Dampierre le 17 avril 2020
« QUAND JE SERAI PLUS GRANDE, JE VOUDRAIS ÊTRE VÉTÉRINAIRE DES ANIMAUX DE LA MER... » (Camille, bientôt 8 ans)
Ce sont les paroles de Camille qui va bientôt avoir 8 ans. Elle, et son jeune frère Côme, 5 ans, sont à la garde de leur tante Rachel dans leur maison familiale, sur les plateaux du Doubs. Confinement oblige. Leurs parents, personnels soignants, sont appelés à partir auprès des nombreuses personnes fragilisées dans leur être profond et en leur santé, dans leur psychisme et au cœur de leur vie relationnelle. Dure est l’épreuve du coronavirus qui plombe notre Humanité entière.
Camille m’a appelé ce matin au téléphone: « On voulait t’appeler Lulu parce que j’avais beaucoup aimé, il y a 2 ans, les ballades avec les ânes en forêt de Chaux avec mes cousines et mes cousins... et l’année dernière, à l’abbaye d’Acey, quand Rachel revenait de son tour du monde... Rachel nous raconte les belles histoires avec les enfants dans les campements... quand vous partiez l’été autour des lacs du Jura... je voudrais bien que tu me parles des ânes... comment ça s’est passé... quand on vous les a prêtés... puis donnés... quand ils sont devenus à vous... comment elles s’appelaient les mamans des premiers ânons ? »
Je suis prêt à raconter à Camille ce qu’elle est en train de me demander... Mais c’est un flot de paroles qui a besoin de sortir de sa bouche... et que je tiens à continuer d’écouter...
«... Il paraît que tu as plein de belles histoires à raconter... les grandes joies que les ânes ont donné aux enfants... les soins et les caresses que les enfants savaient donner aux ânes... parce que moi je voulais te dire que j’aime beaucoup les animaux... j’aime pas qu’on leur fasse du mal... »
J’essaye de commencer à répondre à ce que Camille me dit, qu’elle attend de moi au téléphone. Mais je sens qu’avant que j’intervienne, Camille a toujours des choses très importantes à me dire... et que ce n’est pas encore venu que je lui réponde. C’est là, qu’elle me dit :
«... Parce que tu vois, moi je voudrais être vétérinaire quand je serai devenue plus grande... je voudrais soigner les animaux de la mer... les poissons qui sont tout tristes parce qu’on a jeté des choses qui sont empoisonnées là où ils nagent... les oiseaux qui ne peuvent plus s’envoler dans le ciel, parce que leurs plumes, leurs ailes sont toutes collées avec les produits du pétrole que les gros bateaux rejettent dans l’eau de la mer... »
Là je pense que je vais pouvoir dire à Camille toute mon estime à propos de son projet et tout ce que je ressens en écoutant les paroles vibrantes et toutes remplies d’émotion qui sortent d’elle-même. Je sens certes tout un travail de conscientisation qui s’opère dans l’être de Camille, grâce aux partages que son frère et elle vivent avec leurs parents et leur tante, bien avant cette période de confinement. Pas de dramatisation ni de culpabilisation fatalisante. En écoutant Camille je comprends que je suis en présence d’une enfant dont la personnalité se développe profondément. Elle illustre pour notre joie à tous, membres de la famille et amis, ce que Madame Maria Montessori dit de chaque enfant, des nôtres et de ceux des autres : « L’enfant n’est pas un vase que nous adultes, nous serions chargés de remplir. L’enfant est une fleur dotée de senteurs, de couleurs et de capacités immenses. Nous, adultes sommes appelés à être les facilitateurs de leur éclosion et de leur fructification ».
En décryptant les paroles de Camille, je découvre en elle, comme dans l’être de beaucoup d’enfants et de jeunes, la recherche et le projet de réparer ce que nos courses effrénées au profit et au pouvoir ont cassé et brisé. En même temps que surgissent les paroles de la bouche de Camille, la vérité avec laquelle elles sont exprimées réalise comme une poussée d’espérance. Les semences que Camille fait pousser en son jardin intérieur sont en train de déborder dans les plates-bandes du jardin commun à toute l’Humanité. Ce que Camille réalise personnellement nous fait du bien à tous.
C’est alors que Camille me dit : « Pourquoi on a attendu que le coronavirus arrive pour arrêter la pollution de la Terre et de la Mer...? »
Oh Camille ! Je crois entendre la jeune fille Greta Thunberg et combien d’autres jeunes... Vous nous suppliez de changer nos comportements face à la Terre, dans l’économie, dans la gestion de ce qui est offert à toute l’Humanité des biens de la Terre. Tu as beaucoup d’espérance en l’Humanité dans la façon dont tu exprimes ta question. Nous avons l’impression en t’écoutant que durant cette période de confinement, nous sommes déjà en train de changer et transformer nos attitudes. Je le crois et fais confiance avec toi. Justement, je vais vous raconter à ton frère et à toi, comment les ânes nous ont été offerts, prêtés, puis donnés.
C’est vrai que c’est à moi Lucien que Jean qui avait les ânesses NENETTE et MONA a dit le soir du 29 août 1981 : « Ma famille et moi nous vous donnons nos ânesses ». Mais j’ai compris en mon cœur qu’il ne les donnait pas pour que j’en sois propriétaire, mais pour qu’avec les animateurs comme votre tante Rachel, nous rendions possible que tous les enfants qui marcheraient à leur pas, se laissent apprivoiser avec eux. Quand des fois, les enfants me disaient : « Qu’est-ce qu’ils sont gentils tes ânes Lulu !» je reprenais toujours les enfants. Je disais : « Qui c’est qui tient l’âne en ce moment ? Qui c’est qui le caresse ? Qui c’est qui marche au pas des ânes ? » Les enfants disaient : « C’est nous... » Je disais : « Les ânes sont pour vous. Les ânes sont à vous. Mais ils sont tenus et caressés par vous, afin que le campement terminé, vous prêtiez les ânes à d’autres enfants, à ceux qui vont faire un autre campement ».
Et les enfants étaient heureux et nous aussi les animateurs. Et on écrivait des cartes postales pour remercier Jean et sa famille de nous avoir prêté, puis donné les ânes. Et on leur racontait comment on ne gardait pas les ânes rien que pour nous. On ne jouait pas aux propriétaires.
Alors il y a des gens qui ont appris comment nous nous y prenions pour que les ânes soient au service de tous les enfants qui avaient des projets... Alors il y a eu d’autres gens qui nous ont donné leurs ânes pour qu’ils servent à tous.
Je trouve que ça ressemble beaucoup à ce que tu veux faire une fois devenue grande « vétérinaire pour soigner les animaux de la mer » qui sont à tout le monde.
Côme, Camille, cousins et amis, dites à votre tante Rachel qu’à la prochaine ballade au pas des ânes nous nous raconterons que l’âne et le bœuf qui ont soufflé sur les pieds du petit enfant Jésus quand il est né dans la grotte de Bethléem, c’étaient des animaux qui avaient été prêtés. De même l’ânon AOUI sur le dos de qui Jésus est monté pour entrer à Jérusalem le jour des Rameaux, l’ânon AOUI avait été prêté par des gens de Bethfagé.
C’est comme ça que le monde tourne bien. « Quand ceux qui ont des belles choses dans leurs mains, les prêtent, les donnent et les partagent... » (Actes des Apôtres 2, 44) Nous nous raconterons aussi qu’il y a eu au XIIIème siècle un homme qui a su merveilleusement se détacher de ce qu’il avait, pour le donner à ceux qui en ont le plus besoin que lui : c’est Saint François d’Assise. Il n’a pas fondé de foyer mais il a bâti une grande famille de frères et de sœurs en épousant Dame Pauvreté. Quand il traversait une rivière à pieds nus, il aimait tellement l’eau, qu’il l’appelait « Sœur eau ». Il causait avec les oiseaux. Et les oiseaux, « les uccellis » lui répondaient. C’était un véritable concert qu’ils lui offraient. Il parlait aussi avec les poissons. Déjà il voulait que l’on respecte « leurs parcours dans les sentiers des eaux »comme il est chanté au psaume 8,9, comme tu le veux en devenant vétérinaire des animaux de la mer, Camille.
Camille, le projet de François d’Assise et le tien se ressemblent beaucoup. L’un et l’autre vous voulez réparer les blessures qui sont faites aux côtes de notre mère la Terre, là où ça se touche entre la Mer et la Terre, là où poussent les arbres, où nichent les oiseaux et là ou frayent les poissons.
Quand Jorge BERGOGLIO a été élu pape en mars 2013, il a voulu prendre le nom de FRANCOIS. Il empruntait ce nom pour que lui-même et nous tous en Église et en Humanité, nous changions la façon d’organiser la marche du monde. Il n’a jamais arrêté de demander à Jésus du Lac de Tibériade et à François des côteaux d’Assise, de nous aider à ce que les plus riches se défassent d’une grande part de ce qu’ils ont pour que le plus pauvres trouvent leur place. Un jour il a écrit une lettre en 2015 à tous les gens de bonne volonté du monde entier. Elle commence par les mots que Saint François d’Assise utilisait pour remercier Dieu de la beauté de la Terre, de la mer, des oiseaux, des poissons « LAUDATO SI ». Il supplie les enfants de Dieu que nous sommes, de prendre conscience que nous sommes aussi fils et filles de la Terre. Elle est notre Mère. Il dit les mêmes paroles que celles que tu dis Camille à propos des oiseaux et des poissons. Un grand penseur, Edgar Morin disait, après lecture de cette lettre de François, que si on s’orientait dans le sens de ce qui y est écrit, nous pourrions sauver la Terre.
C’était en 2015.
Nous n’avons pas dû faire assez.
Et si nous nous remettions à lire « Laudato Si » et à en vivre. Alors en correspondance avec Jésus, François, celui d’Assise et celui de Rome, avec Edgar Morin et tous les gens de bonne volonté, si on se reliait à l’appel, à celui de Camille et à celui de tous les enfants du monde, et qu’un changement commence à s’opérer... dans nos comportements... à commencer par moi... par nous... que j’arrête, que nous arrêtions d’inventer et trouver et de nous munir de ce qui nous donne du pouvoir, de l’avoir, du savoir sur les autres - ça pourrait contribuer à ce que dans notre pays la France, nous arrêtions, non pas le travail dans nos entreprises, mais la fabrication de ce qui tue et humilie l’autre, et nous abîme nous-mêmes.
Lulu
Dampierre, le 14 avril 2020
« C’EST LE PETIT BROC D’EAU VENU D’AILLEURS QUI N’EST PAS TOUJOURS FACILE A TROUVER »
(Martine)
Avec les enfants des MESNILS PASTEUR et des cités ST GERMAIN de DOLE, chaque été nous aimions grimper dans les plateaux du JURA.
Durant nos randonnées au pas des ânes, nous marchions de chalets que nous rebâtissions, en fermes d’alpage où nous nous arrêtions afin d’abreuver nos ânes et nous restaurer nous-mêmes.
Nous avions remarqué quel esprit inventif avait habité les constructeurs de ces bâtisses merveilleuses. Ce qui nous ébahissait, c’était surtout la façon dont ils avaient résolu le problème de l’alimentation en eau de leurs fermes.
En effet sur ces plateaux jurassiens nous ne trouvions aucun point d’eau naturel.
Les sources se trouvaient au pied des falaises. Les toits de ces maisons étaient immenses afin de stocker dessous le fourrage et la paille durant les longs mois d’hiver. Et lorsque la saison des pluies et la fonte des neiges survenaient, à la base des toits, des chéneaux recueillaient le précieux liquide et le faisait rigoler dans une impressionnante citerne.
Cette citerne était bien enterrée. Elle gardait l’eau comme on garde un trésor. C’est qu’il en fallait de l’eau pour alimenter les vaches laitières du troupeau. Et l’été il fallait faire très attention à ce que l’eau ne vienne pas à manquer lorsque la soif tenaillait les animaux au corps.
Mais comment, par quel moyen nos mains et nos bras pouvaient bien accéder à ces lieux-réservoirs qu’étaient les citernes ? C’était la pompe, qui souvent était abritée par un petit toit protecteur, en raison de son importance, qui permettait de tirer l’eau pour la faire parvenir à l’abreuvoir.
Mais ce n’était pas forcément chaque jour que cette pompe était actionnée. En effet le troupeau était conduit de temps en temps dans un autre alpage. Alors la pompe se désamorçait.
Pour remettre la pompe en marche afin que l’eau remonte de la citerne il fallait « un petit broc d’eau venu d’ailleurs », que le berger faisait couler dans le mécanisme de l’engin. Alors seulement l’homme pouvait actionner le balancier de la pompe et l’eau apparaissait.
Un jour, durant un de nos campements itinérants alors que nous passions à proximité d’une ferme d’alpage, nos ânes et nous-mêmes avions soif. De loin nous avions aperçu le toit de la ferme. Les enfants et nous-mêmes nous disions : « nous allons trouver de l’eau. », puisque nous percevions un toit. Mais les fermiers et les bergers n’étaient pas là depuis plusieurs jours. Donc, la pompe de la citerne était probablement désamorcée. Parvenus aux abords de la citerne nous sentions que sous nos pieds une réserve d’eau s’offrait à nous, à condition que la pompe soit réamorcée, nous nous souvenions de ce que nous avait dit le vieux paysan de CHAUX-NEUVE : « Sur nos plateaux, si vous voulez avoir de l’eau de nos citernes, il faut toujours que vous ayez un ou deux litres d’eau dans une gourde sur le dos de vos ânes afin de réamorcer la pompe ». C’était « le petit broc d’eau venu d’ailleurs »
Nous étions en plein midi. Nous avions soif et nos ânes aussi. Oh l’émotion contenue dans l’être des enfants et en nous-mêmes animateurs, lorsque la gourde d’eau tirée du bât de l’âne fut confiée à un des enfants. Très délicatement sans en perdre une goutte, il fit dégouliner l’eau de la gourde dans le conduit de la pompe… un silence impressionnant accompagnait l’attitude de l’enfant. Aussitôt un autre des enfants se mit à actionner le bras de la pompe… à trois reprises… et l’eau sortit du goulot et vint se jeter dans l’abreuvoir… nos yeux étaient émerveillés… le museau et les narines des ânes étaient tout émoustillées…
Oh qu’elle était belle l’eau des plateaux du Jura. Rien que de la voir, déjà elle étanchait notre soif avant même que nous la buvions. Le dessus de la citerne ressemblait à une voûte de cave. Toutes les pierres se tenaient les unes contre les autres un peu comme celle des cathédrales. Et les enfants se mirent à causer :
«- Il doit y avoir des litres d’eau dans la citerne… mais t’as vu, on n’aurait pas eu avec nous la gourde d’eau pour réamorcer, on n’aurait pas pu en tirer les seaux qu’il nous fallait…
- C’est vrai ce que disait le vieux berger de CHAUX-NEUVE : « pour tirer l’eau de nos citernes il faut toujours un petit broc d’eau venu d’ailleurs. »
- Meureusement que l’Amélie ce matin a pensé à mettre une gourde d’eau sur le bât de l’âne… »
C’est cette histoire qui me revenait hier soir, en ce temps de confinement alors que le Président de la République venait de parler à la T.V. Il nous appellerait sans doute à un temps de confinement très prolongé. Tous nous serions appelés et nous le sommes déjà par notre conscience, à apporter chacun notre part à la résistance commune au fléau que vient souligner et provoquer le coronavirus.
Chacun de nous a en lui comme une réserve de compétences et possibilités, une citerne de trésors. Nous ressemblons aux fermes des plateaux jurassiens.
En ces jours je me laisse beaucoup marquer et interpeller par ce qui est arrivé aux moines capucins du monastère de CREST dans la Drôme. Hubert, un de leurs frères de la communauté de TIARET en Algérie est venu les voir courant Mars. Le coronavirus a surgi aux portes du monastère à ce moment-là, et a provoqué le confinement. Hubert n’a plus envisagé de repartir devant ce qui arrivait à ses frères. Il est resté pour les soigner et les accompagner… Cinq d’entre eux jusqu’à leur mort …
A Marcel, l’un d’eux, Hubert saura dire humblement : « Tu peux t’en aller tranquillement, si c’est l’heure Marcel, ou rester encore un peu avec nous si tu veux. »
Ton attitude et tes paroles, Hubert, relayées par nos amis journalistes de la CROIX et du MONDE, m’aident à trouver dans ma citerne intérieure ce que j’ai à offrir et à donner à celles et ceux qui m’appellent, parfois longuement, parce qu’ils sont profondément seuls. Hubert, tu m’aides à trouver le temps et les mots qui sont en moi et à les faire sortir pour les donner, « comme le petit broc d’eau venu d’ailleurs. »
Il y a quelques années j’avais demandé à François un de nos amis animateurs de campements, qui était aussi dessinateur, de dessiner tout ce qui est beau devant les fermes du Haut Doubs, sur les plateaux jurassiens : la citerne, la pompe, l’auge et le petit broc d’eau venu d’ailleurs.
J’avais dit à François « Tu écriras la parole du papy PAGNIER, le berger de Chaux-Neuve : « elle est belle et abondante l’eau dans nos citernes… mais pour en bénéficier il faut un petit broc venu d’ailleurs. »
A ma cousine Martine et à sa famille, il y a quelques jours à Pâques, pour leur souhaiter une bonne fête de la Résurrection de Jésus et de remises debout et de resurgissement de nos êtres en ce temps de confinement, j’avais envoyé la carte réalisée par François. Elle est toute simple mais qu’est-ce qu’elle est expressive !
Martine m’a répondu dans l’immédiat « elle est parlante la carte… mais c’est le petit broc d’eau venu d’ailleurs qui n’est pas facile à trouver. »
Et voilà que plusieurs petits brocs d’eau m’arrivaient d’ailleurs.
- Celui-là d’Hubert Le BOUQUIN de CREST
- En même temps celui-là de François, le Pape notre ami à tous, de ROME, qui dit URBI et ORBI : « de l’argent, des compétences, des intuitions, de technologie on est meublés de tout cela… mais il faut arrêter de les pulser dans la fabrication des armes, chimiques et nucléaires, et les propulser pour enrayer la famine et secourir les migrants… L’Arabie Saoudite fait cesser le feu contre le Yémen…
- et encore un petit broc d’eau venu d’ailleurs pour faire jaillir tout ce qu’il y a d’inventivité et possibilité dans nos citernes intérieures, c’est le témoignage de ASIA BAÏBUTOVIC :
« Je suis restée enfermée 30 mois au printemps 1992 en Yougoslavie… (Elle nous raconte ce qu’elle a cherché à inventer et trouver durant ces 30 mois de confinement et enfermement de la guerre de YOUGOSLAVIE). Pour moi aujourd’hui, c’est décidé je ne sortirai pas pendant le confinement. Chacun d’entre nous possède en soi des ressources insoupçonnables, une imagination et une créativité incroyables. Elles sont en vous. Vous pouvez leur faire confiance. Allez les chercher au fond de vous. C’est le moment. Faîtes-le. Et restez chez vous. Merci pour les vies que vous sauverez. »
Lulu
Dampierre le 7 avril 2020
« LA VIE EN HLM C’EST PAS POSSIBLE
ET PUIS AVEC LE CONFINEMENT C’EST ENCORE PIRE QU’AVANT »
C’étaient les paroles au téléphone d’un jeune adolescent qui habite en HLM avec sa famille... le soir du dimanche de rameaux. Et il continuait :
Igor : ... J’ai peur qu’il y en ait qui se battent... là ils viennent de s’insulter... Tu ne peux pas savoir ce qui se passe la nuit... le bruit que ça fait dans l’étage du haut... on n’arrive pas à dormir... là, maintenant, il y en a qui ont appelé les gendarmes... ils vont arriver... j’espère que ça va se calmer... les gendarmes sont déjà venus l’autre jour... Ça y est les gendarmes sont arrivés... ils causent avec des gens dans le bas de la cage...
Parce que Igor ne peut pas sortir du confinement, il est important que les paroles qui portent ce que vivent les membres de sa famille et lui-même et tous les gens de l’HLM... que tous ces cris et ces appels soient entendus...
Igor continue...
Igor : Tu te rappelles je te racontais l’autre jour... Il faudrait qu’on ait quelque chose à faire. Alors avec mon papa... parce que l’entreprise où il travaille a fermé, on s’est mis à bêcher le bout de jardin... qu’on nous a prêté tout à côté de l’HLM.
Comme on voulait préparer les plantations de pommes de terre et de haricots, nous voilà partis avec mon papa au magasin... C’était il y a plus de 15 jours... On s’est fait arrêter... on n’avait pas l’attestation de déplacement. « PV de 135€. Et puis vous n’avez pas le droit d’être deux » que nous dit un des gendarmes... Ça a été dur à avaler... on n’a déjà pas de sous... Et mon papa il a besoin que je l’aide, donc que je sois avec lui.
Lucien : J’écoute Igor tout ce que tu me partages et qui vous accable...
Igor : Moi je voudrais bien qu’on s’entende dans mon HLM entre voisins... Mais il y a de la jalousie et les paroles partent vite...
Lucien : Tu les voudrais constructives ces paroles et elles partent trop vite dans la violence... Tu fais bien d’appeler... tu redis bien à tes parents que quand vous recevrez le papier du PV de 135€ vous m’appelez et on fait une lettre pour demander l’annulation... Continue Igor d’être auprès de tes parents comme tu le fais...
Igor : Oui parce qu’il y a des gens â l’extérieur. Quand ils parlent de nous qu’on habite dans l’HLM, ils disent qu’on est tous des « cas sos » des cas sociaux. Pour moi c’est une injure à notre égard.
Lucien : Je comprends combien ça vous humilie... Ils ne vous considèrent pas dans votre dignité.
Igor : On ne veut plus l’entendre...
Lucien : Continue Igor d’être auprès de ta famille comme tu l’es... et continues aussi à avoir des projets, comme de faire le jardin avec ton papa.
Igor : Justement à propos de projets il y en a un dont je voulais te parler...
Lucien : Tu vois ce qui te sauve, ce qui te donne des perspectives et te permet de traverser l’épreuve du confinement et les autres difficultés de la vie, de rester tout proche de ta famille, c’est que tu essayes de concevoir et bâtir des projets... c’est ce qui te permet de trouver des clefs pour ouvrir des portes, pour t’en sortir et ainsi aider d’autres à trouver eux aussi un chemin de libération. Dis voir le projet dont tu voulais me parler.
Igor : J’ai le projet de passer mon permis de conduire un scooter.
Lucien : Mais tu as déjà un bon vélo avec lequel je te vois venir à Dampierre de temps en temps. Et tu sais te débrouiller pour monter ton vélo dans le train quand tu veux aller plus loin.
Igor : C’est vrai... Mais il y a des endroits où je voudrais aller et qui sont encore plus loin...
Lucien : Je comprends... tu veux ouvrir ta vie à de plus larges horizons encore... et tu reviendrais dans ton HLM ?
Igor : Bien sûr. Je ne m’évaderais pas pour toujours... Ça me permettrait d’aller voir ma copine qui habite loin, où le train ne passe pas... et je pourrais revenir facilement dans ma famille, dans le HLM.
Lucien : Je comprends... voilà encore un projet qui habite en toi et te permets de traverser les moments difficiles et éprouvants...
Quelques temps après ce partage avec Igor, je m’informe en lisant et le Progrès et l’Est Républicain. En même temps, j’apprends la mort de deux amis prêtres, Gilbert Chopard à Bretonvillers dans le Doubs et André Germain chez les petites sœurs des pauvres à Lons le Saunier. Grande épreuve pour les familles et pour nous les amis de ne pas pouvoir accompagner nos amis. Car les rites nous permettent de structurer nos vies, de nous appuyer sur les points de repères dont ils sont signes. Les rites rythment nos vies. Je partagerai cela avec Igor.
D’apprendre qu’en ce moment le coronavirus est une épreuve qui frappe à beaucoup d’endroits de la Planète, ça peut aider à traverser les dures difficultés de la vie en HLM que connaît Igor, sa famille et leurs voisins.
Je raconterai à Igor que dans le journal qui m’annonçait la mort de mon ami, j’ai trouvé juste à côté une citation d’Albert Camus dans « La Peste » un livre où il raconte l’envahissement de cette épidémie dans la ville d’Oran en Algérie. Il écrit : « Il y a dans l’homme plus de choses à admirer qu’à mépriser »
Ça pourra aider à la traversée de l’épreuve que de chercher et découvrir chez mon pire voisin quelques-uns des trésors d’humanité qui l’habitent.
Igor me dira, comme il me dit des fois quand nous nous affrontons afin de nous démunir de nos violences : « J’aime bien quand tu dis des mots qui relient »
Alors je lui raconterai l’histoire de Julos Beaucarne, ce chanteur et bateleur des années 1980, ce qu’il a fait le soir où il a appris la mort de sa femme, sa « Loulou » comme il l’appelait avec tendresse. Elle venait d’être tuée à coups de couteaux par quelqu’un qui sans doute avait perdu la tête et la raison. Julos a pris un crayon et un cahier et il s’est mis à écrire, à nous écrire : « Amis, il nous faut continuer à aimer à tort et à travers, à temps et à contre temps. Il nous faut nous démunir de nos violences et de l’esprit de vengeance. Amis, il nous faut reboiser l’âme humaine. »
Lulu
... et au personnel de l'ombre, tous ceux qui sont utiles à la vie de ceux qui restent confinés, et ceux qui sont malades.
A Dampierre, chaque soir à 20h, tout en respectant la distanciation, une dizaine de personnes participent à un concert très hétéroclite : "deux familles aux fenêtres dont une avec 2 petites filles qui sont heureuses de taper avec 2 couvercles en guise de cymbales, Bernard à sa fenêtre joue de l'harmonica, plusieurs tapent sur des poêles avec des cuillères en bois, Michel agite un collier de cheval, Corinne tape sur une boîte de biscuits en métal, Francis et Jean agitent de vraies cymbales, Rosaline fait teinter une cloche à vaches et Lulu tape sur un couvercle avec une louche. Joyeux tintamarre !" nous dit Rosaline !
Dampierre, le 5 Avril 2020
« C’EST TON SOURIRE QUI M’A SAUVE LORSQU’IL SE DESSINAIT SUR TON VISAGE … »
(Un lépreux africain à sa femme)
C’était durant les années 1953-1954 que j’avais trouvé cette parole dans un livre où étaient racontées les conditions de vie dans une léproserie à la périphérie d’un village africain.
Je ne sais plus si le livre était écrit par Raoul FOLLEREAU ou les Frères JACQUARD. Ce lépreux dont j’ai toujours gardé les paroles avait été reclus, avec plusieurs autres malades du village, dans une léproserie assez loin des habitations pour éviter la contamination. Beaucoup plus tard lorsqu’arriva la guérison, cet homme racontait que ce qui les avait sauvés, certes, c’étaient les soins et le confinement mais c’était aussi beaucoup pour lui « parce que, disait-il à sa femme, tu venais chaque soir. Nous ne pouvions rien nous dire. Nous étions trop éloignés l’un de l’autre. Mais c’est ton sourire qui m’a sauvé, lorsqu’il se dessinait sur ton visage qui m’apparaissait au-dessus du mur derrière lequel nous étions enfermés. »
Dans le confinement que nous vivons il me revient cette page d’un livre qui a marqué mon adolescence. En amitié solidaire, je voudrais ne pas la garder pour moi. Je l’offre à toutes celles et ceux qui sont obligés d’aller soigner les malades au risque d’attraper le coronavirus … ne pouvant pas rejoindre leurs enfants ou leurs parents âgés afin de ne pas les contaminer…
A tous les nombreux amis avec qui nous nous téléphonons, je veux offrir cette page.
A l’amie qui me disait ce matin « Tous les deux jours je vais voir ma maman qui est un peu perdue au milieu de ce qui arrive au monde entier … J’essaye de l’aider à ne pas laisser échapper les points de repère qui lui restent … Mais je veux te parler aussi de la maman d’une de mes amies : sa maman est dans une maison de retraite. Toute visite est interdite à tous les résidents. Et la maman de mon amie dit : Pourquoi plus personne ne vient me voir ? Quel mal je leur ai fait ? Est-ce que je suis punie pour quelque chose que je leur ai fait ? » Comment expliquer à quelqu’un qui est sourd au téléphone ? Demander aux agents hospitaliers est devenu très difficile … Ils ont un emploi du temps impossible … Je voulais te partager tout ça. »
Il va nous falloir beaucoup de délicatesse entre nous tous et laisser souffler l’esprit inventif pour chercher et trouver moyen que nous reconnaissions tous que c’est une grande épreuve que l’on n’a jamais vue à un tel degré et à une telle échelle pour toute notre Humanité.
Si nous peinons d’être astreints au confinement, pensons à ceux qui ont double peine.
Je raconte à mon amie ce qui vient d’arriver aux 14 religieuses de la communauté des sœurs dominicaines des campagnes, en retraite à Orchamps. Leur maison d’habitation a pris feu. Je suis très marqué et touché par ce qui a été cherché et donné pour trouver dans l’immédiat un lieu d’habitation. « La maison familiale d’Amange » à toutes ces personnes en situation très fragile en raison de leur âge et de leur santé. Je suis émerveillé par la solidarité dont nous sommes capables, aussi bien de manière interpersonnelle que de façon intercommunautaire.
Il y en a aussi de l’esprit inventif dans la lutte acharnée que mènent les personnes travaillant dans les hôpitaux, dans les EHPAD comme celui de Neufchâteau où sont nos amis Claude et sœur Thérèse de Falletans ainsi que les sœurs Denise, dans les sous-sols des laboratoires, dans les transports, pour arrêter l’invasion du coronavirus. C’est un travail qui se passe dans les souterrains de la Terre, dans le ventre de notre mère. Il y a vraiment de quoi espérer dans l’Humanité.
Au-dessus des murs de nos confinements la petite fille espérance est venue nous rejoindre.
Avec vous je suis très touché qu’elle nous apparaisse, et que sur son visage, humblement, se dessine un sourire. Comme vous et avec vous je comprends qu’elle nous dit : » Vous verrez… pour toute la Terre ça ne pourra plus être comme avant. »
Lulu
Dampierre le 31 mars 2020
« OUVREZ … OUVREZ LA CAGE AUX OISEAUX »
(Pierre Perret)
Dans l’HLM qui n’est pas très loin de chez ma sœur à Planoise, il vient de se passer un court instant libérateur. Moment qui peut nous insuffler une attitude libérante, dans les jours douloureux que nous vivons. Un homme, s’obligeant au confinement par la loi qui nous dicte à tous de rester chez nous, prend le temps de se laisser travailler par l’esprit inventif dont nous sommes tous dotés.
Depuis des années cet homme détient dans sa salle de séjour une cage avec des oiseaux au plumage coloré et au gazouillis enchanteur.
Il les soigne chaque jour avec beaucoup d’attention. Plusieurs fois par an il y a des couvées qui se réalisent dans cette cage. De petits oiseaux sortent de leurs coquilles sous les yeux admiratifs de l’homme. Mais c’est dans la cage que tout cela se passe. Il est vrai que notre ami ne garde pas pour lui les oisillons nouveau-nés. Il les offre à des amis voisins. Les oisillons sortent bien de la cage mais c’est pour rentrer dans une autre cage, et perpétuer le confinement.
Est-ce bien à cela que madame nature a destiné la gente ailée ?
Justement voilà que l’autre jour, au lendemain du 22 mars, jour où le Parlement français intensifiait encore davantage la loi de confinement pour nous tous, notre oiselier eût un songe. Il ressentit intensément que « oiseau et cage ne pouvaient pas aller ensemble ». Si le confinement devenait insupportable pour qui avait des jambes, l’encagement perpétuel devait être invivable aussi pour qui avait des ailes.
L’homme se leva d’un bond. Il sortit de sa cuisine. Il entra dans la salle de séjour… saisit promptement la cage aux oiseaux… se dirigea vers la porte-fenêtre du balcon qui était ouverte … et avec une émotion qu’il avait rarement connue il ouvrit la petite porte de la cage et dit aux oiseaux qui devaient se demander ce qui leur arrivait : « Allez les petits… Excusez-nous… on ne savait pas ce que c’était… »
Et les oiseaux s’envolèrent et montèrent tout là-haut dans le ciel.
En même temps que ce message de ma sœur de Besançon, je lisais dans le journal « La Croix » du 26 mars, que la garde des sceaux Nicole Belloubet, présentait plusieurs mesures d’exception pour la justice dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire afin notamment de désengorger les prisons, entre 5000 et 6000 personnes devraient pouvoir bénéficier des dispositifs présentés… » Comme dans le « désengagement » des oiseaux à Planoise, n’aurions-nous pas dû travailler au « désengorgement » des prisons avant que n’arrive le coronavirus ?
Et je ne peux pas ne pas me laisser interpeller par cet article du journal le Progrès de ce mardi 31 Mars. Claude Charbonnier et Jean-Yves Millot qui coordonnent le cercle de silence de Dole nous disent : « La rétention, déjà inadmissible en temps normal pour les migrants, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les mineurs isolés laissés à la rue, cet enfermement est encore plus inadmissible en cette période de crise sanitaire… Avec les frontières qui se ferment, il n’existe plus de perspective de renvoi. Dans ce contexte, la rétention ne se justifie plus ». Par conséquent, en nous associant aux défenseurs des Droits de l’homme, toutes les personnes qui voudront continuer à faire cercle de silence afin de clamer le cri des exclus, nous, nous nous tiendrons en silence ce soir de 18h30 à 19h30, dans nos maisons.
En relevant ce appel des défenseurs des droits de l’homme et des militants du cercle de silence, je découvre une sacrée connexion avec ce que Dieu lui-même dit à notre Humanité quand il donne sa parole au prophète Ezéchiel dans la liturgie de dimanche dernier : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple »(Ez 3 37 13).
Qu’est-ce que la chanson de Pierre Perret ressemble à la parole du prophète… Qu’est-ce que l’attitude de l’homme de Planoise ouvrant la cage aux oiseaux qu’il tenait enfermés est de même sève que la manière dont Dieu s’y prend pour soulever la pierre tombale sous laquelle notre humanité est enfouie.
Le souffle libérateur qui est entré chez les initiateurs et animateurs de mouvements tels que la ligue des Droits de l’homme, le cerce de silence, Emmaüs, ATD Quart Monde, Amnesty International, le CCFD , la coordination des gens de la santé, là présentement, allié à un engagement politique au service du bien commun, tout cela me fait beaucoup penser que l’Esprit de Dieu a dû se lever bien avant l’aube pour en animer la flamme.
Je sens qu’il y a plein de barrières séparatrices qui tombent. Et voilà que j’entends Dieu qui se met à prier les hommes : « En ouvrant la porte de vos êtres, je mets en vous mon esprit… vous n’allez plus pouvoir supporter l’enfer-me-ment qui bouleverse l’existence de beaucoup de mes enfants que vous êtes tous… vous allez avoir envie de libérer et faire sortir de prison vos frères et vos sœurs qui crient leur détresse… vous allez vous rendre compte que vous détenez dans les poches de votre cœur les clefs qui permettent d’ouvrir ces portes de prison envoûtantes. Vous allez entendre votre frère le vent qui chante que la Terre votre mère enfin respire. Et avec François d’Assise, François de Rome, Laurent de Chamole, vous allez vous mettre à entonner des refrains tels que ceux-ci : « Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux… Laudato si… des profondeurs je crie vers toi… mon âme exalte le Seigneur… que serais-je sans toit… sans toi… Et la vérité avec laquelle vous allez vous mettre à chanter vous rendra libres, libérés, libérants. »
Lulu
Dampierre le 23 mars 2020
«NOS NUITS NE SONT PLUS PRIVÉES D’ÉTOILES »
( Gamin et Rameaux )
En ce confinement très douloureux et difficile à assumer, quelques appels fraternels et attentionnés me sont parvenus et m’aident à me laisser habiter par la loi, nous demandant instamment de « rester chez nous ».
Je veux partager avec vous ces appels téléphoniques.
Des médiateurs sociaux nous font comprendre que le confinement est un des moyens les plus efficaces que nous possédons presque tous pour empêcher l’invasion du coronavirus des uns chez les autres. C’est une réelle manière d’aider les membres du corps médical à barrer la route à ce fléau qui tente de s’infiltrer partout dans le monde.
Une amie qui a été animatrice dans nos campements à Loisirs Populaires de Dole, me racontait hier soir au téléphone : « Dans l’HLM où j’habite en banlieue parisienne, comme ils font dans certaines villes italiennes, nous ouvrons nos fenêtres ... Quand les 20 heures sonnent ... nous chantons ce que nous avons appris de Graeme Allwright et de Hugues Aufray pour exprimer notre reconnaissance aux travailleurs des hôpitaux et aux chercheurs ... »
Une autre amie qui a été animatrice à Floriane est partie se confiner dans la garde de ses neveux et nièces pour que sa sœur, la maman de ces petits-enfants, puisse soigner des malades.
Un copain qui a passé sa vie à nettoyer les rues de Dijon, à laver les vitres des magasins, et à balayer les quais et les souterrains de la gare SNCF, en retraite depuis quelques mois, me dit : « Pour partir faire mes courses, j’ai pas acheté de masques, je les laisse aux personnes de l’hôpital. Je m’en suis fabriqué un avec une enveloppe et un filtre à café »
Quel bel esprit inventif et solidaire !
Il y aussi nos ânes, Gamin et Rameaux qui me causent beaucoup plus de joie que de soucis. À la mi-février, je les avais mis au bas du pays dans la belle pâture que nous prêtent des amis d’enfance. C’est le long du Doubs, tout près de la grotte préhistorique si chère à Jeannot. De temps en temps j’ouvrais la barrière aux ânes pour qu’ils mangent l’herbe des talus et des fossés. Car l’herbe se faisait rare dans la pâture. Un soir ils me demandèrent ce qui se passait dans le monde des humains :
« Nous n’entendons presque plus de bruits d’engins à moteur, aussi bien le jour que la nuit, dans notre environnement. Nos grandes oreilles n’en reviennent pas. Voilà que nous entendons nos voisins les oiseaux dans les buissons d’épines s’adresser des chants d’amour comme il y a des années que nous ne les avons pas entendus. Il parait que vous vouliez venir camper dans la grotte préhistorique avec tes amis Éric et Jeannot parce que c’est leur anniversaire les 20 et 21 mars. Ça en fait des années que vous marchez au même pas que nous les ânes. Vous vouliez venir trouver près de nous un véritable repos, celui-là d’avant toutes les machinations que vous pensiez glorieuses. Si seulement ce calme et ce repos pouvaient se maintenir une fois le coronavirus passé. Si vous voyiez comment les nuits sont redevenues de belles nuits noires. Elles ne sont plus privées d’étoiles. Ne sommes-nous pas en train de nous rendre compte que ce que nous estimions impossible est devenu possible ? Nous sommes prêts à vous aider à nous y maintenir ».
Je répondis aux ânes :
« De fait, une pandémie est en train d’invasionner le monde entier.
Nous sommes engagés à nous confiner chez nous, afin de barrer la route le mieux que nous le pouvons à ce fléau.
Tranquillisez-vous, ce n’est pas sur votre dos d’ânes que nous faisons reposer la responsabilité comme au temps de La Fontaine quand il s’était agi de la Peste. Il y a des attitudes fatalisantes que nous ne nous autoriserons plus jamais. Quelque chose comme une aurore, encore plus belle que l’aurore boréale est en train de se dessiner pour l’avenir de notre planète »
Les ânes me firent comprendre que pour que nous puissions continuer de cheminer ensemble il faudra réaliser une petite transhumance. Leur confinement en cet endroit ne peut durer. Toute l’herbe est mangée.
Je leur dis :
«Je reviens, sans tarder. J’aurai demandé «une attestation de déplacement dérogatoire » Je vous conduirai dans la pâture du haut, dans le verger planté par nos parents. «Sur des prés d’herbe fraîche vous allez pouvoir reposer. »
Une fois notre confinement terminé, nous aurons beaucoup besoin de marcher à votre pas en notre Humanité »
Lulu
Dampierre, le 19 mars 2020
« POUR QUE CE NE SOIT PLUS APRÈS, COMME C’ÉTAIT AVANT »
Nous voilà confinés dans nos gîtes et dans nos maisons.
C’est un commandement « Restez chez vous » qui nous est intimé par les responsables politiques et sanitaires de notre Etat, nous sommes appelés à obtempérer afin de barrer la route à cette pandémie du coronavirus.
Le confinement est une grande épreuve pour nous tous. Mais rester chez soi appelle aussi à « penser ». Le vieux La Fontaine disait dans une de ses fables « Que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ? »
Confiné à Dampierre dans ce petit bout de gîte réparé par des mains et des bras solidaires, je viens partager avec vous ce à quoi je songe.
Je suis très marqué et très touché par le sens civique et le respect des uns à l’égard des autres qui s’institue dans notre pays voilà quelques jours entre nous tous. C’est sur l’injonction très difficile à instaurer dans le sens du service et dans la recherche du bien commun.
Je crois et fais confiance en m’engageant personnellement à répondre à cette organisation civique, politique et sanitaire.
Je crois à notre capacité inventive non pas pour sombrer dans la débrouillardise individuelle et égocentrique, mais pour trouver des sentiers de solidarité afin de ne pas tomber dans la dépression provoquée par l’isolement, et contribuer à arrêter la pandémie.
Tout d’abord un profond respect à vous amis qui ne pouvez pas obéir à cet ordre de « rester chez vous » puisque vous êtes obligés de quitter chez vous pour aller soigner les membres de notre humanité qui sont atteints du coronavirus ou d’autres maladies, ou qui se trouvent en grande fragilité. Et souvent vous êtes obligés de développer un esprit inventif pour trouver de manière solidaire à garder vos enfants qui ne vont pas à l’école. Et nous apprenons ce jour que des hôpitaux dans l’est de la France commencent à être saturés. Vous vous trouvez devant des dilemmes et des règles de priorité bouleversante pour votre conscience.
Mon profond respect s’adresse aussi à vous qui ne pouvez pas vous confiner chez vous parce que vous n’avez pas de chez vous, frères et sœurs en Humanité qui êtes exclus de l’Histoire. Il faudra bien, comme vient de me le dire au téléphone un ami, qu’après la disparition du virus, les logements vides à Paris ou ailleurs deviennent accessibles et habités par ceux qui n’ont pas de domicile ... que ce ne soit pas uniquement l’organisation d’une prophylaxie qui nous oblige à ce qu’il n’y ait plus de gens qui dorment dans la rue et soient réduits à mendier.
Il est d’autres grands oubliés de l’Histoire : Vous les gens obligés de vous sauver de vos maisons parce qu’elles ont été bombardées. Nos fabriques et nos trafics d’armements ont fait craquer le commandement « Tu ne tueras pas » Vous aussi ne pouvez pas rester chez vous. Mais vous êtes confinés en de véritables camps de concentration en Turquie, Libye et sur les îles et côtes grecques. Combien de milliards continuerons-nous de donner pour vous placer dans de telles situations asphyxiantes ?
L’abbé Pierre disait : « Comment vivre sans toit ? »
Mon respect aussi à toutes celles et ceux qui viennent d’être élus par nous comme conseillers et bientôt maires de nos communes. Vous êtes revêtus de l’écharpe du sens du bien commun. Toute ma reconnaissance pour votre sens de l’engagement civique.
Adjoignons-y le nôtre afin que chacun trouve une place qui devienne sa place. Que dans notre confinement nous envisagions comment nous bouger pour que ceux qui n’auront pas encore trouvé leur place, la trouvent, et qu’il advienne un avant et un après le coronavirus dans nos communes.
Il y a déjà des « après coronavirus » : Dans un canal de Venise en Italie, les eaux sont devenues limpides et plus claires après l’arrêt du trafic des bateaux à moteur le 17 mars. Une conséquence des mesures prises à la suite de la crise du coronavirus.
Nous apprenons ces jours que les usines Peugeot ont fermé leurs portes. Un de mes amis à qui je l’annonçais me demandait :
« Est-ce que les usines françaises d’armement ont fermé les leurs? »
⁃ Je ne sais pas. Si oui et de toutes façons quand elles les ré ouvriront après le coronavirus, exigeons que nous arrêtions d’y fabriquer des armes.
⁃ Mais quoi donc alors ?
⁃ Du matériel médical, des respirateurs ...
Est-ce que ce ne pourrait pas être ça, l’après coronavirus ?
Lucien Converset
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Peuples solidaires Jura et Doubs
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Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire
Campagne pour l'Education à la non-violence et à la paix
Institut de recherche sur la Résolution
Réseau pour une paix juste au Moyen Orient
4ACG : Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre
Journée de jeûne pour demander le désarmement nucléaire unilatéral de la France,
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