3ème partie du discours de Nurit Peled au Parlement Européen le 11-09-2014
Sous-commission des Droits de l’Homme
Session spéciale sur les enfants de Gaza.
Nurit Peled-Elhanan prix Sakharov 2001
...Les gens disent toujours que le monde, ce qui signifie l’Ouest, n’a pas appris la leçon de l’Holocauste ou du 11 septembre pour cette question. La leçon aurait dû être plus jamais, nulle part, plus personne. Mais il me semble que le monde a appris une autre leçon importante. Il a appris qu’on peut bien commettre un génocide et s’en tirer tant qu’on assassine et qu’on extermine ceux auxquels le monde ne s’intéresse pas. Quand les victimes sont des Palestiniens les auteurs s’en tirent et le monde est silencieux. La piètre excuse utilisée par l’Ouest et en particulier par l’Europe pour ne pas interférer, pour ne pas discipliner l’expansion sauvage d’Israël, pour ne pas exiger la fin de son système d’apartheid et son manque de respect pour le droit international, est que les Européens ne veulent pas être appelés antisémites. C’est une piètre excuse parce que nous savons tous que chaque pays en Europe profite de l’occupation israélienne de la Palestine. Chacun d’entre eux. Cependant, je ne veux pas parler à des politiciens et des hommes d’affaires, ils n’entendent pas ma langue. Je voudrais convaincre les gens de conscience qui croient vraiment que en dénonçant les crimes israéliens contre les Palestiniens, ils feront du mal aux Juifs, une fois de plus. Je vais dire deux choses à ces gens. D’abord, il n’y a rien de juif dans la conduite raciste et cruelle d’Israël envers les Palestiniens et la critiquer, ce n’est pas être antisémite, au contraire. Les penseurs juifs les plus illustres dénoncent ou ont dénoncé en permanence la domination impitoyable israélienne de la Palestine. Albert Einstein a été l’un d’entre eux. Hanna Arendt une autre. Et Stéphane Hessel en était un autre. Et beaucoup de rabbins éminents et d’érudits juifs sont dans ce camp aujourd’hui.
La deuxième chose est la suivante : Mesdames et Messieurs, vous ne pouvez plus vous permettre d’utiliser cette excuse lorsque les enfants sont massacrés, on ne peut pas se permettre de se soucier de comment les gens vous appellent quand un holocauste fait rage.
Tout comme je ne peux pas me permettre d’avoir peur des gens qui me traitent de traître pour avoir défendu les opprimés, bien que beaucoup plus de gens sont morts pour avoir été appelés traîtres que pour avoir été appelés antisémites. En fait, personne n’est jamais mort pour avoir été appelé antisémite ou même pour avoir été un antisémite, mais des enfants et leurs parents et leurs grands-parents sont en train de mourir pendant que je parle, car ils sont appelés Palestiniens, pas pour une autre raison, tout comme les Juifs ont été exterminés simplement parce qu’ils ont été appelés Juifs. Et l’Europe qui avait tourné le dos aux Juifs alors, tourne le dos aux Palestiniens aujourd’hui.
Mesdames et Messieurs, vous m’avez donné le prix le plus prestigieux de cette institution, le prix Sakharov. Mon co-lauréat était le regretté écrivain palestinien, le professeur Izzat Gazawi, dont le fils a été assassiné par des soldats israéliens dans son école, qui a passé des années en prison sans savoir pourquoi et dont la voix et la vie ont été éteints par la brutalité de l’occupation israélienne. Je pense qu’il est de mon devoir de justifier le prix et honorer sa mémoire en élevant la voix pour ceux dont la voix est réduite agressivement au silence par des soldats brutaux ou ne compte pas devant un tribunal, soit en Israël soit ici. En tant que lauréate du Prix Sakharov, le vôtre, je vous demande à mon tour d’être cohérents avec ses principes, sans exception.
N’oublions pas que le siège de Gaza n’a pas été levé, Israël a déjà violé le cessez le feu en brûlant des bateaux de pêcheurs et en tuant une fillette de 5 ans et 3 garçons en Cisjordanie, que la colonisation de la Palestine s’accroît à un niveau sans précédent, que des enfants de 5,6,7 ans sont enlevés par des soldats chaque jour et chaque nuit, sont incarcérés et interrogés cruellement sans voir leurs parents ou un avocat - en ce moment, il y a environ 200 enfants dans les prisons israéliennes - traités comme des criminels par le régime raciste et criminel de la plus longue occupation de notre temps.
Par conséquent, je crois que nous devrions tous nous demander aujourd’hui dans quel genre de monde allons-nous vivre après l’holocauste de Gaza ? Quel genre de personnes vont grandir sur ses cendres, et quel genre de personnes vont leur répondre de l’autre côté du mur. Est-ce que c’est ça que nous voulons tous pour cette belle et ancienne région ? Pour le berceau de la civilisation ?
Je place la responsabilité de répondre à cette question entre vos mains.
Permettez-moi de terminer ce discours en paraphrasant quelques lignes d’un poème de Victor Hugo dans la mémoire de la nuit du 4 Août :
Premiers ministres, présidents et généraux,
Il leur convient d’avoir des chevaux des valets
de l’argent pour le jeu, leur table et leur alcôve
leurs chasses...
C’est pour cela qu’il faut que les vieilles grand-mères
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
Merci.
Traduction RD