Dole-Dampierre, le 18 juillet 2019
Comme plus de 2 millions de jeunes de 20 ans, mon pays, la France m’a envoyé faire la guerre en Algérie, soi-disant pour maintenir l’ordre, qui était un désordre établi, le désordre de l’injustice par l’expulsion.
En effet, parmi tous les crimes et les exactions que l’état et l’armée nous ont obligés d’accomplir, j’ai participé à des opérations qui ont consisté à expulser de leurs mechtas des centaines et des milliers de familles. Nous les parquions de force (manu militari) dans des camps de regroupement, selon le plan du général Challes. Ce n’était pas pour leur sécurité, mais afin d’empêcher leur résistance à l’occupant (nous, soldats français) Ainsi, serions-nous plus forts, pensait le président De Gaulle, à la table des négociations qui se préparaient.
Je n’ai pas pu empêcher les expulsions ni m’y opposer, j’ai été forcé d’y prendre part, puisque nous traquions ceux qui se cachaient pour y échapper.
Je n’ai trouvé que quelques petits créneaux pour amoindrir ces actes barbares.
- En Kabylie, avec une humble audace, j’ai traversé à pied un oued où nous avions poussé femmes et enfants afin de les livrer à une autre compagnie qui les attendait sur l’autre rive. Dans la bousculade, une maman s’est mise à crier : elle avait perdu les quelques affaires qui appartenaient à ses enfants et à elle. Ses affaires étaient restées de ce côté-ci de la rive. J’ai traversé l’oued pour les leur rapporter.
- Dans l’Ouarsenis, avec un camarade, j’ai enterré un résistant que nous avions tué en embuscade pendant la nuit. Une loi parachutiste nous empêchait d’enterrer les gens tués dans ces conditions, nous devions les laisser pourrir sur le terrain.
- En petite Kabylie, je me suis opposé, j’ai empêché le viol d’une femme par un des camarades de ma section. Il venait de la déshabiller violemment devant ses deux filles. Elle était revenue chercher des olives dans son champ vers sa mechta dont elle avait été expulsée et qui était déclarée en zone interdite.
- J’ai refusé de manger de la viande de mouton qu’un groupe de mes camarades venait de voler à un petit paysan. Nous venions de l’expulser de son village.
Aujourd’hui, 17 familles de migrants commençant à s’insérer dans notre pays Dolois, sont expulsées de notre sol.
Je dénonce l’acte grave que nous laisserions les forces de l’ordre exécuter l’expulsion, justifiant leur acte derrière des lois injustes.
Une seule loi régit notre attitude en humanité : l’HOSPITALITE !
Ainsi le décrète l’Organisation des Nations Unies. Toutes les autres lois que nous promulguons en dépendent.
Aujourd’hui, je peux et je dois m’opposer à de telles exactions. En Kabylie et dans les Aurès, prisonnier de l’ordre militaire auquel l’état avait donné tous les pouvoirs, je ne le pouvais pas.
Aujourd’hui, je peux et je dois m’opposer à de tels faits inhumains.
A l’impossible ne sommes-nous pas tenus ?
Je donne les clefs de ma maison – dont on a pu réparer une partie après l’incendie – à une famille expulsée.
Je dors sous une tente devant les trois instances que sont l’Eglise, la Sous-Préfecture et la Mairie, tant qu’elles ne se seront pas concertées, pour stopper l’arrêté d’expulsion, espérant être rejoint par tous ceux qui le peuvent.
Aujourd’hui, je peux et je dois m’opposer à l’expulsion de ces familles.
En conscience, je m’engage moi-même à commettre un acte de désobéissance civile à ces lois injustes et j’appelle à faire de même.
« Il est parfaitement exact de dire, et toute l’expérience historique le confirme, qu’on n’aurait jamais atteint le possible si on ne s’était pas toujours et sans cesse attaqué à l’impossible. »
Cette parole de Max Weber, nous appelle dans le sillage de Marcel Blondeau et de Gretta Tuhnberg, à dire et à vivre qu’ « A l’impossible, nous sommes tenus »
Lucien Converset