disait : « Terre des hommes… Je suis la Mère des hommes ».

Nous menions avec elle, un combat inhumain.

A nouveau, nous cessions d’être des hommes.

 

Avec mes trois camarades, nous portons l’homme jusqu’à l’hélicoptère et nous le hissons dans la carlingue.

 

J’entends encore le bruit des pâles de l’hélicoptère, volant l’Homme à la Terre, en le lui dérobant.

Je ne saurai jamais, ce qu’il est advenu du corps de l’homme de l’Oued El Ardjem, sur ordre du poste de commandement.

 

Je crains, qu’il ait été balancé dans la mer, une fois que l’on aura estimé avoir fait sortir, de lui, tout ce que on aura pu en tirer.

 

Hélas, j’apprendrai des années après, que ce que m’avaient dit mes camarades de section, de compagnie et de régiment, à la base arrière de Sidi Ferruch, et que je trouvais horrible, était bien vrai.

 

Grâce au livre de Marie-Monique ROBIN « Les escadrons de la mort », j’apprendrai que dans les années 1961-1962, au moment de l’O.A.S., à peine avant les accords d’Evian, les méthodes de « la Guerre », écrites par le colonel Roger TRINQUIER, sont exportées à l’école de guerre des États Unis.

Ces méthodes ont été affinées, particulièrement, dans le 3ème RPIMA, pendant la Bataille d’Alger, et durant l’exécution du plan CHALLES. Méthodes, qui pour faire disparaître, les corps des hommes et des femmes, prisonniers, blessés, torturés, achevés, vont être jetés à la mer. Ça donnera, dans l’Argentine du président Videla, que les corps de certaines Mères de mai, les corps des religieuses franc comtoises, Alice DOMON très probablement, et Léonie DUQUET très certainement, et combien dont nous ne savons pas les noms, seront jetés à la mer, plus loin que l’embouchure du Rio de la Plata, après le 8 décembre 1977.

 

Afin que la mer Méditerranée

Mare Nostrum

Soit Mater Nostra

Et non pas Cimetière Marin

Pour que nos vies ne soient pas méprisées

Ni non plus nos corps jetés à la mer

Pour que ne soit pas démolie ni non plus cassée

Notre Humanité

Pour qu’elle ne soit pas « délenda est »

Je demande, nous demandons

Que notre pays la France

Arrête de fabriquer et

Vendre des armes,

Des rafales et autres engins de mort,

Et tout particulièrement,

Les armements nucléaires.

Nous le demandons de manière unilatérale.

Et que l’argent englouti dans cette œuvre de mort,

Soit reversé aux parents qui n’ont pas les moyens

De faire vivre leurs enfants.

 

 Si je ne résiste pas, devant tous ces faits odieux, si je ne dis rien, je suis complice.

Je suis consentant. Je pactise avec la puissance destructrice et criminelle qui est nôtre. De cela je veux me démunir, de cela, nous nous défaisons, et avec Jean FERRAT nous chantons :

 

 

 

 

Nous ne voulons plus de guerres,

Nous ne voulons plus de sang.

Halte aux armes nucléaires,

Halte à la course au néant.

Devant tous les peuples frères,

Qui s’en porteront garants,

Déclarons la Paix sur Terre

UNILATÉRALEMENT.

 

Lucien CONVERSET

27 ET 28 NOVEMBRE 2014

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Ça aurait pu être moi #2

7 Janvier 2015, 11:00am

Publié par luluencampvolant

Ça aurait pu être moi, qui ait eu a tirer

sur l’homme qui vient de tomber.

 

Témoignage de Lucien lors des journées "histoires et mémoires de la guerre d'Algérie" à Besançon. 2ème partie

 

 

Je ne le sais pas encore, au plus profond de ma conscience. Je vais mettre des heures, des jours, des mois, des années… pour avancer en conscience, en humanité. Car je vais découvrir, que ça aurait pu être moi, qui ait eu à tirer sur l’homme qui vient de tomber.

 

Et c’est tombé sur J. Je ne vais pas prononcer son prénom. Parce que je ne veux pas laisser tomber sur ses épaules, dans ses mains, dans son cœur, dans son regard, et dans sa conscience, rien qu’à lui, la responsabilité de cette mort de l’homme. J’ai à en prendre part et à l’endosser moi aussi.

 

Je pense que mon camarade ne s’en est jamais remis de ce drame. Nous avons essayé de ne pas le laisser tout seul. Je ne sais plus trop comment nous avons fait, quand nous sommes rentrés à la B.O.A. Je voudrais continuer de ne pas le laisser tout seul, par le fait de ce que je vais continuer de dire dans mon témoignage.

 

Aujourd’hui je voudrais que nous allions plus loin et plus profond en conscience, moi et vous, si vous voulez bien.

 

Après les coups de feu et le râle de l’homme, le sergent qui commandait l’embuscade a crié à nous tous : « restez couchés… Ne bougez pas ! »

Nous avions appris qu’un homme blessé par nous, pouvait avoir le réflexe de dégoupiller une grenade et de nous tuer avec lui, si nous nous approchions de lui. L’homme gisait à quelques mètres de nous. Il faisait nuit. « Erat nox » (Jo 13 30).

 

Je me souviens avoir lutté quelques instants, pour accompagner dans mon cœur et ma conscience, dans ma pauvre prière aussi :

 

- Et l’homme qui était probablement en train de mourir.

- Et le camarade qui avait eu à tirer.

 

C’est dans les jours après que j’ai beaucoup pensé à mon camarade qui avait eu à tirer sur l’homme.

 

J’ai essayé de prier. J’ai repensé à Jésus dans le jardin des oliviers, se relevant de son agonie, de sa sueur de sang (Luc 22 44) Les apôtres retombant dans leur sommeil. C’était ce que nous vivions. Aujourd’hui si j’écris les lignes, il me revient cette parole des Pensées de Pascal : « Jésus est en agonie, jusqu’a la fin du Monde ».

 

Je me suis rendormi en entendant Jésus, qui me disait : « qu’avez-vous, qu’as-tu à dormir ? (Luc 22 46). Souvent, aujourd’hui, je le réentends, qui me le redit, dans ma conscience quand elle a tendance à s’assoupir.

 

C’était une nuit de juillet 1960. Le jour se lève tôt. On voudrait à la fois, que le jour se lève encore plus vite, et en même temps, on voudrait s’endormir pour toujours, tellement le drame que nous vivons est épouvantable.

 

Nous nous levons dans une pénombre de l’aurore naissante, les yeux fixés sur le corps de l’homme qui gît à coté de nous, nous assurant qu’il est mort.

 

Nous devrions avoir peur de ce que nous venons de faire :

 

Nous avons fait tomber un homme dans la mort.

 

Nous ne devrions pas craindre, ce que l’homme tombé pourrait nous faire.

 

Comment allons-nous, nous en sortir de ce drame ? Nous aurons du mal de voir que nous sommes tombés dans un gouffre avec l’homme. Comment faire pour que notre humanité ne s’y fasse pas enfouir et engloutir ? C’est pas beau ce que nous venons de faire. Comment allons-nous essayer de ne pas sombrer davantage, dans l’inverse de ce qui est humain, dans le contraire de ce que doit être l’humanité.

 

Tout n’est pas beau dans ce qui va continuer de se faire autour du corps de l’homme.

Il est dépouillé de ses vêtements et fouillé. Je repense à Jésus dépouillé de ses vêtements (Luc 15 20), (Luc 27 35), (Jo 19 11).

L’homme a des papier sur lui. L’argent qu’il a sur lui est récupéré et il est remis pour la caisse noire de la compagnie. Dans quel but ? A quoi ça va servir ? je ne sais plus s’il y avait de l’argent sur l’homme. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y avait toute une série de décrets de loi orale, non écrits, dont nous avions connaissance et que nous avions reçus des anciens de la compagnie « du temps du capitaine Sch. Voilà comment ça se passait quand on descendait un fel, dans une embuscade »

 

L’argent revenait donc à la caisse noire de la compagnie.

La montre de l’homme revenait à celui d’entre nous, qui l’avait tué.

J. notre camarade ne voulut pas de la montre.

Aujourd’hui voilà ce que je me dis :

J n’avait pas voulu de la montre. Aujourd’hui ce fait me parle beaucoup. Je me dis que J. nous fait voir par là, que si c’est à lui que c’est arrivé de tirer sur l’homme, tombé en embuscade, ce drame aurait pu se passer à un autre moment, où c’était quelqu’un d’autre qui était de faction. Et moi, je pense que ce qui est arrivé à J. ça aurait pu m’arriver à moi. Comment nous défaire du poids de ce fatalisme ? en endossant chacun une part de cet événement, mais aussi en remontant en amont, afin de ne pas sombrer dans cet enfer – mement, afin de ne pas s’y laisser enfermer ni emprisonner. Parce que l’enfer-me-ment.

 

Je vais mettre du temps pour avancer en conscience, de ce qu’il faut faire, dans un tel drame, et de ce qu’il ne faut pas faire et aussi, de ce qu’il aurait fallu ne pas faire. Depuis j’ai beaucoup appris à remonter en amont des faits, en nous assemblant à plusieurs, afin de ne pas nous polariser uniquement sur les conséquences d’un événement mais en cherchant les causes. Remonter en amont : je repense à nos rencontres en JOC, ACO, ACE, SCEJI, PPH, MRJC, CMR, ATD Quart Monde, CCFD.

 

Ce n’est pas quand nous sommes au cœur d’un drame, qu’il faut nous dire : « je ne devrais pas être là… Si seulement je n’étais pas là… » C’est avant.

 

C’est maintenant donc qu’il nous faut remonter en amont de ce que nous vivons, présentement et prendre des décisions, particulièrement dans le fait, de ne pas repartir en guerre, et pour cela d’enrayer non seulement nos fusils mais la fabrication et le trafic et commerce d’un armement, et particulièrement de l’armement nucléaire de la France.

 

J’aurais voulu ne pas me trouver dans le flanc de l’oued El Ardjem ce dimanche matin, en plein Ouarsenis. Mais j’y suis. Comment je vais m’en sortir ? Comment mes camarades et moi, nous allons nous en sortir ?

 

Parmi les lois non écrites, qui couraient dans le régiment parachutiste dans lequel je me trouvais incorporé, il y avait celle là, dont je vais parler plus loin : le cadavre des morts supposés être des fellaghas sont laissés à pourrir sur le terrain.

 

J’aurais voulu ne pas me trouver dans le flanc de l’Oued El Ardjem en plein Ouarsenis, ce dimanche matin.

 

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Pour cela, je dois lutter aujourd’hui de toutes mes forces, pour que nous arrêtions de partir en guerre, que nous arrêtions de fabriquer et de vendre des armes, et particulièrement, les armes nucléaires. Parce que, quand il y en aurait un qui aurait déclenché, l’arme nucléaire (voir le triomphalisme de Manuel Valls à propos du Mégajoule de la simulation du nucléaire du 28 octobre 2014), ce qui adviendrait par la suite, serait tellement inhumain, que nous ne pouvons pas savoir

-         ce que nous ferions,

-         ce que nous pourrions faire,

-         ce qu’il ne faudrait pas faire.

Parce que une fois, que nous sommes partis à la guerre, nous sommes enfermés, c’est l’enfer-me-ment. Et l’enfer me ment.

 

Je conteste et fais objection de conscience, dans le sein de ma mère l’Eglise, je le réalise dans la foi et l’amour : pourquoi ne m’as tu pas aidé et permis de déserter en 1958 – 1960, pourquoi ne m’as tu pas aidé à ne pas entrer en enfer-me-ment. Nous sommes coincés, enfermés, prisonniers, dans une situation où nous ne pourrons plus avoir un comportement d’homme. Je suis enfermé. L’enfer me ment.

 

Je conteste et fais objection de conscience, dans l’espace d’amour et de foi, créé par ma mère l’Eglise pour m’engendrer, me mettre au monde, donner sens à ma vie. Pourquoi n’est elle pas allée probablement, par crainte de l’Etat, et du Pouvoir, jusqu’à remettre en cause la guerre d’Algérie.

 

Aujourd’hui de même manière et nature , pourquoi l’Eglise ne revient pas sur le fait qu’elle cautionne l’Etat français dans sa politique d’armement nucléaire qui est criminel (voir la déclaration des évêques de France du 8 novembre 1983).

 

De la même manière, la France ne revient pas sur sa politique d’armement (fabrique et commerce) notamment avec Israël, qui à chaque opération

-         (Plomb durci déc 2008- janv.2009)

-         (Protection des frontières en été 2014)

 

expérimente l’augmentation de la dangerosité des armes (chercher à déchiqueter plus efficacement les gens).

 

Et pendant qu’avec nos amis du MANV et Jean Marie Muller, nous demandons l’arrêt de l’armement nucléaire de la France de manière unilatérale, en nous engageant dans une culture de la non-violence, nous apprenons qu’en pleine assemblée générale des évêques à Lourdes(3-9 novembre 2014), pendant que les évêques continuent à se justifier de ne pas s’engager, à demander l’arrêt de l’armement nucléaire unilatéral de la France, deux séminaristes du diocèse aux armées s’engagent dans les rangs de l’armée pour acquérir une culture militaire. Je me fais un devoir de dire NON ! Arrêtons ! de cautionner et de bénir le massacre (voir le journal La croix du 7 novembre 2014).

 

Une fois que nous sommes partis à la guerre, nous ne sommes plus des hommes. Nous sommes dans des situations, où nous ne pouvons pas être des hommes.

Donc il ne faut pas y aller.

Vous comprenez que si je dis comme Bernard GERLAND « ma guerre d’Algérie » je dis aussi « notre guerre d’Algérie ».

 

Le vieux CATON disait en terminant ses discours à l’assemblée de la ville de Rome « delenda est Carthago » « il faut détruire Carthage» C’est la pratique de la culture de l’armée, la culture militaire de Rome, de la Pax Romana.

 

Et bien je dis que non seulement à Rome, dans l’Eglise de Rome, mais dans l’Eglise Universelle, pour que l’humanité ne soit pas « délenda » «détruite » « déchiquetée », défaisons-nous de l’armement nucléaire de notre Etat, de notre pays, de cet Etat qui nous a volé notre jeunesse, à nous gens de ma génération, en tuant la jeunesse de l’Algérie (ce sont les jeunes dynamiques, les résistants qui souvent, sont tués, en premier dans une guerre). C’est ce qui c’est passé en Algérie, entre 1954 et 1962. Et c’est ce qui va se passer encore, durant les Années Noires 1990-2000).

 

Aujourd’hui je suis dissident de l’Eglise catholique et de l’Etat français, pour pouvoir être constructeur de l’humanité. Je ne démissionne pas, mais je me démunis. Ne démissionnons pas, mais démunissons nous de toute violence.

..../....

 

 

 

27 ET 28 NOVEMBRE 2014

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Ça aurait pu être moi #1

6 Janvier 2015, 11:00am

Publié par luluencampvolant

Ça aurait pu être moi, qui ait eu à tirer

sur l’homme qui vient de tomber.

 

Témoignage de Lucien lors des journées "histoires et mémoires de la guerre d'Algérie" à Besançon. 1ère partie

 

Ce que je vais essayer de partager avec vous, c’est une prise de conscience, une avancée en objection de conscience, que j’ai commencée de réaliser au cours de l’opération CIGALLE (du 24 juillet 1960 au 24 septembre 1960), dans l’Ouarsenis. Nous étions sous le commandement du Général CREPIN remplaçant le Général CHALLES. J’étais dans le 3eme RPIMA (régiment parachutiste d’infanterie de marine) à la compagnie d’Appui (C. A.),de la 58 – 2A. Nous venions de quitter Sidi-Ferruch , notre base arrière (B.A.), afin de parvenir au Grand barrage de l’Oued Fodda. C’est là qu’était notre Base Opérationnelle Avancée (B.O.A.). C’est pas très loin de là, que mon ami Jean Marie BUISSET, (originaire de Beaulieu, le grand douaire dans les Ardennes) avait été tué, il y avait un an, durant l ‘opération COURROIE sous la direction de général CHALLES, le 29 Mai 1959 dans le secteur de BOGHARI.

 

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Nous sommes partis ce soir là, monter une embuscade à flanc de l’Oued El Ardjem.

J’ai été désigné avec une dizaine de camarades, ça fait la petite moitié de la section. L’autre moitié est désignée pour une autre embuscade.

 

Je vais vous raconter comment ça s’est passé, comment un homme a été tué, au cours de l’embuscade. Ce qu’il est advenu de lui, et de nous. C’est en faisant cette analyse , que je continue de prendre conscience, que je n’aurais pas dû partir tendre cette embuscade, donc je n’aurais pas dû faire la guerre, donc pas dû partir en Algérie, ni non plus donc, partir soldat…

 

Ce dont je veux essayer de témoigner, ce que je voudrais essayer de montrer, c’est que même si ce n’est pas moi qui ai tiré sur l’homme qui vient de tomber dans l’embuscade, je fais partie du groupe, de la section par laquelle, cet homme a été tué. Je suis français, je suis parti soldat, j’ai malheureusement fait la guerre d’Algérie.

 

De cela, peut on s’en remettre ? Que veut dire s’en remettre ? Comment retrouver un chemin d’humanité ?

 

Ce qui travaille le fond de ma conscience, c’est que j’ai été soldat en Algérie. J’ai été à la guerre d’Algérie. J’ai fait la guerre d’Algérie. J’ai malheureusement fait la guerre d’Algérie. J’ai honte de moi. J’ai honte de mon peuple. Pourquoi n’ai je pas déserté ? Pourquoi l’Eglise, dont je suis, ne m’a pas aidé, et permis de déserter, de me sauver ?

 

Question du passage de notre responsabilité personnelle, à notre responsabilité collective et réciproquement.

 

Tout cela me fait dire, que certains faits de guerre et probablement beaucoup de faits de guerre sont commis par nous. Même si ils ont été effectués par quelques uns, par quelqu’un, par moi : des fois on me dit, et encore il n’y a pas longtemps : « je n’ai jamais eu à tirer… à tuer… quand j’ai fait mon service en Algérie ». Ce qui me travaille surtout, c’est quand on me pose la question et qu’en même temps, on me fait la réponse : « tu ne t’es jamais trouvé à avoir à tuer ? »

 

Nous avions appris à tendre une embuscade, quand nous finissions nos classes, en France durant mes stages pré AFN à Mont de Marsan et Bayonne. Je ne voyais pas les conséquences de ce que j’apprenais. Je ne percevais pas tout ce dans quoi ça m’engageait. Je vais mettre beaucoup de temps, pour avancer, approfondir en conscience ce que je vis.

 

Pourquoi est ce que je n’ai pas dit : « Je ne vais pas tendre l’embuscade ». je ne savais pas dans quoi j’allais me trouver engagé.

 

J’aurais dû ne pas y aller ! Mais à cette époque, je ne voulais pas me désolidariser de mes copains, être privilégié et passer à coté de ce qui était dangereux, risqué dans ce sens là. Je ne voyais pas encore, qu’être solidaire de l’humanité, c’est refuser d’aller et de se trouver dans des situations où nous ne pourrons presque plus « choisir d’être homme ».

 

Nous sommes dix à monter l’embuscade.

 

L’embuscade commence vers 21 heures.

Le premier et le dixième montent la garde pendant une heure et demi. C’est ce qui est convenu. Chacun de nous se fiant à sa montre, qu’il a mis à l’heure précise de ses camarades. Les huit autres dorment ou essayent de dormir. Au bout de l’heure et demi écoulée, le dixième réveille le neuvième, et le premier réveille le deuxième. C’est le neuvième et le deuxième qui montent la garde, le doigt sur la gâchette de l’arme qu’ils tiennent. Souvent, c’est une M. A. T. Le premier et le dixième s’endorment… Et ainsi de suite…

 

Cette nuit là, j’avais pris mon tour de garde pendant une heure et demi aussi, et il ne s’était rien passé pendant ce temps là. Aucun homme n’était tombé dans la nasse que nous venions de tendre. Des renseignements souvent obtenus par la torture, nous avaient indiqué, le passage probable de membres de l’A.L.N. par ce sentier sur lequel, nous tendions l’embuscade.

 

Nous avions aussi cet ordre odieux : « vous ne devrez tirer que si c’est un homme qui survient dans la nuit ». Parfois, c’était des sangliers qui rôdaient dans les parages. Déjà quand il fait nuit, et silencieux, tu as peur. Tu luttes pour vaincre ta peur, espérant que rien ne viendra (au moins pendant que tu montes la garde à ton tour) rompre, et le silence et la nuit. Mais quand ça fait du bruit, tu as une peur monstre. Et tu dois évaluer dans cette nuit noire, si le bruit que tu entends est celui d’un sanglier ou celui d’un homme. Et si c’est le bruit d’un sanglier, il t’est interdit de tirer, afin de ne pas alerter et signaler notre présence aux fellaghas, postés dans les environs. Et si, terrassé de peur, le gars qui monte la garde, tire sur un sanglier et le tue, l’accablement qui va lui tomber dessus, et la honte qui va s’en suivre, nous empêchera de nous apaiser, que ce ne soit pas un homme, qui soit tombé sous nos balles.

 

Tu as peur pour toi, pour ta peau. Tu as peur pour les copains. Tu penses peut être plus aux copains qu’à toi, car tu as mission de protéger tes copains. C’est ce qui te motive.

 

Et si tu as évalué, que le bruit qui rompt le silence de la nuit, est fait par un homme, tu es prêt à tirer, tu dois tirer, pour sauver la vie de tes copains et la tienne.

 

Tu ne te poses pas, à ce moment là, la question, de ne pas tuer l’homme qui tombe dans l’embuscade, que tu tends avec tes camarades.

 

C’est en amont qu’il aurait fallu, que je me pose question. C’est après que je me la suis vraiment posée, la question… et je vais mettre du temps, et je crois bien que je n’ai pas fini ni terminé…

 

Voilà comment je me suis posé la question.

 

Je viens de monter la garde pendant une heure et demi, à ce bout ci du sentier, et l’autre copain, à l’autre bout de la tenue de l’embuscade. Il ne s’est rien passé durant mon temps de faction. J’ai appelé et réveillé le copain, qui me remplace à monter la garde… Je me rendors. Et voilà qu’une demi heure après, alors que je suis en plein sommeil, une rafale de M.A.T. déchire le silence de la nuit, dans laquelle je m’étais rendormi. Un râle continue à déchiqueter l’enveloppe de cette nuit. C’est celui de l’homme qui vient de tomber dans notre embuscade.

 

Le drame est bien sûr qu’un homme soit mort, tombé criblé de balles. Mais dans la situation où nous sommes, je ne peux pas dire cela. Car ce que nous venons d’accomplir est une sorte de réussite, aux yeux de notre commandement. Alors qu’en fait, le drame est double… Je ne vais pas tarder à le comprendre. Il est même triple. Il va très vite devenir multiple.

 

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Voeux pour 2015

5 Janvier 2015, 10:08am

Publié par luluencampvolant

Dampierre, les premiers jours de Janvier 2015

 

Chers AMIS,

 

 Ginkgo-Biloba.jpg

 

C’est depuis le pied du Ginkgo Biloba de Dampierre que, dans le sourire de Jeannot et Béatrice et de tous les amis tenant l’âne Gamin, je viens vous souhaiter une belle et bonne année 2015.


Le Ginkgo Biloba est l’arbre qui a résisté au déferlement dévastateur de notre humanité à Hiroshima et Nagasaki.

 

Je suis heureux que quelqu’un ait planté cet arbre il y a plus de 100 ans dans le parc de la mairie de notre commune de Dampierre, et qu’il tienne.

 

Je viens de faire un songe en appuyant mon dos tout contre son écorce et en ramassant ses feuilles d’or. J’accrochais vos noms à ses branches. Et, tout en nous défaisant de nos attitudes agressives, nous ensemencions les graines de résistance de cet arbre et nous les cultivions en nos jardins intérieurs et communaux, dans une ambiance de non violence. C’était beau ce que nous faisions. Nous étions en train d’élever notre humanité. Et quand je sortis de ce songe, je vis que c’était bien ça que l’on continuait de réaliser. Nos rêves devenaient réalité.

 

Dans la galette des rois-mages de l’Epiphanie, est-ce que ce ne serait pas là aussi qu’est cachée cette fève, cette graine qui nous rend capables de « prendre un autre chemin » que celui de la violence ?!

 

 

Belle et bonne année 2015.

 

Lulu

 

Rappel : le 1er lundi du mois, journée de jeûne pour le désarmement nucléaire de la France, et temps de partage et de rencontre à Dampierre de 14h à 17h

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