JAGODINA le 25 novembre 2012
"Puisse venir le jour où devançant l'aurore, la pluie aura déchiré le ciel"
(Ps 118, Ps 147, Mc 1,10)
Durant cette sécheresse terrible et éprouvante qui nous est tombée dessus voilà plusieurs mois, la terre féconde de la SERBIE et de la MACEDOINE est devenue désert de désolation.
Probablement que si je n’avais pas eu à traverser ces pays d’EUROPE CENTRALE durant ces mois d’été et d’automne je n’aurais jamais vu ce qui arrive à ces gens et à nous.
En ne marchant pas, en roulant à fond la caisse en voiture ou en restant cloué dans sa maison, il est fort probable que nous passons à côté les uns des autres, que nous laissons des gens de côté, que nous les abandonnons sur le côté. Et ainsi nous courons le risque de ne pas voir les gens qui sont mal tombés.
Déjà en SLOVAQUIE puis en HONGRIE j’ai remarqué comment la situation d’hommes et de femmes, de gosses aussi est détériorée. Souvent les jeunes, habités de joie créatrice me faisaient comprendre et admirer « leurs graines de possible » et leurs compétences, mais bouleversés par la tristesse, ils me révélaient que leurs trésors étaient inemployés. Sur leur visage, un voile cachait leur humiliation. Cela faisait que beaucoup d’entre eux en étaient réduits à « rafistoler » les morceaux de leur existence. Il y a comme un huitième art qui s’est instauré dans la société serbe et macédonienne, celui de la débrouillardise. Mais les petits boulots font du profit d’abord à ceux pour qui on les fait, mais pas tellement pour ceux qui les font. Ce n’est pas ainsi que se réalise un tissu social, ni non plus un état de droit. Et quand les choses ainsi s’effilochent, les ados ont grand mal à ossaturer et ossifier leur stature. Il doit leur être très dur de traverser la tentation de la drogue et des jeux, l’omniprésence de la T.V. et des portables clouent les gens sur place. On va très peu à la rencontre les uns des autres. La ville attire et nous grignote ce que nous avions acquis. Si nous sommes à la campagne, ce que nos parents ont semé et récolté ne va pas être beaucoup réinvesti dans de nouvelles semailles et encore moins durant une année de sécheresse comme celle dans laquelle nous continuons de sombrer. Nos « graines de possible » sont dévorées au lieu d’être réensemencées. Nous mangeons nos réserves. Difficile en tout cela de prendre conscience que nous sommes tous les petites branches du même et unique arbre qu’est notre Humanité. Et cependant ce n’est qu’au bout de ce chemin de résistance et de solidarité les uns avec les autres que peut apparaître notre libération. Certes il nous faut réentendre la parole de Paulo FREIRE et la vivre, parole qui dit que « Personne ne libère quelqu’un à sa place. Mais on ne se libère jamais seul. On se libère ensemble. »
Depuis une dizaine de jours, je suis à JAGODINA en Serbie. Je loge chez BOBA, maman de GALE, MILAN et MARIJA, jusqu’au 1er décembre, date à laquelle je partirai chez NICOLE et BRACHA à KOVILJ. BOBA est aux petits soins pour moi afin que je sois en pleine forme au moment où il faudra repartir, « une fois que l’herbe aura repoussé ». Et je sais qu’il en sera de même chez NICOLE et BRACHA.
Je suis très heureux de m’être arrêté. Je profite de ce temps pour écrire et lire ce dont j’ai été témoin et artisan le long du DANUBE, de la MORAVA et de la PCINJA. J’entreprends de lire l’évangile de Marc en m’émerveillant de voir comment Jésus est sans cesse en train de réaliser ce « déplacement » qui le fait descendre du ciel et entrer dans notre Humanité, dans notre peau, s’y incarner, y habiter, et marcher sur nos chemins, emprunter nos sentiers afin de nous apprivoiser en créant des liens, qui vont susciter notre libération. L’apôtre Paul après être entré en Macédoine et y avoir marché lui aussi sur de longues distances, écrit aux gens de la ville de Philippe, en parlant de Jésus : « lui de condition divine ne retient pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » (Phi 2,6). En descendant du ciel, il fait en sorte que justement le ciel se déchire et que ça se voie et que ça se sente (Mc 1,10). Afin que cet acte devienne source de libération pour nous tous en Humanité, Jésus ne va pas arrêter de se lever, d’aller et venir, partir prier (Mc 1, 9-35), se laisser poursuivre, chercher et trouver. Nous l’entendons dire et le voyons faire : « allons ailleurs dans les bourgs voisins à travers toute la Galilée » (Mc 1,39). Beaucoup de gens « viennent à lui de toutes parts » (MC 1, 45). Il rassemble tant de gens qu’il n’y a plus de place (Mc 2,2). Il nous annonce la Parole qui va nous atteindre « là où nous gisons » (Mc 2,4) « pour que nous-mêmes, nous nous en sortions et nous mettions en marche nous-mêmes » (Mc 2,12 ; 5,42) « que nous le suivions » (Mc 2,15) et que nous en sortant nous nous mettions à semer (Mc 4,3). « Le semeur est sorti pour semer sa semence, afin que nous nous sortions de nos dépendances, et que, goûtant à la libération de nos êtres, nous ne dépendions plus que de lui… » (Mc 4,1-9 ; Ps 90,14)
Photo de Boba prise par Lulu
Suite demain