Le 11 septembre 2012 en quittant KOVILJ
« Eh bien, moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer » (Mt 5, 28)
Lulu : Alors tu vois Baptiste, très tôt dans le début de mon voyage pour BETHLÉEM j’ai ressenti des appels de même teneur que ce que tu me partages. Je vais t’en confier un qui me tient profondément à cœur. Je suis heureux que l’on tente d’en parler. C’est quelque chose que nous avons grandes difficultés d’aborder entre hommes : notre regard sur les femmes que nous rencontrons. Dans ce domaine, pour avancer en Humanité je sens bien que pour regarder une femme de manière élevante, j’ai à enlever de mes yeux la tendance accaparante, prenante, envahissante qui tout de suite est là dans l’immédiat de la rencontre. Il y a là un réel combat que j’essaye de mener, aidé fondamentalement par celui qui me dit : « ma grâce te suffit. » (2, Cor 12, 9), mais à qui je dis dans ma prière éprouvée : « Ami Jésus aide-moi voir par la grâce que tu as déposée chez telle femme, telle autre… » Je lui dis aussi à notre ami Jésus : « Fais-moi rencontrer aussi tel homme, ou tel autre qui mène le même combat, à qui je puisse me confier… » Et voilà que tu es là Baptiste ! Ça me fait déjà du bien d’oser te dire tout cela moi vieil homme de 75 ans, prêtre, qui me sens bien pauvre dans la manière dont j’essaye de vivre le célibat selon l’évangile, et tellement heureux en même temps de pressentir que nous pouvons nous rencontrer hommes et femmes « avec des yeux qui nous espèrent ».
Baptiste : Oui, tu reprends la parole de Paul Baudiquey commentant le retour de l’enfant prodigue de REMBRANDT : « Les vrais regards d’amour sont ceux qui nous espèrent. » Tout cela nous ouvre de sacrés horizons… Eh bien tu vois le jeune homme que je suis, marié, père d’une petite fille et bientôt d’un deuxième enfant, l’homme que je suis est touché lui aussi de pouvoir parler avec toi d’un domaine de l’existence humaine où nous avons tant de mal d’avancer en nous élevant, mais où on sent que tous nous voudrions pouvoir en parler… entre hommes certes… mais aussi bien sûr avec les femmes… entre hommes et femmes…
Lulu : C’est beau comment par la médiation de Jésus Dieu espère en l’Humanité. Dans le Sermon sur la Montagne Jésus s’exprime ainsi : « Vous avez appris qu’il a été dit : “Tu ne commettras pas l’adultère.” Eh bien moi je vous dis : quiconque regarde une femme pour la désirer, a déjà commis dans son cœur l’adultère avec elle. » (Mt 5, 27-28). Tout d’abord Jésus s’adresse non pas à un groupe restreint de personnes qui seraient des privilégiés de l’appel, des disciples. A travers les disciples qui ont reçu cet appel de confiance, c’est à tous les humains que nous sommes que cet appel est transmis. Et c’est pour continuer ce qui a été commencé. Jésus nous fait comprendre : « Je ne vais pas vous laisser où vous en êtes. Il vous a été dit… eh bien moi je vous dis : n’en restez pas à ce qu’on vous a dit… Vous êtes appelés à un regard de vous-mêmes sur les autres qui va beaucoup plus loin que le désir… » Avec la venue de Jésus nous sortons d’une attitude fatalisante de l’Histoire. Notre regard est appelé à ne pas être fixiste. Job l’avait déjà exprimé. Le souffle de son sauveur l’habitait déjà lorsqu’il disait à propos de sa relation avec les femmes : « J’avais fait un pacte avec mes yeux au point de ne fixer aucune vierge ». Job 31, 1.
Baptiste : Voilà deux paroles, celle de Job et celle de Jésus, qui sont de même veine. Déjà Job pressentait le chemin de libération, la route relationnelle dans laquelle Jésus engage toute notre Humanité. Si Jésus a pu dire ce qu’il dit c’est parce qu’il le vivait de ses yeux, dans sa chair : les femmes qu’il rencontrait étaient des personnes envisagées et non dévisagées…
Lulu : Sa relation avec Marie-Madeleine est le chemin d’Humanité : un homme et une femme se sont aimés d’amitié. Cela a existé et dure toujours. Cela est la manière selon laquelle nous sommes appelés à nous regarder les uns les autres, femmes et hommes que nous sommes. Oh comme je voudrais envisager toute femme que je rencontre avec la lumière dans laquelle baignait le regard de Jésus vis-à-vis de Marie-Madeleine. Je pense que Jésus fils de Dieu devenant homme ainsi que Marie-Madeleine devenant femme, ont été l’un par rapport à l’autre habités et travaillés par le désir. Nous reconnaissons dans l’évangile que Jésus et Marie-Madeleine et les autres femmes qu’il a rencontrées, sont passés par là : ils ne sont pas passés à côté de l’épreuve. Ils sont passés dedans, à travers. La merveille c’est qu’ils ne sont pas restés fixés dans le désir. Ils ont ouvert ce que j’aime appeler le chemin d’Humanité.
Baptiste : Ils nous élèvent en Humanité.
Lulu : Exactement.
Baptiste : Quels horizons s’ouvrent à nous ! Le ciel s’entrouvre. Traverser nos désirs, ne pas en rester à ce stade dans nos relations hommes et femmes, c’est probablement cela que voulait exprimer Jean le Baptiste quand il disait : « Il faut que lui grandisse et que moi je décroisse. » (Jean 3, 30). « Il faut que je fasse un pacte avec mes yeux, que je décroisse, que je n’en reste pas où le désir voudrait me clouer sur place et me fixer, pour que je laisse grandir en moi la façon dont Jésus envisage les femmes qu’il rencontre, que je fasse de la place, que nous fassions de la place dans nos relations à la GRÂCE qui déjà nous habite… »
Lulu : Tu vois très juste Baptiste comment hommes et femmes nous sommes constitués. Comment notre chair est toute pétrie de grâce. CHAIR et GRÂCE !
Baptiste : L’avancée, l’élévation de notre Humanité se réalise par nos rencontres. La traversée de nos désirs ne se fait pas en nous évitant les uns les autres mais en nous invitant les uns les autres. Que serions-nous les uns sans les autres hommes et femmes que nous sommes ?!
Lulu : Le fils du Très haut a été mis bas sur la terre par une femme. Certes il s’est laissé inviter à nos festins, mais il est venu traîner aussi dans nos impasses, s’engouffrer en nos enfermements où nous avons tant de difficultés depuis des siècles à nous regarder hommes et femmes avec respect de ce à quoi nous sommes appelés, en envisageant notre avenir. A cet impossible nous sommes tenus. Dans l’élan vital de la Résurrection de nos êtres, ne stagnons pas, ne nous arrêtons pas en chemin. Ne nous retenons pas en nous fixant là où nous venons de nous trouver.
Baptiste : De l’éblouissement les uns en face des autres passons à l’émerveillement, à la reconnaissance de ce à quoi nous sommes appelés : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous aime. » (Jean 13, 34). « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » (Jean 14, 6). « Eh bien moi je vous dis : n’en restez pas au stade du désir dans nos relations hommes et femmes. Envisagez-vous les uns les autres dans votre avenir, dans ce qui va venir et que déjà vous avez commencé. Ne vous arrêtez pas en chemin… Avancez au large… »