Samedi 12 mai 2012
Ça fait un bon moment que nous marchons Isidore et moi, le long du Danube en direction du village de ERSINGEN. A l’embranchement de 2 chemins se trouve un banc. C’est comme une invitation à nous arrêter. Isidore trouve tout de suite l’herbe qui convient. La petite pluie fine de cette nuit et la douceur relative de la température ont fait pousser l’herbe à merveille, pas rien que dans les prés mais aussi dans les fossés et sur les talus. Je profite de cet arrêt sur le banc pour écrire sur mon cahier ce dont je suis témoin et artisan. L’âne Isidore me regarde et de manière très pacifique me dit : « J’ai quelque chose à te dire que je voudrais que tu écrives dans la marge de ton cahier. Tu as bien fait de regarder sur la carte afin que nous ne nous engagions pas sur le tronçon de véloroute qui va de ÖFINGEN à ERSINGEN. J’ai bien vu à ta manière de faire que tu craignais qu’il y ait à traverser un de ces petits ponts de bois ou en métal à claire-voie, comme les 2 ponts que je n’ai pas pu traverser entre RIEDLINGEN et ZWIEFALTERDORF. Ce n’est pas que je n’ai pas voulu, c’est que je n’ai pu. C’est plus fort que moi… »
A la manière dont Isidore est en train de me faire ses confidences, j’ai commencé d’écrire dans la marge du cahier, puis en entendant la sagesse de ce qu’il me disait je me suis mis à écrire en pleine page. Voici comment il s’est mis à continuer de me parler : « Tu vois, devant le premier pont où j’ai refusé, tu n’aurais pas dû me frapper avec le bâton comme tu l’as fait. Tu as vu que les coups que tu m’as donnés n’ont rien changé dans mon attitude, ni non plus le fait que tu aies essayé de m’amadouer avec des carottes et des pommes, quand des gens sont arrivés. J’ai mal pris les coups de bâton, et j’ai difficilement croqué les carottes et les pommes… j’ai bien vu que tu regrettais de m’avoir donné des coups. T’as remarqué qu’avec tout ce que tu m’as fait, pour m’obliger à passer ce pont, je ne t’ai ni donné ni rendu un seul coup de pied. Et j’aurais pu te faire très mal avec les fers qui ont été cloués à mes sabots par Damien, depuis bientôt 2 mois.
En présence d’un passage difficile, tel un pont ou un souterrain, c’est plus fort que moi. D’après ce que je sais, tous mes compagnons ânes et ânesses sont pareils que moi. Frères humains, vous dites de nous les ânes, que nous sommes têtus. Est-ce que ça ne serait pas plutôt vous les humains, qui vous entêtez et qui ne supportez pas de revenir sur quelque chose que vous avez conçu et décrété. Vous croyez avoir inventé je ne sais quoi avec vos nouveaux matériaux. Vous les vantez en les qualifiant de légers, résistants, permettant des passages impossibles. Vous ne voyez donc pas que ces formes nouvelles, ces matériaux innovants nous font peur. C’est donc ça votre art moderne ?!.... »
Et l’âne Isidore parlait, parlait… Heureusement que j’avais quitté la marge pour prendre la pleine page… Voici ce qu’il continue à me dire ; « Depuis que nous les ânes nous marchons avec vous les humains au même pas, au même rythme à la surface de la terre… ça remonte à la nuit des temps, est-ce que vous voulez vous rendre compte qu’il nous faudra encore quelques décennies pour que nous nous laissions apprivoiser à ce que vous inventez. Comprenez bien que dans la continuation de nos cheminements avec vous, notre prudence teintée de méfiance se veut constitutive de votre sécurité autant que de la nôtre. Nous refusons de vous emmener n’importe où… »
Et je voyais bien qu’il avait encore des choses à me dire : « Nous autres membres de la tribu des ânes, nous n’avançons qu’en terrain sûr. Nous avons horreur d’être attachés, forcés, et à plus forte raison battus. Frères humains vous voulez nous forcer à nous fier à votre entendement et à votre façon de voir. Et si vous vous efforciez de comprendre un tant soit peu nos craintes de nous enfoncer, de nous trouver enfermés, embourbés, et de ne pas pouvoir nous en sortir. Rappelle-toi l’autre jour où tu m’as forcé à traverser une tourbière. Tu as vu où ça nous a emmenés. J’ai bien remarqué que tu n’en menais pas large, et que tu as eu peur que je ne m’en sorte pas, embourbé que j’étais des 4 pattes. Tu ne m’aurais pas poussé à m’engager dans cette galère, reconnais que ça ne serait pas arrivé… »
Je me disais… il a peut-être terminé. Mais non. Qu’avait-il encore à me dire ?
« A l’avenir, lis un peu mieux les cartes… Je veux bien volontiers emprunter les ponts sur le Danube. Mais comprends qu’il nous vaudrait mieux éviter les nouveaux petits ponts sur les ruisseaux affluents du Danube. Ça ne me fait rien de faire quelques kilomètres en plus. D’ailleurs partis comme nous sommes partis, quand je vois la distance que tu prends par rapport aux trajets que tu avais prévus, ça veut dire quoi « perdre du temps » ou « gagner du temps » ? Ne t'en fait pas. Je voulais dire : Ne temps fait pas. Ne serait-ce pas plus tôt le temps qui nous fait ?!... As-tu remarqué aussi que chaque fois qu’en refusant de m’engager sur un pont qui ne m’inspirait pas confiance, ce que tu avais estimé créer un retard dans notre cheminement, nous a fait rencontrer chaque fois des gens merveilleux qui ont mis à notre disposition un beau pré pour m’ébattre et un toit pour toi… A propos, si tu racontais quand la dame SENKA de DELLMEUSINGEN a arrêté sa voiture, en est descendue pour venir à notre rencontre et nous inviter à nous arrêter chez elle… Souviens-toi c’est bien le coup où j’avais refusé de passer le pont du RISS… Nous avions rebroussé chemin, dû passer par RISSTISSEN et en empruntant ce chemin autre que la véloroute, rencontré cette dame si accueillante où nous avons vécu toi et moi des moments si réconfortants. »