« MONTAGNE » et « JERICHO », c’est le nom de deux petits ânons jumeaux qui viennent de naître à OUHANS, là où la Loue prend sa source, chez nos amis Marc et Geneviève et leurs enfants, amis de notre association des « Loisirs Populaires Dolois ». C’est l’ânesse MONA et son compagnon FANFAN qui viennent de nous faire ce cadeau de la vie. On pourrait se demander pourquoi tant se réjouir de la venue ay monde de deux petits ânes ?
C’est en raison de ce que ça fait naître dans le vie de beaucoup d’enfants et d’adolescents avec qui nous cheminons dans l’association des Loisirs Populaires ou à l’I.M.E. des Hauts Mesnils, ou avec des adultes du C.A.T. Depuis maintenant 15 ans, grâce aux amis de Savoie et du Vercors qui nous ont offert ces ânes, grâce à tous les amis franc-comtois qui continuent de les élever et de les soigner, nous expérimentons que les ânes sont catalyseurs de la marche et de la randonnée. Combien de fois nous nous sommes mis à goûter les randonnées en raison de la « médiation » de l’âne avec des enfants et des jeunes qui au départ n’avaient pas du tout envie de se mettre en marche. Que de choses très compliquées et entortillées au fond de nos êtres se sont mises à se dénouer, à se déligoter parce que nous nous étions mis à marcher au pas de l’âne. Les enfants le perçoivent bien. C’est pourquoi ils sont demandeurs de ce type de ballades. Il arrive même que dans un raccourci de paroles certains me disent : « Quand c’est qu’on fait les ânes ? » Les enfants veulent dire bien sûr : « Quand c’est qu’on part se promener avec les ânes ? »
L’âne et l’homme ont naturellement le même pas, le même rythme de marche. Mais voilà, l’homme a perdu ce rythme, et en le perdant, il a beaucoup oublié les réprouvés de la vie. L’âne a eu la sagesse de le garder. Nous nous rendons bien compte que quand nous marchons au pas de l’âne, nous dénouons le profond de nos êtres. Nous goûtons ce que c’est que de nous trouver mieux pour nous relier aux autres en leur offrant le meilleur de nous-mêmes. Que d’agressivités se cachant au fond de nous ont pu se désamorcer parce que nous étions partis nous promener avec les ânes au cours d’un campement dans les plateaux du Doubs ou dans le pourtour des lacs du JURA, ou encore en traçant autour du massif de la SERRE ou sur le chemin de halage le long du DOUBS, ou en gravissant les pentes du MONT-ROLAND, afin d’y devenir croqueurs de pommes et planteurs de pommiers. Avec combien de gens nous nous sommes reliés grâce à la médiation des ânes, au cours de la réalisation d’un jus de pomme à DAMPIERRE, ou de l’animation de la fête des jonquilles à MALANGE, des châtaignes à SERRE-LES-MOULI7RES, du houx et du gui sur la Place aux Fleurs à DOLE, ou encore au cours d’un carnaval dans les différents quartiers de notre cité.
Nous sentons dans notre association combien il est important que dans nos quartiers populaires, les enfants et les jeunes puissent envisager et projeter des démarches libérantes. Nous n’allons pas « absolutiser » la venue au monde de deux petits animaux. Mais ce qui est « absolument » nécessaire, c’est que les enfants de nos quartiers puissent faire des projets. Sinon, nous butons dans l’enfermement.
Peut-être que l’âne en nous mettant en marche de façon, à la fois « déliante » et « reliante » nous adresse ainsi un message, si nous avons la sagesse d’accepter et recevoir ce dont il est porteur et signifiant. Nous commençons dans notre société à sortir du mépris et de l’humiliation dans lesquels, nous les humains, nous avions enfoncé et relégué les ânes. Nous nous apercevons de la gravité d’un tel mépris de notre part et de l’urgence d’entrer dans l’attitude de respect, de la reconnaissance de la place de l’âne dans notre tissu social. En vous annonçant amis humains, la naissance de deux petits ânons jumeaux, je lance un appel pour que dans notre société, nous ne fassions pas aux plus petits des hommes ce que nous avons fait aux plus méprisés des animaux et qu’en même temps, nous nous mettions en chantier pour faire place à celles et ceux qui sont sans travail, sans maison et sans pain, à celles et ceux qui sont sans papiers… à celles et ceux qui ont tout perdu…
A propos, ont-ils réellement tout perdu ? Ne sont-ils pas au contraire porteurs et prophètes de ce qui serait le plus important pour notre humanité ?
Nous nous rendons compte effectivement en faisant contrat-ville avec les plus défavorisés de nos quartiers, en faisant place aux petits, aux blessés de la vie, en prenant le temps de marcher à leur rythme, que l’essentiel n’est pas que certains puissent courir dans des cadences effrénées pendant que d’autres sont laissés loin derrière, mais de cheminer ensemble, que ça ne sert à rien d’être performants.
En effet, on écrase tout, et soi-même et les autres. De marcher au pas de ânes, ça nous apprend à nous mettre au diapason de ceux qui sont essoufflés par les épreuves. Ce sont ces personnes-là qui sont « porteuses de sens », « porteuses du sens de la vie ». Elles nous font percevoir à quelle allure marcher, dans quelle direction aller. Ces personnes-là sont « porteuses de l’essentiel ». Amis humains : « Si nous faisions les ânes ! »
Lucien Converset 1996