Dampierre, le 6 août 2018
« VENEZ VITE VOIR, LE PETIT GINKGO BILOBA A POUSSE DES FEUILLES »
Ce sont les mots que Jeannot nous adresse à ma sœur Bernadette et à moi, le 6 août, jour anniversaire du drame d’Hiroshima. Je n’ai pas pu participer à la commémoration organisée ce jour même par le groupe ADN à Ranchot. Mon frère, ma sœur et moi étions à l’enterrement de notre cousine Marie Vittot, dans le pays de notre maman, à Chaux les Passavant - La Grâce Dieu.
En nous dirigeant vers le petit ginkgo biloba, Jeannot commence à raconter :
Jeannot : « le matin on allait pour préparer la réunion (du mouvement ADN-MAN), Toinette me dit « On va aller arroser les pieds du petit ginkgo car il vient de mettre des feuilles »
Lulu : « Jeannot, t’es en train de faire de nous les témoins que ce qui a été cassé et brisé dans nos vies peut se réparer. Une fois encore, c’est l’arbre qui parle aux hommes et femmes que nous sommes. Laisserons-nous notre pâte humaine se pétrir du levain qu’est l’attitude et la parole des petits de notre humanité ? Comment passer de « témoins » des cassures à « artisans » de la réparation ? »
En arrivant vers le petit arbre, nous apercevons tout le long du tronc, de belles feuilles vertes bilobées qui poussent pour la joie de nos yeux.
Jeannot : « J’en revenais pas … En mettant le seau d’eau sur les pieds du petit ginkgo, qu’est-ce que je voyais … l’arbre qui poussait des feuilles … par la chaleur qu’il fait … j’ai compté les feuilles, y en a douze »
Lulu : « Et tu nous annonces ça Jeannot, le jour du 6 août, le jour de la commémoration d’Hiroshima … le jour où le ginkgo biloba a résisté dans la fournaise à l’éclatement de la bombe … Je suis très touché par ce que tu es en train de nous faire découvrir Jeannot … »
Jeannot : « Va falloir qu’on viennent souvent l’arroser. »
Avec Jeannot et ma sœur Bernadette, nous nous racontons comment, à la ressemblance du petit arbre, nous venons tous de très loin. Nous avons vécu et traversé des évènements et des réalités dont nous disons : « On en revient pas. En fait, nous sommes en train d’ (en revenir) »
Nous avons été très marqués par la teneur du travail de recherche de ces 3500 jeunes, réalisé pendant le festival de la paix à Micropolis du 2 au 5 août à Besançon, dans le souffle du mouvement MRJC, pour les Français et du KLJB pour les Allemands.
C’est tout un peuple de jeunes, tendus dans la création d’une humanité plus juste et plus fraternelle qui s’exprimait. Dans plusieurs ateliers, durant ces jours du festival de la paix, ces « jeunes prophètes » ont demandé aux « vieux rêveurs » que sont leurs parents et nous les amis de leurs parents, de nous unir avec eux dans leurs luttes, dans leurs façons de faire, dans leurs recherches, et particulièrement celles de la communication non violente (CNV), afin qu’en « désarmant les Dieux » « il n’y ait aucun exclu pour la fête » Parmi les signes merveilleux que c’est déjà en train de se réaliser, en voici un : Grégory 13 ans, qui a participé à tout le campement MRJC de marche au pas des ânes de Poligny à Besançon, sert la messe aux côtés de Jean-Luc Bouilleret l’évêque, Daniel Petit, Gaby Rognon et quelques aumôniers MRJC-CMR et Mission de France, qui ont tant ramés depuis des années avec ces 3500 jeunes, pour que notre monde tienne dans son avancée vers la paix et la justice. Tout cela grâce à un désarmement effectif, et dans l’établissement d’une ruralité à trempe humaine.
Jean-Marie Guinchard de la Sommette, le papa de Camille, vient communier. Au moment où je lui donne le corps du Christ, il nous dit avec émotion à Grégory et à moi, « Si Lulu est là, c’est à cause de toi Grégory »
La messe que nous célébrons est un moment de reconnaissance humble et étonnante de joie et de fête. Nous exprimons à notre ami Jésus, que notre confiance en Lui, vient du fait que, par sa manière d’aimer, et par la non-violence qui rayonne de son comportement en humanité, il fait que son Père, n’est plus à nos yeux « le Dieu des armées » mais « un Dieu désarmé ». C’est comme cela que nous l’aimons et que nous pouvons le reconnaitre comme « Notre Père ». Nous entendons les bruits que fait la terre parce qu’on la malmène, et les cris des enfants qui n’en peuvent plus, parce qu’ils sont en manque de pain et de père.
Rosine, Alphonse et moi, nous allons dans l’après-midi de ce dimanche du 5 août, à la fin du festival de la paix, chercher les ânes à Montoille, en dessous du Rosemont, chez Jocelyne et Philippe Louison, qui les ont hébergés dans leur enclos de deux hectares, pendant les 4 jours de la fête, à deux pas de la Malcombe, lieu de l’établissement du campement de plus de 500 tentes des festivaliers. Il y eut beaucoup de facilitateurs pour rendre possible cette proximité et cette faisabilité. Parmi eux, Valentin Perriard et Félicien Ragot. L’accessibilité à cet enclos pour les ânes, rendit possible, la marche ballade avec des enfants et leurs parents, participant au festival, les vendredis et samedis après-midi, le long de la Malcombe, Emmaüs, Roche d’Or, vélo route, long du Doubs, Velote. Un véritable atelier itinérant à chaque fois, signifiant expérimentalement ce que nous cherchons en communication non-violente : déligoter et dénouer les nœuds qui abiment nos êtres, et nous réjouir que grâce à cette libération, nous puissions nous relier les uns aux autres. En découvrant comme l’on vécu et dit Christian de Chergé et ses compagnons de Tibhirine, « qu’en chacun des êtres humains réside le don de l’Esprit, dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences »
Il avait été prévu à notre rencontre de l’équipe ADN du lundi 2 juillet, qu’en ramenant les ânes à Dampierre le 5 août au soir, à la fin du festival, grâce au véhicule d’Alphonse, nous rendions possible la petite randonnée qui aurait lieu de Dampierre à Ranchot, dans la journée du 6 août. En effet, nous pensions en nous baladant au pas des ânes, aller voir l’exposition des panneaux préparés par Toinette et Elisabeth, disposés par François et intitulés : « Commémoration des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki » Ce serait une exposition en binôme avec les peintures de Mme Chantal Prin dans la chapelle de Ranchot. Cette dame avait retenu ce lieu d’exposition depuis plusieurs mois. Elle nous permettait d’adjoindre notre exposition à la sienne. Nous ferions jeûne et marche en solidarité avec les victimes de la bombe. Nous invitions toutes les personnes qui se voulaient solidaires des victimes à venir avec nous. Un beau petit livret, réalisé par les membres de notre association franc-comtoise pour le désarmement nucléaire unilatéral de la France, expliquant à quelles personnes et mouvements nous nous référions dans l’association ADN.
La marche ne pourra pas se réaliser ce 6 août, mais l’exposition dans la chapelle de Ranchot aura lieu, et l’une des personnes référentes de notre lutte sera là, Jean-Marie Muller, fondateur du MAN avec sa femme Hélène, avec leurs enfants et petits-enfants. En effet, Jean-Marie, très fatigué, est venu se reposer aux Calmants chez Marie-Françoise et Claude Bet Garritan pendant la semaine du 5 au 12 août. C’est de là que Jean-Marie viendra avec sa famille animer le débat sur l’urgence d’organiser une défense non violente de notre humanité notamment, en exigeant le désarmement nucléaire de la France de manière unilatérale. Il a commenté le tableau des témoins.
Qu’est-ce que je regrette de n’avoir pu venir vivre une telle journée à Dampierre et Ranchot. En effet, je me trouvais avec ma famille à l’enterrement de notre cousine Marie qui avait lieu le même jour, à la même heure et à 50 kilomètres de distance.
Et Jeannot continue de raconter : « Et puis vous savez pas qui c’est qui était à la chapelle de Ranchot ? Jean-Marie Muller avec sa famille. Même que je me suis dit, quand le Dédé Siclet le journaliste viendra prendre la photo pour mettre un article dans le journal, il faut que je me mette à côté de Jean-Marie, de sa femme et de leurs enfants… Ça va paraitre un de ces jours … Vous verrez dans la semaine …
Lulu : « Dis voir Jeannot, qui c’est qui était à cette exposition ? »
Jeannot : « Je ne sais pas … Jean-Marie et toute sa famille … Y avait la Toinette, Marie-Françoise, Gilbert et Ginette … François … La Brigitte de Choisey, le Claude a pas pu venir, Jacques Martin n’était pas là, Pierre, je sais pas … Des gens de Fraisans … Je sais pas leurs noms … »
Lulu : « Jacques et Danielle … ? »
Jeannot : « Oui, peut-être bien. Jean-Marie a causé. Il était assis parce qu’il était très fatigué … On ira les voir chez Marie-Françoise et Claude du jus de pommes »
Lulu : « Bien sûr ! Demain matin mardi, on ira voir nos amis aux Calmants »
Qu’est-ce que je suis heureux que Jean-Marie soit venu faire une conférence sur la non-violence à Ranchot … dans notre pays, le 6 août, le jour anniversaire où nous jeûnons en pensant aux victimes d’Hiroshima pour qu’il n’y ait plus de menaces d’éclatement de bombes nucléaires sur notre humanité … C’est vraiment la continuation du festival de la paix avec les jeunes du MRJC-KLJB … De quoi est-ce que tu te souviens Jeannot que Jean-Marie a dit dans sa conférence ? »
Jeannot : « Je sais pas moi … Il a parlé de la violence, il a montré son livre … Je voudrais bien l’avoir »
Lulu : « Quel livre ? »
Jeannot : « Je sais pas »
Lulu : « Surement son dernier livre : « La violence juste n’existe pas »
Jeannot : « Oui, c’est ça … Je voudrais bien l’avoir … »
Lulu : « On lui demandera quand on ira les voir demain aux Calmants. Ils nous attendent pour promener les enfants au pas des ânes avec la charrette. Qu’est-ce que je suis heureux que nous vivions ces moment-là ensemble … Que tu aies tes congés annuels juste à ce moment-là et que tu sois venu à Dampierre pour préparer les chemins du campement du MRJC et faire les randonnées au pas des ânes avec la famille de Jean-Marie et Hélène … Qu’est-ce que ça tombe bien !
Jeannot sourit.
Lulu :« Sais-tu que dans son livre, ce qu’il écrit, ça ressemble à ce que dit le pape François. Ils sont très en communication entre eux … On demandera à Jean-Marie comment ça se fait qu’ils sont reliés comme ça l’un à l’autre, comment ça se fait qu’ils disent et tendent de la même manière à ce qu’avec eux, nous fassions la même chose : « nous élever en humanité les uns grâce aux autres dans des relations non violentes, en arrêtant de prendre toute la place sur terre, en nous poussant les uns les autres à faire de la place à ceux qui n’en ont pas »
Jeannot sourit encore. Le voici détendu, en paix. Il a comme accompli sa mission. Il vient de raconter à Bernadette et à moi comment il nous a représentés en cette journée du 6 août 2018 où nous n’avons pas pu être là à Dampierre et Ranchot.
Lulu : « Qu’est-ce que je suis touché que par toi Jeannot, en cette journée du 6 août, nous apprenons que le petit ginkgo biloba a poussé des feuilles, douze … Tu les a comptées sur son tronc. J’ai envie de dire qu’elles se sont reflétées dans l’eau du seau d’eau que tu venais verser sur ses pieds.
Par toi aussi, nous apprenons, il se reflète sur ton visage et dans tes paroles, que ce même jour, Jean-Marie était avec sa famille à l’exposition de Ranchot pour exiger le désarmement nucléaire unilatéral de la France… Que ce même jour, Jean-Marie a présenté son dernier livre : « La violence juste n’existe pas » et que c’est la même chose que ce que déclare le pape François. J’ai encore envie de te dire Jeannot que tu es un des premiers témoins-artisans de tout ce travail … Que c’est à toi aussi que le prix Nobel de la paix a été décerné en septembre 2017 comme à tous ceux qui travaillent à nous démunir de nos violences, et qui s’affilient d’une manière ou d’une autre au mouvement ICAN (Campagne Internationale pour l’abolition des armes nucléaires ) Jeannot, c’est dans la lumière et dans l’amour que l’univers a commencé d’exister … c’est dans la non-violence seulement, que pourra se continuer son achèvement.
Ma sœur Bernadette nous dit au revoir. Je la remercie pour tout ce qu’elle a rendu possible avec beaucoup de parents de ces jeunes pour la réalisation de ces journées du festival de la paix. Nous partons nous reposer pour être le plus en forme possible durant les rencontres qui nous attendent.
Comment se fait-il que nous ayons été si peu de vieux rêveurs du Jura à répondre à cet appel si plein d’angoisses en même temps que d’espérance, lancé par ces jeunes prophètes … Besançon n’est quand même pas si loin pour que des Jurassiens y accèdent.
Pourquoi si peu de gens de notre diocèse de Saint Claude Poligny, sont venus croiser les pas de ces jeunes faiseurs de paix … travailleurs de la non-violence … ? Pour une fois qu’un réel débat était initié par des jeunes au sujet crucial du désarmement nucléaire de notre pays.
Faudra-t-il encore un autre festival ? Mais sait-on les forces qui sont nécessaires pour lancer et réaliser un tel moment historique ? Le risque ne sera-t-il pas qu’il soit très tard
Lucien Converset