Lettre écrite avant d'entrer à Bethléem
Samedi 15 juin 2013
Ami Jésus,
Lundi 17 juin, après avoir fait étape à Jérusalem, venant de NAZARETH, je pars jusqu’à BETHLEEM chercher où tes parents Marie et Joseph ont bien pu te faire « crécher » au moment où tu cherchais à venir au monde. En raison d’un édit de César Auguste, tes parents avaient dû quitter NAZARETH en GALILEE pour venir se faire inscrire dans leur ville d’origine : BETHLEEM, la cité de DAVID.
Marie ta mère te portait dans ses entrailles. Joseph, son mari, celui qui devenait ton père nourricier, cherchait un endroit où ta maman puisse te mettre bas, toi le fils du Très-Haut.
Vous avez frappé déjà à bien des portes, quand les gens qui vous entrevoient en restent à leur regard premier. Ils ne vous ouvrent pas leurs portes. Ils ont grand mal à vous reconnaitre des leurs. Quand on est sédentaire, bien installé dans l’existence, et que l’on pense avoir les pieds sur terre, on a un mal fou à se mettre quelques instants dans la peau du nomade qui surgit quand on ne s’y attend pas. On ne se souvient pas que « notre père Abraham était un araméen errant » Tes parents ont alors entendu ces mots fatidiques : « Non, désolés, nous n’avons pas de place pour vous. » Probablement se sont-ils dit : « Où est-ce que nous allons bien pouvoir nous arrêter sur ce chemin ? et où allons-nous pouvoir crécher ? » « C’est que nous sommes porteurs d‘un trésor, mais c’est dans des vases d’argile que nous le portons. » (2, Cor 4,7) Il nous faut absolument trouver un endroit de la terre qui soit ˝en creux˝, à même de recevoir cet enfant que nous portons et que nous voulons donner à notre Humanité. La terre est en attente de ce cadeau de Dieu : son fils ! » Ils voulaient parler de toi, ami Jésus, qu’ils serraient tout contre eux pour qu’il ne t’arrive rien qui vienne faire rater ta venue.
Tu es pourtant chez les tiens. Par ton père Joseph, tu es de la maison et de la lignée de David. BETHLEEM est votre ville. C’est à Bethléem que tu dois naître d’après ce qu’a annoncé le prophète Michée (Mi 5, 1) « Tu es venu chez toi, et les tiens ne te reçoivent pas. » comme le dira plus tard l’apôtre Jean (Jn 1,11).
Et pourtant, toi le Verbe « tu veux te faire chair, venir habiter parmi nous. » (Jo, 1,4) Qui est-ce qui va bien pouvoir recevoir tes parents pour qu’ils te mettent au monde ? « Dans la contrée où vous veniez d’arriver, il y avait des bergers qui vivaient aux champs et qui la nuit veillaient tour à tour à la garde de leurs troupeaux. (Lc 2) Et voilà que c’est chez eux que vous allez loger, chez eux qui n’ont pas grand-chose, presque rien et qui donnent tout. Parce que quand nous avons beaucoup, nous nous emprisonnons dans ce que nous avons et nous sommes ligotés par nos lingots. Nous ne pouvons même plus donner un brin, un fil d’or de ce que nous avons. Les fils d’or sont aussi incassables que des fils de fer barbelés. Il n’y a que la grâce qui vient de Dieu ton Père qui va pouvoir nous en défaire et nous déligoter de nos avoirs. Et cette grâce, c’est toi. C’est grâce à toi, c’est en nous dépouillant de ce que nous avons que nous parvenons à être. Il y a comme un vide-grenier à réaliser en nous-mêmes de ce qui nous encombre, et qui est devenu empêchant. Il n’y a que grâce à toi, en te laissant loger chez nous que nous allons arriver à devenir accueillant à l’autre et le recevoir dans ce qui est l’essentiel, dans notre cœur.
Alors, en me disant tout cela dans ce chemin de BETHLEEM, je me dis qu’il y a quelque chose que je ne me suis pas encore laissé dire : c’est que si cette démarche d’accueil de l’autre ne peut se faire que si tu es déjà logé dans notre être, que grâce à toi, et bien tu logeais déjà chez les bergers, avant que tes parents ne viennent te mettre au monde chez eux. Qu’est-ce que c’est beau tout ça ! C’est un mystère que nous n’aurons jamais fini de décortiquer.
C’est au cœur de ce qui fait la vie de ces bergers que tu vas pouvoir crécher. C’est dans l’être des parias de la région qui n’ont presque rien. Et c’est dans ce « presque rien » que ta maman avec les soins de ton papa, vont te mettre dans ce bas monde, sur la paille, toi le Créateur du monde. Ils te font un berceau dans une crèche à bestiaux, à toi l’auteur du monde. Et voilà que dans presque rien, réside le tout de la Vie
C’est pour ça que je suis venu jusqu’à Bethléem. Il n’y a que comme ça que je peux faire Humanité, en faisant loger l’autre dans mon cœur, et en reconnaissant que tu nous as précédés en nous-mêmes afin de faire la place à l’autre, toi ami Jésus.
Il m’apparait que c’est dans ton sillage ami Jésus, que nous pouvons apprendre à devenir des faiseurs de paix. Après avoir découvert comment tu viens au monde à Bethléem de Judée, j’aimerais retourner en Galilée, en traversant la Samarie. J’aimerais gravir les pentes de la montagne où tu nous as dit un Sermon qui s’est fait chair en toi : « Bienheureux et en avant vous les pauvres en esprit, les doux, les artisans de paix, les affamés et assoiffés de justice, ils seront appelés fils et filles de Dieu, et ils recevront la terre en héritage… » (Mt 5, 1-11) Ce Sermon, cette Parole est appelée à se faire chair en chacun de nous et en nous tous communément.
Ce lundi je continuerai mon chemin jusqu’au bout, jusqu’à Bethléem, en vous portant justement tous dans mon cœur, comme le dit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Philippiens (1, 7) Je pense à vous mes parents : Suzanne et Marius, à vous mes sœurs, Christiane, Edwige, Elisabeth, Bernadette, et à toi mon frère Georges. Je pense à vos conjoints et à vos enfants, et à vos petits-enfants. Je vous ai souvent nommés le soir devant ma tente, à la nuit tombante, dans la douceur du vent quand je tombais de sommeil. Je faisais comme Abraham : j’accrochais chacun de vos prénoms à une étoile. Ce sont ces étoiles qui réapparaissent (Mt 2, 9) au moment où je vais reprendre le chemin de Bethléem. J’ai accroché aussi à un étoile votre prénom, vous qui à la suite de mes parents m’avez appris à marcher, à me lever et à me relever dans la vie, à repartir, à recommencer : Vous qui avez été mes instituteurs, mes institutrices, éducateurs, éducatrices, mes copains et amis et camarades d’école, de petit et grand séminaire. Je pense à vous et je vous porte dans mon cœur. J’ai accroché à une étoile votre prénom, vous les jeunes filles et femmes que j’ai admirées, qui avez brillé de présence aimante en mon existence, en m’apprenant à emprunter le chemin de chasteté. Oh la la ! comme vous êtes nombreux, vous, dont le prénom retentit dans mon cœur, vous qui durant ces 50 années n’avez cessé de m’apprendre à devenir homme et prêtre.
Vous avez bien fait à l’angélus du 25 mars 2012, de susciter que nous nous détachions les uns des autres, le temps qu’il fallait pour nous « revoir » à la manière dont Jésus envisage chacun des êtres humains : en leur dignité et en leur avenir. « Noli me tangere ! » Ne nous accaparons pas ! J’ai accroché votre prénom à une étoile. Ces étoiles vont toutes réapparaitre au moment où je vais reprendre le chemin de Bethléem, ce lundi 17 juin 2013. Ainsi que vos étoiles à vous, qui le long du chemin durant ces 15 mois passés, m’avez accueilli avec mon âne Isidore « quand dans ma vie il faisait froid. » Malgré la pluie qui nous dégoulinait dessus la tête et dans nos manches de pull-over, j’ai accroché vos prénoms à une étoile que je ne voyais pas, mais dont je pressentais l’existence. Et vous qui n’avez pas su, ni pu m’accueillir, j’ai rafistolé votre prénom que je n’avais pas pu connaitre à une étoile qui a pour nom grâce de Dieu : GRAZIELLA. Croyez-moi ! C’est une sacrée constellation à laquelle vous êtes accrochés : la vue de ces astres me remplit d’une très grande joie. » (Mt 2, 10) C’est cette joie-là que je vous fais parvenir à tous et à chacun. Qu’elle fasse lever la paix dans toute l’étoffe de notre existence. Qu’elle abolisse tous les check-points et les frontières séparatrices.
Même si c’est la dernière étape de mon voyage que je vais réaliser lundi, j’ai l’impression et ça me donne une sacrée émotion, que ce voyage ne se finira jamais. Parce que je n’aurais jamais fini de faire mémoire et de me référer aux connections et convergences que vous avez contribué à réaliser avec vos mains d’amis et vos doigts de fées. Je n’aurais jamais fini de vous reconnaitre membres de ce Corps merveilleux que nous formons tous avec toi, ami Jésus. Je n’aurai jamais fini de découvrir, que nous créchons tous avec toi dans le cœur de Dieu, celui-là que tu nous as appris à appeler « Notre Père ». Je n’aurai jamais fini d’entendre celle que tu nous as appris à saluer « Notre Mère » me dire en mon âme et conscience : « Tiens ! As-tu vu ?! il y a quelqu’un d’étrange-ment affaibli qui passe devant ta maison.. T’as bien fait de ne pas cadenasser ta porte… Sors donc vite à sa rencontre… avec le langage des signes si tu ne sais pas sa langue, fais-lui comprendre comme Job et Moïse l’ont toujours fait aux gens errants qui passaient devant chez eux, que c’est dans un lit qu’il dormira ce soir, et non pas sur la paille. Indique-lui un endroit intime où il va pouvoir se laver. Et après, tu lui signifies qu’il y a une chaise et une assiette pour lui autour de la table familiale. Ne lui demande pas à voir ses papiers. Il n’en a peut-être pas. Sinon pour l’aider à en établir. Et peut-être qu’il aimerait tant entendre au téléphone la voix des siens qui lui restent, de ses proches qui sont si loin (Dt 26, 5 et Job 31, 32) Laisse retentir en toi le cri des pauvres et des affamés que tu as entendus aux « cercles de silence ». Continue d’entrer plus avant en mouvements d’action non-violente, à Amnesty International, dans ATD Quart-Monde. Ainsi en arrêtant l’armement nucléaire de manière unilatérale dans notre pays, la France, nous reverserons l’argent que nous y engloutissions, pour arrêter cet autre fléau : la faim dans le monde. »