Samedi 5 mai à GUTENSTEIN
En m'en remettant chaque soir dans la confiance en quelqu'un, en une famille, en leur demandant s'ils veulent bien m'accueillir avec mon âne, dans leur maison et dans leur grange, c'est un peu comme si je m'en remettais dans leurs bras, dans leur coeur. Ils me prennent où j'en suis: fatigué, dépendant, ayant faim et soif, ayant besoin de me laver et de dormir. Ils me mettent tout contre eux, chez eux, en eux. Ils ne me laissent pas "tomber". Ils m'élèvent !
Mais en même temps, est-ce qu'ils ne s'élèvent pas eux aussi ?! Ils font croître en eux et autour d'eux leurs capacités, leurs graines de possible. Ils les font pousser. Ils prennent conscience de ce dont ils sont capables. La petite partie du monde, GUTENSTEIN, dans laquelle nous sommes en train de nous déplacer et nous arrêter (nomadisation et sédentarisation) continue de faire surgir la création, justement par le jeu de camps volants qui se rencontrent avec des sédentaires, des gens qui n'ont presque rien avec des gens qui ont presque tout. Le fait qu'il y ait du jeu entre nous, jeu de la demande et de la réception, est créateur. Hier "il n'était pas". Aujourd'hui, "il est !"
Quand je dis en mi-allemand, mi-français ce matin à mes amis : "Guten Tag Freunde ! Bonjour les amis !" et qu'ils me disent : "Haben sie gut geschlaffen ?" et que je leur réponds : "L'âne Isidore et moi, nous avons passé une bonne nuit dans l'étable. Danke schön. Merci beaucoup !" nous chantons ensemble la continuation de ce qui se passe depuis le commencement du monde dans le jardin d'éden. Nous continuons de faire en sorte qu'il y ait eu hier au soir, et qu'il soit ce matin. L'entre eux, le soir et le matin, l'entre deux est de l'ordre de la créativité. Avec vous Marie-Claire PICHAUD, nous continuons de chanter.
Hier soir quand je suis arrivé chez vous Bernard, Irina et Derias, j'étais fatigué, harassé. Ce matin mes forces sont refaites. Grâce à votre accueil, je vais pouvoir repartir.
Invité à déjeuner à leur table familiale, je vois arriver plein d'amis : Franck, Yvonne, Michaëlla, et Anja qui parle le français.
Pendant que j'écris sur mon cahier la reconnaissance de ce que nous vivons, Irina est allée chercher sur internet par ses collègues de travail et leurs relations avec le monde des chevaux, l'adresse d'une famille à SIGMARINDENDORF, qui m'accueillera ce soir. Comme m'avaient conseillé de faire Claudio, et Adélaïde STRAUB, amie de Jean et Suzanne RAYDON.
Anja me dit : " Il y a toujours beaucoup de gens ici chez Irina et Bernard. Ils sont ouvertes pour tout le monde." Je partage avec elle ce que je viens d'écrire sur mon cahier. Elle connaît bien la langue française. Elle a travaillé plusieurs années dans un hôtel à Paris. Anja me dit : "C'est bien aussi de vous rencontrer. On n'a pas tous les jours la possibilité de rencontrer une personne qui vit ce que vous vivez. Ça change. On arrête un peu." Je lui demande de développer sa pensée. Anja reprend la parole et dit : " On arrête la vie, et on commence à penser aux choses simples, toutes simples pour nous. Pour moi, pour Irina et Bernard, c'est naturel de vous accueillir, Mais ce n'est pas naturel pour tout le monde."
A l'heure où j'écris ces moments de reconnaissance, c'est l'heure où les amis de Dole sont en cercle de silence, place du 8 mai. Je suis en communion avec vous, particulièrement avec Dominique Jacquot, pour que chacun des sans-papiers qui sont sans toit ni loi, trouve un accueil le soir, et qu'ainsi il soit un matin pour chacun et pour eux tous.