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20 juillet 2016 3 20 /07 /juillet /2016 13:36

Jean-Marie Muller*

 

Le 14 juillet 2016

 

En 1957, Jean Lurçat (1892-1966) réalise une tapisserie qui représente L’Homme d’Hiroshima : celui-ci, affirme-t-il, « a été brûlé, dépouillé, vidé par la bombe… Mais avec lui, ce sont toutes nos raisons de vivre qui ont été saccagées… » Parmi la pluie de ruines qui tombent autour de son personnage, figure « La Croix », ce qui signifie que la bombe a provoqué la déliquescence du christianisme. « La bombe n’épargne aucune idéologie, aucun système… Elle anéantit toutes les pensées de l’homme, tout le patrimoine culturel commun… »

 

L'homme d'Hiroshima (Jean Lurçat 1957)

L'homme d'Hiroshima (Jean Lurçat 1957)

Le 8 août 1945, deux jours après l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, Albert Camus écrit : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie . » Il conclut : « Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous percevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison  . » Mal-heureusement, face aux gouvernements qui ont choisi l’enfer, les peuples ont renoncé à leur faire entendre raison…

 

En 1946, Bernanos écrits plusieurs articles qui stigmatisent la bombe atomique comme une dérive de l’intelligence à laquelle l’homme raisonnable ne peut qu’opposer l’objection de sa conscience. Selon lui, le plus grand danger, ce n’est pas que la bombe atomique détruise l’humanité, mais quelle « détruise la raison humaine en anéantissant l’humanité raisonnable  ». La bombe crée un « ordre inhumain » qui doit être refusé : « Au monde de la bombe atomique, on ne saurait déjà plus rien opposer que la révolte des consciences, du plus grand nombre de consciences possible . » Force nous est de reconnaître que l’appel de Bernanos à l’insurrection des consciences n’a pas été entendu. Les hommes – du moins le plus grand nombre d’entre eux - ne se sont pas révoltés, ils se sont habitués, résignés, accommodés, adaptés, soumis. Ils ont démissionné. Ils ont accepté l’inacceptable.

 

Avant même qu’aucune bombe atomique n’ait explosé, la préméditation du crime contre l’Humanité et la Civilisation qui fonde la dissuasion nucléaire consacre le reniement et la négation de toute morale, de toute éthique, de toute philosophie et de toute sagesse. Une fois que nous avons accepté de consentir au meurtre nucléaire, c’est toute la morale publique qui se trouve gangrenée. La civilisation s’effondre et toutes nos espérances dans l’Humanité deviennent douteuses. En outre, la menace de l’explosion accidentelle ou délibérée d’une bombe dont les conséquences humanitaires seraient irréparables est bien réelle. Compte tenu de la modernisation des arsenaux nucléaires, l’horloge de l’Apocalypse (ou horloge de la fin du monde), créée en 1947 par des scientifiques atomistes de l’Université de Chicago, a été avancée de 2 minutes le 22 janvier 2015 et affiche désormais minuit moins trois.

 

Si les peuples se sont tus, c’est tout particulièrement parce que les clercs eux-mêmes, dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées qui fondent l’Humanité de l’Homme, ont gravement trahi leur mission. Parmi les clercs, ceux qui se réfèrent à l’Évangile chrétien ont une mission dont l’importance est décisive. Selon Julien Benda, les hommes d’Église sont « les clercs par excellence ». Non pas parce que l’Évangile serait la parole de Dieu qui devrait s’imposer à tous les hommes, mais parce qu’il est la parole de l’Homme qui exprime les aspirations spirituelles universelles qui donne sens à l’existence de tout être humain. Mal-heureusement, les clercs chrétiens se sont eux-mêmes résignés à la menace de l’apocalypse nucléaire qui pèse sur notre société. Certes, d’autres clercs pourraient et devraient s’exprimer. Mais où sont les clercs des autres religions ? Où sont les clercs de l’université française ? Où sont les clercs d’une laïcité authentique ? Et où sont les clercs d’une écologie conséquente ? Et, encore, où sont les clercs d’une vraie gauche ?

 

Bien sûr, sans attendre la parole des clercs, les citoyens ont la liberté de penser et d’agir selon leur conscience en s’organisant au sein de la société civile pour affirmer leur dissidence éthique et politique avec la dissuasion nucléaire. Mais le pouvoir de leur parole au sein de l’opinion publique, leur capacité de se faire entendre auprès des pouvoirs publics sont sans commune mesure avec ceux des clercs. Sans le concours de ces derniers, les citoyens risquent fort de demeurer impuissants pour faire céder les gouvernements. Qui saurait nier le retentissement international considérable qu’aurait une déclaration solennelle des évêques français en faveur de l’abandon unilatéral par la France de son arsenal nucléaire ?

 

Pour ma part, j’ai longtemps espéré que les évêques de France auraient l’audace évangélique et le réalisme politique de dénoncer la dissuasion nucléaire et de préconiser le désarmement nucléaire unilatéral de la France. Aujourd’hui, tout me laisse penser que je dois renoncer à cette espérance. Interprétant à l’envers la sagesse supposée des « trois petits singes », ils ont décidé d’être aveugles, d’être sourds et d’être muets devant le Mal nucléaire. Si les évêques français dénonçaient la dissuasion nucléaire française, probablement que le gouvernement n'y renoncerait pas immédiatement. Mais eux-mêmes seraient désarmés alors qu'aujourd'hui ils sont eux-mêmes armés.

 

Luc Ravel, évêque aux armées, le 13 février 2014, lors d’une audition  devant la Commission de la défense de l’Assemblée Nationale, précise que l’Église appelle à un « désarmement mondial, multilatéral, progressif et simultané » ; mais il ne s’agit là que d’un vœu pieu qui n’engage strictement à rien et ne peut avoir aucun impact sur la réalité. Il affirme ensuite « qu'en l'état du monde d'aujourd'hui, le nucléaire et la dissuasion sont nécessaires ». À l’évidence, cette nécessité militaire efface l’exigence évangélique. Quand tout est dit, l’arme nucléaire n’est pas une arme légitime de défense, mais une arme criminelle de terreur, de destruction, de dévastation et d’anéantissement Au-delà de l’im-moralité intrinsèque de l’acte nucléaire, il est essentiel de prendre conscience de son in-faisabilité substantielle. À aucun moment, dans aucune crise internationale, la menace de l’emploi de l’arme nucléaire ne pourrait être opérationnelle. À l’arme nucléaire, l’homme raisonnable, l’homme moral, l’homme spirituel, l’homme sage, l’homme enfin ne peut qu’opposer un non catégorique et définitif qui exige le désarmement unilatéral de son pays.

 

En 2014, l’Institut catholique  de Paris, la commission Justice et Paix France et le mouvement Pax Christi France ont publié un livre intitulé La paix sans la bombe ? Dès l’introduction, il est clairement affirmé que « ces analyses ne concluent pas à la nécessité d’un abandon unilatéral de l’arme nucléaire ». Il est précisé : « Le nucléaire militaire est sans doute une réalité durable ; sa disparition ne pourra résulter que de décennies d’efforts internationaux concertés. » Des décennies ! Autant dire une éternité ! Ce qui signifie qu’en attendant des lendemains improbables qui chanteront le désarmement mondial, les citoyens français sont invités à s’accommoder de la dissuasion nucléaire fondée sur la préméditation d’un crime contre l’Humanité…

 

D’autres événements sont survenus qui confirment que les évêques ont décidé de se taire. Après avoir tenté de dialoguer avec nombre d'entre eux, j'en viens à la conviction que face à la foi nucléaire, ils n’oseront pas l’apostasie. Le silence des évêques  est d’autant plus grave qu’il ne vaut pas seulement une abstention, mais qu’il vaut une acceptation du crime nucléaire. Selon la sagesse des nations : « Qui ne dit mot, consent ». Leur silence vaut un consentement criminel au meurtre nucléaire.

 

Cette position de l’Église de France est non seulement une erreur mais c’est une faute, une faute contre l’esprit… C’est véritablement un « scandale » au sens évangélique du terme… Et le plus affligeant, ce n’est peut-être pas que désormais nous devions vivre avec la bombe, mais que nous devions vivre sans l’Espérance Évangélique… Certes, le caractère subversif intrinsèque de l’Évangile reste entier, mais, par lui-même, il est impuissant à agir dans l’histoire…

 

J’ai bien conscience que d’aucuns viendront me reprocher la dureté de mon intransigeance. J'assume cette dureté. C'est la dureté de mon opposition à l'arme nucléaire. Si je suis scandalisé, si ce scandale m’atteint au plus profond de mon être, que voulez-vous que j’y fasse ? « Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j’y fasse ? » Ainsi se termine un entretien avec le philosophe Günther Anders . Selon lui s’accommoder de la bombe, c’est être « frappé de cécité de l’âme  ». Face à la préparation de l’apocalypse nucléaire, l’homme raisonnable est rongé par la honte : « La honte d’aujourd’hui : la honte de ce que des hommes ont pu faire à d’autres hommes ; la honte aussi, donc, de ce qu’ils peuvent encore aujourd’hui se faire, donc aussi de ce que nous pouvons nous faire les uns aux autres, donc la honte d’être aussi un homme . » Ce qui désespère Anders, c’est d’être dans la situation de ne pouvoir rien faire d’autre, jour après jour, année après année, que d’alerter la conscience de ses contemporains devant la menace d’apocalypse nucléaire qui pèse sur le monde alors même que ceux-ci restent sourds à ses appels et s’enferment dans une attitude d’irresponsabilité. Je dois avouer que j’en suis arrivé là… Je suis désespéré de voir la société française prisonnière des armes nucléaires dans l’indifférence générale.

 

Victime des radiations de la bombe d’Hiroshima, la petite fille espérance a contracté un cancer nucléaire. Elle aurait pu guérir si le mal avait été soigné à temps. Mais les hommes ne s’en sont pas souciés et, aujourd’hui, la petite fille espérance est en train de mourir de son cancer nucléaire…

 

* Philosophe et écrivain.

Auteur notamment de  libérer la France des armes nucléaires, Chronique Sociale, Lyon, 2014.

Lauréat 2013 du Prix international de la fondation indienne Jamnalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.

Site personnel : www.jean-marie-muller.fr

 

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  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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