Ce soir, j’ai appris un grand drame.
Dans mon beau Jura, à Dampierre, une fille de 11 ans a été tuée par sa mère. Sa sœur, blessée a été hospitalisée. Face à la stupeur, à la sidération, à l’incrédulité de cette nouvelle, les questions fusent dans ma tête. Pourquoi ?! Comment est-ce possible ?! Comment ont-elles pu en arriver là ? Comment une maman peut-elle en arriver à tuer sa fille ?
Je suis bouleversée. Les mots se bousculent.
Je pars faire le tour du monde me questionner sur la rencontre et le pardon entre nous, êtres humains, et aux portes de chez moi, je découvre cette terrible nouvelle.
Je suis effarée. Je prends conscience progressivement du drame de ce drame.
Les maux ont tués les mots, qui ont tué la Vie.
Ayant travaillé dans la protection de l’enfance, je sais que les maux sont parfois les nœuds horribles et solides qui tordent les mots et les empêchent de sortir ! Je sais que les sentiments étouffés crient davantage quand les liens du sang, si forts et proches, sont à la fois si conflictuels et éloignés par un fossé. Je sais aussi qu’avec un soutien, une oreille extérieure, une écoute qui se crée, les mots peuvent se dénouer, jaillir et se libérer, pour laisser exprimer la douleur. Puis reconnaître ce qui en chacun se joue. Se comprendre soudainement. Et avancer. C’est possible.
J’ai déjà pu vivre ces dénouements fabuleux avec des familles ! Je sais aujourd’hui que véritablement, c’est possible ! Mais je découvre ahurie que l’extrême inverse, malheureusement, est lui aussi possible. Aujourd’hui, je suis témoin comme tous les Jurassiens et les Français, que le manque de mots, de pas vers l’autre, peut créer une prison, qui devient enfer, et peut mener à la mort. Aujourd’hui, de manière dramatique, nous pouvons le voir entre une mère et sa propre fille.
Je veux vous lancer aujourd’hui un appel.
Le monde est là, maintenant.
Que tous ceux qui ont avec chance une certaine stabilité et sérénité dans leurs vies, puissent être des oreilles attentives et des cœurs accueillants aux blessures des autres. Nous ne pouvons plus vivre isolés et inconnus les uns des autres, entre nous. Entre membres d’une famille, entre amis, entre voisins, entre collègues. Nous sommes avant tout des humains qui vivons en Humanité ! Organisons des repas, prenons le temps de partager, osons téléphoner... Ne sous-estimez votre potentiel d'accueil, d'écoute et de soutien. Peut-être secrètement sauverez-vous quelqu'un.
Que tous ceux qui ont des pistes et des outils de dialogues les proposent autour d’eux, créent des espaces pour accueillir l’autre, des ateliers expérimentaux pour travailler à être acteurs de la non-violence ! Tant d’outils existent aujourd’hui ! Ils doivent être rendus accessibles à tous ! Développés ! Allez vous former et transmettez les outils que vous apprenez ! Les clés sont là, mais ne peuvent servir si elles restent sous le paillasson, pendant que dans la maison, tout explose et se tue, dans la prison dorée !
Car la maison devrait être un lieu de refuge, de bien-être et de construction pour chaque enfant et adolescent qui s’ouvre au monde ! Elle ne doit pas être le lieu de sa propre destruction et de sa propre mort ! Mort d’une famille détruite par le drame !
Pourquoi cette mère n’a-t-elle pas su trouver oreille attentive pour passer le relai avant ce drame ? Quelle détresse vivait-elle pour en arriver là ? Comment cette sœur blessée, dans sa chair et dans son âme, va-t-elle se réveiller et faire face à ce qu’il s’est passé ? Sans pouvoir revenir en arrière.
Nous avons des possibilités aujourd’hui de nous soutenir, de développer notre solidarité, de travailler sur la communication :
Il y a :
- la Communication Non-Violente (CNV), pour apprendre à mieux se connaître, mettre en mots les maux, accueillir ses émotions, découvrir ses besoins, exprimer des demandes,
- les Cercles Restauratifs, qui existent à Besançon et dans d’autres villes de France, qui sont des supports pour offrir des réponses puissantes à la résolution de conflit,
- et tant d’autres outils encore, pour dénouer les nœuds, que l’on porte en nous, tel que l’EFT (Technique de Libération Emotionnelle) par exemple.
Ces espaces-là doivent se développer si nous ne voulons pas que des drames semblables se reproduisent.
Nous devons proposer ces outils dans les écoles, dans les collèges, les lycées. Que ces outils soient inscrits dans les programmes scolaires. Que les adultes, familles et professionnels soient mieux formés. Cependant, les instituteurs et professeurs, travailleurs sociaux ou religieux ne peuvent avoir à leur charge l'entière responsabilité de ce travail. Chacun, où qu’il soit, doit pouvoir avoir agir, se former et avoir accès à ces outils. Nous sommes tous acteurs de l’avenir de notre Humanité, de notre quartier, de notre maison.
Sans se sentir coupable, interpellons-nous à poursuivre le chemin et à agir à notre échelle, pour développer les liens, la communication, la rencontre ! Quels besoins cette mère n’a pas pu exprimer ? Quelles réponses aurait-elle pu trouver ? Comment aurions-nous pu l’accompagner ?
Il est urgent de remettre de la communication entre nous, et dans nos cœurs. Que chacun propose, invente, crée, et ose… Pour que des espaces de dialogues et de soutien s’ouvrent davantage… L’autre, mon frère, ma fille, mon voisin, ne doit pas rester pour moi un étranger.
Nous devons aller au-delà de nos peurs, déconstruire nos préjugés, et créer des liens de fraternité et de soutien entre nous. Aujourd’hui, mon voisin en a besoin ? Peut-être que demain ce sera moi. A qui pourrais-je faire appel dans ces moments-là ?
J’ai moi-même été effrayée de découvrir ma propre violence, là, à l’intérieur de moi. Avec et grâce aux autres, je peux avancer. Je peux accueillir ma souffrance sans la laisser m’envahir. Mais c’est un travail de tous les jours. Tellement plus beau et plus fort quand il est mené à plusieurs !
Ce soir, je pense à cette sœur, qui est en vie.
Je souhaite au plus profond de mon cœur, qu’elle trouve repères, soutien, écoute pour se construire à partir de ce qui est désormais son histoire, réussir à se relever pour l’avenir.
Quel chemin pourra-t-elle prendre ? Je lui souhaite de découvrir un jour le pardon. Seule possibilité de libération pour elle, dans sa propre vie. Et qu’elle témoigne. Qu’elle ose. Qu’elle trouve la force. Pour dire qu’il faut que ça cesse. Qu’il ne doit pas y avoir d’autres victimes comme sa sœur. Que pour cela, elle a besoin des adultes, bienveillants et soutenants autour d’elle, qui l’aide à apprendre à communiquer, avancer, se construire…
Nous ne pouvons pas rester seulement témoins d’un drame pareil.
Ce drame doit nous interpeller à agir et ouvrir de nouvelles portes, pour aller vers la « rencontre » vraie et réelle, pour dénouer les nœuds … Que ce drame nous pousse chacun à dénouer nos propres nœuds… et à agir autour de nous.
Pour que, par l’accueil des émotions
et la libération des mots,
des fleurs puissent germer et fleurir,
pour sortir des prisons.
Rachel Lamy
in Citoyens du Monde, Jardiniers de Paix
le 20 août 2018
Cet appel, ce cri est suivi du témoignage d'une maman ayant connu la détresse