Dampierre, le 29 juin 2016
Le soir même de l'incendie où le feu brûlait nos maisons, mon neveu, mes voisins et moi-même, nous étions bouleversés et nous le sommes toujours, par le drame qui nous arrivait.
Nous nous sommes dit en nous envisageant : « Nous sommes là … Il n'y a pas de morts, ni de blessés …»
Nous ne sommes pas allés jusqu'à dire : « Estimons nous heureux …»
Nous ne le pouvions pas. Nous pleurions. Nous cherchions à relativiser le drame.
Je pense en fait, qu'il nous faut tous, amis qui nous êtes solidaires et nous-mêmes, non pas relativiser ce qui nous arrive, mais le relier.
Il me semble que dans notre élan de solidarité les uns avec les autres, il est fondamental de nous rattacher à celles et ceux dont les maisons ont brûlé ou sont encore en train de s'écrouler en raison du feu de la guerre.
Des hommes continuent de déverser sur des enfants et sur leurs parents le feu provoqué par l'invention, la fabrication, et le trafic de nos armes.
Il revient dans ma conscience les milliers de mechtas qui ont brûlé sous le feu de nos armes pendant la guerre d'Algérie.
Qu'est-ce que j'ai fait pour empêcher qu'on y mette le feu ?
Je repense aux milliers d'abris qui continuent de brûler en Syrie et ailleurs.
A ce feu-là, nous pouvons quelque chose.
Le feu qui a déchiqueté ma maison natale ne doit pas dévorer mon âme et ma conscience d'homme.
A ceux qui nous placardent que ces guerres sont fatales, en notre âme et conscience, ne devons-nous pas faire objection ?
Ne sentons-nous pas comme un appel à inventer une stratégie de paix dès aujourd'hui, stratégie de l’action non-violente ?
Et il est un feu encore pire que celui-là.
Un feu où nous risquons de délabrer l'humanité par pans entiers, probablement même en totalité. C'est le feu du nucléaire.
A celui-là aussi, nous pouvons quelque chose, en commençant par demander immédiatement, l'arrêt de l'armement nucléaire de la France de manière unilatérale.
Avec une profonde amitié solidaire, vous êtes nombreux à me dire ces jours-ci quand nos regards se croisent et que nous nous envisageons : « Te voilà donc relogé … T'as retrouvé une partie de tes affaires … Ça va aller ? »
Vous sentez bien que ça ne peut pas aller.
Merci bien sûr, pour ce que vous m'avez aidé à retrouver : un logement, une partie des cahiers où j'avais ramassé vos paroles dans nos cheminements et nos luttes.
Mais si nous ne nous prenons pas davantage par la main pour empêcher le déferlement du feu de la violence et de la guerre, il nous manque l'essentiel.
Vous nous avez aidés à retrouver un logement. Pour cela, nous tous, nous vous disons notre profonde reconnaissance. Mais si un jour, malheureusement nous laissions venir le feu du nucléaire, la possibilité de reloger les sinistrés serait anéantie elle aussi. Après nous un déluge de feu risquerait de tout emporter. Nous risquerions de ne plus pouvoir dire : « il y eut un soir, il y eut un matin…» Nous ne pouvons pas nous accommoder de cela. A l'impossible, ne sommes-nous pas tenus ?
Je vais de temps en temps frotter mon dos contre l'écorce du ginkgo biloba sur la place de notre commune. Je demande à cet arbre qu'il me communique de son huile essentielle, qui est de résister au feu du nucléaire, feu de l'anéantissement du sens de l'humain.
Et je vais causer aussi avec le petit ginkgo biloba que nous avons planté le 9 janvier de cette année. Je trouve qu'il pousse bien dans ce sens-là, de la résistance à la violence et je lui dis en l'admirant, combien les enfants de l'humanité que nous sommes, ont grand besoin de ce qu'il nous donne.