Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 13:36
Photo de frère Jean-Pierre prise par Caroline le jour de Pâques à Midelt

Photo de frère Jean-Pierre prise par Caroline le jour de Pâques à Midelt

Vendredi 11 septembre 2015

 

 

DIS-NOUS, FRERE JEAN-PIERRE ! QU'AS TU VU EN CHEMIN ?

 

Ces paroles que j'adresse au frère Jean-Pierre Schumacher, survivant de Tibhirine, en ce matin de présence intense dans le monastère de Midelt, ce sont les paroles que, dans sa liturgie pascale, l'Eglise adresse à Marie-Madeleine. L'Eglise  pose cette question à Marie-Madeleine au matin de Pâques, quand elle revient de prendre soin du corps de Jésus, déposé dans le tombeau et que, Jésus lui-même lui apparaît ressuscité dans le jardin.

 

Dis-nous Jean-Pierre ce que tu vois sur ce chemin sur lequel tu continues de marcher, depuis, voilà bientôt 20 ans que tes compagnons de vie ont été enlevés à ton regard pour être mis à mort. A voir ton humble comportement, ne sont-ils pas vivants à tes yeux ? La vie leur a-t-elle été prise ? Ne l'avaient-ils pas donnée pour Dieu et pour l'Algérie ? Et la manière dont vous avez vécus et dont vous vous êtes aimés avec les gens de Tibhirine, la façon dont, ni la violence ni la haine n'ont eu raison de vous, le comment vous êtes restés branchés avec les habitants, tout cela n'est-il pas chemin d' Emmaüs où Jésus est en train de nous rattraper ? Merci d'être là Jean-Pierre, de prendre le temps de causer avec nous. Nous avons l'impression que tu chemines avec nous afin de mieux nous laisser rattraper par Jésus.

 

Dis-nous Jean-Pierre comment tu es arrivé à Tibhirine ?

Jean-Pierre : « J'ai été ordonné prêtre à Lyon en 1953 chez les frères maristes. Certains supérieurs dans notre ordre, après l'indépendance de l'Algérie voulaient faire arrêter l'expérience de l'abbaye de Tibhirine, où le frère Luc était présent depuis 1946... En 1955, Luc est fait prisonnier par le FLN avec le frère Matthieu. Ça dure une semaine. Ils sont mis en prison par représailles de la part du FLN en raison que l'armée française a tué un de leurs chefs fellaghas. Mais frère Luc a soigné la femme de l'un d'entre eux. Cet homme dit aux membres du FLN : « Ne touchez pas à cet homme. » C'est alors qu'un autre homme du groupe en libérant frère Luc lui dit : « Tu pourras nous demander tout ce que tu voudras ... » Luc leur dit : « Des cerises ! » La saison était passée. Ils lui en trouvèrent quand même. Ils sont libérés de la manière suivante : « Demain matin l'armée française va ouvrir la route. Vous montez dans le car qui va passer après. » En fait, c'est l'armée qui les a ramenés à Tibhirine. Tout cela a bouleversé frère Luc. Il devra aller se reposer en France.

 

J'ai été ordonné prêtre chez les frères maristes à Lyon en 1953. Quand j'arrive à Tibhirine en 1955 frère Luc n'est pas là. Comme je te l'ai dit, certains supérieurs de notre ordre voudraient faire arrêter l'expérience de Tibhirine, mais le cardinal Duval veut garder et que soit maintenue l'abbaye. Quand Luc revient de France, des frères de Tibhirine disent : « Il ne faut pas que frère Luc continue d'exercer son métier. Le père Lebeau qui prêche notre retraite dit : « Il est bon qu'il y ait un dispensaire à l'ombre du monastère. » Il avait bien raison. Je venais d'être nommé commissionnaire. Quand j'allais en ville, je me rendais bien compte comment le travail de frère Luc rayonnait à Tibhirine, à Médéa et aux environs. C'était le seul médecin d'Algérie à ne pas être dépendant du ministère de la santé.

 

Lucien : « Et c'est en 1971 que vous voyez arriver Christian de Chergé ? »

Jean-Pierre : « Christian avait fait son séminaire chez les Carmes. Il avait été soldat dans l'Ouarsenis. »

Lucien : « Vers Tiaret ! »

Jean-Pierre : « Oui, dans une SAS. Il faisait le lien avec la population. Il était aidé par un homme qui s'appelait Mohammed, un supplétif. Cet homme pouvait être considéré comme traitre à la population par certains membres du FLN. Un jour, le FLN a voulu descendre Christian. Mohammed s'y est opposé en disant : « Cet homme fait du bien à notre peuple. » le FLN a laissé Christian tranquille, mais quelques jours après, Mohammed ce père de famille de 10 gosses, était égorgé. Cette expérience a marqué toute la vie de Christian. Il ne nous en parlait pas. Il y a des choses, je les ai sues par après, récemment. Christian a relié cela à la passion du Christ, à sa parole lorsqu'il dit : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. »

Ce sommet de notre foi a été vécu par un musulman, pour moi. Depuis ce jour, Christian avait pris la résolution : « Quand je serai prêtre, je reviendrais servir l'Algérie, me mettre au service du peuple algérien jusqu'à la fin de ma vie. » C'est ce qu'il a fait. Il n'a jamais démordu de cette résolution, jusqu'au martyre.

Christian est devenu prêtre. Son premier poste a été la basilique de Montmartre à Paris. Là, il était responsable de la liturgie et de la manécanterie.

Un beau jour il dit à sa maman : « Je vais à Aiguebelle pour devenir moine pour l'Algérie. »

 

Tibhirine ne pouvait pas avoir de noviciat. C'était une communauté en voie de disparition et de fermeture. Nous étions après l'indépendance de l'Algérie. Avec quelques moines, nous avions été envoyés de Timadeuc pour empêcher cette fermeture. Nous étions demandés par le cardinal Duval. Nous étions envoyés au nombre de dix : quatre de Timadeuc, quatre d'Aiguebelle, et deux de Cîteaux. Il y en avait trois qui étaient déjà là, trois seulement de « stabilisés ». Nous étions des religieux prêtés. Lorsque Christian arrive en 1971, nous nous sommes dit : «  Il faudrait qu'on ait un frère qui sache bien l'arabe et qu'il ait une bonne culture du monde musulman et du peuple algérien. » Christian est resté deux ans à Rome.

En 1976, Christian fait sa profession solennelle, il voulait faire profession pour Tibhirine. Il fallait alors qu'il y ait avec lui, six religieux « stabilisés ». Il n'y en avait que trois. C'est alors que trois nouveaux ont alors accepté de l'être : Aubin, Roland et moi.

 

Le 1er octobre, pour la fête de sainte Thérèse, Christian fait profession solennelle à Notre Dame de l'Atlas à Tibhirine. Nous réalisons alors, une vraie communauté monastique : ça a tout changé (sourire apaisant de Jean-Pierre).

Il fallait donc nommer un abbé. On a demandé que ce soit un prieur. On a alors réduit l'abbaye à être un prieuré.

En 1984, on élit le 1er prieur, c'est Christian.

 

Lucien : « Vous étiez déjà très ouverts au monde musulman ! »

Jean- Pierre : « De Rome, Christian était revenu très motivé dans ce sens-là. Les anciens avaient des relations avec l'islam, mais pas comme celles de Christian.  Nous n'étions pas uniformes dans le prieuré, mais nous étions amis. Dans toute communauté, c'est un frère, André, venu nous voir qui nous le dit : « Dans toute communauté, il doit y avoir des tensions … »

Pour les anciens, l'union se faisait par la convivialité avec le monde musulman. Il y avait eu jusqu'à 50 ouvriers avant l'indépendance. Les anciens c'était Luc, Etienne, le cellérier, ingénieur agronome … Christian lui, son orientation était dans le sens des soufis. L'Eglise après le concile, recherchait les rencontres avec l'Islam. L'orientation de Christian, c'est la spiritualité, l'intérieur. Il faut relire son testament. Nous le trouvons idéaliste, naïf. On lui disait de ne pas regarder avec des lunettes roses, mais de regarder objectivement. Christian citait des paroles du Coran dans la messe. Certains lui disaient : » Le Coran et l'Evangile, ne les mets pas au même plan. Christian ne voulait pas que l'on prononce et que l'on entende le mot Israël dans la liturgie, à cause des résonnances politiques. Il était toujours en avance.

 

Le frère Christian de Chergé dans son testament dit : « Ceux qui me traitaient de naïf et idéaliste, doivent savoir que maintenant mon vœu est exaucé, ma curiosité en amont est satisfaite. Je vois les fils de l'Islam avec le regard de Dieu. »

Ce n'est pas Christian uniquement qui a fait évoluer la communauté dans l'accueil de l'Islam. Ce n'est pas Christian uniquement qui nous a appris à aimer les musulmans. On était parmi eux depuis 1946, avec une très bonne compréhension de l'islam. On ne voulait pas être traités de novices dans la relation avec l'Islam. On est restés ce que nous étions. La preuve que j'étais ouvert, c'est moi qui ai découvert les soufis. Il y a eu le concile. Quand j'ai su que j'étais appelé à vivre à Tibhirine, j'étais heureux.

Partager cet article

Repost0

commentaires

Présentation

  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
  • Contact

Commentaires

Vous pouvez laisser un commentaire sous les articles. Les commentaires sont modérés avant publication. C'est-à-dire que tout commentaire injurieux, insultant publicitaire ou inadéquat n'est pas publié Merci.

Recherche

Désarmement nucléaire

Journée de jeûne pour demander le désarmement nucléaire unilatéral de la France,

tous les 1ers lundis du mois de 14h à 17h en hiver, de 16h à 18h en été, à Dampierre (39) avec un temps de partage et de réflexion animé par Lulu.

Et commémoration des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki entre les 6 et 9 août, chaque année.

L'anti-pub

Les pubs sur les blogs ou les sites que vous consultez sont trop agressives ? Il existe un moyen de respirer à nouveau, en téléchargeant le pare-pub Adblock Plus (clic). Vous ne supprimerez pas les pubs imposées, mais vous ne les verrez plus.