Kovilj 30 janvier 2013
En avant vous qui m’avez appris à marcher pour la paix ! ( Mt 5, 9)
Marcher pour la paix demande de faire travailler ses pieds et sa conscience. C’est pourquoi il me semble que de m’être mis à marcher pour la paix, ça prend l’homme des pieds à la tête et ça le relie à l’Humanité entière ainsi qu’à la Terre…. et avec qui donc encore ?
Chaque jour, je prends soin de mes pieds. D’ailleurs je le fais depuis longtemps, bien avant que de m’être mis en route pour Bethléem. Théodore Monnod écrit dans le livre « Tais-toi et marche » qu’il faudrait, avant d’entreprendre une grande marche « en réalité se préparer des mois à l’avance à marcher pieds nus et dans des sandales ».
C’est en raison d’un appel que je me suis mis en marche pour la paix. En conscience du drame que court notre Humanité nous ne pouvons pas demeurer dans la sédentarisation. Ce serait risquer la sédimentation et tomber dans l’emprisonnement des fossiles. Dieu lui-même, par la bouche du prophète Nathan, ne nous dit-il pas que pour continuer à susciter notre libération depuis notre sortie de la terre d’esclavage et donc à nous donner la paix, il a fait le choix « de ne jamais habiter de maison mais d’être camp -volant sous une tente et un abri afin de voyager avec vous et d’être toujours avec vous » ( Ps 14 , 2ème Sam 7, 6 ,7 et Ps 14, 1). Et c’est de ce Père là que Jésus lui-même tiendra, quand il dira « les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids ; le Fils de l’Homme, Lui, n’a pas où reposer la tête (Mt 8, 20) .
Marcher demande de bien préparer mes pieds certes, mais aussi de déboucher mes oreilles afin que résonnent au fond de ma conscience les appels des vivants. C’est ce qui se passe au profond de moi qui me donne motif et force de me lever tôt le matin, de partir à l’heure de l’Angélus quand ça sonne au clocher du village ou de la ville, que « le verbe est sorti, s’est mis en marche et frappe à la porte de l’Humanité. » (Ps 18 ; Ap 3, 20). Mais le fait de me mettre à marcher va faire activer ma conscience. Il y a une merveilleuse interférence entre les deux.
En partant de bonne heure, j’entends et je vois des choses que je ne verrais pas si je tardais à me lever. Je vois et je goûte le bonheur de sortir de mon sac de couchage et de ma tente, de me mettre debout et de me laver, et après avoir bâté l’âne Isidore, de commencer à marcher.
Et qu’est-ce que je vois et comprends ? Que beaucoup à travers le monde, prochains et lointains, ne peuvent pas ou ne peuvent plus ou presque plus accomplir ces gestes de se lever et de se laver et de marcher. Je pense à vous, Michel, Joseph, Mickael, Jean-Claude, Elia, Frédéric, Louis, Irène, Françoise, Nicolas, Léa, Jacques, Marie Jeanne, Bernard, Madeleine, Beatrice, Jean-Claude, Yvon, Bruno, Nicolas, Sophie, Laurent, Jean-Marc… Alors, j’accomplis ces gestes en pensant à vous. Je suis à la fois heureux de réaliser ces actes et en même temps je suis dans la peine parce que vous, et combien d’autres personnes ne pouvez plus ou pas les accomplir. Alors, je continue de marcher avec vous, pour vous et pour moi.
Il se crée une correspondance entre nous ; la Paix se fait entre nous et en nous. Marcher pour la Paix, ça commence par des faits comme ceux-là, me semble-t-il. Et des fois, quand je viens de vivre une démarche de pardon, de le recevoir ou de le donner, je pense à ceux qui rament pour avancer dans la direction du pardon. Tiens, en ce moment, marchant tôt le matin, j’essaie de ne pas m’éloigner de ceux et de celles qui pensent et disent que pour ramener la paix au Mali, il faut « tuer tous les terroristes et fondamentalistes ». Pendant que je marche je m’inquiète d’un chemin et d’une attitude non violente ni agressive pour ne pas laisser dire ça, tout en cherchant à émettre une opinion pour solutionner le conflit de manière constructive.
Je dois aussi, durant ce voyage, veiller aux sabots et aux pieds de l’âne. Je suis émerveillé devant le doigté et la dextérité des maréchaux ferrants que l’âne et moi nous avons trouvés depuis que nous avons commencé de nous mettre en marche pour la paix : Maurice SUTY, Dany PUJOL, Guy et Antoine COQUET, François JACQUEMARD, Michel et Marc RACINE (en faisant mémoire de Pierre LIEVAUX, Clément et Berbert CHAUVIN, Damien et son jeune apprenti à Salins les Bains en France, Marion et Stéphan à Pichelsdorf en Autriche, Zoltan, Istvan et Lasslö à Najybaracka en Hongrie. Mon estime va aussi aux vétérinaires et palefreniers « servisants », Jean Louis et Pascal à Salins et tout le long de notre chemin, Stéphane et Valérie à Montrevel, à Etouvans chez Jean-Marie, György chez Katalin à Tata en Hongrie, puis à Kovils, à Jagodina en Serbie, et maintenant à Etno-Selo en Macédoine. Ils ont su prendre soin notamment des pattes de l’âne afin qu’il soit bien dans ses sabots. C’est que, dans la marche que nous accomplissons, non seulement l’âne est porteur des principales affaires qui vont nous aider à tisser des liens de paix avec les gens rencontrés, mais il est médiateur entre la Terre sur laquelle nous emboîtons son pas et les hommes qui l’habitent, qui vont nous accueillir dans l’immédiat ou à côté de qui nous allons passer sans avoir pu nous entrevoir.
C’est merveilleux de voir tout le monde qui se met en marche, qui fait une démarche de paix quand un homme se met en route. Mais si je me suis mis en chemin vers Bethléem, c’est grâce à une plénitude de gens qui se sont mis en marche bien avant moi. Je suis marqué par Anne Vercors, quittant tous les siens dans la pièce de Paul Claudel « L’annonce faite à Marie ». Il veut aller se loger dans le trou où a été plantée la croix du rédempteur, en ressortir et en revenir afin de ne pas laisser le monde comme il l’avait quitté. Je pense à Geneviève qui a écrit à son retour de Jérusalem « Au nom de mon fils ». Il me vient bien sûr les prénoms de Patrick e t Bénédicte et de leurs enfants Jean et Violaine de Dole, et aussi de tous ceux qui peut-être n’ont pas écrit ni pris de photo mais dont le nom est écrit dans la paume des mains et dans le cœur de ce grand marcheur qu’est le Galiléen. Celui-là qui a fait la démarche de descendre du ciel où les hommes l’avaient logé « Très Haut », qui a « déchiré le ciel » (Mc 1, 10), et que ses parents vont « mettre bas », dans ce que les renards ont : un terrier, une grotte, mais que lui n’a pas. C’est à travers tous ces faits que ça va pouvoir être sur » la terre comme au ciel » (Mt 8, 20 ; 6, 10).