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6 janvier 2015 2 06 /01 /janvier /2015 11:00

Ça aurait pu être moi, qui ait eu à tirer

sur l’homme qui vient de tomber.

 

Témoignage de Lucien lors des journées "histoires et mémoires de la guerre d'Algérie" à Besançon. 1ère partie

 

Ce que je vais essayer de partager avec vous, c’est une prise de conscience, une avancée en objection de conscience, que j’ai commencée de réaliser au cours de l’opération CIGALLE (du 24 juillet 1960 au 24 septembre 1960), dans l’Ouarsenis. Nous étions sous le commandement du Général CREPIN remplaçant le Général CHALLES. J’étais dans le 3eme RPIMA (régiment parachutiste d’infanterie de marine) à la compagnie d’Appui (C. A.),de la 58 – 2A. Nous venions de quitter Sidi-Ferruch , notre base arrière (B.A.), afin de parvenir au Grand barrage de l’Oued Fodda. C’est là qu’était notre Base Opérationnelle Avancée (B.O.A.). C’est pas très loin de là, que mon ami Jean Marie BUISSET, (originaire de Beaulieu, le grand douaire dans les Ardennes) avait été tué, il y avait un an, durant l ‘opération COURROIE sous la direction de général CHALLES, le 29 Mai 1959 dans le secteur de BOGHARI.

 

 610a.jpg

 

Nous sommes partis ce soir là, monter une embuscade à flanc de l’Oued El Ardjem.

J’ai été désigné avec une dizaine de camarades, ça fait la petite moitié de la section. L’autre moitié est désignée pour une autre embuscade.

 

Je vais vous raconter comment ça s’est passé, comment un homme a été tué, au cours de l’embuscade. Ce qu’il est advenu de lui, et de nous. C’est en faisant cette analyse , que je continue de prendre conscience, que je n’aurais pas dû partir tendre cette embuscade, donc je n’aurais pas dû faire la guerre, donc pas dû partir en Algérie, ni non plus donc, partir soldat…

 

Ce dont je veux essayer de témoigner, ce que je voudrais essayer de montrer, c’est que même si ce n’est pas moi qui ai tiré sur l’homme qui vient de tomber dans l’embuscade, je fais partie du groupe, de la section par laquelle, cet homme a été tué. Je suis français, je suis parti soldat, j’ai malheureusement fait la guerre d’Algérie.

 

De cela, peut on s’en remettre ? Que veut dire s’en remettre ? Comment retrouver un chemin d’humanité ?

 

Ce qui travaille le fond de ma conscience, c’est que j’ai été soldat en Algérie. J’ai été à la guerre d’Algérie. J’ai fait la guerre d’Algérie. J’ai malheureusement fait la guerre d’Algérie. J’ai honte de moi. J’ai honte de mon peuple. Pourquoi n’ai je pas déserté ? Pourquoi l’Eglise, dont je suis, ne m’a pas aidé, et permis de déserter, de me sauver ?

 

Question du passage de notre responsabilité personnelle, à notre responsabilité collective et réciproquement.

 

Tout cela me fait dire, que certains faits de guerre et probablement beaucoup de faits de guerre sont commis par nous. Même si ils ont été effectués par quelques uns, par quelqu’un, par moi : des fois on me dit, et encore il n’y a pas longtemps : « je n’ai jamais eu à tirer… à tuer… quand j’ai fait mon service en Algérie ». Ce qui me travaille surtout, c’est quand on me pose la question et qu’en même temps, on me fait la réponse : « tu ne t’es jamais trouvé à avoir à tuer ? »

 

Nous avions appris à tendre une embuscade, quand nous finissions nos classes, en France durant mes stages pré AFN à Mont de Marsan et Bayonne. Je ne voyais pas les conséquences de ce que j’apprenais. Je ne percevais pas tout ce dans quoi ça m’engageait. Je vais mettre beaucoup de temps, pour avancer, approfondir en conscience ce que je vis.

 

Pourquoi est ce que je n’ai pas dit : « Je ne vais pas tendre l’embuscade ». je ne savais pas dans quoi j’allais me trouver engagé.

 

J’aurais dû ne pas y aller ! Mais à cette époque, je ne voulais pas me désolidariser de mes copains, être privilégié et passer à coté de ce qui était dangereux, risqué dans ce sens là. Je ne voyais pas encore, qu’être solidaire de l’humanité, c’est refuser d’aller et de se trouver dans des situations où nous ne pourrons presque plus « choisir d’être homme ».

 

Nous sommes dix à monter l’embuscade.

 

L’embuscade commence vers 21 heures.

Le premier et le dixième montent la garde pendant une heure et demi. C’est ce qui est convenu. Chacun de nous se fiant à sa montre, qu’il a mis à l’heure précise de ses camarades. Les huit autres dorment ou essayent de dormir. Au bout de l’heure et demi écoulée, le dixième réveille le neuvième, et le premier réveille le deuxième. C’est le neuvième et le deuxième qui montent la garde, le doigt sur la gâchette de l’arme qu’ils tiennent. Souvent, c’est une M. A. T. Le premier et le dixième s’endorment… Et ainsi de suite…

 

Cette nuit là, j’avais pris mon tour de garde pendant une heure et demi aussi, et il ne s’était rien passé pendant ce temps là. Aucun homme n’était tombé dans la nasse que nous venions de tendre. Des renseignements souvent obtenus par la torture, nous avaient indiqué, le passage probable de membres de l’A.L.N. par ce sentier sur lequel, nous tendions l’embuscade.

 

Nous avions aussi cet ordre odieux : « vous ne devrez tirer que si c’est un homme qui survient dans la nuit ». Parfois, c’était des sangliers qui rôdaient dans les parages. Déjà quand il fait nuit, et silencieux, tu as peur. Tu luttes pour vaincre ta peur, espérant que rien ne viendra (au moins pendant que tu montes la garde à ton tour) rompre, et le silence et la nuit. Mais quand ça fait du bruit, tu as une peur monstre. Et tu dois évaluer dans cette nuit noire, si le bruit que tu entends est celui d’un sanglier ou celui d’un homme. Et si c’est le bruit d’un sanglier, il t’est interdit de tirer, afin de ne pas alerter et signaler notre présence aux fellaghas, postés dans les environs. Et si, terrassé de peur, le gars qui monte la garde, tire sur un sanglier et le tue, l’accablement qui va lui tomber dessus, et la honte qui va s’en suivre, nous empêchera de nous apaiser, que ce ne soit pas un homme, qui soit tombé sous nos balles.

 

Tu as peur pour toi, pour ta peau. Tu as peur pour les copains. Tu penses peut être plus aux copains qu’à toi, car tu as mission de protéger tes copains. C’est ce qui te motive.

 

Et si tu as évalué, que le bruit qui rompt le silence de la nuit, est fait par un homme, tu es prêt à tirer, tu dois tirer, pour sauver la vie de tes copains et la tienne.

 

Tu ne te poses pas, à ce moment là, la question, de ne pas tuer l’homme qui tombe dans l’embuscade, que tu tends avec tes camarades.

 

C’est en amont qu’il aurait fallu, que je me pose question. C’est après que je me la suis vraiment posée, la question… et je vais mettre du temps, et je crois bien que je n’ai pas fini ni terminé…

 

Voilà comment je me suis posé la question.

 

Je viens de monter la garde pendant une heure et demi, à ce bout ci du sentier, et l’autre copain, à l’autre bout de la tenue de l’embuscade. Il ne s’est rien passé durant mon temps de faction. J’ai appelé et réveillé le copain, qui me remplace à monter la garde… Je me rendors. Et voilà qu’une demi heure après, alors que je suis en plein sommeil, une rafale de M.A.T. déchire le silence de la nuit, dans laquelle je m’étais rendormi. Un râle continue à déchiqueter l’enveloppe de cette nuit. C’est celui de l’homme qui vient de tomber dans notre embuscade.

 

Le drame est bien sûr qu’un homme soit mort, tombé criblé de balles. Mais dans la situation où nous sommes, je ne peux pas dire cela. Car ce que nous venons d’accomplir est une sorte de réussite, aux yeux de notre commandement. Alors qu’en fait, le drame est double… Je ne vais pas tarder à le comprendre. Il est même triple. Il va très vite devenir multiple.

 

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commentaires

B
très cher Lulu, cela m'a fait une grande émotion de voir tes écrits et tes réflexions d'homme de bonté concernant cette guerre d'Algérie ou jean-marie a perdu la vie le jour de la fête des mères...pour ceux qui restent ,un drame de toute une vie....surtout pour Michel qui pendant de longues années a pensé qu'il n'était pas mort puisque l'armée n'a pas voulu ouvrir le cerceuil.....michel a longtemps pensé qu'il était chez les Freres de Tamaraseth.....nous avions envisagé de nous y rendre ....lui aussi dans ces derniers écrits dit, je n'ai pas tué...c'etait son voeux le plus profond,il a donc été tué en tête de sa section.....et notre Sébastien ,en casque bleu, ses premiers mots apres la vrai fournaise et les massacres vus.sur le mont igman dominant Sarayevo......je n'ai pas tué,nous a-t-il dit ,sans qu'onl ui demande quoique ce soit.....il est revenu démoli et traîne encore ses séquelles.....chaque homme les mêmes ressentis pour autant qu'il puisse osé en parler....qui est l'HOMME POUR TOI......POUR QUE TU TE SOUVIENNES DE LUI......tu sais Lulu, je pense que acuellement, avec tout ce qui se passe sur Terre en ces moments difficiles, oui je pense que nous devons tourner la page et vivre l'instant présent et le plus positivement possible pour avancer et non reculer, je sais que nous sommes pardonés Hommes et Femmes dans tous les instants de notre vie, car si nous ne nous pardonnons pas à nou-m'eme nous ne pouvons pardonner aux autres, nous avons tous eu des moments tristes,difficiles, des choix à faire , nous les avons fait à un moment de notre évolution et avec les baguages que nous avions.....je prie pour que tous nous retrouvions la paix dans notre coeur.....je t'embrasse Lulu et suis en admiration devant tout ce que tu fais et dit, merci infiniment!
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F
Bonjour,<br /> <br /> Je réalise une recherche historique sur la manifestation du 24 janvier 1960 à Alger et sur la fusillade à partir de 18h10 au cours de laquelle 14 gendarmes mobiles et 8 Européens pieds-noirs ont été tués.<br /> Le 3ème RPIMa était l'un des trois régiments parachutistes engagés au cours de la journée, avec le 1er régiment étranger de parachutistes et le 1er régiment de chasseurs parachutistes, ces deux derniers étant prévus pour appuyer la charge des escadrons de gendarmerie mobile à partir de 18h00 mais n'étant pas au rendez-vous fixé par le commandant de l'opération.<br /> Avez-vous participé à cette journée du dimanche 24 janvier 1960 ?<br /> Merci d'avance pour votre réponse.
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K
J'ai servi au 3ème RPIMA à la CA ( compagnie d'appui) 1ère section d'octobre 57 à oct 58 comme toi, on aurait pu se rencontrer. J'ai participé à de mutiples embuscades de nuit. Au bout de quelques<br /> mois quand j'ai pris conscience de la bêtise de cette guerre j'ai pris une décision: ne plus tirer. Ainsi à plusieurs reprises des "Fells" sont passés de nuit à côté de moi sans détecter ma<br /> présence et je les ai laissé passer. Et il ne s'est rien passé. J'en suis heureux depuis cette époque.
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M
Lulu, en découvrant cette longue lettre, j'ai aussitôt associé des souvenirs personnels d'actions ou de paroles que je n'aurais pas du faire ou dire. Bien sur je n'ai pas provoqué la mort d'une<br /> personne, mais j'ai toujours la trace de ce que j'ai fait ou dit. J'éprouve régulièrement ce questionnement du pourquoi je n'ai pas su résister à la pression, ni contenir mes paroles. J'ai toujours<br /> en moi ce malaise que j'ai moi-même provoqué et je dois vivre avec. A toi, mon ami, je te remercie pour tes actes et tes paroles et j'espère que tu pourras, encore longtemps, continuer à nous aider<br /> à réfléchir et à agir.
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Présentation

  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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