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4 juin 2016 6 04 /06 /juin /2016 12:22

Dampierre le lundi 23 mai 2016

 

" ET CA POURRAIT ETRE AUJOURD'HUI "

 (Dans le testament de Christian de Chergé)

 

Il y a 20 ans des femmes et des hommes de bonne volonté étaient bouleversés de par le monde entier, par l'annonce de la mort des moines de Tibhirine.

Samedi soir 21 mai, avant-hier, nous sommes allés avec Antoinette durant les complies chantées par les moines de l'abbaye d'Acey, ramasser nos êtres bien bouleversés eux aussi … Nous nous aidons à ce que, la petite fille Espérance de la non-violence, ne disparaisse pas de nos horizons. Car demain, des élections présidentielles en Autriche, risquent de provoquer des avalanches politiques alarmantes dans toute l'Europe …

 

Et puis ce dimanche 22 mai, Maggy et Bernard m'invitent à venir regarder chez eux le film «  Des hommes et des Dieux ».

 

"Et ça pourrait être aujourd'hui" C. de Chergé

Il passe à la télévision. Je l'ai déjà vu plusieurs fois. C'est avec une émotion toujours aussi profonde que je vais le revoir. Afin de m'y préparer, comme beaucoup d'amis, je relis le testament de Christian de Chergé écrit à Alger-Tibhirine entre le 1er décembre 1993 et le 1er janvier 1994. «  S'il m'arrivait un jour, et ça pourrait être aujourd'hui, d'être victime du terrorisme ... »

 

Et voilà que lundi matin 23 mai, très tôt le matin, je me prépare à rejoindre Claudine une amie habitant tout près de Dole … Elle craint, avec juste raison, qu'il lui tombe dessus un jugement, comme quoi elle devrait quitter sa maison pour aller loger en ville … «  Vous aurez tout, en ville » lui a t-on dit. Claudine a répondu : “ Je ne veux pas quitter ma maison qui a été faite des mains de mon mari ...” Elle m'avait alors demandé : “  Voulez-vous m'accompagner auprès du juge, pour que je puisse lui exprimer ma volonté et ma capacité de me maintenir à domicile …”

J'étais sur le chemin de la gare en direction de Ranchot pour me rendre chez Claudine, lorsque je suis rattrapé par la voiture d'Alain. Il me ramène à la maison à Dampierre où nous buvons le café et déjeunons avec des tartines de pain grillé au feu de bois et de la tomme de Savoie offerte par Antoinette... C'est Alain qui m'emmènera en voiture jusqu'auprès de Claudine.

 

Tout en déjeunant, Alain me partage son état d'âme en ce moment, alors qu'il a vu hier soir avec sa femme Véronique le film «  Des Hommes et des Dieux”

Alain : «  Ces moines qui avaient l'Esprit … Ils étaient des gens de paix … Ils vivaient là-bas pour l'amour des gens … pour les aider … ils avaient un esprit combattant …”

Alain cherche un autre mot que combattant.

Lucien : “ Tu veux dire qu'ils luttaient contre l'injustice” 

Alain : “ Ils ne voulaient pas se plier à l'injustice. Ils avaient des convictions. Ils suivaient les paroles de Dieu. C'était même pas des moines, c'était des frères solidaires, les uns les autres, et envers les gens qui venaient les solliciter … Et comme ils étaient proches des gens, ils donnaient leur cœur, leur sang … en quelque sorte, ils ont été sacrifiés pour une cause, mais quelle cause ? Après le film, quand j'ai été au lit, j'ai pensé à ça … C'est quand même horrible. Surtout que c'étaient des gens de paix, ils étaient contre la violence. En étant des gens d'Eglise, en étant chrétiens, ils n'ont pas fermé leur porte aux gens des maquis, les « terroristes » …  Les gens du village de Tibhirine ont dû causer … Le gouvernement a su que les terroristes allaient se faire soigner là-bas, et c'est là que le gouvernement a monté une opération pour faire enlever les moines.

Pourquoi on a retrouvé les têtes et pas les corps ? Ils ont voulu cacher comment ils ont été tués. S'ils avaient la tête, ils avaient aussi le reste. Un jour, on saura peut-être la vérité. ”

 

Lucien : “ Je vais te prêter Alain, le livre de René Guitton : “ En quête de Vérité” aux Editions Calmann-Lévy sur la disparition des moines de Tibhirine.”

Alain : “ Des gens qui se sont sacrifiés, des gens qui ont aidé la population... des hommes de paix … les enlever comme on les a enlevés et fait disparaître à jamais, sans aucune explication, et leur couper la tête … Ils étaient une communauté, ils ont fait des réunions … Ils ont voté … En étant plusieurs esprits, ils étaient en un Esprit, sur la même ligne. Comme dit le pape François : “ On ne quitte pas le navire en pleine tempête.” Les moines de Tibhirine n'ont pas quitté le navire qui était en pleine tempête, ils sont restés jusqu'au bout. Ils étaient ensemble. Ils étaient solidaires entre eux, et avec le peuple. Ils ne se sont pas pliés à la terreur, ils sont restés droits jusqu'au bout. C'était des gens qui avaient une foi très très forte dans l'amour du Christ.”

 

 

Photos prises le 10 mars 2014
Photos prises le 10 mars 2014
Photos prises le 10 mars 2014
Photos prises le 10 mars 2014
Photos prises le 10 mars 2014
Photos prises le 10 mars 2014
Photos prises le 10 mars 2014

Photos prises le 10 mars 2014

Lucien : “ Qu'est-ce qu'il est beau ton témoignage, Alain, au sortir de ce film ! 

Alain : “ Je ressens les choses comme ça !  Même le Seigneur Jesus-Christ, n'a pas fini aussi cruellement que nos frères moines... parce que, Jésus, ils l'ont crucifié sur une croix, mais il était entier … quand tu penses à ce qu'ils ont du vivre ! Quand tu penses à leurs familles ! On leur a coupé la tête … On ne sait pas si c'est avant leur mort ou après … on ne sait pas où sont leurs corps …

C'était beau comme ils vivaient, il y en a un qui s'occupait du bois, l'autre faisait la cuisine, un autre le jardin, Luc soignait les gens … Ils recevaient les gens … Ce qu'ils faisaient, ils le faisaient pour l'humanité … Ils étaient aimés.

On peut considérer que nous aussi, on est une communauté, on est frères. J'ai pas fait le séminaire, mais depuis que je fréquente cette communauté-là, c'est comme si …

En attendant, cette histoire-là, ça te laisse songeur. L'histoire des moines de Tibhirine te fait te poser des questions. Pourquoi, pour quelles causes, pour quelles valeurs ? … Avoir assassiné des gens de paix … c'est comme si, toi, patient, tu tuais le médecin qui te soigne … Eux, ils étaient dans les vraies valeurs … Je repense au frère Albéric de l'abbaye d'Acey, je lui avais demandé un jour qu'est-ce qu'il fallait pour devenir moine.”

C'est alors que quelqu'un frappe à la porte de la cuisine, c'est notre amie Stéphanie qui arrive de la Vieille Loye. Alain lui dit : “ Tu as fait un beau geste à mon égard, quand tu m'as donné ce bel abri pour les oiseaux. Je vais le mettre dans le jardin de mes enfants”  

 
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28 avril 2016 4 28 /04 /avril /2016 13:36
Photo de frère Jean-Pierre prise par Caroline le jour de Pâques à Midelt

Photo de frère Jean-Pierre prise par Caroline le jour de Pâques à Midelt

Vendredi 11 septembre 2015

 

 

DIS-NOUS, FRERE JEAN-PIERRE ! QU'AS TU VU EN CHEMIN ?

 

Ces paroles que j'adresse au frère Jean-Pierre Schumacher, survivant de Tibhirine, en ce matin de présence intense dans le monastère de Midelt, ce sont les paroles que, dans sa liturgie pascale, l'Eglise adresse à Marie-Madeleine. L'Eglise  pose cette question à Marie-Madeleine au matin de Pâques, quand elle revient de prendre soin du corps de Jésus, déposé dans le tombeau et que, Jésus lui-même lui apparaît ressuscité dans le jardin.

 

Dis-nous Jean-Pierre ce que tu vois sur ce chemin sur lequel tu continues de marcher, depuis, voilà bientôt 20 ans que tes compagnons de vie ont été enlevés à ton regard pour être mis à mort. A voir ton humble comportement, ne sont-ils pas vivants à tes yeux ? La vie leur a-t-elle été prise ? Ne l'avaient-ils pas donnée pour Dieu et pour l'Algérie ? Et la manière dont vous avez vécus et dont vous vous êtes aimés avec les gens de Tibhirine, la façon dont, ni la violence ni la haine n'ont eu raison de vous, le comment vous êtes restés branchés avec les habitants, tout cela n'est-il pas chemin d' Emmaüs où Jésus est en train de nous rattraper ? Merci d'être là Jean-Pierre, de prendre le temps de causer avec nous. Nous avons l'impression que tu chemines avec nous afin de mieux nous laisser rattraper par Jésus.

 

Dis-nous Jean-Pierre comment tu es arrivé à Tibhirine ?

Jean-Pierre : « J'ai été ordonné prêtre à Lyon en 1953 chez les frères maristes. Certains supérieurs dans notre ordre, après l'indépendance de l'Algérie voulaient faire arrêter l'expérience de l'abbaye de Tibhirine, où le frère Luc était présent depuis 1946... En 1955, Luc est fait prisonnier par le FLN avec le frère Matthieu. Ça dure une semaine. Ils sont mis en prison par représailles de la part du FLN en raison que l'armée française a tué un de leurs chefs fellaghas. Mais frère Luc a soigné la femme de l'un d'entre eux. Cet homme dit aux membres du FLN : « Ne touchez pas à cet homme. » C'est alors qu'un autre homme du groupe en libérant frère Luc lui dit : « Tu pourras nous demander tout ce que tu voudras ... » Luc leur dit : « Des cerises ! » La saison était passée. Ils lui en trouvèrent quand même. Ils sont libérés de la manière suivante : « Demain matin l'armée française va ouvrir la route. Vous montez dans le car qui va passer après. » En fait, c'est l'armée qui les a ramenés à Tibhirine. Tout cela a bouleversé frère Luc. Il devra aller se reposer en France.

 

J'ai été ordonné prêtre chez les frères maristes à Lyon en 1953. Quand j'arrive à Tibhirine en 1955 frère Luc n'est pas là. Comme je te l'ai dit, certains supérieurs de notre ordre voudraient faire arrêter l'expérience de Tibhirine, mais le cardinal Duval veut garder et que soit maintenue l'abbaye. Quand Luc revient de France, des frères de Tibhirine disent : « Il ne faut pas que frère Luc continue d'exercer son métier. Le père Lebeau qui prêche notre retraite dit : « Il est bon qu'il y ait un dispensaire à l'ombre du monastère. » Il avait bien raison. Je venais d'être nommé commissionnaire. Quand j'allais en ville, je me rendais bien compte comment le travail de frère Luc rayonnait à Tibhirine, à Médéa et aux environs. C'était le seul médecin d'Algérie à ne pas être dépendant du ministère de la santé.

 

Lucien : « Et c'est en 1971 que vous voyez arriver Christian de Chergé ? »

Jean-Pierre : « Christian avait fait son séminaire chez les Carmes. Il avait été soldat dans l'Ouarsenis. »

Lucien : « Vers Tiaret ! »

Jean-Pierre : « Oui, dans une SAS. Il faisait le lien avec la population. Il était aidé par un homme qui s'appelait Mohammed, un supplétif. Cet homme pouvait être considéré comme traitre à la population par certains membres du FLN. Un jour, le FLN a voulu descendre Christian. Mohammed s'y est opposé en disant : « Cet homme fait du bien à notre peuple. » le FLN a laissé Christian tranquille, mais quelques jours après, Mohammed ce père de famille de 10 gosses, était égorgé. Cette expérience a marqué toute la vie de Christian. Il ne nous en parlait pas. Il y a des choses, je les ai sues par après, récemment. Christian a relié cela à la passion du Christ, à sa parole lorsqu'il dit : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. »

Ce sommet de notre foi a été vécu par un musulman, pour moi. Depuis ce jour, Christian avait pris la résolution : « Quand je serai prêtre, je reviendrais servir l'Algérie, me mettre au service du peuple algérien jusqu'à la fin de ma vie. » C'est ce qu'il a fait. Il n'a jamais démordu de cette résolution, jusqu'au martyre.

Christian est devenu prêtre. Son premier poste a été la basilique de Montmartre à Paris. Là, il était responsable de la liturgie et de la manécanterie.

Un beau jour il dit à sa maman : « Je vais à Aiguebelle pour devenir moine pour l'Algérie. »

 

Tibhirine ne pouvait pas avoir de noviciat. C'était une communauté en voie de disparition et de fermeture. Nous étions après l'indépendance de l'Algérie. Avec quelques moines, nous avions été envoyés de Timadeuc pour empêcher cette fermeture. Nous étions demandés par le cardinal Duval. Nous étions envoyés au nombre de dix : quatre de Timadeuc, quatre d'Aiguebelle, et deux de Cîteaux. Il y en avait trois qui étaient déjà là, trois seulement de « stabilisés ». Nous étions des religieux prêtés. Lorsque Christian arrive en 1971, nous nous sommes dit : «  Il faudrait qu'on ait un frère qui sache bien l'arabe et qu'il ait une bonne culture du monde musulman et du peuple algérien. » Christian est resté deux ans à Rome.

En 1976, Christian fait sa profession solennelle, il voulait faire profession pour Tibhirine. Il fallait alors qu'il y ait avec lui, six religieux « stabilisés ». Il n'y en avait que trois. C'est alors que trois nouveaux ont alors accepté de l'être : Aubin, Roland et moi.

 

Le 1er octobre, pour la fête de sainte Thérèse, Christian fait profession solennelle à Notre Dame de l'Atlas à Tibhirine. Nous réalisons alors, une vraie communauté monastique : ça a tout changé (sourire apaisant de Jean-Pierre).

Il fallait donc nommer un abbé. On a demandé que ce soit un prieur. On a alors réduit l'abbaye à être un prieuré.

En 1984, on élit le 1er prieur, c'est Christian.

 

Lucien : « Vous étiez déjà très ouverts au monde musulman ! »

Jean- Pierre : « De Rome, Christian était revenu très motivé dans ce sens-là. Les anciens avaient des relations avec l'islam, mais pas comme celles de Christian.  Nous n'étions pas uniformes dans le prieuré, mais nous étions amis. Dans toute communauté, c'est un frère, André, venu nous voir qui nous le dit : « Dans toute communauté, il doit y avoir des tensions … »

Pour les anciens, l'union se faisait par la convivialité avec le monde musulman. Il y avait eu jusqu'à 50 ouvriers avant l'indépendance. Les anciens c'était Luc, Etienne, le cellérier, ingénieur agronome … Christian lui, son orientation était dans le sens des soufis. L'Eglise après le concile, recherchait les rencontres avec l'Islam. L'orientation de Christian, c'est la spiritualité, l'intérieur. Il faut relire son testament. Nous le trouvons idéaliste, naïf. On lui disait de ne pas regarder avec des lunettes roses, mais de regarder objectivement. Christian citait des paroles du Coran dans la messe. Certains lui disaient : » Le Coran et l'Evangile, ne les mets pas au même plan. Christian ne voulait pas que l'on prononce et que l'on entende le mot Israël dans la liturgie, à cause des résonnances politiques. Il était toujours en avance.

 

Le frère Christian de Chergé dans son testament dit : « Ceux qui me traitaient de naïf et idéaliste, doivent savoir que maintenant mon vœu est exaucé, ma curiosité en amont est satisfaite. Je vois les fils de l'Islam avec le regard de Dieu. »

Ce n'est pas Christian uniquement qui a fait évoluer la communauté dans l'accueil de l'Islam. Ce n'est pas Christian uniquement qui nous a appris à aimer les musulmans. On était parmi eux depuis 1946, avec une très bonne compréhension de l'islam. On ne voulait pas être traités de novices dans la relation avec l'Islam. On est restés ce que nous étions. La preuve que j'étais ouvert, c'est moi qui ai découvert les soufis. Il y a eu le concile. Quand j'ai su que j'étais appelé à vivre à Tibhirine, j'étais heureux.

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2 août 2014 6 02 /08 /août /2014 21:11

Tibhirine le 10 mars 2014

 

«  LES MOINES, ILS NOUS AIMAIENT »

(Un habitant du village de Tibhirine)

Nous avons du mal de quitter la chapelle. Il s’est échangé en cet endroit, tant de choses entre « ces hommes et leur Dieu », de ces « choses cachées depuis le commencement du monde. » (Ps 77, 2 - Mt 13,35) C’est en ce lieu qu’ont retenti dans le silence avec une humble intensité,  tant de paroles s’enracinant dans la chair de nos frères moines. C’est là, « qu’ils ont donné chair aux psaumes », pour reprendre un mot du jardinier de ces lieux. C’est là que la parole de Dieu, s’entremêlant à la parole des gens du voisinage et aussi de tous les gens d’Algérie, leur est rentrée dans la peau. 

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Cette peau va en être labourée, tellement déchiquetée, qu’un jour elle ne leur restera même plus sur le dos. » ( Ps : 128, 3 ; Job 19) Voilà que nos frères moines sont devenus des jardiniers et des cultivateurs de l’action non violente. Nous ramassons et nous cueillons les fruits de cette action dessous ce que les moines ont semé et planté. ( Jn, 4,28 ; Ps 125 ). Il y a urgence pour nous-mêmes de semer et planter les graines de leurs comportements dans nos rencontres. Jean-Marie nous disait encore tout à l’heure en venant,  qu’à Tibhirine « les moines ont tenté de faire un pont entre leur prière et les cris des hommes d’aujourd’hui. » Au moment où nous allons franchir le seuil pour sortir de la chapelle, c’est avec un sens aigu de l’histoire que nous entendons Patrick nous raconter : « il ne faut pas que j’oublie de vous dire que c’est dans cette chapelle qu’il s’est passé un évènement initiateur le 21 septembre 1975. Vous irez voir dans le livre de Jean-Marie, reprenant ce qui s’est passé ce soir-là.

 

« Christian de CHERGE n’étant pas encore prieur du monastère, nous sommes en pleine période du ramadan. Il prend le temps après complies pour l’adoration silencieuse. Il sent alors la présence d’un autre dans la chapelle. Un homme en prière, mais ce n’est pas un moine, qui laisse venir sur les lèvres « Allah Akbar » Commence alors, entre silence et prière à deux voix, un moment de grâce inédit, inouï. L’arabe et le français se mélangent, se rejoignent mystérieusement, se répondent, se fondent et se confondent, se complètent et se conjuguent. Le musulman invoque le Christ. Le chrétien se soumet au plan de Dieu sur tous les croyants, et l’un d’entre eux qui fut le prophète Mahomet. »

 

Il y a comme cela des petites anecdotes, des petits faits révélateurs de ce qui s’est vécu à Tibhirine. «  Les travaux du prieur à propos du dialogue interreligieux sont un trésor dont nous découvrons seulement l’étendue. » Ce sont tous ces faits, les travaux en commun dans le jardin avec Christophe, les paroles qui situent bien qui ils sont les uns par rapport aux autres, petits oiseaux et petites branches du grand arbre qu’est notre humanité. C’est encore tout le long et quotidien défilé des enfants, des femmes et des hommes venant se faire soigner auprès du frère Luc, le visiteur-priant de ce fameux soir du 21 septembre 1975, revenant de temps en temps et disant : « il y a longtemps que nous n’avons pas creusé notre puits » A partir de 1993 jusqu’au 26 mai 1996, il y a eu tous ces moments où ces hommes se sont affrontés dans une attitude non violente en reconnaissant : « Pouvons-nous partir de cet endroit, après ce que nous entendons et voyons, ne sommes-nous pas appelés à rester avec les gens de Tibhirine … ? » C’est toute cette longue histoire qui a fait dire récemment à un homme du village de Tibhirine : « Les moines, ils nous aimaient »

 

Patrick nous dit : « Voulez-vous que nous nous dirigions vers la fontaine et ensuite vers le cimetière » En faisant ce trajet, je pense à l’attitude de Christian et de ses frères moines, aux actes qu’ils ont été amenés à réaliser et aux paroles qui en sont sorties. Ils nous appellent à nous démunir, à nous défaire et à nous désarmer de tout ce qui nous empêche d’être des hommes. Plusieurs faits vécus ici me reviennent, dont Jean-Marie et Patrick témoignent. La veille de Noël 1993, un commando avec Sayah Attiyah à sa tête, fait irruption dans le monastère. Ils rattroupent les moines et les gens de l’hôtellerie et commencent à vouloir poser leurs exigences. Christian intervient en disant : » Jamais personne n’est entré ici avec des armes. Si vous voulez discuter avec nous, entrez, mais laissez vos armes dehors. Si ce n’est pas possible, allons dehors … car Noël pour nous, c’est la fête du Prince de la paix et vous venez en armes. Le chef des rebelles finira presque par s’excuser : « Je ne savais pas »

 

En septembre 1994, frère Luc dira dans son journal : « la vie chrétienne ce n’est pas d’abord d’écrire sur Dieu, c’est de révéler chacun à sa manière, le visage de Jésus dans la vie de chaque jour.

 

Dans sa prière, Christian dira : « Seigneur, désarme-moi, désarme-les »

 

Nous sentons, en respirant profondément durant notre déplacement, que ce lieu appelé par Etienne Léon Duval : « le poumon du diocèse » est en train de le devenir pour des horizons encore plus larges que ceux-là. Ce que nous comprenons et ramassons en notre for intérieur, nous voulons l’emporter, pour le planter, le semer et le partager, avec vous, amis de France, avec qui nous allons bientôt nous retrouver. Nous voulons vraiment faire avec vous cette découverte, que l’Eglise d’Algérie, dans le sillage des moines de Tibhirine, est une Eglise de la rencontre.

 

En accomplissant ce trajet, c’est merveilleux d’apercevoir toutes ces graines de non violence, que Patrick va encore nous aider à ramasser. J’aime beaucoup réentendre de sa bouche ce que nous avons déjà entendu de celle de Jean-Marie ou lu dans son livre, particulièrement ce qui s’est passé le 14 décembre 1993. Ce jour là, 12 croates de confession chrétienne, sont assassinés à Tamesguida … là, dans ce village que vous voyez en contrebas de chez nous. Christian de CHERGE écrira dans La Croix du 24 février 1994, «  Il faut dire l’humiliation de tous ceux qui dans notre environnement ont ressenti ce massacre comme une injure faite à l’islam, tel qu’ils le professent et cela au double titre de l’innocence sans défense et de l’hospitalité accordée. Si nous nous taisons, les pierres de l’oued, encore baignées de leur sang, crieront jusqu’aux cieux. » (Luc 19, 40)

 

Nous relirons à ce sujet les paroles de frère Christophe dans son journal : « Le massacre des croates nous a traumatisé. Oui, car nous ne sommes pas blindés par la clôture. Elle délimite un espace d’accueil, elle figure un espace ouvert. Blessée par la souffrance de ce monde, elle pose une résolution d’amour crucifié face aux ennemis. » Il faut relire ce que ce frère a écrit dans son journal ! C’est une mine pour nous ressourcer en action non violente. Les moines ne sont pas naïfs, ils savent qu’ils pourront être directement concernés par cette violence.

 

En parvenant auprès de la source en contre haut du jardin, il me revient des paroles que Jean-Marie nous a partagées hier soir et ce matin et particulièrement celles-ci : » L’Eglise d’Algérie ne dénombre que quelques milliers de chrétiens dans un pays de quelque 35 millions d’algériens. Elle ne compte que quelques chrétiens algériens, une majorité des pratiquants venus d’occident ou d’Afrique sub saharienne. Nous sommes invités à poursuivre, à réinventer chaque jour l’Église de la rencontre. Il n’y a pas d’autre visage possible en terre musulmane ou en terre non chrétienne. Peut-être même l’Eglise d’Algérie a quelque chose à dire à l’ensemble de l’Eglise sur cette façon d’être en relation avec le monde… Etre en Église au service des autres, une Eglise qui se nourrit de la foi et aussi de la non foi, de l’indifférence des autres. Elle se doit de dénoncer l’image trompeuse qui lui colle à la peau, d’une Eglise qui condamne, qui juge, pour révéler une Eglise qui ressent, qui fait siennes les interrogations des hommes d’aujourd’hui.

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  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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