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7 janvier 2015 3 07 /01 /janvier /2015 11:00

Ça aurait pu être moi, qui ait eu a tirer

sur l’homme qui vient de tomber.

 

Témoignage de Lucien lors des journées "histoires et mémoires de la guerre d'Algérie" à Besançon. 2ème partie

 

 

Je ne le sais pas encore, au plus profond de ma conscience. Je vais mettre des heures, des jours, des mois, des années… pour avancer en conscience, en humanité. Car je vais découvrir, que ça aurait pu être moi, qui ait eu à tirer sur l’homme qui vient de tomber.

 

Et c’est tombé sur J. Je ne vais pas prononcer son prénom. Parce que je ne veux pas laisser tomber sur ses épaules, dans ses mains, dans son cœur, dans son regard, et dans sa conscience, rien qu’à lui, la responsabilité de cette mort de l’homme. J’ai à en prendre part et à l’endosser moi aussi.

 

Je pense que mon camarade ne s’en est jamais remis de ce drame. Nous avons essayé de ne pas le laisser tout seul. Je ne sais plus trop comment nous avons fait, quand nous sommes rentrés à la B.O.A. Je voudrais continuer de ne pas le laisser tout seul, par le fait de ce que je vais continuer de dire dans mon témoignage.

 

Aujourd’hui je voudrais que nous allions plus loin et plus profond en conscience, moi et vous, si vous voulez bien.

 

Après les coups de feu et le râle de l’homme, le sergent qui commandait l’embuscade a crié à nous tous : « restez couchés… Ne bougez pas ! »

Nous avions appris qu’un homme blessé par nous, pouvait avoir le réflexe de dégoupiller une grenade et de nous tuer avec lui, si nous nous approchions de lui. L’homme gisait à quelques mètres de nous. Il faisait nuit. « Erat nox » (Jo 13 30).

 

Je me souviens avoir lutté quelques instants, pour accompagner dans mon cœur et ma conscience, dans ma pauvre prière aussi :

 

- Et l’homme qui était probablement en train de mourir.

- Et le camarade qui avait eu à tirer.

 

C’est dans les jours après que j’ai beaucoup pensé à mon camarade qui avait eu à tirer sur l’homme.

 

J’ai essayé de prier. J’ai repensé à Jésus dans le jardin des oliviers, se relevant de son agonie, de sa sueur de sang (Luc 22 44) Les apôtres retombant dans leur sommeil. C’était ce que nous vivions. Aujourd’hui si j’écris les lignes, il me revient cette parole des Pensées de Pascal : « Jésus est en agonie, jusqu’a la fin du Monde ».

 

Je me suis rendormi en entendant Jésus, qui me disait : « qu’avez-vous, qu’as-tu à dormir ? (Luc 22 46). Souvent, aujourd’hui, je le réentends, qui me le redit, dans ma conscience quand elle a tendance à s’assoupir.

 

C’était une nuit de juillet 1960. Le jour se lève tôt. On voudrait à la fois, que le jour se lève encore plus vite, et en même temps, on voudrait s’endormir pour toujours, tellement le drame que nous vivons est épouvantable.

 

Nous nous levons dans une pénombre de l’aurore naissante, les yeux fixés sur le corps de l’homme qui gît à coté de nous, nous assurant qu’il est mort.

 

Nous devrions avoir peur de ce que nous venons de faire :

 

Nous avons fait tomber un homme dans la mort.

 

Nous ne devrions pas craindre, ce que l’homme tombé pourrait nous faire.

 

Comment allons-nous, nous en sortir de ce drame ? Nous aurons du mal de voir que nous sommes tombés dans un gouffre avec l’homme. Comment faire pour que notre humanité ne s’y fasse pas enfouir et engloutir ? C’est pas beau ce que nous venons de faire. Comment allons-nous essayer de ne pas sombrer davantage, dans l’inverse de ce qui est humain, dans le contraire de ce que doit être l’humanité.

 

Tout n’est pas beau dans ce qui va continuer de se faire autour du corps de l’homme.

Il est dépouillé de ses vêtements et fouillé. Je repense à Jésus dépouillé de ses vêtements (Luc 15 20), (Luc 27 35), (Jo 19 11).

L’homme a des papier sur lui. L’argent qu’il a sur lui est récupéré et il est remis pour la caisse noire de la compagnie. Dans quel but ? A quoi ça va servir ? je ne sais plus s’il y avait de l’argent sur l’homme. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y avait toute une série de décrets de loi orale, non écrits, dont nous avions connaissance et que nous avions reçus des anciens de la compagnie « du temps du capitaine Sch. Voilà comment ça se passait quand on descendait un fel, dans une embuscade »

 

L’argent revenait donc à la caisse noire de la compagnie.

La montre de l’homme revenait à celui d’entre nous, qui l’avait tué.

J. notre camarade ne voulut pas de la montre.

Aujourd’hui voilà ce que je me dis :

J n’avait pas voulu de la montre. Aujourd’hui ce fait me parle beaucoup. Je me dis que J. nous fait voir par là, que si c’est à lui que c’est arrivé de tirer sur l’homme, tombé en embuscade, ce drame aurait pu se passer à un autre moment, où c’était quelqu’un d’autre qui était de faction. Et moi, je pense que ce qui est arrivé à J. ça aurait pu m’arriver à moi. Comment nous défaire du poids de ce fatalisme ? en endossant chacun une part de cet événement, mais aussi en remontant en amont, afin de ne pas sombrer dans cet enfer – mement, afin de ne pas s’y laisser enfermer ni emprisonner. Parce que l’enfer-me-ment.

 

Je vais mettre du temps pour avancer en conscience, de ce qu’il faut faire, dans un tel drame, et de ce qu’il ne faut pas faire et aussi, de ce qu’il aurait fallu ne pas faire. Depuis j’ai beaucoup appris à remonter en amont des faits, en nous assemblant à plusieurs, afin de ne pas nous polariser uniquement sur les conséquences d’un événement mais en cherchant les causes. Remonter en amont : je repense à nos rencontres en JOC, ACO, ACE, SCEJI, PPH, MRJC, CMR, ATD Quart Monde, CCFD.

 

Ce n’est pas quand nous sommes au cœur d’un drame, qu’il faut nous dire : « je ne devrais pas être là… Si seulement je n’étais pas là… » C’est avant.

 

C’est maintenant donc qu’il nous faut remonter en amont de ce que nous vivons, présentement et prendre des décisions, particulièrement dans le fait, de ne pas repartir en guerre, et pour cela d’enrayer non seulement nos fusils mais la fabrication et le trafic et commerce d’un armement, et particulièrement de l’armement nucléaire de la France.

 

J’aurais voulu ne pas me trouver dans le flanc de l’oued El Ardjem ce dimanche matin, en plein Ouarsenis. Mais j’y suis. Comment je vais m’en sortir ? Comment mes camarades et moi, nous allons nous en sortir ?

 

Parmi les lois non écrites, qui couraient dans le régiment parachutiste dans lequel je me trouvais incorporé, il y avait celle là, dont je vais parler plus loin : le cadavre des morts supposés être des fellaghas sont laissés à pourrir sur le terrain.

 

J’aurais voulu ne pas me trouver dans le flanc de l’Oued El Ardjem en plein Ouarsenis, ce dimanche matin.

 

617a.jpg

 

Pour cela, je dois lutter aujourd’hui de toutes mes forces, pour que nous arrêtions de partir en guerre, que nous arrêtions de fabriquer et de vendre des armes, et particulièrement, les armes nucléaires. Parce que, quand il y en aurait un qui aurait déclenché, l’arme nucléaire (voir le triomphalisme de Manuel Valls à propos du Mégajoule de la simulation du nucléaire du 28 octobre 2014), ce qui adviendrait par la suite, serait tellement inhumain, que nous ne pouvons pas savoir

-         ce que nous ferions,

-         ce que nous pourrions faire,

-         ce qu’il ne faudrait pas faire.

Parce que une fois, que nous sommes partis à la guerre, nous sommes enfermés, c’est l’enfer-me-ment. Et l’enfer me ment.

 

Je conteste et fais objection de conscience, dans le sein de ma mère l’Eglise, je le réalise dans la foi et l’amour : pourquoi ne m’as tu pas aidé et permis de déserter en 1958 – 1960, pourquoi ne m’as tu pas aidé à ne pas entrer en enfer-me-ment. Nous sommes coincés, enfermés, prisonniers, dans une situation où nous ne pourrons plus avoir un comportement d’homme. Je suis enfermé. L’enfer me ment.

 

Je conteste et fais objection de conscience, dans l’espace d’amour et de foi, créé par ma mère l’Eglise pour m’engendrer, me mettre au monde, donner sens à ma vie. Pourquoi n’est elle pas allée probablement, par crainte de l’Etat, et du Pouvoir, jusqu’à remettre en cause la guerre d’Algérie.

 

Aujourd’hui de même manière et nature , pourquoi l’Eglise ne revient pas sur le fait qu’elle cautionne l’Etat français dans sa politique d’armement nucléaire qui est criminel (voir la déclaration des évêques de France du 8 novembre 1983).

 

De la même manière, la France ne revient pas sur sa politique d’armement (fabrique et commerce) notamment avec Israël, qui à chaque opération

-         (Plomb durci déc 2008- janv.2009)

-         (Protection des frontières en été 2014)

 

expérimente l’augmentation de la dangerosité des armes (chercher à déchiqueter plus efficacement les gens).

 

Et pendant qu’avec nos amis du MANV et Jean Marie Muller, nous demandons l’arrêt de l’armement nucléaire de la France de manière unilatérale, en nous engageant dans une culture de la non-violence, nous apprenons qu’en pleine assemblée générale des évêques à Lourdes(3-9 novembre 2014), pendant que les évêques continuent à se justifier de ne pas s’engager, à demander l’arrêt de l’armement nucléaire unilatéral de la France, deux séminaristes du diocèse aux armées s’engagent dans les rangs de l’armée pour acquérir une culture militaire. Je me fais un devoir de dire NON ! Arrêtons ! de cautionner et de bénir le massacre (voir le journal La croix du 7 novembre 2014).

 

Une fois que nous sommes partis à la guerre, nous ne sommes plus des hommes. Nous sommes dans des situations, où nous ne pouvons pas être des hommes.

Donc il ne faut pas y aller.

Vous comprenez que si je dis comme Bernard GERLAND « ma guerre d’Algérie » je dis aussi « notre guerre d’Algérie ».

 

Le vieux CATON disait en terminant ses discours à l’assemblée de la ville de Rome « delenda est Carthago » « il faut détruire Carthage» C’est la pratique de la culture de l’armée, la culture militaire de Rome, de la Pax Romana.

 

Et bien je dis que non seulement à Rome, dans l’Eglise de Rome, mais dans l’Eglise Universelle, pour que l’humanité ne soit pas « délenda » «détruite » « déchiquetée », défaisons-nous de l’armement nucléaire de notre Etat, de notre pays, de cet Etat qui nous a volé notre jeunesse, à nous gens de ma génération, en tuant la jeunesse de l’Algérie (ce sont les jeunes dynamiques, les résistants qui souvent, sont tués, en premier dans une guerre). C’est ce qui c’est passé en Algérie, entre 1954 et 1962. Et c’est ce qui va se passer encore, durant les Années Noires 1990-2000).

 

Aujourd’hui je suis dissident de l’Eglise catholique et de l’Etat français, pour pouvoir être constructeur de l’humanité. Je ne démissionne pas, mais je me démunis. Ne démissionnons pas, mais démunissons nous de toute violence.

..../....

 

 

 

27 ET 28 NOVEMBRE 2014

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commentaires

M
Merci Lulu, merci pour ton courage ! je découvre ton texte aujourd'hui mercredi 7 janvier et tes paroles raisonnent encore plus fort ...toute mon amitié
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N
BONNE LULU
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Présentation

  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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