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31 octobre 2023 2 31 /10 /octobre /2023 13:10

Francoise Bouchet-Saulnier Conseillère Stratégique MSF en droit international humanitaire

L’attaque et les massacres perpétrés par le Hamas sur le territoire et des civils israéliens a déclenché une nouvelle phase d’un conflit armé existentiel qui dure depuis l’origine de la création de l’État d’Israël et qui l’oppose à l’État palestinien dont l’existence dans des frontières déterminées n’est toujours pas résolue. La riposte militaire israélienne sur Gaza est autorisée par le droit international au titre de la légitime défense et par le droit des conflits armés, mais uniquement dans le cadre de règles impératives concernant la conduite des hostilités et l’accès au secours pour les populations civiles.

 

C’est à ce moment précis de l’histoire que la situation locale et mondiale a chaviré dans une surenchère cacophonique de prises de position qui convoquent le droit international, la souffrance et les crimes à l’appui d’une légitimité élargie du recours à la force contre un ennemi criminel et terroriste. Or c’est aussi le logiciel de la souffrance des civils de Gaza, victimes du blocus et des bombardements israéliens, qui alimente de son côté la justification du recours à la violence des groupes armés palestiniens. Ce logiciel de la souffrance atteint la limite des capacités humaines et sociales et nous enferme dans une spirale de violence politique et militaire mortelle.

 

L’importance donnée aux qualifications criminelles commises par les deux parties est stérile au moment où la mort et la désinformation s’affrontent sur le champ de bataille. La gravité de la situation impose à chacun, et particulièrement aux dirigeants politiques, de ne pas se tromper de combat, de ne pas se tromper de droit. Le droit pénal ne ressuscite ni les gens ni les peuples. L’urgence est donc d’invoquer le droit qui peut les empêcher de mourir maintenant.

 

L’objectif du droit international humanitaire, aussi appelé droit de la guerre et droit des conflits armés, n’est ni la paix ni la justice. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il a intégré l’obligation de secours humanitaire dans toutes les formes de conduite des hostilités. Il a aboli la notion de guerre juste en affirmant que quelle que soit la justesse de la cause défendue et la nature de l’adversaire, le recours à la force était limité et devait permettre les secours humanitaires. Ce droit ne promet pas le paradis, mais il donne un langage commun et un cadre pour permettre aux civils et aux secours de coexister sur le champ de bataille et de survivre aux conflits. Le rôle des organisations humanitaires n’est pas de croire au droit ou de pleurer sa violation ; c’est de le demander au jour le jour, auprès des armées ou des groupes armés qui contrôlent des territoires et des populations. Ces règles n’appartiennent pas qu’aux humanitaires ou aux victimes, elles sont d’abord la responsabilité de tous les États.

 

Il est tentant de prétendre punir. Il peut sembler dérisoire de parvenir à faire passer quelques camions de secours à Rafah. Mais la première responsabilité de tous les États, c’est de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire. On connaît tout ce qui oppose les États et les divise au sein de l’ONU, mais il est indécent de noyer l’impératif humanitaire en le subordonnant à des marchandages politiques plus larges. Le droit international humanitaire impose d’autoriser l’entrée des biens essentiels à la survie de la population et du personnel de secours humanitaire et médical dans Gaza. Il impose aussi de limiter le recours à la force pour éviter les pertes civiles. L’argument de la présence de combattants au milieu des civils n’autorise pas à traiter un espace urbain en cible militaire. Le droit international humanitaire interdit les prises d’otages mais il ne permet pas de conditionner les secours à leur libération.

 

La gravité de la situation impose de ne pas se tromper de combat et donc de ne pas se tromper de droit. Le droit humanitaire constitue un des rares langages communs assumés par des puissances qui s’affrontent par ailleurs sur tous les autres sujets. Le soutien de la Russie, de la Turquie et de la Chine au respect du droit humanitaire dans le conflit en cours à Gaza n’est pas pur cynisme mais un hommage au pragmatisme de ce droit, à son utilité face au vertige du chaos, ainsi que la preuve qu’il n’appartient pas qu’à l’Occident.

 

Il est inquiétant que ce droit reste perçu uniquement dans sa dimension répressive et qu’il alimente des discours désabusés sur son échec à punir les crimes. Cette paresse d’enfants gâtés de la paix nous prive d’un outil puissant pour continuer à penser et agir dans un monde fragmenté et violent.

 

L’échec de la communauté internationale n’est pas celui des instances telles que l’ONU mais réside dans la constitution de blocs d’États divisés, entre ceux qui ne reconnaissent pas l’existence de l’État d’Israël et ceux qui ne permettent pas à la Palestine d’exister dans des frontières reconnues. Ce n’est donc pas la légitime défense mais l’existence même des États concernés qui est en jeu dans cette double guerre existentielle qui doit être reconnue et gérée en tant que telle.

(1) Autrice du Dictionnaire pratique de droit humanitaire, La Découverte, 760 p., 59.90 €.

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commentaires

M
quel malheur pour tout le monde,ou que l on soit
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  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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