Lettre du 15 Août 2012 à APOSTAG
L’âne Isidore et moi nous avons quitté DUNAVERS où beaucoup de jeunes furent d’un abord sympathique et où une femme m’a apporté un café et un gros pain et pendant que je mangeais et écrivais. Elle avait un large sourire et moi aussi, pour remplacer les mots que nous n’arrivons pas à nous dire.
Il est un peu plus de 18 H sur la véloroute quand le village d’APOSTAG est en vue. C’est vers ce village que nous nous dirigeons pour passer la nuit. Je suis en train de me dire : « dans 3 bons quart d’heure, nous aurons trouvé, je l’espère sur la place du village, un lieu, comme un jardin public ou un terrain de foot où nous pourrons établir notre petit campement. Puis tout fort je dis :
- Pourvu que nous trouvions un endroit bien en herbe pour toi Isidore !
- Un coin qui soit bien tranquille pour toi ! me dit Isidore, avec pas trop de chien à proximité, où tu puisses planter ta tente et dormir tranquille. Je veillerai sur toi pendant la nuit !
- Merci Isidore ! En attendant, tu devrais presser le pas !
- Ma tendinite me fait bougrement mal !
- Je le vois bien, mais ce n’est pas une raison pour trainailler comme tu le fais !
Puisque personne ne nous double ou ne nous rencontre à cette heure sur la véloroute, nous sommes tranquilles pour nous raconter tout cela l’âne et moi. Tiens mais c’est étonnant, ces gens en bout de piste au croisement de la véloroute avec le chemin qui conduit au village d’APOSTAG. Sûrement des gens qui sont venus se promener. Mais c’est étonnant, ils donnent l’impression d’attendre quelqu’un, et il n’y a personne d’autres que nous à l’horizon.
Et plus nous approchons de ces gens, plus ils donnent l’impression que c’est nous qu’ils attendent. Je me dis : « c’est sûrement pour nous demander où je vais avec cet âne… je vais avoir encore grand mal à dire quelque chose de plus que : « je vais à Bethléem . Ich gehe nach Bethléem zu Fuß mit meinen Esel um Frieden Pour la paix PEACE. » Ils ont dû arrêter pour pouvoir caresser l’âne, et c’est vrai que l’âne apprécie beaucoup ces moments où il entend que nous nous mettons à causer avec les gens que nous rencontrons. Pour lui ça fait une bonne occasion pour s’arrêter et manger l’herbe des talus au pied duquel nous avons arrêté nos pas.
Ça y est, l’âne et moi, nous allons nous arrêter auprès de ces gens. Nous sourions. C’est un jeune homme et une jeune femme qui manifestement veulent me parler. Oh mais la dame qui est avec eux ! Je la reconnais ! C’est la personne qui tout à l’heure sur la place du village de DUNAVESCE, alors que j’écrivais et cassais la croûte, est venue près de moi avec un café et un gros pain pour me les offrir, dans de beaux gestes de fraternité et particulièrement un large sourire. Je le lui dis avec beaucoup d’émotion mais en allemand. Heureusement qu’il y a nos sourires pour nous faire comprendre, les uns les autres. Ces gens sont tous des Hongrois, qui comme moi, dans la recherche de ce que nous voulons nous dire, vont avoir beaucoup de haussements d’épaules : « je ne comprends pas ce que tu veux me dire, tu as du mal à comprendre ce que j’essaie de balbutier…. Attends ! Je vais avoir recours aux gestes et aux signes… »
La dame qui est avec le jeune couple sait que je vais à Bethléem. Elle vient de dire le nom. Elle a dû l’apprendre sur la place du village de DUNAVESCE par la carte de GYULA que j’ai fait lire il y a un peu plus de 2 heures quand elle m’a apporté le café et le pain. Et voilà que ces gens ne se satisfont pas que de caresser l’âne et de me dire : « c’est beau d’aller à Bethléem à pied… » Ils me font comprendre que les 2 questions qui me trottaient dans la tête tout à l’heure et sûrement encore à l’instant où nous nous rencontrons : « Où est ce que l’âne et moi, nous allons nous arrêter pour manger et dormir et nous reposer ». Ces 2 questions sont aussi les leurs, et c’est du geste de joindre les deux mains, les porter sur le côté de la tête et incliner la tête dessus pour qu’elle s’y repose. C’est le geste qu’ils font les 3 en même temps en nous regardant, l’âne et moi. C’est ce geste ! (Oh !!! Comme il est beau !) qui va me traduire qu’ils sont à la recherche d’un lieu, pour que nous puissions arrêter notre marche, nous reposer, dormir, et ils ajoutent en portant la main à la bouche : et manger.
Ça y est : ils voient bien, à ce qui vient de se dessiner, sur mon visage, que j’ai saisi et trouvé ce qui était caché dans leur cœur et qu’ils voulaient me faire trouver et m’offrir. Je les embrasse avec émotion.
A la manière dont ils se parlent en Hongrois, je comprends qu’ils ont trouvé ce qu’ils ont cherché pour nous ce soir. Mais je reste devant cette profonde question : « comment ça s’est passé ? D’où ça vient tout ce travail et ce jeu de recherche et de cachette dans lequel ces 3 personnes se sont engagées pour que ce soir et cette nuit nous ne soyons pas dehors, que nous sentions que nous faisons partie de l’humanité, qu’en Hongrie nous ne laissons pas un chien coucher dehors, à plus forte raison un homme avec son âne. » Je repense à Elisabeth qui voyant venir la jeune femme Marie jusqu’à elle dit : « Mais d’où ça vient que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? »
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