Mise à jour le 23/01/2015
2ème partie de la lettre de Jean-Marie MULLER (1ère partie ici)
Prendre Gandhi à la lettre
Il faut prendre définitivement Gandhi à la lettre lorsqu’il affirme que la non-violence est la vérité de l’humanité de l’homme. Gandhi affirme également : « La seule manière de connaître Dieu est la non-violence. » En ignorant la non-violence, les religions ont méconnu Dieu dont l’être - en toute hypothèse - est essentiellement pur de toute violence. L’opposé de la foi, ce n’est pas l’incroyance, mais la violence. Mais ce qui est plus grave encore, c’est qu’en ignorant la non-violence, les religions ont méconnu l’homme dont l’être spirituel s’accomplit dans la non-violence. En justifiant la violence, c’est l’homme que les religions trahissent. C’est l’humanité de l’homme qu’elles nient.
Hommage à la non-violence devant la statue de Gandhi à Strasbourg
L’antinomie radicale entre l’amour et la violence
On a souvent critiqué les religions pour leur justification de la violence. Certes, les religions sont coupables par ce qu’elles apportent à la violence, mais surtout par ce qu’elles n’apportent pas à la non-violence. Cela implique qu’il n’est pas suffisant que les religions ne justifient plus la violence ; il est nécessaire qu’elles n’ignorent plus la non-violence.
Même lorsqu’elles ont prêché l’amour, les religions n’ont pas osé affirmer la contradiction irréductible, l’incompatibilité essentielle, l’antagonisme absolu, l’antinomie radicale entre l’amour et la violence. Elles ont encore laissé croire aux hommes qu’il était possible de conjuguer ensemble l’amour et la violence dans une même rhétorique. Voilà l’erreur capitale. Car, dans cette rhétorique, le principe de non-violence se dissout. La transcendance de l’homme, c’est de craindre davantage le meurtre que la mort.
Les doctrines religieuses justifient le meurtre
De nombreuses voix se sont élevées pour prétendre haut et fort que « l’islamisme n’avait rien à voir avec l’islam ». Il importe certes de refuser tout « amalgame », de fermer la porte à la stigmatisation des musulmans qui seraient tous co-responsables de l’islamisme et de ses dérives criminelles. L’islamophobie doit être récusée et condamnée sans aucune concession. Cependant, on ne saurait nier la possibilité pour les islamistes de recourir à la caution de nombreux versets coraniques pour faire prévaloir, au-delà des compromissions de l'histoire, leur conception intégriste de l'islam. En toute rigueur, le droit musulman prescrit la plus extrême sévérité à l’encontre de ceux qui critiquent le prophète. La loi islamique n’exclut nullement le meurtre des blasphémateurs. Mahomet lui-même n’hésita pas à faire assassiner des dissidents qui avaient défié son autorité. Les islamistes peuvent prétendre qu'ils sont des orthodoxes conséquents, radicaux et donc intransigeants. Entre l'islam traditionnel et l’islamisme des intégristes, il existe des passerelles dès lors que le texte coranique permet la lecture fondamentaliste qu’en font les islamistes.
Aussitôt qu’une telle critique de l’islam est amorcée, il est affirmé qu’il en est ainsi de toute religion. En toute hypothèse, cette affirmation est une confirmation et non pas une infirmation. Sans aucun doute, l’analyse qui vient d’être faite du Coran vaut également pour la Bible dont de nombreux versets justifient la violence. Les compromissions du judaïsme et du christianisme avec la violence ont beaucoup varié au cours de l’histoire selon le temps et le lieu. Pour sa part, Jésus a récusé la loi du talion, il a demandé à ses amis de remettre leur épée au fourreau et de ne pas résister au mal en imitant le méchant. Pour autant, cela n’a pas empêché l’Inquisition d’être catholique avant de devenir musulmane et les guerres chrétiennes du XVIème siècle – « pensons à la nuit de la Saint Barthélemy » - n’ont rien à envier aux guerres musulmanes d’aujourd’hui.
Nécessité ne vaut pas légitimité
Certes, nous savons que la non-violence absolue est impossible en ce monde. L’homme peut se retrouver prisonnier de la dure loi de la nécessité qui l’oblige à recourir à la violence. Mais, même lorsque la violence apparaît nécessaire, l'exigence de non-violence demeure ; la nécessité de la violence ne supprime pas l'obligation de non-violence. Nécessité ne vaut pas légitimité. Justifier la violence sous le prétexte de la nécessité, c’est rendre la violence sûrement nécessaire et enfermer l’à-venir dans la nécessité de la violence.
En pactisant avec le meurtre, les religions n’ont pas commis des fautes, elles ont commis des erreurs, des erreurs de doctrine, des erreurs de pensée qui sont autant d’erreurs contre l’esprit. Aujourd’hui comme hier, c’est un impératif moral catégorique que les religions décident de rompre une fois pour toutes avec leurs doctrines de la légitime violence et du meurtre juste et optent résolument pour la non-violence. Pour une part décisive, l’à-venir de l’humanité dépend de cette décision des religions.
L’espoir, c’est que l’extrémisme de la violence commise en France mais aussi en de nombreux pays dans le monde au nom de la religion obligera les responsables religieux à opérer cette rupture.
Combattre l’antisémitisme
Le meurtre de quatre français de religion juive le 8 janvier Porte de Vincennes dans un supermarché Hyper Casher vient donner un surcroît de tragédie au drame de la mort des journalistes de Charlie Hebdo. Là encore, il importe de condamner absolument tout relent d’antisémitisme. Mais il faut reconnaître que, pour une part, l’origine de l’antisémitisme provient de la politique de l’État d’Israël menée au nom d’un judaïsme radical. Le risque est réel que la condamnation du racisme antisémite laisse entendre une justification de la politique du gouvernement israélien. De ce point de vue, la présence du chef du gouvernement israélien à la manifestation du 11 janvier n’a pas été sans ambiguïté. Qui pourrait prétendre que les droits des Palestiniens sont respectés par l’État d’Israël ?
La France est en guerre
« La France est en guerre contre le terrorisme » a déclaré le Premier Ministre, Manuel Valls, le 13 janvier à l’Assemblée Nationale. Certes, les menaces « terroristes » qui pèsent sur la France sont bien réelles, mais il serait illusoire de croire que seules des mesures sécuritaires, c’est-à-dire policières et militaires, pourront les circonscrire et les éliminer.
Ne parler que d’horreur, de barbarie, de monstruosité risque fort de nous égarer en nous conduisant à occulter le caractère politique de ces actes. Pour comprendre le terrorisme, il ne suffit pas de brandir son immoralité intrinsèque. Dès lors que la dimension politique du terrorisme sera reconnue, il deviendra possible de rechercher la solution politique qu'il exige. La manière la plus efficace pour combattre le terrorisme est de priver leurs auteurs des raisons politiques et économiques qu'ils invoquent pour le justifier. C'est ainsi qu'il sera possible d'affaiblir durablement l'assise populaire dont le terrorisme a le plus grand besoin. Souvent, le terrorisme s'enracine dans un terreau fertilisé par l'injustice, l'humiliation, la frustration, la misère et le désespoir. La seule manière de faire cesser les actes terroristes est de priver leurs auteurs des raisons politiques invoquées pour le justifier. Dès lors, pour vaincre le terrorisme, ce n'est pas tant la guerre qu'il faut faire, que la justice qu'il faut construire. Ici et là-bas.
Une dernière réflexion qui apparaîtra peut-être encore incorrecte ; la tragédie de Charlie Hebdo n’a pas fait 17 mais 20 victimes. Les trois tueurs, jeunes Français nés en France mais dont la vie était en déshérence, sont aussi des victimes du terrorisme. Quelle que soit l’horreur criminelle de leurs actes, ils sont aussi des hommes. Au-delà de la mort, il nous appartient de leur restituer leur humanité. Il nous sera alors possible de prendre le deuil de ces trois hommes dans le respect de leur personne.
* Philosophe et écrivain.
Auteur notamment de Désarmer les dieux, Le christianisme et l’islam au regard de l’exigence de non-violence, Le Reliè Poche, 2010.
Lauréat 2013 du Prix international de la fondation indienne Jmanalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.
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