Dampierre, le 17 septembre 2018
Monsieur le Président de la République,
Quelle émotion porteuse de paix et de justice vous nous avez donné, à nous qui avons malheureusement fait la guerre d’Algérie, lorsque nous avons appris que vous êtes allé rendre visite à l’épouse de Maurice AUDIN.
Dans votre visite et dans la lettre que vous avez portée à Madame AUDIN et à ses enfants, vous reconnaissez au nom de la République, le combat qu’ils ont mené avec tout un collectif de personnes depuis soixante et un ans, pour que la vérité soit faite sur la mort de Maurice AUDIN. Après leur avoir demandé « pardon », vous reconnaissez que « Maurice AUDIN a été torturé puis exécuté, ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile … si la mort de Maurice AUDIN est en dernier ressort le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué … le système arrestation-détention, mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période. Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture. En échouant à prévenir et punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre … ce système s’est institué sur un fondement légal »
Avec beaucoup de gens de notre République dont Monsieur Pierre LAURENT du parti communiste, nous saluons votre geste de président comme « une victoire historique de la vérité et de la justice »
Avec Madame Raphaëlle BLANCHE, nous nous félicitons que ce soit « la fin d’un mensonge d’état »
Avec Monsieur Benjamin STORA, nous pensons que « votre déclaration laissera une trace ineffaçable pour nous encourager dans la compréhension de notre passé, à parler de nos souffrances », de ce qui continue à torturer nos consciences d’hommes qui avons malheureusement fait cette guerre d’Algérie, et aussi la conscience de milliers d’hommes et de femmes de bonne volonté.
Justement Monsieur Cédric VILANI dit et nous le disons avec lui : « Grace à votre déclaration, c’est un soulagement, un moment historique, l’accomplissement d’une démarche qui permet enfin à la France de regarder en face, une partie de son histoire »
Mais, Monsieur le Président, il y a une autre partie de l’histoire de la France qu’il nous faut regarder en face, et ne pas attendre soixante et un ans pour le faire. C’est celle que nous sommes en train de vivre et de réaliser. Il y a quelque chose qui nous torture et nous abîme, et qui a son origine dans les décisions et les actes institutionnels de l’Etat. Vous en êtes le Président et nous les membres. C’est le fait de décréter et imposer que notre système de défense repose sur la menace de mort nucléaire et cela depuis autant d’années que ce qui « a justifié » la manière dont s’est faite « la bataille d’Alger »
Monsieur Maurice AUDIN et des milliers d’hommes et de femmes ont été torturés entre les années 1954 et 1962. Les essais nucléaires et l’éclatement de la bombe atomique de REGANE dans le Sahara ont eu lieu en même temps.
Nous ne sommes pas d’accord de continuer à maintenir que vous ayez, Monsieur le Président, les pleins pouvoirs, ni vous ni qui que ce soit, de menacer de détruire une partie de l’humanité et de la planète et d’essayer de prouver à l’opinion publique que c’est ainsi que peut se réaliser la défense de la France.
En 1956-1957, au cœur du drame algérien, les pouvoirs spéciaux de police n’auraient jamais dû être donnés à qui que ce soit et à plus forte raison à l’armée. Vous dites en effet que ce système légalement institué a favorisé la disparition, et a permis les tortures d’une multitude d’hommes dont celle de Maurice AUDIN. De même, nous ne devrions jamais détenir le pouvoir de détruire l’Humanité de quelque manière que ce soit. A plus forte raison, en fabriquant des armes nucléaires et en nous faisant croire que notre défense repose dans le pouvoir que nous nous octroyons de nous en servir pour détruire une partie de la planète.
Monsieur le Président, nous sommes une multitude de membres de la République à faire partie d’associations telles que le MAN, l’ADN, Stop Nucléaire etc … dans lesquelles nous vous demandons de manière instante et urgente, un geste, une parole, une décision semblables à celles que vous venez de prendre, à propos de ce que la France a fait de manière légale en Algérie particulièrement pendant la bataille d’Alger durant l’année 1957.
Arrêtons dans l’immédiat l’armement nucléaire de la France de manière unilatérale. Cette décision de stopper la fabrication des armes nucléaires et d’arrêter de nous menacer de nous servir de telles armes, c’est ce que nous attendons de vous, Monsieur le Président, aujourd’hui même, sachant que nous sommes en train de faire l’inverse de ce que nous avions promis dans le concert des Nations en signant le traité de non-prolifération des armes nucléaires ( TNP)
Le terreau dans lequel l’arme nucléaire continue de proliférer est un terreau légal, décrété par le parlement, le gouvernement, la présidence de la République, la vôtre et celle de vos prédécesseurs.
C’est ce que nous vous demandons de stopper. Nous cherchons de l’argent en France pour vraiment faire la guerre à la pauvreté et à la misère comme le disait l’Abbé Pierre. Arrêtons de dire qu’il n’y a pas d’argent pour stopper la pauvreté. Quand on dit cela, c’est un mensonge d’état. En effet, l’argent de l’Etat est pulsé dans l’armement nucléaire, sachez Monsieur le Président, que là aussi nous attendons de vous un geste historique. En arrêtant de verser l’argent du peuple français dans le nucléaire, nous pourrons éradiquer dans l’immédiat la pauvreté et l’illettrisme.
Recevez, Monsieur le Président, mes sentiments respectueux et reconnaissants.
Lucien Converset