Dampierre le 7 avril 2020
« LA VIE EN HLM C’EST PAS POSSIBLE
ET PUIS AVEC LE CONFINEMENT C’EST ENCORE PIRE QU’AVANT »
C’étaient les paroles au téléphone d’un jeune adolescent qui habite en HLM avec sa famille... le soir du dimanche de rameaux. Et il continuait :
Igor : ... J’ai peur qu’il y en ait qui se battent... là ils viennent de s’insulter... Tu ne peux pas savoir ce qui se passe la nuit... le bruit que ça fait dans l’étage du haut... on n’arrive pas à dormir... là, maintenant, il y en a qui ont appelé les gendarmes... ils vont arriver... j’espère que ça va se calmer... les gendarmes sont déjà venus l’autre jour... Ça y est les gendarmes sont arrivés... ils causent avec des gens dans le bas de la cage...
Parce que Igor ne peut pas sortir du confinement, il est important que les paroles qui portent ce que vivent les membres de sa famille et lui-même et tous les gens de l’HLM... que tous ces cris et ces appels soient entendus...
Igor continue...
Igor : Tu te rappelles je te racontais l’autre jour... Il faudrait qu’on ait quelque chose à faire. Alors avec mon papa... parce que l’entreprise où il travaille a fermé, on s’est mis à bêcher le bout de jardin... qu’on nous a prêté tout à côté de l’HLM.
Comme on voulait préparer les plantations de pommes de terre et de haricots, nous voilà partis avec mon papa au magasin... C’était il y a plus de 15 jours... On s’est fait arrêter... on n’avait pas l’attestation de déplacement. « PV de 135€. Et puis vous n’avez pas le droit d’être deux » que nous dit un des gendarmes... Ça a été dur à avaler... on n’a déjà pas de sous... Et mon papa il a besoin que je l’aide, donc que je sois avec lui.
Lucien : J’écoute Igor tout ce que tu me partages et qui vous accable...
Igor : Moi je voudrais bien qu’on s’entende dans mon HLM entre voisins... Mais il y a de la jalousie et les paroles partent vite...
Lucien : Tu les voudrais constructives ces paroles et elles partent trop vite dans la violence... Tu fais bien d’appeler... tu redis bien à tes parents que quand vous recevrez le papier du PV de 135€ vous m’appelez et on fait une lettre pour demander l’annulation... Continue Igor d’être auprès de tes parents comme tu le fais...
Igor : Oui parce qu’il y a des gens â l’extérieur. Quand ils parlent de nous qu’on habite dans l’HLM, ils disent qu’on est tous des « cas sos » des cas sociaux. Pour moi c’est une injure à notre égard.
Lucien : Je comprends combien ça vous humilie... Ils ne vous considèrent pas dans votre dignité.
Igor : On ne veut plus l’entendre...
Lucien : Continue Igor d’être auprès de ta famille comme tu l’es... et continues aussi à avoir des projets, comme de faire le jardin avec ton papa.
Igor : Justement à propos de projets il y en a un dont je voulais te parler...
Lucien : Tu vois ce qui te sauve, ce qui te donne des perspectives et te permet de traverser l’épreuve du confinement et les autres difficultés de la vie, de rester tout proche de ta famille, c’est que tu essayes de concevoir et bâtir des projets... c’est ce qui te permet de trouver des clefs pour ouvrir des portes, pour t’en sortir et ainsi aider d’autres à trouver eux aussi un chemin de libération. Dis voir le projet dont tu voulais me parler.
Igor : J’ai le projet de passer mon permis de conduire un scooter.
Lucien : Mais tu as déjà un bon vélo avec lequel je te vois venir à Dampierre de temps en temps. Et tu sais te débrouiller pour monter ton vélo dans le train quand tu veux aller plus loin.
Igor : C’est vrai... Mais il y a des endroits où je voudrais aller et qui sont encore plus loin...
Lucien : Je comprends... tu veux ouvrir ta vie à de plus larges horizons encore... et tu reviendrais dans ton HLM ?
Igor : Bien sûr. Je ne m’évaderais pas pour toujours... Ça me permettrait d’aller voir ma copine qui habite loin, où le train ne passe pas... et je pourrais revenir facilement dans ma famille, dans le HLM.
Lucien : Je comprends... voilà encore un projet qui habite en toi et te permets de traverser les moments difficiles et éprouvants...
Quelques temps après ce partage avec Igor, je m’informe en lisant et le Progrès et l’Est Républicain. En même temps, j’apprends la mort de deux amis prêtres, Gilbert Chopard à Bretonvillers dans le Doubs et André Germain chez les petites sœurs des pauvres à Lons le Saunier. Grande épreuve pour les familles et pour nous les amis de ne pas pouvoir accompagner nos amis. Car les rites nous permettent de structurer nos vies, de nous appuyer sur les points de repères dont ils sont signes. Les rites rythment nos vies. Je partagerai cela avec Igor.
D’apprendre qu’en ce moment le coronavirus est une épreuve qui frappe à beaucoup d’endroits de la Planète, ça peut aider à traverser les dures difficultés de la vie en HLM que connaît Igor, sa famille et leurs voisins.
Je raconterai à Igor que dans le journal qui m’annonçait la mort de mon ami, j’ai trouvé juste à côté une citation d’Albert Camus dans « La Peste » un livre où il raconte l’envahissement de cette épidémie dans la ville d’Oran en Algérie. Il écrit : « Il y a dans l’homme plus de choses à admirer qu’à mépriser »
Ça pourra aider à la traversée de l’épreuve que de chercher et découvrir chez mon pire voisin quelques-uns des trésors d’humanité qui l’habitent.
Igor me dira, comme il me dit des fois quand nous nous affrontons afin de nous démunir de nos violences : « J’aime bien quand tu dis des mots qui relient »
Alors je lui raconterai l’histoire de Julos Beaucarne, ce chanteur et bateleur des années 1980, ce qu’il a fait le soir où il a appris la mort de sa femme, sa « Loulou » comme il l’appelait avec tendresse. Elle venait d’être tuée à coups de couteaux par quelqu’un qui sans doute avait perdu la tête et la raison. Julos a pris un crayon et un cahier et il s’est mis à écrire, à nous écrire : « Amis, il nous faut continuer à aimer à tort et à travers, à temps et à contre temps. Il nous faut nous démunir de nos violences et de l’esprit de vengeance. Amis, il nous faut reboiser l’âme humaine. »
Lulu
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