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29 juin 2016 3 29 /06 /juin /2016 17:00

MIDELT, mardi 15 septembre 2015

 

TIBHIRINE DANS LES ANNEES NOIRES,

ATELIER DE LA NON-VIOLENCE

 

Très heureux de retrouver Jean-Pierre afin de continuer nos partages et ainsi pouvoir remporter les graines d'action non-violente que tout cela me permet de ramasser.

Lucien : "J'aimerais parler avec toi, Jean-Pierre, de votre relation avec votre prieur Christian, durant ces années fondamentales vécues à Tibhirine en communauté."

Jean-Pierre : "J'ai apporté ce livre de Christine RAY : "Christian de Chergé, prieur de Tibhirine" afin de pouvoir davantage encore répondre à tes questions."

 

 

Tibhirine dans les années noires

Lucien : "J'ai écrit sur mon cahier les questions que je vais essayer de ne pas manquer de te poser Jean-Pierre ! J'ai remarqué beaucoup de délicatesse et de respect entre vous les moines, entre votre prieur et vous-mêmes, mais je suis frappé aussi par toute l'exigence qui règne entre vous. Qu'est-ce qui t'a beaucoup marqué dans l'attitude de Christian pendant que vous étiez à Tibhirine ? Qu'est-ce que tu voudrais qu'en notre humanité nous n'oublions pas de ce que vous avez vécu, vous les moines, avec votre prieur et grâce à lui ? Christian ne nous a-t-il pas appris à nous désarmer, à ressembler à Jésus qui est Dieu désarmé, et non pas dieu des armées ?"

Jean-Pierre : "Le livre de Christine RAY m'a fait beaucoup connaitre Christian, j'ai passé une matinée à parler avec Christine quand elle a écrit son livre en 1998. Elle était journaliste à La Croix, en équipe avec Bruno CHENU. Tu voulais Lulu, qu'on reparle de Christian... de ce qu'il nous avait..."

Lucien : "De ce qu'il vous avait apporté de spécifique ?"

Jean-Pierre : "Ce qui est mauvais dans une communauté, ce sont les divisions, quand on travaille les uns contre les autres. L'échelle double, si nécessaire entre les musulmans et les chrétiens, afin de réaliser la rencontre avec Dieu, cette échelle double est déjà nécessaire et valable entre nous dans la communauté. C'est comme dans un couple, on va vers le même but, on monte chacun de son côté afin de parvenir au même endroit."

 

 

Tibhirine dans les années noires

Lucien : "Oui, le rôle d'un supérieur, d'un prieur, c'est important. Cette importance, vous l'avez trouvée chez Christian, mais pas comme ça d'emblée."

Jean-Pierre : "Son attitude a avancé. C'est venu de plus en plus. Au début, il était désireux de donner tout ce qu'il avait trouvé, ce qui lui donnait force et dynamisme, à cause de ce que Mohamed en mourant l'avait protégé, empêché de mourir. Cette force-là qui était en lui et qui donnait sens à sa vie, il voulait nous la communiquer, ainsi que toute sa relation avec l'Islam et sa connaissance du monde arabe, qu'il avait acquise à Rome par l'I.P.E.A. (Institut Pontifical des Etudes Arabes) pendant les 2 ans que nous l'avions envoyé là-bas. Il voulait nous former selon son modèle à lui. Nous, nous avions nos personnalités et nos expériences personnelles de la relation avec l'Islam. On avait une communauté qui fonctionnait avant que Christian n'arrive. Notre modèle fonctionnait aussi. Il fallait faire un tout avec ça. Au départ, ce n'était pas ça. Christian était très motivé, il voulait nous initier à ce qui le motivait et passionnait. On résistait, on ne voulait pas se laisser faire. On voulait que la relation se fasse entre nous, sur un plan d'égalité par rapport à l'autorité."

Lucien : "Sur le plan comportemental, vous sentiez qu'il y avait des choses sur lesquelles il fallait avancer ?"

Jean-Pierre : "On était désireux de progresser dans la connaissance de l'Islam et de la relation qu'on devait avoir en tant que chrétiens, français, moines, avec la culture musulmane et algérienne. Tous, nous avions à apprendre. Nous étions tous des novices, tout en ayant déjà une expérience. Personne ne pouvait dire : "Je", ou "Voilà ce qu'il faut faire" Nous étions tous assis sur le même banc, dans la même école, chacun devant amener sa part sur un plan d'égalité. C'est ça qui était le nœud de la bonne relation en communauté et dans l'unité. C'était quelque chose de vivant."

Lucien : "Nous l'avons senti dans le film "Des hommes et des dieux", ce que tu es en train de me dire."

 

Jean-Pierre : "Nous n'avions pas choisi Christian pour... on ne t'a pas choisi pour que tu décides seul ! "Ce problème se posait beaucoup au moment de décider si nous partions de Tibhirine ou si nous y restions. Christian a bien compris que ce n'était pas encore l'unanimité, qu'il fallait encore prendre le temps de réfléchir, pour que les plus timides ne se laissent pas influencer par la majorité... "

Lucien : "...ou par ceux qui sont persuasifs !"

Jean-Pierre : "C'est ça !"

Lucien : "Alors, comment Christian a-t-il su et pu coordonner ?"

Jean-Pierre : "Christian a beaucoup évolué, surtout, à partir du moment où il est devenu prieur. Un supérieur ne doit pas être directif, il doit être attentif à la personnalité de chacun, et avec ça, faire l'unité, tendre vers l'unité. Christian l'a très bien réalisé et accompli, au moment où on devait prendre cette décision grave : PARTIR ou RESTER."

Après le 1er échange, il a vu que ce n'était pas mûr, il n'a rien imposé. Il aurait pu dire : "Selon l'avis de la majorité...  Il a voulu l'unanimité. Il a appris à patienter pour écouter ce que chacun avait en lui... Il est parti parler avec Christophe... Je ne sais pas ce qu'ils se sont dit. Peut-être lui a t il dit : "Tu as décidé de donner ta vie... c'est pas le moment de..." Il nous a tous écoutés."

La décision engageait les frères, c'est leur vie qui se jouait. Lui, Christian, ne disait pas qu'il voulait rester. On a levé la main pour s'exprimer. Il y a eu des mains un peu timides à se lever, mais toutes étaient levées...

Lucien : "Vous avez votés à main levée que vous décidiez et vouliez rester à Tibhirine."

Jean-Pierre : "C'est un don de soi qui s'exprimait à travers ça."

Lucien : "Tu as levé la main Jean-Pierre..."

Jean-Pierre : "...A cause de tout mon passé avec le Seigneur, et la présence au peuple algérien. J'avais fait le voeu de stabilité. Cet échange, on l'a vécu en 1993..."

Lucien : "...Après la venue de Satya... Quelle trempe d'homme habitait l'être de Christian !"

Jean-Pierre : "Il était très ... pour faire fonctionner la communauté dans les moments difficiles. On le voit avec les militaires et avec Satya, le chef local du GIA. Il ne voulait pas qu'on s'engage, ni avec les uns (les membres du GIA, Groupe Islamique Armé) ni avec les autres (les militaires) Il les appelait : " Frères de la montagne (les gens du GIA), et frères de la plaine, (les militaires). Christian voulait les réconcilier les deux, et l'armée et les maquisards...

Lucien : "...en les désarmant..."

Jean-Pierre : "...en s'envisageant, en leur montrant qu'ils étaient frères. Le mot ENVISAGER ! On a vu Satya surgir tout bardé d'armes. Christian est arrivé ... C'est là qu'on a vu que Christian était fils d'un général. Christian est arrivé en bas de l'escalier au-dessus duquel il y avait Satya. Il s'est mis à crier : "AH NON ! ON N'ENTRE PAS ICI AVEC DES ARMES !..."

Lucien : "...Tu l'entends encore..."

Jean-Pierre : "Oui, il y avait devant Satya, des hommes armés de coutelas et de mitraillettes. Christian leur a dit : "Si vous voulez qu'on discute, il faut mettre les armes dehors. Jamais personne n'est entré ici avec des armes !"

 

Alors Satya a pris Christian par le bras, ils ont descendu vers une statue de la Sainte Vierge à l'entrée du monastère. Ils se sont envisagés. Christian a dit : "Non" aux 3 choses que demandait Satya :

- Le docteur frère Luc, ne pourra pas aller dans la montagne. Il est âgé et asthmatique... Venez ici, le docteur vous soignera.

(Christian ne jouait pas à celui qui commande. Les membres du GIA auraient réagi... Christian agissait et parlait plus discrètement que ce n'est exprimé dans le film.)

- Satya demandait à emporter des médicaments. Christian lui a dit : "les médicaments, c'est pour les gens qui viennent se faire soigner ici. Si vous avez besoin de vous faire soigner, venez ici !"

- Satya demandait de l'argent. Christian lui a dit : "On n'est pas riches. On gagne notre vie avec le jardin." Satya lui a dit : "Mais si, vous avez de l'argent !" Puis Christian a détourné la conversation et il a dit : "Vous savez quel jour nous sommes ? Vous savez à quel moment vous arrivez ? C'est le jour où nous nous préparons à fêter le prince de la paix : Aïssa. Satya a répondu : "Oh, excusez-nous, on ne savait pas. Mais on reviendra !"

 

Après cet évènement, Christian nous a dit qu'en envisageant cet homme violent qui avait beaucoup de sang sur les mains, en l'envisageant avec douceur et courtoisement, cet homme avait été apaisé parce qu'ils étaient entrés dans une relation d'homme à homme. Christian étant désarmé, il respectait l'homme. On arrivait à un dialogue d'homme à homme. Christian a gardé ce principe de l'importance de s'envisager. Christian est venu à la rencontre de cet homme avec une force non-violente, la volonté de se désarmer soi-même.

Lucien : "Qu'est-ce que tu réponds profondément à mes questions !"

Jean-Pierre : "Le Wali (préfet) voulait que notre maison, le monastère, soit protégé par un groupe de militaires. Alors un jour, un groupe de militaires s'est installé dans la pièce à côté de celle où j'étais portier. Christian arrive : "Non ! on n'entre pas ici avec des armes ! Pour vous coucher, allez dans la salle du dispensaire." Le lendemain, leurs chefs arrivent. Christian les a reçus dans la rue. Il est sorti les attendre dehors et leur a dit : "Si vous voulez vous installer ici, il y a assez de place dans la montagne." Arriver à persuader l'autre de ce qu'on veut en le respectant. C'est dans ce sens que Christian a évolué.

Lucien : "Je suis en recherche de la non-violence, afin de la cultiver en moi, de la laisser travailler, entre les gens que je rencontre et moi. C'est pour ça que je suis venu ici afin de chercher auprès de vous les sentiers de la non-violence. Je suis venu pour te rencontrer et écouter ce que tu es en train de me donner, particulièrement ce que vous avez vécu à Tibhirine, et que vous continuez de vivre ici à Midelt. C'est pour ça, que je vous ai dit l'autre jour en franc-comtois que je suis, que Midelt est comme une résurgence de Tibhirine."

Jean-Pierre : "La non-violence, c'est ça: Dans chacun de nous, il y a une pointe de cristal comme dit Guy Gilbert. Elle n'est pas abimée par la violence. C'est ça qu'il faut considérer, reconnaitre, mettre à jour, ce meilleur de nous-même."

Lucien : "Je t'embrasse Jean-Pierre pour te remercier."

Jean-Pierre : "On n'est pas loin de l'échelle à double battant. Voici le livre de Christine Ray."

Lucien : "Je vais me replonger dedans, même que je l'ai relu avant de venir à Midelt avec le frère Benoit pour vous rencontrer."

Jean- Pierre : "J'avais écrit à Christine pour la remercier de m'avoir fait découvrir et apprendre des choses de l'enfance de Christian de Chergé, que je ne connaissais pas."

 

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  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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