Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 février 2022 4 03 /02 /février /2022 21:16
Reconnaissance

Dampierre. Noël 2021


OU EST-CE QUE PEUT BIEN CRECHER CELUI QUI VA DONNER SENS À NOS VIES ?

 

Ne sommes-nous pas plusieurs centaines de personnes du secteur NORD-JURA à être venues à EVANS durant le temps de NOËL, du 18 au 28 décembre 2021 ? Nous répondions à l’invitation d’une petite équipe de gens de ce village autour de Charles et Gérard, nous disant : « Venez voir dans l’écurie de la ferme de la famille HUDRY comment des artisans-artistes de tous âges ont fabriqué, modelé et peint de leurs mains et de leurs cœurs la façon dont ils pensent que s’est réalisée la naissance de Jésus dans la crèche. J’avais compris à travers ce que m’exprimaient les membres de cette équipe animatrice, qu’une grande joie nous serait donnée en venant reconnaitre ce que d’autres avaient fait. Je ressentais quelque chose qui devait ressembler au tressaillement qui avait dû habiter le cœur des bergers des environs de BETHLÉEM et l’âme des mages du lointain ORIENT. Les bergers et les mages étaient les uns et les autres des chercheurs. Afin de trouver sens à leur existence, ils avaient senti qu’un « déplacement » était à opérer dans l’agencement de leur vie et que du temps était à prendre pour y parvenir. Alors ils s’étaient mis en route.


Avec quelques amis et leurs enfants, nous décidions d’atteler les ânes GAMIN et RAMEAUX à la charrette et d’emprunter « le chemin des ouvriers » qui relie DAMPIERRE à EVANS par les champs qui s’étendent entre nos deux villages.
Lorsque j’étais enfant, c’est par ce chemin-là que mon papa m’emmenait avec lui, le temps de semailles étant venu. Il allait aider des amis paysans à semer leur blé. Il m’asseyait sur le semoir tiré par le cheval Coco et me mettait les guides du cheval entre les mains. Qu’est-ce que j’étais heureux ! Je ressentais le bonheur d’être un peu, moi aussi, « le semeur »
C’était déjà par ce chemin caillouteux que de nombreux « paysans-ouvriers » étaient passés afin de se rendre à leur travail ou en revenir. Ils avaient transporté le fer à l’état brut qu’ils avaient extrait des coteaux entourant le village des MINERAIS. Ils devaient être déjà très fatigués lorsqu’ils parvenaient avec leur chargement aux forges de FRAISANS. C’est qu’il en venait du monde travailler aux abords de ces hauts-fourneaux. Il en est sorti du fer de tous ces ateliers, afin de construire des ponts reliant les humains qui nous mirent au monde.

 

Durant ce trajet de DAMPIERRE à EVANS, c’était encore sur le même chemin que nous nous racontions ce qui faisait les joies et les difficultés de nos vies. Combien de projets n’avaient pas pu se réaliser par des adolescents en raison de perturbations venant du coronavirus. Nous constations que beaucoup de nos amis et nous-mêmes avions tendance à rester enfermés chez nous. Nous comprenions la peur des autres. Nous sentions bien qu’elle nous guettait tous. Mais nous sentions aussi que la petite fille ESPÉRANCE cherchait à nous rattraper.
Le long de ce chemin je pus partager les épreuves qui me touchaient de très près. Le frère Jean-Pierre SCHUMACHER était mort le 22 novembre, il y avait juste un mois. Comment assumer l’héritage de la non-violence dont il nous avait dotés en communion d’esprit avec ses frères de TIBHIRINE ? Ça pouvait être merveilleux en ces temps où nous nous sentions agressés de toutes parts et tentés d’être agresseurs nous-mêmes vis-à-vis des gens venant barrer le chemin de nos engagements et actions. Il nous apparaissait difficile d’être non-violents.
En ce temps de Noël, c’était de naissance et de vie que nous voulions pouvoir parler, « de ce Verbe qui s’était fait chair et de cet enfant nouveau-né qui nous est donné » Et c’était pendant ce cheminement qu’arrivait la mort de notre ami Jean-Marie MULLER, fondateur du mouvement pour une alternative non-violente, le M.A.N.V., auteur du livre « l’ Évangile de la non-violence ». Peu de temps après la mort des moines de TIBHIRINE, Jean-Marie avait écrit le livre où il nous indiquait le chemin et la stratégie qu’avaient empruntés et créés les membres de cette petite communauté monastique avec les gens du village et ceux des environs. Et Jean-Marie MULLER avait dédicacé ce livre à notre ami Gaby MAIRE, assassiné au Brésil le 23 décembre 1989. Avec Gaby j’avais appris à marcher dans le sillage de Jésus, celui-là vers lequel nous orientons nos pas, en allant à la crèche d’EVANS. Gaby avait dit : « Je préfère une mort qui mène à la vie plutôt qu’une vie qui mène à la mort. »
Et il avait vécu ce qu’il avait dit.


Les sentiments dont j’essayais d’imprégner mes paroles et mes attitudes à l’égard des personnes avec qui je marchais en direction de la crèche étaient des sentiments de RECONNAISSANCE. Qu’est-ce qu’il est beau ce mot qui surgit dans nos êtres, lorsque tout en marchant nous ressentons que c’est grâce à d’autres que nous sommes en capacité de lutter contre l’emportement, la haine et toutes sortes de violences. J’adore ce mot RECONNAÎTRE, car je crois que le VERBE y habite. 
C’est dans cette façon de marcher et de vivre que « le Verbe est en train de se faire chair » 
L’attitude de « RECONNAISSANCE » nous indique le chemin à emprunter afin que se réalise une naissance ou bien une renaissance. Tout cela apparaît grâce à une connaissance.

 

Nous étions heureux d’aborder les premières maisons du village d’EVANS et d’entendre des gens nous dire « On ne vous demande pas où vous allez avec vos ânes ! Vous allez à la crèche. » Nous commencions à croiser beaucoup de gens qui sortaient de cet endroit magique qui avait tant enchanté mon enfance. Des gens nous disaient : « C’est vraiment l’endroit où il fallait venir avec vos enfants et vos ânes ». En approchant de l’écurie où nous allions pouvoir nous émerveiller de la façon dont beaucoup de gens ressentent et expriment ce que dit au monde cet acte de la naissance de Jésus ?
Il me revient que des petites chaînes dont une extrémité est scellée dans le mur, pendent de chaque côté de la porte d’entrée de l’écurie. J’en connaissais la disposition depuis que j’étais gamin, car c’était là que nous fixions le mousqueton des licols des chevaux avec lesquels nous venions travailler avec mon papa. Je suis heureux d’y accrocher celui des licols de nos ânes.

 

Nous entrons alors dans l’écurie.
Enfant j’y avais vu les fils de la famille HUDRY travailler avec mon papa à soigner les animaux de la ferme. J’avais aimé la belle façon dont s’y accomplissait ce travail.
Et aujourd’hui dans une ambiance lumineuse et festive voulait se maintenir en humilité le travail des auteurs de ces nombreuses crèches se dévoilant sous nos yeux. Au fur et à mesure que nous avancions dans cette écurie toute transformée, notre admiration de ces œuvres était accompagnée des explications des réalisateurs eux-mêmes. Ce n’est pas tous les jours, qu’en admirant des œuvres d’art, nous ayons à nos côtés les personnes réalisatrices de l’ouvrage. Échanges qui surgissaient de toutes parts entre les visiteurs-mendiants que nous étions et les réalisateurs qui tentaient de répondre à nos questionnements, ou d’écouter nos paroles d’estime. Il se répandait entre nous tous, quelque chose qui avait trait à la RÉCEPTION d’un trésor qui nous concernait tous, d’un héritage dont nous étions tous appelés à devenir bénéficiaires.


Dans l’église du village d’EVANS le tintement des cloches de l’ANGELUS n’allait pas tarder à communiquer à toute volée « ces choses cachées depuis le commencement du monde… » dévoilées et développées dans l’écurie de la ferme voisine. Le prophète Isaïe avait commencé de nous révéler ce fait mystérieux : « C’est une Vierge qui enfantera notre sauveur. C’est dans un climat de non-violence que nous parviendrons à la Paix. C’est avec le fer de vos armes qu’il vous faudra forger le soc de vos charrues ».


Les cloches continueraient à nous faire vibrer d’émotion en nous annonçant cette bonne nouvelle : « Le petit enfant qui est né dans la crèche de l’écurie est le fils de Dieu… LE VERBE S’EST FAIT CHAIR pour que, de notre chair blessée jaillisse une parole qui nous libère ». Il nous revenait sur le chemin du retour ce que notre pape François nous raconte dans sa lettre « FRATELLI TUTTI ». Ii écrivait que nous sommes à un moment de notre Histoire où nous avons les capacités inventives et le devoir d’arrêter ce fait scandaleux, que des parents soient réduits à ne trouver qu’une écurie, ou la rue, ou la migration comme refuge pour mettre au moindre le fruit de leur amour. « NOEL nous écrivait-il encore, c’est opérer un déplacement dans nos vies pour que toute famille ait un coin de la TERRE où bâtir un TOIT et y exercer un TRAVAIL respectant la dignité de tous. »


Lucien CONVERSET
 

Repost0
26 décembre 2021 7 26 /12 /décembre /2021 22:13

Dampierre, le 19 décembre 2021

   

OU PEUT BIEN CRECHER LA PETITE FILLE ESPÉRANCE ?


La nouvelle est en train de se répandre à plein d’endroits de la Terre des Hommes : en France, en Franche-Comté, en Europe, en Pologne, en beaucoup de carrefours du Moyen Orient, en Inde …

«  Jean-Marie MULLER est mort » 

Et dans l’immédiat un écho se fait entendre : « Continuons de vivre dans le sillage qu’il nous a tracé »
 

Nous voilà recevant un sacré héritage, celui-là de la non-violence portant dans ses bras une petite fille, la petite fille dont parle Charles PEGUY, « la petite fille Espérance »


Cher Jean-Marie,


Dans ta vie de chercheur du sens de notre existence, tu as découvert comme une étoile dans notre univers : c’est la non-violence. Elle a illuminé ta vie.
Et comme tout vrai chercheur, tu as voulu communiquer et partager ce qui t’étais donné.
Ce fut la passion de ta vie.
Nous allons être nombreux à exprimer notre amitié reconnaissante à ta famille, à ton épouse Hélène, à vos enfants Isabelle et Vincent, à leurs conjoints, à vos petits-enfants.
Les équipes d’artisans de la non-violence que tu as suscitées tout au long de ta vie. Vous n’avez pas cessé de nous faire voir la beauté et la vérité de l’héritage qui nous est donné, en même temps que l’urgence de l’exercer, d’en fabriquer une stratégie, afin d’être efficaces le plus vite possible dans l’établissement de la PAIX.
Nous démettre de nos forces de pouvoir, de savoir et d’avoir, afin de les orienter à être au service de l’évolution de notre Humanité.
Tel est l’appel que nous ressentons.


Elle est merveilleuse la mine des trésors de la non-violence dans laquelle tu nous a fait entrer, Jean-Marie, à la suite de TOLSTOÏ, GANDHI, LUTHER KING, BOLLARDIÈRE, Simone WEILL, les MOINES DE THIBIRINE et bien sûr du galiléen JÉSUS, comme tu aimais l’appeler.


Qu’est-ce que c’est beau et source d’engagement ce que tu as ramassé dans tes nombreux livres et dit dans tes multiples conférences, à propos de la vie actée de tous ces humbles témoins-artisans, d’un monde où l’on cherche à faire de la place, d’abord à ceux qui n’ont pas encore trouvé la leur : les petits et les pauvres de nos sociétés, les gens éprouvés et réprouvés. Combien de fois je t’ai entendu appeler toi et nous à cette attitude politique authentique : « après vous, et non pas d’abord nous » Tout cela nous provoquait et continue de nous interpeler à entreprendre de véritables débats. Nous ne pouvons devenir d’authentiques hommes et femmes politiques que si nous faisons de nos ministères des ateliers de service, d’où sortent des décrets débouchant immédiatement dans des actes qui tiennent compte d’abord de la situation des plus démunis …


Avec Jean DESBOIS et Jean-Pierre PERRIN, tu as été traduit au tribunal, parce que vous exigiez la reconnaissance de votre statut d’objecteurs de conscience. Pour cela vous avez dû renvoyer vos livrets militaires. Afin de ne pas renouveler des drames comme celui de la guerre d’Algérie, dont nous sortions, vous avez mené ces actions non-violentes. L’évêque Guy RIOBE d’ORLEANS a su être à vos côtés. Nous avons cherché à faire de même, là où nous vivions. Nous avons senti à travers ce « Procès à ORLÉANS » la nécessité de nous laisser habiter par le souffle de la non-violence. Vous nous avez fait comprendre qu’il en allait de l’avenir de notre Humanité.


En effet une idole était érigée sur les autels des États. C’était la bombe nucléaire. Au regard des détenteurs du pouvoir, nous devions tous nous incliner sous sa protection. Tu as su Jean-Marie nous appeler à la déboulonner. Nous étions de tout notre être solidaires de vos engagements quand avec des gens comme Jacques BOLLARDIÈRE, Jean TOULAT et Brice LALONDE, vous êtes allés dans le Pacifique sur ce petit bateau, le FREE, afin d’empêcher la poursuite de ces actes criminels que sont les essais nucléaires dans l’océan, comme ceux que nous avions commis dans le SAHARA quelques années auparavant. Tu nous a aidés à analyser les causes et les conséquences de ces violences faites à notre Humanité.
En procédant à de tels essais nous détruisons la Terre notre Mère. Nous affamons nos frères et sœurs, en Humanité, en les privant du pain quotidien, et en méprisant leur dignité.


C’est pour enrayer ce désastre, qu’à beaucoup d’endroits se sont constituées de petites équipes du mouvement pour une alternative non-violente, le M.A.N.V. En Franche-Comté, la région où tu es né, nous avons créé un petit groupe d’amis résistants à la violence nucléaire, institutionnalisée par notre État.
Pour avancer dans ton sillage Jean-Marie, nous nous sommes fédérés avec le groupe M.A.N.V.de DIJON. Nous faisons partie d’ICAN. Dans plusieurs villages et villes de notre région, nous plantons de petits GINKGOS BILOBA et avec les conseillers municipaux et le Maire, nous demandons instamment que le Président de la République Française signe le TIAN. Nous demandons l’arrêt de l’armement nucléaire de la France de manière unilatérale.

 

Jean-Marie, ton épouse, tes enfants et petits-enfants ont été présents à tes côtés jusqu’au bout de ta vie.
Ainsi l’héritage de la non-violence dont tes écrits et tes actes étaient porteurs pouvaient continuer à parvenir aux 4 coins du monde.
Je n’oublierai jamais qu’après le drame de l’enlèvement des moines de TIBHIRINE en ALGÉRIE, tu as écrit un livre sur la vie de ces témoins et artisans de la Paix durant les années noires subies par le peuple algérien. Parmi tous les gens que tu as interviewés, il y a le frère Jean-Pierre SCHUMACHER qui vient de mourir un mois avant toi, le 21 novembre.
Tu avais dédicacé et offert ton livre sur les moines de TIBHIRINE, à notre ami jurassien Gaby MAIRE, assassiné le 23 décembre 1989 à VITORIA au BRÉSIL.
Gaby lui aussi, avait voulu donner sa vie à ceux qu’il aimait.


Les paroles mises en actes par tous ces témoins, ne sont-elles pas l’expression de cet évangile de la NON - VIOLENCE que tu as écrit et vécu. Jean-Marie, célébrant et reconnaissant qu’à NOËL le Verbe se fait chair. Notre Humanité ne peut être libérée que si elle se laisse évangéliser par le souffle de la non-violence que nous font respirer les petits et les pauvres.

Merci et amitié reconnaissante à vous Jean-Marie, Jean-Pierre, Gaby et combien d’autres amis de la non-violence, de vous retrouver en ce temps de Noël afin de nous faire voir où crèche la petite fille Espérance.
 

Réjouis-toi Jean-Marie. Le pape François a pris le relais de cet évangile de la non-violence, le chemin de la Paix par le désarmement unilatéral. 
Tu as tellement interpellé les évêques de France, à nous entrainer sur ce chemin de la non-violence, que ça va se réaliser au moment de votre mort Jean-Marie MULLER, Gaby MAIRE, Alice DOMON, Léonie DUQUET, Jean-Pierre SCHUMACHER, Desmond TUTU.

 

Lulu
 

Jean-Marie à Dampierre invité par l’association ADN en avril 2015

Jean-Marie à Dampierre invité par l’association ADN en avril 2015

Les obsèques de Jean-Marie seront célébrées ce 27 décembre à 14h30 à Fleury-les-Aubrais.

Repost0
15 décembre 2021 3 15 /12 /décembre /2021 12:32
Lettre au frère Jean-Pierre Schumacher

Acey, le 21 novembre 2021


« EN FAIT, N’ÉTIEZ VOUS QUE SEPT A TIBHIRINE, DANS LA NUIT DU 27 MARS 1996 ? »


 Le chef du commando qui commet le rapt des moines de TIBHIRINE dans la nuit du 27 mars 1996, s’écrie fortement à un moment en disant :
« Il y en a bien sept ? »


 C’est dans ce brouhaha dramatique que sept frères sont violemment emmenés, probablement par un groupe armé de djihadistes. Leur chef pensait emmener tous les moines du monastère, persuadé qu’ils étaient sept. Ainsi tout cet îlot de résistance non-violente serait annihilé.
 C’est ainsi que les frères Amédée et Jean-Pierre ne furent pas emmenés. Pourquoi les mains des ravisseurs ont tickletté à la porte de leur chambre à l’un et l’autre, et ne sont pas allés plus loin afin de les chercher et de les emmener avec les sept autres.
 Cette question a dû longtemps tarauder vos êtres chers Amédée et Jean-Pierre… Ça a dû tirailler dans le fond de vos consciences jusqu’au moment de votre mort, la tienne en 2008 Amédée et la tienne Jean-Pierre, aujourd’hui 21 novembre 2021.


Jean-Pierre, nous venons d’apprendre ta mort dans l’enceinte de l’ABBAYE D’ACEY par les frères moines. C’est eux, Benoit, Jean-Marc, Philippe, Bernard, Godefroy et tous les autres… ils avaient été les facilitateurs des liens indéfaisables de l’amitié qui commença de naître entre vous et nous. Comment avait bien pu naître et apparaître cette relation ?


 Un peu, beaucoup, comme si l’eucharistie du dimanche devait se continuer par le repas, Godefroy, nouvel abbé, et les autres frères nous avaient invités quelques hôtes de passage et moi, à partager leurs agapes du dimanche dans leur salle à manger.
 Nous étions en train de manger et apprécier le repas préparé par le frère Julien et servi par le frère Jean-Marc. Je venais de dire avec estime à Julien : « C’est toi qui a préparé cette choucroute pour nous tous avec les légumes de votre jardin… » Julien en compagnie de Jacques et Marie-Bernard, les autres frères avec qui nous mangions… recevaient avec le sourire ce que je tentais de leur dire… lorsque Godefroy agita une petite clochette… Tout le monde se tut. Il avait quelque chose de très important à nous confier, qui venait de lui être apporté : « Le frère Jean-Pierre Schumacher, un de nos frères de Midelt, vient de mourir… » Une émotion profonde gagna le fond de nos êtres à tous…


 Comme dans l’eucharistie, nous prenons conscience en entendant cela que Jean-Pierre semence, fils du meunier de Moselle, tombait en terre beaucoup imprégnée de l’Islam, tel un grain de blé. Jean-Pierre retrouvait ses frères de Tibhirine. Ils n’étaient donc pas rien que sept dans la nuit du 27 mars 1996 à Tibhirine .
 Debout dans la salle à manger afin de nous trouver en réception de cette annonce de ta mort Jean-Pierre … on resta ainsi quelques instants… J’ exprimai aux frères de l’abbaye d’Acey ma reconnaissance pour les liens créés avec toi Jean-Pierre et ma découverte grâce à ce que tu nous avais offert lors de nos rencontres avec toi à Midelt et à Oran, lors de la béatification des sept frères et de leurs 12 compagnes et compagnons.


 Qu’est-ce que Jean-Pierre, tu nous as donc fait découvrir : que nous sommes les héritiers de la non-violence vécue et offerte par tous ces témoins.
 Puis tout le monde s’est rassis à table. Chacun de nous se mit sans doute à écouter les autres raconter comment ils avaient connu les moines de THIBIRINE, et parmi eux Jean-Pierre.
Je racontai un peu à Jacques, Julien et Marie-Bernard et un autre frère, comment cette livraison d’un tel héritage nous était parvenue. Mais très vite d’autres faits surgirent dans l’échange de nos mots et dans la continuation du partage du repas … Je ne tardai pas à trouver un moment, un lieu, un cahier et un crayon et essayer de ramasser comment tout cela nous est parvenu.


 A mon retour de BETHLEEM, afin de continuer à nous démunir de nos violences, je partis avec des amis pour l’Algérie et particulièrement pour TIBIRINE. C’était avec Bernard et Nelly, leur fils Luc, leur frère Claude et moi. C’est Jean-Marie LASSAUCE qui nous conduisit de l’évêché d’Alger jusqu’à THIBIRINE. Quel guide que ce jardinier !
 Les ravisseurs avaient enlevé vos sept amis moines, mais ils n’avaient pas pu détruire l’héritage de la non-violence que vous nous laissiez.


 Au printemps 2014, avec les amis, tout en plantant des pommes de terre dans le jardin irrigué par la source d’en contre haut qui ne tarit jamais, nous apprenions par Jean-Marie LASSAUSSE, qu’Amédée et toi Jean-Pierre, vous aviez dû, au lendemain du rapt de vos sept frères, quitter THIBIRINE pour ALGER.
C’est là qu’Alphonse GEORGER vous accueillit à l’évêché-bibliothèque d’ALGER. Puis vous avez quitté l’ALGERIE pour le MAROC, tout d’abord à FEZ puis à MIDELT.


 C’est grâce aux frères Benoit et Jean-Marc de l’abbaye d’Acey que je me mis en route pour le Maroc en 2015.
 Ne pouvant garder rien que pour moi ce que je découvrais en t’écoutant Jean-Pierre, nous faire prendre conscience que l’héritage de la non-violence n’est pas l’affaire que de quelques-uns mais qu’il est offert à tout le monde. Afin de recevoir cet héritage nous avons organisé en direction du lieu où tu habitais avec quelques autres moines, un voyage dans lequel nous sommes toujours en train d’opérer des déplacements.


En effet il est nécessaire de souvent se remettre en cause, si l’on est déterminé ã continuer de naître à la non-violence.
 Partant pour la capitale de la Pomme au Maroc, MIDELT, nous avions expédié les outils nécessaires à la réalisation du jus de pomme dans ce monastère où Jean-Pierre et quatre autres moines vous viviez à travailler et prier ensemble, essayant de réaliser comme une résurgence de TIBHIRINE en Algérie à MIDELT au Maroc.


 Quel accueil vous nous avez fait, Jean-Pierre, toi survivant de TIBHIRINE, rescapé… moine… membre de la communauté désormais appelée monastère de NOTRE DAME DE L’ATLAS.
Nous sentions dès notre arrivée que toi Jean-Pierre avec tes frères Antoine, Luiz, Nuno et Jean-Pierre Flachaire le prieur, vous vouliez humblement être comme un trait d’union entre l’Algérie et le Maroc.
 Oh les moments que nous avons vécus avec vous tous, dans le parfum des repas et du thé à la menthe préparés par BAHRA et OMAR, les moments où c’était avec toi Jean-Pierre que nous vivions particulièrement le partage, étaient rudement attendus.
 Très vite tu nous avais fait prendre conscience que quand on se reconnaît reliés à Jésus-Christ et à la condition humaine toute entière, une sève originale nous est communiquée. Nous touchons un héritage, celui-là de la non-violence.


 Beaucoup de transformations de nos comportements et de nos êtres trouvèrent et prirent leur origine dans les partages réalisés avec toi et nous tous, Jean-Pierre. On ne revint pas comme nous étions partis ! Nous osions davantage aborder et entreprendre de nous défaire et démunir de nos violences.
« Comment dois-je me comporter en face de celui qui m’a fait beaucoup de mal ? Est-ce que je suis appelé à aller jusqu’au pardon ? Ne dois-je pas entrer en résistance lorsque les structures étatiques des pays dans lesquels je suis, deviennent emprisonnantes. Comment résister et nous démunir de ce dont le pays auquel j’appartiens, menace de mort nos compatriotes et les peuples de toute la Terre ?


 L’héritage de THIBIRINE auquel Jean-Pierre nous avait fait accéder durant ce séjour du 9 au 16 septembre à Midelt était lourd à porter dans l’avion de retour. Nos prises de conscience ne nous permettaient pas de nous en délester en faisant croire qu’on le partagerait. C’est en continuant à le vivre que l’on pouvait donner goût à d’autres d’entreprendre de recevoir cet héritage.


 Cela nous aida à accueillir et recevoir le témoignage de Fadila Semaï dans son livre interpelant « L’ami parti devant »
 D’appels en appels il nous fallait aller recevoir les paroles actées de tous « ces témoins partis devant » C’est ce que vivait Jean-Pierre. C’est ce que nous devrons vivre. Fadila et Rachel m’aidèrent profondément à avancer dans cette direction, ainsi que beaucoup d’autres personnes jusqu’à ceux-là dont on ne s’attendait pas que c’étaient eux qui pouvaient nous aider à changer et nous convertir.


 C’est beaucoup grâce à Zohra et Kheidi et leurs cousins d’Oran, que nous avons pu, le frère Jean-Marc abbé d’Acey et moi, participer à la BEATIFICATION le 8 décembre 2018 dans l’église SANTA CRUZ d’ORAN. Ces deux femmes musulmanes avaient dit : « On fera tout pour que vous soyez dans l’église à ce moment-là »
 J’étais heureux durant la béatification des moines de THIBIRINE et de leurs 12 compagnes et compagnons, des 114 imams qui eux aussi donnaient leur vie pour ceux qu’ils aimaient pendant les années noires … Au cours de la célébration et reconnaissance de ces événements ensemençant la Terre de paix, quel bonheur de me trouver à vos côtés Jean-Pierre et Nuno, à ta droite Jean-Pierre, comme la parole de la bible l’exprime « à la droite du Père »


 Au retour de MIDELT et d’ORAN (la béatification des 19 témoins) nous avions continué de nous écrire avec Jean-Pierre grâce à la médiation de :

Rosaline et Rosine
François et Alphonse
Jeannot et Alain
Rachel et ses parents Jacques et Elisabeth
Roberte et Patrice
Luc et Marc
Maguy et Bernard
Frère Benoit et Antoinette.


Nous avions continué à tendre la voile de nos embarcations en direction des personnes déshéritées, parce que, ne se sachant pas héritières de ce trésor de la non-violence.
Et c’est un peu, beaucoup, que Rachel fut dotée par toi Jean-Pierre, de ce souffle de TIBHIRINE lorsqu’elle entreprit son voyage en août 2018. Nous en aurons des échos intenses et profonds dans son livre qui va paraitre bientôt.


 Le pape FRANCOIS et toi Jean-Pierre, vous étiez humblement rayonnants lorsque vous vous êtes déplacés l’un et l’autre pour vous embrasser, lors de sa venue au Maroc le 31 mars 2019. Lui et toi vous nous portiez dans vos cœurs. Nous vous sentions « investis par le don de l’Esprit, dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion, et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences ».


 Mardi ton corps reposera dans le petit cimetière de Midelt, au pied du jardin de Notre Dame de l’Atlas, que surent si bien entretenir Bernard et Marc.
 Amédée et toi vous étiez bien à TIBHIRINE. Nous savons maintenant pourquoi en 1996 vous n’avez pas été pris cette nuit-là.


 Vraiment quand nous irons nous recueillir sur ta tombe à Midelt Jean-Pierre, nous penserons à Amédée dans sa tombe à Aiguebelle, aux sept autres de vos frères à THIBIRINE et nous croirons, et nous croyons déjà aux résurgences les uns des autres, qui sont suscitées sous le souffle de l’Esprit. Déjà vous nous aidez à nous remettre debout et à lutter de manière non-violente pour que place soit faite à ceux qui sont arrachés de chez eux. Travaillons afin que plus aucune guerre ne conduise l’Humanité à l’abîme.

 

Frère Jean-Pierre,
Voici qu’il t’est donné, dans l’acte de ta mort, de rejoindre tes frères de Tibhirine.
Et comme le disait Christian de Chergé dans votre testament,
tu vas pouvoir plonger tes yeux dans ceux de Dieu notre Père et regarder les enfants de l’Islam comme il les regarde.
Depuis là où tu es, envoie de temps en temps quelques messages et signes, afin que dans les affrontements entre les peuples dans lesquels nous sommes plongés, nous apprenions à nous envisager les uns les autres, avec la même clairvoyance qui vous habite, frères de Tibhirine. 

 

Repost0
13 janvier 2019 7 13 /01 /janvier /2019 11:00

Notre-Dame de l'Atlas - Midelt (Maroc)


Bien chers parents, amis, frères et soeurs, Paix et Joie à vous tous !


L’année 2018 a été pour nous un beau cadeau du ciel, tout enveloppé de la grâce de la Béatification de nos sept Frères Bienheureux Martyrs. Le 26 janvier, le Pape François signait à Rome le Décret de Béatification des 19 martyrs d’Algérie. Le 8 décembre, sept frères de Notre-Dame de l’Atlas étaient présents à Oran pour participer à cet événement majeur pour l’Eglise, pour notre Ordre, et pour nous-mêmes en tant qu’héritiers de nos Frères martyrs. En annexe, vous trouverez un bref récit de notre pèlerinage de Midelt à Tibhirine.


La présente lettre circulaire se veut une action de grâces pour les bienfaits que le Dieu de Miséricorde a répandu sur notre communauté au cours cette bienheureuse année.


Action de grâces, d’abord, pour la bonne santé de nos deux Pères Jean-Pierre, si éprouvés en 2017, et qui leur a permis de voyager en Algérie.


Action de grâces, ensuite, pour l’ordination épiscopale, le 10 mars, du nouvel Archevêque de Rabat, Mgr Cristóbal López Romero. Ce religieux Salésien avait déjà servi l’Eglise au Maroc, entre 2003 et 2010, en tant que membre de la communauté de Kenitra et directeur de l’Ecole Dom Bosco. Voici l’une des premières paroles de notre évêque : « Ma mission n’est pas de faire l’Eglise, mais de construire le Royaume de Dieu, plein de paix, de justice, de liberté, de vie, de vérité et d’amour ».


Action de grâces pour la Profession Solennelle de notre Frère Nuno de Sao José, le 31 mai, Fête de la Visitation. Moment fort pour notre communauté qui a rassemblé plus d’une centaine de personnes, parents et amis, chrétiens et musulmans, au monastère. La dernière Profession Solennelle pour Notre-Dame de l’Atlas remontait à 1991, celle de Frère Paul, à Tibhirine.


Action de grâces pour les fruits de la Visite Régulière réalisée, au début du mois d’août, par Dom Benoit, Père Abbé de N.-D. de Timadeuc, délégué par notre Père Immédiat démissionnaire, Dom Eric, d’Aiguebelle. Au cours de cette visite, le 6 août, Fête de la Transfiguration, Frère Antony s’est engagé dans notre communauté par le changement de sa stabilité. Dom Daniel, son ancien Père Abbé au monastère de Caldey, nous a honorés de sa présence.


Action de grâces, encore, pour la réalisation d’un projet que nous attendions depuis longtemps. Une très belle et significative rencontre de trois jours avec des amis musulmans soufis, à Fès, lors du Festival de la Culture Soufie. L’organisateur de cet événement, Mr. Faouzi Skali, nous avait rendus visite en début d’année et avait sollicité notre présence. Fin septembre, nous sommes donc partis quatre frères dont notre aspirant espagnol, Alberto qui, quelques jours plus tard, le 6 octobre, commençait officiellement son postulat à Notre-Dame de l’Atlas.


Pour l’année 2019, nous avons le projet d’aménager un beau mémorial en l’honneur de nos Frères Martyrs, dans l’enceinte du monastère. Une célébration de leur Béatification aura lieu chez nous pour l’Eglise du Maroc et nos nombreux amis musulmans. Notre Eglise se prépare également à accueillir le Pape François qui visitera le Maroc les 30 et 31 mars prochain. Inch’Alla !


Nous ne pouvons pas terminer cette lettre sans évoquer avec une profonde émotion notre Frère Amédée, en cette année de son 10e anniversaire de sa naissance au Ciel.


Les Frères de Notre-Dame de l’Atlas vous souhaitent un Joyeux Noël et Bonne Année 2019.

Bienheureux Martyrs, Luc, Bruno, Célestin, Paul, Christophe, Christian et Michel, priez pour nous

Bienheureux Martyrs, Luc, Bruno, Célestin, Paul, Christophe, Christian et Michel, priez pour nous

Bref récit de notre pèlerinage en Algérie – 6 / 10 décembre 2018


La communauté de Notre-Dame de l’Atlas a eu la grâce de pouvoir aller à la Béatification de leurs sept frères de Tibhirine, ainsi que 12 autres religieux et religieuses, dont Mgr. Pierre Claverie, évêque d’Oran, assassinés pour leur foi, entre le 8 mai 1994 et le 1er août 1996.


Notre pèlerinage a commencé le jeudi, 6 décembre, par un voyage en taxi collectif de Midelt à Casablanca, où les prêtres de la paroisse Notre-Dame de Lourdes nous ont accueillis fraternellement. Le vendredi matin, nous étions six moines, accompagnés par notre cher évêque Père Cristóbal, à prendre l’avion à destination d’Oran. Arrivés vers 14h00, une petite commission d’accueil nous a reçus dans la joie. Un bus nous attendait pour nous amener à l’hôtel où nous avons rejoint des centaines d’amis et de parents des 19 bienheureux martyrs.


Après un bon dîner, nous sommes partis ensemble vers la Cathédrale d’Oran afin de participer à une veillée de prière. Moment riche d’émotions et de témoignages, dont celle de notre Père Jean-Pierre et celle de Soeur Chantal, survivante de l’attentat qui a tué Soeur Odette Prévost.


La présence de nombreux amis musulmans nous a beaucoup touchés, en particulier celle de la maman du jeune Mohamed Bouchekhi, chauffeur et ami de Pierre Claverie, qui a perdu sa vie en compagnie de l’évêque d’Oran, le 1er août 1996. Aussi, celle du fils d’un autre Mohamed, l’ami musulman qui a donné sa vie pour protéger celle du jeune officier français Christian de Chergé, à la fin des années 1950. Des prières chrétiennes et musulmanes ont enrichi cette belle rencontre qui s’est achevée par une procession à la tombe du Bienheureux évêque Pierre Claverie. Chacun des participants y a déposé une bougie allumée, signe de la Vie plus forte que la mort.


Le lendemain matin, nous avons été accueillis chaleureusement à la grande Mosquée Abdelhamid Ben Badis par les autorités religieuses locales et le Ministre Algérien des Affaires Religieuses, Mr. Mohamed Aïssa. Cette visite s’inscrivait dans le cadre de l’hommage de l’Algérie aux 19 martyrs religieux et religieuses chrétiens et aux 114 imams assassinés durant la décennie noire.


A l’arrivée, chacun des participants a reçu une rose des mains de jeunes filles habillées en costume traditionnel. Une brochure nous a aussi été offerte : « Jésus dans le saint Coran ». Suite aux discours des représentants des deux traditions religieuses, nous avons découvert la beauté de ce lieu de culte. La visite s’est achevée par une réception, avec thé et pâtisseries.


Ensuite, nous sommes montés vers le sanctuaire de Notre-Dame de Santa Cruz.
Le ciel bleu et le soleil étant au rendez-vous, la Messe de béatification a pu avoir lieu sur l’esplanade du temple marial où 1 400 personnes environ étaient rassemblées.


Mgr Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran, a prononcé les premiers mots de bienvenue, et après la lecture du testament spirituel de Mohamed Bouchekhi, une minute de silence a été gardée en mémoire des milliers de victimes innocentes de la guerre civile algérienne.


Avant la célébration eucharistique, un message du Pape François a été lu. Pour l’occasion, le saint Père était représenté par le Cardinal Angelo Becciu, Préfet de la Congrégation pour les causes des saints. Pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise, un événement de cette portée se réalisait dans un pays musulman. L’Evangile, proclamé d’abord en français, a ensuite été chanté en arabe par un prêtre d’Oran, le P. Becker. Toute la célébration a été animée par une vivante et joyeuse chorale africaine. Deux moments forts sont à signaler : l’échange d’un geste de paix entre l’évêque d’Oran et les imams présents et la descente d’un grand panneau portant les visages et les noms des 19 bienheureux martyrs qui a suscité les you-yous des femmes et les applaudissements de l’assemblée.


Les trois heures de la célébration sont passées comme un souffle léger, dans une grande sérénité. Pour terminer, l’évêque d’Oran a exprimé sa joie profonde et son immense reconnaissance à tous les chrétiens et musulmans qui ont rendu possible la réalisation de cette fête en Algérie.


Le dimanche, 9 décembre, une centaine des pèlerins ont entrepris un voyage de huit heures en car pour se rendre d’Oran à Tibhirine.


A notre arrivée, les amis de Tibhirine nous attendaient les bras ouverts, à la porte du monastère. Pour notre père Jean-Pierre, qui a vécu à Tibhirine durant 32 ans, il s’agissait d’un retour « chez lui », 20 ans plus tard. Nous avons été témoins de l’émouvante rencontre de notre ancien, âgé de 95 ans, avec ceux qui ont vécu tant de choses avec lui : Mohamed, le gardien, Youssef, Benali, Père Robert, Samir, entre autres.


Pour chacun de nous, la visite au monastère fut courte mais d’une grande intensité. Un repas d’accueil, la célébration d’une Messe d’action de grâce, présidée par le Cardinal Becciu, la visite des bâtiments et une prière silencieuse au cimetière en présence de nos sept frères bienheureux martyrs, et d’autres moines dont les corps reposent en ce lieu. La communauté du Chemin Neuf, qui vit actuellement sur place, était heureuse de nous recevoir et de partager ce moment inoubliable avec familles et amis.

Photos partagées dans l'annexe de la lettre circulaire de la Communauté de l'Atlas
Photos partagées dans l'annexe de la lettre circulaire de la Communauté de l'Atlas
Photos partagées dans l'annexe de la lettre circulaire de la Communauté de l'Atlas

Photos partagées dans l'annexe de la lettre circulaire de la Communauté de l'Atlas

Repost0
24 novembre 2018 6 24 /11 /novembre /2018 15:52

Dampierre le 13 novembre 2018

 

Chers Jean-Pierre l’Ancien et Jean-Pierre le Jeune,
tous les amis moines, Omar et  Bacha, les amies religieuses, 
et tous les membres de la communauté de Midelt.

 


Une profonde et humble joie habite en moi à l’approche du 8 décembre, date où vont être reconnus saints, les moines de Tibhirine vos chers compagnons, ainsi que Pierre Claverie et les onze autres témoins et artisans de la non-violence, sans oublier les noms de nos frères et sœurs de l’Islam que Dieu a écrit sur la paume de ses mains.      

  
J’espère pouvoir être à Oran ce jour-là. J’emporterai dans mon cœur tout plein d’amis. J’essaierai d’être tout proche de vous, même si je ne peux pas entrer dans l’église de Santa Cruz, ce que je comprends.


J’espère bien pouvoir vous saluer de vive voix, vous embrasser fraternellement, et vous exprimer notre reconnaissance. 


Je devine que je pourrai rapporter grâce à vous, tout plein de graines de non-violence, d’amour et de justice, afin de les ensemencer dans le morceau de terre et d’humanité dont nous nous sentons responsables avec mes amis, ici dans le Jura en France.


« A la revoyotte »
Lulu
 

Lettre à la communauté des frères de Notre-Dame de l'Atlas

réponse de frère Jean-Pierre Schumacher :

Cher Lulu,


Avec mes frères et mes amis, dont Baha et Omar, nous te remercions pour ta lettre, tes vœux, et ta joie communicative.


Que le Seigneur lors de ce passage à Oran et de ta participation à la grâce qui va se reprendre de la part du Seigneur sur toute cette assemblée, te comble de graines de non-violence, de justice et d'amour, dont tu es assoiffé. Oh, oui, qu'il en sait ainsi vraiment... je le Lui demande avec toi.


Nous serons heureux de 's'il plait au Seigneur', que nous nous rencontrions là-bas.


Ton frère Jean-Pierre
 

Repost0
16 janvier 2017 1 16 /01 /janvier /2017 17:35
De Tibhirine...

De Tibhirine...

Dampierre, le samedi 24 septembre 2016

 

D'UN ATLAS A L'AUTRE, DU FLANC DES DJEBELS ALGERIENS AU CREUX DE L'OUED AYACHI MAROCAIN

 

Lorsque j'étais allé en Algérie en mars 2014, grâce à Luc Chauvin, en compagnie de ses parents Nelly et Bernard et de son oncle Claude, nous avions eu la chance de pouvoir aller à Tibhirine par la médiation du " jardinier de Tibhirine" lui-même: Jean-Marie Lassausse. Nous avions été aidés par Jean-Marie Muller et son épouse Hélène qui nous avaient mis en lien avec Anne et Hubert Ploquin. Ils nous avaient permis d'expérimenter que si nous voulions être des constructeurs d'humanité, il fallait faire habiter en nous et entre nous tous, le souffle de Tibhirine, celui-là de la non-violence.

 

Jean-Marie Muller m'avait dit: "Christian de Chergé et ses compagnons, c'est de l'or pur" Il ne nous avait pas fallu beaucoup de temps pour expérimenter que Tibhirine est un endroit- phare, un lieu-source pour les chercheurs et bâtisseurs de paix. J'avais un peu plus pris conscience (en ce temps-là) qu'un témoin du drame qui s'était passé dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 : le rapt des 7 moines de l'Atlas, un témoin demeurait dans le petit monastère de Midelt au Maroc. Et grâce au frère Benoit de l'abbaye d'Acey, j'allais pouvoir rencontrer ce témoin : Jean-Pierre Schumacher. En effet, la communauté d'Acey, est en liens très étroits avec celle de Midelt. L'une et l'autre sont des abbayes cisterciennes.

 

Avec Benoit, nous étions partis à Midelt en septembre 2015, afin de rencontrer le frère Jean-Pierre et les membres de sa communauté, et beaucoup de gens avec qui ils sont en lien d'humanité et de foi. J'y étais resté 15 jours.

 

J'apprenais par le frère Jean-Pierre lui-même que les deux survivants de Tibhirine qu'ils étaient le frère Amédée et lui, avaient été accueillis aux Glycines à Alger, tout de suite après le rapt de leurs frères moines, par le père Alphonse Georger, qui était à l'époque vicaire épiscopal de Léon Etienne Duval, archevêque d'Alger.

 

Durant ce séjour du 9 au 23 septembre 2015, j'avais continué de goûter et expérimenter, que le souffle de Tibhirine qui avait travaillé les flancs des djebels et le creux des oueds algériens du massif de l'Ouarsenis et de l'Atlas Blidéen, ce souffle et cet esprit ne se laissaient pas encombrer de nos empêchements de frontière, ni non plus, par nos raisonnements casaniers. Je sentais ce souffle à Midelt, dans la manière de vivre et d'aimer qui habitait les membres de la petite communauté des moines de Notre Dame de l'Atlas, Kasbah Meriem, au cœur de la cité de Midelt. Je découvrais que la meilleure façon de capter l'eau vive de Tibhirine, de laisser couler sur nos pieds, en nous et entre nous la non-violence, c'était de se mettre à vivre à la manière des gens de la communauté de Midelt dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences dans le sillage de ce qui s'était passé à Tibhirine. J'avais alors dit à nos amis moines, en franc-comtois que je suis, que je trouvais en me laissant rencontrer par eux, que la communauté de Midelt était une résurgence de celle de Tibhirine.

 

J'ai essayé et j'essaie toujours de rapporter avec moi, de pleins seaux de cette eau vive (Jean, 4,10-24). Ou pour prendre une autre image de jardinier qui corrobore celle de la source, je dirais que pendant ce séjour à Midelt, j'avais ramassé non seulement sur mon cahier mais aussi dans mon cœur, un plein-sac de graines de la non-violence. J'ai beaucoup écrit à propos des trésors ainsi ramassés, et, l'incendie de nos maisons le 9 juin de cette année 2016, n'a pas emporté en fumée, la confirmation de la préparation du projet né durant l'hiver 2015-2016 : aller à Midelt avec une quinzaine d'amis, réaliser un jus de pommes dans cette capitale de la pomme marocaine. Mais notre projet était aussi et surtout, de rencontrer le frère Jean-Pierre Schumacher, survivant de Tibhirine, au sein d'une petite communauté dont les frères auraient, eux aussi , beaucoup à nous apprendre. Ce que j'avais vu et entendu, goûté et savouré de ce qu'est la non-violence, la tendresse de vivre et d'aimer, le respect du droit, allait pouvoir être expérimenté par d'autres.

 

Ce que j'avais puisé dans la façon qui habite les moines d'admirer Jésus et de le contempler, allait couler dans l'être de mes amis, eux aussi. J'allais savourer la joie en plénitude, que mes amis accèderaient à des trésors que je n'avais pas encore perçus. Et par là, humblement, le monde entier en serait touché et nourri.

 

Voilà ce qui avait orienté et guidé la préparation, la réalisation de notre voyage du 13 au 20 septembre 2016, en direction de Midelt au Maroc, dans la communauté cistercienne Kasbah Meriem, avec les moines de Notre Dame de l'Atlas.

 

Ce qui allait beaucoup me marquer c'est la tournure communautaire que prenait la préparation de ce voyage. Nous prenions tous des responsabilités selon nos aspirations et nos compétences, pour que soit facile et accessible le voyage des autres et le nôtre. En ramassant sur mon cahier ce que j'écris ce 24 septembre, quelques jours après notre retour, je dis qu'il me semble bien, que ce que j'espérais, s'est réalisé. Nous avons tous fait une sacrée expérience. Chacun des amis-compagnons de voyage, sont en train d'écrire ce qu'ils ont goûté, expérimenté et savouré en se mettant tous proches et à l'écoute de frère Jean-Pierre et de ses compagnons. Quelque chose, comme une sève, nous a été offerte. Nous l'avons reçue, et nous sentons bien que c'est dans le quotidien que nous sommes attendus, pour la faire couler en nous et entre-nous. Tous nous essayons de nous démunir de nos violences et de nos prises de pouvoir. Nous laissons ruisseler la paix entre nous, en faisant place à l'autre, aux autres. Ainsi, nous trouvons notre place.

Ainsi l'humanité se construit.

 

Comme le frère Jean-Pierre, chacun de nous a connu et expérimenté de grandes épreuves, voire des naufrages où tout a semblé sombrer. Nous nous disons : "Mais comment donc, avons-nous pu nous en sortir ?"

 

L'écoute du frère Jean-Pierre, "survivant du drame de Tibhirine", met en chacun de nous, un peu ... beaucoup ... de lumière et de force, pour que nous nous ramassions nous-mêmes, que nous collections les morceaux de nos êtres qui ont volé en éclats, et que nous trouvions raison et sens à notre condition de "survivants dans nos nouvelles embarcations".

Lulu

... à Midelt

... à Midelt

Repost0
10 janvier 2017 2 10 /01 /janvier /2017 13:24

23.09.2016

 

Retour de Midelt, au Maroc. Envie d’écrire…

Par où commencer ?…

Par ce qui est doux quand on est dans un pays musulman…

 

L’appel du muezzin me provoque toujours une émotion intense : au monastère, parfois je l’entendais pendant l’office où nous étions en train de prier. J’imaginais alors les musulmans aller à la prière et je rêvais que leurs prières se mêlent aux nôtres… Quelle belle image… Parfois je l’entendais en étant dans ma chambre, le soir, ou quand nous étions ensemble à discuter en petit groupe, dans la cour intérieure ou dans le réfectoire. Parfois j’avais envie d’aller directement à la mosquée me joindre à eux, me rappelant dans mon for intérieur, la fois où cette femme en Malaisie, m’a accompagnée pour que je puisse prier avec elle, à la mosquée… Je me souviens… Que d’émotions dans nos regards partagés, une fois la prière terminée. La prière se poursuivait encore en secret je pense, dans nos cœurs, souhaits de vie pour l’une et pour l’autre. Deux inconnues en communion totale dans le profond de leur cœur. Parfois j’ai envie de retourner prier avec eux, nos amis musulmans, pour retrouver cette force et cette union.

 

Le matin où mon papa a été malade, quelle ne fut pas mon émotion quand, dans toute mon inquiétude, étant retournée dans ma chambre prendre quelques affaires, avant de partir à l’hôpital, j’ai entendu l’appel à la prière…

 

Les musulmans allaient prier pour moi, pour nous, c’est cela que je ressentais au plus profond de mon être, en lien avec tous les amis musulmans de notre beau voyage. Comme s’ils étaient connectés à nous, sans ne s’être rien dit par la parole, et que nous allions prier ensemble. C’est comme si cet appel à la prière, interrompant mes tourments, me rappelait : « Tu sais ce que tu as à faire ! Je suis là pour vous ! Et à travers vous. Vous êtes là pour vous soutenir entre vous. Vous êtes tous frères. » C’est comme si cet appel me rappelait que la seule chose qui restait à faire était de prier, en communion les uns avec les autres.

 

Ce qui me marque chez les musulmans, c’est cette confiance et lâcher-prise totale en Dieu. Ils ont cette reconnaissance éternelle, que nous avons il me semble beaucoup perdu : reconnaissance pour ce qui fonctionne, reconnaissance d’avoir notre famille, nos proches, notre santé, d’avoir notre travail, notre maison, nos amis…

 

Un sourire, toujours, et cette douceur dans le regard, relié à Dieu en disant : « Hamdoulah ! » « Grâce à Dieu, tout va bien ! ». Ça, je l’ai encore découvert chez Fatima, ses filles Nadia et Marya de 19 et 29 ans, chez Addi le mari et père, qui tient le café, et leur fils Mehdi. Quelle énergie et quelle douceur ! Dans l’ouverture et la simplicité. J’ai été tellement marquée par cette joie profonde en chacun d’eux que j’ai exprimé à Nadia mon étonnement et mon émerveillement de tout ce qu’ils dégageaient dans leurs yeux et dans leurs rires, avec sa famille. Je trouve des étincelles dans leurs yeux, une force et un bonheur profond et immense ! Une confiance et une Reconnaissance ! Nadia les yeux pétillants et en riant m’a dit : « C’est grâce à Dieu tout ça, oui ! Il nous comble de joie, moi et ma famille ! Hamdoulah ! On a beaucoup de chance, oui ! » Et elle continue de rire ! Quelle incroyable beauté cette famille ! Surprenant !

 

Inversement, quand ils parlent de l’avenir, de quelque chose d’incertain ou de l’amélioration de la santé de quelqu’un : « Inch’Allah » rappelle toujours que l’Avenir est dans les Mains de Dieu : « Si Dieu le veut !»

 

J’aime cette formulation qui rappelle que nous n’avons pas le pouvoir sur tout comme nous aimerions parfois. Que tout ne nous appartient pas. Accepter que ça nous échappe. Dans la confiance cependant que ça peut s’améliorer, car Dieu peut faire de grands miracles ; ou dans la confiance que si ça ne s’améliore pas, une force venue d’Ailleurs pourra incroyablement nous aider pour traverser tout cela. Une force qu’on n’estime pas sans l’avoir connue.

 

« Inch’allah » nous ramène à notre Nature d’Homme, dans nos fragilités et notre grandeur, si l’on accepte de recevoir ce qui nous est donné, à travers le Lâcher-prise et l’accueil tout à la fois de l’extraordinaire venu d’Ailleurs !

 

Le troisième mot, qui est celui qui m’est venu en premier auprès de papa à l’hôpital de Midelt est « Bismillah ar-Rahman ar-Rahim ». Comme une demande, pour le soigner, le confier entre Ses Mains et qu’Il agisse du mieux possible pour sa santé. Etrangement, je n’arrivais à prononcer que ces paroles, alors que le reste du temps, je n’arrive pas à bien les formuler. Je le disais sans crocher, sans balbutier, ça sortait tout seul et en flot… Incroyable cadeau encore de Notre Dieu, Allah, à tous …

 

Bismillah est aussi une manière de confier de manière générale nos actions dans les mains de Dieu, tout en reconnaissant ce qu’il nous donne. On peut ainsi le dire avant de manger, avant de conduire, ou en rentrant dans une maison. C’est une relation encore, avec Dieu, pour signifier qu’il est avec nous au quotidien, en reconnaissant sa Présence, en étant en communion dans nos actions, avec Lui.

 

C’est d’ailleurs par le mot « Bismillah » que frère Jean-Pierre Schumacher a commencé notre Rencontre. En confiant ce partage aux Mains de Notre Dieu, Dieu des Hommes.

RL

Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt
Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt
Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt
Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt
Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt
Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt

Souvenirs d'un voyage au monastère Notre-Dame de l'Atlas à Midelt

Repost0
5 janvier 2017 4 05 /01 /janvier /2017 10:07

Roberte est le maillon central de la visite de Fadila dans le Jura. Voici ce qu'elle écrivait au retour de Midelt le 21 septembre 2016.

 

Avant la projection du film « Des hommes et des Dieux », je ne connaissais pas l’histoire des moines de Tibhirine. Je suis très touchée par ce qu’ils ont vécu et j’ai cherché des livres les concernant pour mieux les connaître et comprendre.

 

Ce départ pour Midelt, je l’ai préparé spirituellement car je voulais partir en essayant d’être dans « l’esprit de Tibhirine » et c’est comme cela que j’ai découvert « L’ami parti devant » de Fadila Semaï. Je l’ai lu avec beaucoup d’émotion. J’en parle à Lulu qui me dit « Ecris-lui ! ». Ce que je fais, et je lui propose une rencontre avec notre association ADN-MANV. Peu de temps après, elle me répond. En voici quelques lignes :

« Vous me parlez de votre désir de vous préparer spirituellement à l’esprit de Tibhirine. Si je peux me permettre, voici comment : « Se tenir pauvre devant l’autre, se laisser ‘déranger ‘ et toucher ». C’est selon moi une voie privilégiée pour chaque rencontre. »

 

A ce jour, j’ai écrit une autre lettre, qui est partie de Midelt, car elle me dit qu’elle serait favorable à l’idée de nous rencontrer. Je lui pose alors la question : « Comment allons-nous pouvoir nous organiser avec vous pour la rencontre : frais de voyage, séjour, et organisation ? » (voir l'annonce des rencontres sur le Jura avec Fadila pour la 2ème semaine de janvier 2017)

Roberte, Fadila, et les moines de Tibhirine
Roberte, Fadila, et les moines de Tibhirine
Roberte, Fadila, et les moines de Tibhirine
Roberte, Fadila, et les moines de Tibhirine

Me voici à Midelt. Durant ce séjour, j’ai vécu des moments très forts. Pendant les journées, j’ai pris le temps de réfléchir et me ressourcer, lire et méditer.

 

En allant aux offices monastiques, j’ai aimé ces moments de prière, de silence, de chants. (Frère Antoine, lorsqu’il chantait, donnait l’impression de chanter et danser avec son corps. Très impressionnant !)

 

Je pensais souvent à ces frères moines assassinés, et je les portais dans mon cœur, et j’essayais d’être en communion avec eux et le Christ.

Lorsque j’entends le muezzin, je pense à frère Christian, et à l’ami algérien (parti devant) et à ce moment-là, je ressens beaucoup d’émotion, de cette relation entre chrétien et musulman.

 

Quelle joie et quelle émotion de rencontrer frère Jean-Pierre (rescapé de Tibhirine). Nous avions rendez-vous dans la salle du mémorial de Tibhirine. Nous étions assis près de lui. J’étais intimidée et respectueuse devant un tel homme. Un homme doux, calme et qui dit n’avoir jamais ressenti de haine pendant et après le drame.

Plus tard, j’ai eu l’occasion pendant un court instant de me retrouver seule avec lui. Nous parlions de Lulu et de notre équipe qui était en train de faire du jus de pommes. Il était heureux et émerveillé. Puis en discutant, je lui avoue qu’en moi, j’ai beaucoup de peur, et de pouvoir donner sa vie comme ses frères et lui l’ont fait, je ne sais pas si je pourrais !

« Nous aussi, on a eu peur, me dit-il, mais il faut garder confiance, et si nous gardons cette confiance, le Christ sera là jusqu’au bout ! »

Roberte le 21/092016

Repost0
3 septembre 2016 6 03 /09 /septembre /2016 12:07

 

Dampierre samedi 27 août 2016

 

« ET SI NOUS NOUS REJOUISSIONS

DE CE QUE LES AUTRES REUSSISSENT » (Gil ROUX)

 

C’est la parole d’un ami, Gil Roux, à qui j’aime me référer. Je laisse chanter dans mon cœur cette parole, lorsque j’apprends que quelqu’un de mon âge ou de très jeune a réussi une animation, a réalisé un changement, a apporté de la lumière dans un domaine où je m’étais beaucoup investi et dans lequel je n’étais pas arrivé à faire sortir grand-chose.

 

La première fois que j’avais entendu cette parole de Gil, c’était au cours d’une « révision de vie ». La révision de vie c’est un exercice qui est exigeant, mais auquel nous tenons dans les mouvements d’action Catholique tels que la JOC, l’ACE, l’ACO, et le MRJC. Jean Marc BALICOT, notre ami diacre, y tenait beaucoup dans l’équipe d’ACO à laquelle lui et moi nous appartenions. En raison de son coltinage à la réalité dans le quotidien qu’il a à affronter, Jean Marc nous aidait beaucoup à avancer. Quand ça faisait un bout de temps que nous n’avions pas réalisé une telle réunion, Jean Marc s’impatientait et il fallait sortir nos agendas et absolument trouver une date pour faire une révision de vie en ACO.

 

Le jour où la parole : «  Et si nous nous réjouissions de ce que les autres réussissent » est venue pour la première fois habiter dans mon être, c’est le jour où nous avions appris qu’un tout jeune aumônier, Michel,  avait réussi à constituer une équipe de J.O.C. avec des jeunes en grande précarité. Il avait su trouver le filon et la veine pour déceler les capacités et les compétences de ces jeunes. Il n’en était pas resté aux regards premiers qui sont souvent des préjugés. Oh que c’était beau ce que Michel nous partageait ! Des paroles découlaient d’engagements de la part de jeunes en grande difficulté, de qui on n’attendait pas qu’ils accomplissent de tels actes. La tendance aurait pu être aussi de nous lamenter sur nous-mêmes parce que nous n’y étions pas arrivés. C’est là que Gil avait dit dans son souci de coordination et d’avancée dans le mouvement : « Michel, nous nous réjouissons que tu aies réussi dans un domaine ou nous n’avons pas su ou pas pu y arriver ».

 

Et quelqu’un de nous avait dit à Michel : « Raconte-nous davantage comment tu y es arrivé. » C’était simple et étonnant en même temps ce qu’il nous racontait. Et de continuer à l’écouter nous faisait nous réjouir de ce qu’il avait réussi. Cette joie communicante nous rendait tous acteurs et réalisateurs, collectivement avec Michel, de ce qui surgissait de neuf dans notre communauté. Nous participions à la réussite de Michel. Sa réussite devenait nôtre. Il n’avait pas gardé pour lui les raisons de sa réussite. Nous apprenions à faire comme lui, parce que nous faisions avec lui.

 

Tout cela m’avait marqué. J’avais dû l’écrire sur mon cahier d’aumônier de J.O.C. du moment… Et bien que ce cahier fasse parti des écrits qui sont partis en fumée et devenus cendres dans l’incendie qui a ravagé nos maisons, il y a un peu plus de deux mois, la parole de Gil est restée écrite dans mon cœur, à tout jamais. Et elle continue de m’apporter beaucoup de lumière en ce matin où je pars à la recherche du lever du soleil, avec trois amies, en marchant aux pas des ânes Gamin et Rameaux. Durant notre marche, nous portons dans nos cœurs : Philippe et les gens du spectacle, les artistes intermittents et les autres, les membres de nos familles, nos amis, et aussi les personnes arrachées au flanc de l’humanité oubliée, particulièrement, ceux qui sont maintenus en esclavage à travers le monde. Notre visite, hier à Champagney, de la maison de la négritude et des droits de l’Homme, nous empêche de sombrer dans l’indifférence. Nous tentons d’accrocher les prénoms et les noms de tous ces gens là, ainsi que leur appartenance, aux étoiles scintillantes dans le ciel, dorlotant pour quelques instants encore le sommeil des habitants de mon village.

 

«  Et si nous nous réjouissions de ce que les autres réussissent… » Ce refrain va continuer de nous aider durant notre marche en direction du lever du soleil. En effet, parmi les gens dont nous avons attaché le prénom à une étoile, il y a celui des quinze personnes avec qui nous nous préparons à partir à Midelt au Maroc du 13 au 20 septembre. Nous allons là bas essentiellement pour rencontrer le frère Jean Pierre Schumacher, survivant de Tibhirine, et les membres du petit monastère Cistercien, de Notre dame de l’Atlas. Ce sera dans le sillage de ce qui s’est vécu et réalisé à Tibhirine. Le film « Des hommes et des Dieux » nous a interpelé à ce que nous prêtions le flanc afin de recevoir l’ensemencement  de ces graines de la non violence, qui continuent de germer et pousser en ces lieux de vie et d’espérance.  Nous sommes de différents mouvements, groupements et associations : ADN, MAN, Cercle de silence, Siloé, lecteurs de livres. C’est un peu comme des corbeilles de fruits, et des sacs de graines, qui nous sont offerts tous ces jours. Roberte, une des amis de notre équipée, dans son souci de se préparer à un tel voyage, a été la première de nous tous, à lire le livre de Fadila SEMAÏ : « l’ami parti devant » aux éditions Albin Michel.

 

Dans ce livre, Fadila Semaï recherche la famille, et l’endroit où cet homme : MOHAMED, musulman,  a donné sa vie, pour sauver celle de CHRISTIAN, chrétien, parce qu’ils s’aimaient. Dans quel endroit de la terre, Mohamed a-t-il bien pu planter ses racines, dans quel sol rocailleux du massif de l’Ouarsenis, repose son corps ? Comment trouver trace du puits auprès duquel cet homme est tombé en donnant sa vie pour Christian et par là, pour combien de membres, du peuple Algérien, et par voie de conséquence  pour combien d’entre nous ?

 

Roberte a été marquée, par la lecture du livre de Fadila. A l’issue de la réunion de ADN  du premier août à Dampierre je dis à Roberte : «  Et si tu écrivais à Fadila, pour lui exprimer l’enthousiasme que tu as ressenti à la lecture de son livre, ainsi que ta reconnaissance, pour un tel ouvrage… » Roberte écrit à Fadila, et Fadila, répond à Roberte. Les voilà l’une et l’autre, auteures à nos yeux, de la découverte des traces et des empreintes d’humanité laissées par ces deux hommes : Mohamed et Christian.

 

C’est ça qui illumine mon regard ainsi que le profond de mon être, et pas seulement le mien. Quelque chose de l’ensemencement de la non violence est en train de s’enraciner en nous, grâce à la façon de faire de Roberte. La parole de Gil Roux répand une lumière sur nous tous. Chacun de nous découvre dans ce jeu d’écriture et de lecture, de travail et de partage qu’ « un ami est parti devant ». Un jour, quelqu’un a donné sa vie pour moi. Je ne l’ai pas toujours su et vu tout de suite. Et souvent, c’est aussi quelqu’un que je n’attendais pas qui me l’a fait découvrir. Je suis appelé à me réjouir de ce que quelqu’un d’autre, ait réussi à me faire découvrir. « Roberte tu nous apportes beaucoup de lumière par le partage, de ta lecture et de ta correspondance avec Fadila. Merci Roberte, de ne pas le garder rien que pour toi. En partant ensemble pour Midelt, la capitale de la pomme, au Maroc, fabriquer et presser quelques litres de jus de pommes dans la cour du monastère de Notre Dame de l’Atlas, nous découvrons que beaucoup d’amis sont partis devant nous. Nous allons avoir à cœur de le reconnaître. Et comme me le disait Guenièvre et Adrien,  à propos de leur terrain de maraîchage : «  les champs de Vigearde où nous cultivons nos légumes, tout cela nous vient de beaucoup de gens qui ont vécu avant nous, qui ont travaillé et se sont organisés  et qui ont donné d’eux-mêmes... »

 

L’apôtre Paul, dans une de ses lettres aux Corinthiens, se demande à lui-même : « qu’as-tu que tu n’aies reçu ». 1 Cor. 4-7.  Et j’aime ajouter : « qu’es tu que ça ne te vienne de quelqu’un d’autre ? »

 

Ça y est. Nous voici arrivés au lieu dit : la Fin Basse où le soleil nous attend pour se lever. Ce matin il y met beaucoup de temps, car de nombreux nuages, et beaucoup de brumes, se sont accumulés à l’endroit de la terre, d’où il va sortir. Nous attachons nos ânes dans un bosquet voisin et nous attendons, assis sur la berge du Doubs. Ça ressemble à l’attente vécue par nous lorsque nous sommes au théâtre, et que nos êtres sont tendus vers le lieu et le moment du commencement de la pièce. Dans le silence qui s’instaure, beaucoup de choses peuvent nous être dites. Il dut y avoir des moments d’une telle intensité comme celui-là, au commencement du monde, et sans doute aussi au moment de notre naissance à chacun. Et voici qu’une toute petite lumière très vive, un peu comme un point de soudure à l’arc, perce l’épaisseur des nuages. La lumière devient très vite incandescente. Avec beaucoup de délicatesse, au fur et à mesure que le soleil sort de la terre et monte à l’horizon, Madame Nature, avec je ne sais quelle baguette magique, rend possible que se forme l’image du soleil, afin qu’Il se mire dans la rivière, et qu’elle y atteigne les profondeurs de l’eau. Alors seulement, nous pouvons voir le soleil, grâce à ce reflet. Ça me fait penser au dialogue de Moïse avec Dieu sur le mont du Sinaï pour préparer l’entrée du peuple dans la terre promise. Moïse demande à Dieu : « Fais-moi, de grâce, voir ta face. » Dieu lui dit : «  Tu ne peux pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et demeurer en vie ». Mais Yahvé Dieu, par amour de Moïse et de son peuple, tient à leur communiquer son amour et sa gloire, sa présence et son mystère. Il dit à Moïse : « Je vais faire une place à ta demande. Quand passera ma gloire, je te mettrai dans le creux du rocher. Je t’abriterai de ma main durant mon passage. Puis j’écarterai ma main et tu me verras de dos. Mais ma face, on ne peut la voir. » Ex. 33 18-23.

 

A notre retour, avec mes trois amies nous nous émerveillons de ce qui se passe durant cette marche aux pas des ânes.

La première dit : « je n’avais jamais remarqué ça… C’est étonnant comment sur le dos des ânes, dans la descente de leurs épaules, tout le long de leur échine, il y a une croix qui les enveloppe… ».

La seconde : « comme je suis heureuse d’avoir tenu l’âne Rameaux… ».

Et la troisième : «  Et moi, d’avoir tenu un âne pour la première fois de ma vie ».

Il me revient alors avec une profonde émotion la parole de Jean et Michou, les amis qui nous ont offert les ânes il y a 35 ans, le 29 juillet 1981.

Jean, toi aussi, « l’ami parti devant », tu m’avais dit : « tu verras, l’âne c’est une véritable médiation… ». Votre présence d’amis s’est logée dans mon cœur de manière originale, en votre compagnie Michel et Andrée, Alain et Danielle, Jean et Bernadette et vos chers enfants et petits enfants. C’est vous qui nous avez offert les autres ânes, et les bâts, et tous les trésors d’amitié que l’on peut mettre dedans. J’ai confiance, non seulement que cette présence est en moi pour toujours, mais aussi, qu’elle va tenir une place dans le cœur de tous ces gens qui un jour ou l’autre se sont mis à tenir un âne, à expérimenter les merveilles réalisées et offertes, d’entrer dans le rythme de la marche aux pas de l’âne, de sentir tout ce qui se dénoue et se déligote, afin de nous relier les uns aux autres. De combien de violences nous allons pouvoir continuer à nous démunir pour envisager une manière de vivre et d’aimer, qui soit originelle et originale. « Ici petits et grands se confondent ». Job 3 19.

Photo de Patricia le 23 mars 2013 lors de la marche de la paix

Photo de Patricia le 23 mars 2013 lors de la marche de la paix

Repost0
29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 17:00

MIDELT, mardi 15 septembre 2015

 

TIBHIRINE DANS LES ANNEES NOIRES,

ATELIER DE LA NON-VIOLENCE

 

Très heureux de retrouver Jean-Pierre afin de continuer nos partages et ainsi pouvoir remporter les graines d'action non-violente que tout cela me permet de ramasser.

Lucien : "J'aimerais parler avec toi, Jean-Pierre, de votre relation avec votre prieur Christian, durant ces années fondamentales vécues à Tibhirine en communauté."

Jean-Pierre : "J'ai apporté ce livre de Christine RAY : "Christian de Chergé, prieur de Tibhirine" afin de pouvoir davantage encore répondre à tes questions."

 

 

Tibhirine dans les années noires

Lucien : "J'ai écrit sur mon cahier les questions que je vais essayer de ne pas manquer de te poser Jean-Pierre ! J'ai remarqué beaucoup de délicatesse et de respect entre vous les moines, entre votre prieur et vous-mêmes, mais je suis frappé aussi par toute l'exigence qui règne entre vous. Qu'est-ce qui t'a beaucoup marqué dans l'attitude de Christian pendant que vous étiez à Tibhirine ? Qu'est-ce que tu voudrais qu'en notre humanité nous n'oublions pas de ce que vous avez vécu, vous les moines, avec votre prieur et grâce à lui ? Christian ne nous a-t-il pas appris à nous désarmer, à ressembler à Jésus qui est Dieu désarmé, et non pas dieu des armées ?"

Jean-Pierre : "Le livre de Christine RAY m'a fait beaucoup connaitre Christian, j'ai passé une matinée à parler avec Christine quand elle a écrit son livre en 1998. Elle était journaliste à La Croix, en équipe avec Bruno CHENU. Tu voulais Lulu, qu'on reparle de Christian... de ce qu'il nous avait..."

Lucien : "De ce qu'il vous avait apporté de spécifique ?"

Jean-Pierre : "Ce qui est mauvais dans une communauté, ce sont les divisions, quand on travaille les uns contre les autres. L'échelle double, si nécessaire entre les musulmans et les chrétiens, afin de réaliser la rencontre avec Dieu, cette échelle double est déjà nécessaire et valable entre nous dans la communauté. C'est comme dans un couple, on va vers le même but, on monte chacun de son côté afin de parvenir au même endroit."

 

 

Tibhirine dans les années noires

Lucien : "Oui, le rôle d'un supérieur, d'un prieur, c'est important. Cette importance, vous l'avez trouvée chez Christian, mais pas comme ça d'emblée."

Jean-Pierre : "Son attitude a avancé. C'est venu de plus en plus. Au début, il était désireux de donner tout ce qu'il avait trouvé, ce qui lui donnait force et dynamisme, à cause de ce que Mohamed en mourant l'avait protégé, empêché de mourir. Cette force-là qui était en lui et qui donnait sens à sa vie, il voulait nous la communiquer, ainsi que toute sa relation avec l'Islam et sa connaissance du monde arabe, qu'il avait acquise à Rome par l'I.P.E.A. (Institut Pontifical des Etudes Arabes) pendant les 2 ans que nous l'avions envoyé là-bas. Il voulait nous former selon son modèle à lui. Nous, nous avions nos personnalités et nos expériences personnelles de la relation avec l'Islam. On avait une communauté qui fonctionnait avant que Christian n'arrive. Notre modèle fonctionnait aussi. Il fallait faire un tout avec ça. Au départ, ce n'était pas ça. Christian était très motivé, il voulait nous initier à ce qui le motivait et passionnait. On résistait, on ne voulait pas se laisser faire. On voulait que la relation se fasse entre nous, sur un plan d'égalité par rapport à l'autorité."

Lucien : "Sur le plan comportemental, vous sentiez qu'il y avait des choses sur lesquelles il fallait avancer ?"

Jean-Pierre : "On était désireux de progresser dans la connaissance de l'Islam et de la relation qu'on devait avoir en tant que chrétiens, français, moines, avec la culture musulmane et algérienne. Tous, nous avions à apprendre. Nous étions tous des novices, tout en ayant déjà une expérience. Personne ne pouvait dire : "Je", ou "Voilà ce qu'il faut faire" Nous étions tous assis sur le même banc, dans la même école, chacun devant amener sa part sur un plan d'égalité. C'est ça qui était le nœud de la bonne relation en communauté et dans l'unité. C'était quelque chose de vivant."

Lucien : "Nous l'avons senti dans le film "Des hommes et des dieux", ce que tu es en train de me dire."

 

Jean-Pierre : "Nous n'avions pas choisi Christian pour... on ne t'a pas choisi pour que tu décides seul ! "Ce problème se posait beaucoup au moment de décider si nous partions de Tibhirine ou si nous y restions. Christian a bien compris que ce n'était pas encore l'unanimité, qu'il fallait encore prendre le temps de réfléchir, pour que les plus timides ne se laissent pas influencer par la majorité... "

Lucien : "...ou par ceux qui sont persuasifs !"

Jean-Pierre : "C'est ça !"

Lucien : "Alors, comment Christian a-t-il su et pu coordonner ?"

Jean-Pierre : "Christian a beaucoup évolué, surtout, à partir du moment où il est devenu prieur. Un supérieur ne doit pas être directif, il doit être attentif à la personnalité de chacun, et avec ça, faire l'unité, tendre vers l'unité. Christian l'a très bien réalisé et accompli, au moment où on devait prendre cette décision grave : PARTIR ou RESTER."

Après le 1er échange, il a vu que ce n'était pas mûr, il n'a rien imposé. Il aurait pu dire : "Selon l'avis de la majorité...  Il a voulu l'unanimité. Il a appris à patienter pour écouter ce que chacun avait en lui... Il est parti parler avec Christophe... Je ne sais pas ce qu'ils se sont dit. Peut-être lui a t il dit : "Tu as décidé de donner ta vie... c'est pas le moment de..." Il nous a tous écoutés."

La décision engageait les frères, c'est leur vie qui se jouait. Lui, Christian, ne disait pas qu'il voulait rester. On a levé la main pour s'exprimer. Il y a eu des mains un peu timides à se lever, mais toutes étaient levées...

Lucien : "Vous avez votés à main levée que vous décidiez et vouliez rester à Tibhirine."

Jean-Pierre : "C'est un don de soi qui s'exprimait à travers ça."

Lucien : "Tu as levé la main Jean-Pierre..."

Jean-Pierre : "...A cause de tout mon passé avec le Seigneur, et la présence au peuple algérien. J'avais fait le voeu de stabilité. Cet échange, on l'a vécu en 1993..."

Lucien : "...Après la venue de Satya... Quelle trempe d'homme habitait l'être de Christian !"

Jean-Pierre : "Il était très ... pour faire fonctionner la communauté dans les moments difficiles. On le voit avec les militaires et avec Satya, le chef local du GIA. Il ne voulait pas qu'on s'engage, ni avec les uns (les membres du GIA, Groupe Islamique Armé) ni avec les autres (les militaires) Il les appelait : " Frères de la montagne (les gens du GIA), et frères de la plaine, (les militaires). Christian voulait les réconcilier les deux, et l'armée et les maquisards...

Lucien : "...en les désarmant..."

Jean-Pierre : "...en s'envisageant, en leur montrant qu'ils étaient frères. Le mot ENVISAGER ! On a vu Satya surgir tout bardé d'armes. Christian est arrivé ... C'est là qu'on a vu que Christian était fils d'un général. Christian est arrivé en bas de l'escalier au-dessus duquel il y avait Satya. Il s'est mis à crier : "AH NON ! ON N'ENTRE PAS ICI AVEC DES ARMES !..."

Lucien : "...Tu l'entends encore..."

Jean-Pierre : "Oui, il y avait devant Satya, des hommes armés de coutelas et de mitraillettes. Christian leur a dit : "Si vous voulez qu'on discute, il faut mettre les armes dehors. Jamais personne n'est entré ici avec des armes !"

 

Alors Satya a pris Christian par le bras, ils ont descendu vers une statue de la Sainte Vierge à l'entrée du monastère. Ils se sont envisagés. Christian a dit : "Non" aux 3 choses que demandait Satya :

- Le docteur frère Luc, ne pourra pas aller dans la montagne. Il est âgé et asthmatique... Venez ici, le docteur vous soignera.

(Christian ne jouait pas à celui qui commande. Les membres du GIA auraient réagi... Christian agissait et parlait plus discrètement que ce n'est exprimé dans le film.)

- Satya demandait à emporter des médicaments. Christian lui a dit : "les médicaments, c'est pour les gens qui viennent se faire soigner ici. Si vous avez besoin de vous faire soigner, venez ici !"

- Satya demandait de l'argent. Christian lui a dit : "On n'est pas riches. On gagne notre vie avec le jardin." Satya lui a dit : "Mais si, vous avez de l'argent !" Puis Christian a détourné la conversation et il a dit : "Vous savez quel jour nous sommes ? Vous savez à quel moment vous arrivez ? C'est le jour où nous nous préparons à fêter le prince de la paix : Aïssa. Satya a répondu : "Oh, excusez-nous, on ne savait pas. Mais on reviendra !"

 

Après cet évènement, Christian nous a dit qu'en envisageant cet homme violent qui avait beaucoup de sang sur les mains, en l'envisageant avec douceur et courtoisement, cet homme avait été apaisé parce qu'ils étaient entrés dans une relation d'homme à homme. Christian étant désarmé, il respectait l'homme. On arrivait à un dialogue d'homme à homme. Christian a gardé ce principe de l'importance de s'envisager. Christian est venu à la rencontre de cet homme avec une force non-violente, la volonté de se désarmer soi-même.

Lucien : "Qu'est-ce que tu réponds profondément à mes questions !"

Jean-Pierre : "Le Wali (préfet) voulait que notre maison, le monastère, soit protégé par un groupe de militaires. Alors un jour, un groupe de militaires s'est installé dans la pièce à côté de celle où j'étais portier. Christian arrive : "Non ! on n'entre pas ici avec des armes ! Pour vous coucher, allez dans la salle du dispensaire." Le lendemain, leurs chefs arrivent. Christian les a reçus dans la rue. Il est sorti les attendre dehors et leur a dit : "Si vous voulez vous installer ici, il y a assez de place dans la montagne." Arriver à persuader l'autre de ce qu'on veut en le respectant. C'est dans ce sens que Christian a évolué.

Lucien : "Je suis en recherche de la non-violence, afin de la cultiver en moi, de la laisser travailler, entre les gens que je rencontre et moi. C'est pour ça que je suis venu ici afin de chercher auprès de vous les sentiers de la non-violence. Je suis venu pour te rencontrer et écouter ce que tu es en train de me donner, particulièrement ce que vous avez vécu à Tibhirine, et que vous continuez de vivre ici à Midelt. C'est pour ça, que je vous ai dit l'autre jour en franc-comtois que je suis, que Midelt est comme une résurgence de Tibhirine."

Jean-Pierre : "La non-violence, c'est ça: Dans chacun de nous, il y a une pointe de cristal comme dit Guy Gilbert. Elle n'est pas abimée par la violence. C'est ça qu'il faut considérer, reconnaitre, mettre à jour, ce meilleur de nous-même."

Lucien : "Je t'embrasse Jean-Pierre pour te remercier."

Jean-Pierre : "On n'est pas loin de l'échelle à double battant. Voici le livre de Christine Ray."

Lucien : "Je vais me replonger dedans, même que je l'ai relu avant de venir à Midelt avec le frère Benoit pour vous rencontrer."

Jean- Pierre : "J'avais écrit à Christine pour la remercier de m'avoir fait découvrir et apprendre des choses de l'enfance de Christian de Chergé, que je ne connaissais pas."

 

Repost0

Présentation

  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
  • Contact

Commentaires

Vous pouvez laisser un commentaire sous les articles. Les commentaires sont modérés avant publication. C'est-à-dire que tout commentaire injurieux, insultant publicitaire ou inadéquat n'est pas publié Merci.

Recherche

Désarmement nucléaire

Journée de jeûne pour demander le désarmement nucléaire unilatéral de la France,

tous les 1ers lundis du mois de 14h à 17h en hiver, de 16h à 18h en été, à Dampierre (39) avec un temps de partage et de réflexion animé par Lulu.

Et commémoration des bombardements d'Hiroshima et Nagasaki entre les 6 et 9 août, chaque année.

L'anti-pub

Les pubs sur les blogs ou les sites que vous consultez sont trop agressives ? Il existe un moyen de respirer à nouveau, en téléchargeant le pare-pub Adblock Plus (clic). Vous ne supprimerez pas les pubs imposées, mais vous ne les verrez plus.