Lettre du lundi 9 juillet 2012 à Pichelsdorf
Nous voilà obligés de rester là 3 jours dans le famille du petit Marcus pour que l’âne Isidore retrouve la forme et moi la mienne aussi.
Je repense à Job dont les paroles et l’attitude me viennent « de sa peau pour ma peau » Jb 2,4. Dans la traversée de l’existence réalisée par Job, « Chacun de nous y passe », avec le flot de questions qui y sont attachées et de temps en temps, la joie qu’un rayon de lumière soit offert en réponse. D’où ça vient que je vais avoir la joie de pouvoir les partager bientôt toutes ces vibrations cachées depuis le commencement du monde ? d’en parler, que le Verbe se fasse chair en nos questionnements (Jn1,14) et de « laisser habiter en mon sein les paroles de ta bouche » ami Jésus (Job 2,3-17)
Devant les difficultés qui m’arrivent à propos de l’âne, vous êtes plusieurs amis qui m’aviez prévenu « où c’est que tu t’embarques ? Et ton âne ! est-ce qu’il va tenir le coup ? s’il se déferre, comment vas-tu faire ? Et s’il n’en peut plus, qu’est-ce qui va se passer ? « Il me semble vous avoir dit que je n’en savais rien. Et à l’heure où j’écris ces lignes traduisant ce moment que je vis, je n’en sais guère plus, sinon que j’espérais en la solidarité des gens que je rencontrerais, ce qu’effectivement je suis en train de trouver, avec Marion à côté de qui j’ai failli passer et qui est la personne qui a pris en responsabilité de me faire retrouver un âne prêt à repartir pour Bethléem, à condition de rester 3 jours en repos ici.
Mon espérance que je suis en train d’expérimenter, c’est que nous allons les traverser ces difficultés. Oh ! certes, pas par mes propres forces, mais par la présence aimante de beaucoup de personnes rencontrées sur mon chemin. Ils y sont sur nos chemins d’humanité. Sur mon chemin de Bethléem, ils y sont. Il n’y a pas quelqu’un qui tire les ficelles pour qu’ils y soient, par exemple pour que Marion soit là afin de soigner l’âne. Elle y est avant que nous n’arrivions.
Je me rends compte qu’il y partout à travers le monde des gens prêts à signifier effectivement l’accueil et la solidarité, les soins, et la fraternité qui à la manière de Job, peuvent dire : « Jamais étranger ne coucha dehors, au voyageur ma porte resta ouverte. » Job 31, 32.
Je me dis à moi-même : « Fais tout pour ne pas passer à côté des gens sans les voir, ne les évite pas. Ne désespère de personne. Pense qu’il y a toujours moyen de faire. » C’est l’inverse du fatalisme que tu m’as tant de fois aidé à traverser, Marcel, en m’aidant et m’apprenant à croire en la présence aimante, constante et constructive de plein de gens rencontrés sur nos chemins d’humanité, de penser qu’à « l’impossible nous sommes tenus. » Tu ‘disais’ Marcel et ‘agissais’ en conséquence, tu continuais ce que tu avais commencé, tu faisais connexion avec des gens à l’égard desquels nous ne faisions pas attention. J’ai failli passer à côté de Marion et Léo. Or, ce sont eux qui font tout pour soigner l’âne. De même la famille du petit Marcus dans le verger de qui j’ai planté ma tente et dans lequel je fais paître l’âne.
Ami Jésus, en union avec toi, au nom de tous ces gens, en reconnaissance de fraternité qui nous relie en effet, à ton Père, je veux dire « Notre Père qui es aux cieux, c’est une grâce ce que tu rends possible sur la terre, ce comportement que nous avons les uns pour les autres. »
Pour ainsi dire, chaque soir, il y a eu quelqu’un sur mon chemin pour m’accueillir, ou me faire signe que je pourrais mettre mon âne à tel endroit de la terre et moi auprès, et ainsi traverser la nuit, parvenir à l’aurore, et alors être prêt à repartir, quelqu’un qui m’accueille la nuit, pour que paraisse mon jour.
Je ne maitrise pas le temps, comme il le dit à Job, Dieu me dit : « As-tu une fois dans ta vie, commandé au matin ? Assigné l’aurore à son poste ? » Job 38, 12
C’est le temps qui me travaille, plus que je n’influence son cours. Déjà sur le plan météo. Aucune prétention à ce sujet. Sinon d’éviter que la pluie ne nous tombe dessus, donc de nous mettre à l’abri. J’apprends ce que « abri » veut dire, ainsi que « tente », « cabane » « avant-toit », « ombre ». Eviter que, lorsque le soleil parait fortement, il ne nous tombe sur la tête, donc chercher la compagnie des arbres, nous mettre dans leur ombre, en savourer le bienfaisance, et faire « bénédiction » en pensant à ceux qui les ont plantés, qui en ont pris soin, et dans la traversée des villages de la Wachau, comme Willendorf ou Agesbachmarkt, remercier pour les abricots tombés au bord du chemin ou presque en dehors du verger. Je pense à vous Franz et Gertrude qui nous avez laissés nous installer sous vos abricotiers.
Chers papa et maman, je pense beaucoup à vous qui avez fait pousser en dehors de vous, venant de vous, vos enfants, nous mes frère et sœurs et moi, ainsi que les arbres du verger, pour qu’avec les enfants des autres, nous puissions goûter à leur ombre et leurs fruits : cerises, pruneaux, poires et pommes, jus de pommes et à vous aussi Louis et Madeleine, à vous tous avec qui nous sommes devenus « croqueurs de pommes » fabricateurs de jus de pommes.
Je ne maîtrise pas le temps ni l’espace, mais nous nous affrontons ensemble. Ils me marquent de leur empreinte, plus que je n’effleure leur évolution. Je n’ai jamais encore pris autant conscience de ma dépendance vis-à-vis de la présence de l’âne que la nuit, où il a disparu, ayant cassé la cordelette de son licol qui le retenait à la corde coulissante et aussi aujourd’hui où dans la médiation de regard de Marion, j’ai entendu « il faut que vous vous arrêtiez ces 3 jours pour faire reposer votre âne, sinon, vous n’arriverez pas à Bethléem. » Et ce sont ces 3 jours que me permettaient de venir à Vienne. Je n‘entrerai donc pas à Vienne ces jours tout proches. Comment allons-nous faire ?
Je ne maitrise pas le temps, ni l’espace, ni la trouvaille du fil tendu par quelqu’un d’autre afin de tricoter une maille à l’envers, une maille à l’endroit, parfois avec la même personne en l’espace de quelque temps, comme avec le prêtre d’à côté de Tullingen, ou comme avec la dame de Straubing, ou Gertrude et Franz à Agesbachmarkt.
Avec Marion à Pichelsdorf