Dampierre, le 28 novembre 2017
Chers amis de l’aumônerie catholique des prisons et de l’hebdomadaire « La Vie »
C’est chez des amis visiteurs de personnes en prison, dans le Jura, que vient de m’être offert le calendrier « Paroles d’Espérance », pour l’année 2018.
Je me réjouis tout d’abord, en recevant ce calendrier des mains de mes amis, en voyant les photos et en lisant les paroles des 1eres pages : Malala Yousafzai, Vera Baboun, le pape François. Je dis à mes amis : « Oh, je vois à qui je vais pouvoir offrir ce calendrier en cadeau de bonne année, tout d’abord, à une famille musulmane, où une jeune fille est en train de lire le livre de Malala : « Moi, Malala, je lutte pour l’éducation » La jeune fille de cette famille a retenu par cœur les mots de Malala : « Je suis persuadée que les rêves d’aujourd’hui seront les réalités de demain. » Puis, je vois Pierre Rabbhi : « La sobriété permet de retrouver la vibration de l’enchantement. » Je me dis : « Je vais pouvoir offrir à des amis de la confédération paysanne ce calendrier pour nous aider à lutter contre l’envahissement mortel du glyphosate. »
Je découvre au fur et à mesure que je tourne les feuilles de « votre calendrier » des noms de gens que je connais, comme Mahatma Gandhi, Vera Baboun, je me dis : «Je vais pouvoir offrir ce calendrier aux amis qui reviennent de Bethléem, aux amis engagés dans le M.A.N.V., mouvement d’action non-violente, dans le mouvement Palestine Amitié, planteurs de 1000 oliviers pour la paix. » Ce calendrier peut aider à lutter de manière non-violente, contre la colonisation d’Israël en Palestine. « C’est vrai qu’un environnement sain peut tellement aider à générer une mentalité saine », et « Je ne veux pour rien au monde étouffer cette voix qui est ma conscience. » Puis je vois les noms, les visages, je lis les paroles de Elie Wiesel, Amadou Hampâté Bâ, Nelson Mandela, Mère Térèsa, Liu Xiaobo, Bernadette Soubirous : «Je ne vivrai pas un instant que je ne le passe en aimant. »
Mais en tournant la page de « votre » calendrier qui était en train de se faire « mien», arrivant au mois d’août, quelle n’est pas ma surprise de trouver le visage de Hélie de Saint Marc avec ses paroles : « De toutes les vertus, la plus importante me parait être le courage ».
Alors, là, je suis sidéré et bouleversé que vous placiez sur nos routes du mois d’août et sur les endroits qui nous emprisonnent, des panneaux indicateurs comme ceux-là. Voudriez-vous revoir les personnes qui se sont arrangées pour se fourvoyer et proposer de telles pages et photos pour votre calendrier. J’éprouve certes un réel respect pour cet homme, Hélie de Saint Marc, comme pour tout homme. Mais à l’instant, il se passe en moi, alors que je suis encore chez mes amis qui m’offrent le calendrier, quelque chose de bouleversant. En effet, les noms des amis à qui j’avais dessein d’offrir votre calendrier, s’effacent de devant mes yeux et cessent d’habiter mon cœur. Une profonde tristesse m’envahit. Je ne pourrai pas leur faire le cadeau de Noël dont il m’était venu l’idée avec enthousiasme.
En effet, comment proposer aux enfants de mes amis et à eux, comme vous nous le dites à chaque page de ce calendrier : « Pour en savoir plus, lisez « Aventure et Espérance ». J’avais déjà lu et suis retourné le lire, le livre : « Mémoires d’Hélie de Saint Marc. »
J’ai malheureusement fait la guerre d’Algérie, comme des milliers de jeunes de ma génération. J’ai participé, hélas, à plusieurs opérations dans la dixième division parachutiste où Hélie de Saint Marc était sous-chef d’état-major de 1959 à 1961. A combien de ses enfants, mon pays la France a usurpé la vertu du courage qui habitait, certes, Hélie de Saint Marc, mais aussi le fond de nos êtres de 20 ans à nous tous. Lui comme nous, s’est fait avoir. Notre dignité d’hommes a été bafouée. Car, quand on abîme un autre homme, on s’abîme soi-même aussi. Dans quel but les forces de nos courages étaient mises en valeur ?, puis usurpées ? afin que soit maintenu sur le peuple algérien le joug colonial et que l’Algérie demeure française. C’était le but des opérations que nous avons accomplies sous les ordres du général Challe, dont Hélie de Saint Marc était un des officiers de son état-major.
A ce premier drame s’en ajoute un autre. Des généraux séditieux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, cherchent à prendre le pouvoir … La ville d’Alger tombe entre leurs mains le 22 avril 1961. Le général Challe entraîne dans cette recherche de prise du pouvoir, un nombre important de commandants dont Hélie de Saint Marc, commandant alors le premier R.E.P. (régiment étranger parachutiste) à Zeralda. Hélie de Saint Marc se répète la devise de la légion étrangère : « Honneur et Fidélité » Et il écrit qu’il s’est dit à ce moment : « mais l’honneur était-il dans l’obéissance absolue au pouvoir légal, ou dans le refus d’abandonner des populations qui nous avaient fait confiance ? » Pour soutenir le projet du général Challe, il fallut à Hélie de Saint Marc certes, beaucoup de courage, mais ce courage va se vivre et être accaparé dans quel but ? La prise du pouvoir des généraux et des commandants séditieux était bien dans le but de maintenir le pouvoir colonialiste de la France et que l’Algérie continue d’être française. Pour une fin odieuse, on utilisait des moyens nobles tels que le courage.
Cela me semble vicié de toutes parts. Je pense qu’il faut beaucoup de courage dans nos luttes pour nous libérer de la violence, mais je refuse et fais objection à ce que nos courages et particulièrement quand on a vingt ans, soient utilisés à une fin et dans un but prédateurs.
En mettant la photo d’Hélie de Saint Marc et en retraçant sa vie, qui est certes passée par les camps exterminateurs de Buchenwald, alors qu’il a à peine 20 ans, sur votre calendrier du mois d’août, en promouvant la vertu de courage qui a certes habité la vie de cet homme , et cela je le respecte profondément, je crains que vous concourriez une fois de plus, comme nous l’avons subi en partant en guerre en Algérie et dans toute guerre, à engager des hommes et des femmes à offrir leurs forces de courage ou à se les faire prendre, pour des causes ignobles et injustes.
J’ai lu intégralement « votre calendrier » plusieurs fois. Pour bien des raisons et particulièrement celles que je viens de vous exposer, je ne peux pas le faire »mien » Du pape François, vous ne mettez que son visage. Avec tout ce qu’il fait et dit afin de nous aider à nous laisser travailler et habiter par la non-violence, je ne trouve qu’une fois mention de la non-violence dans tout le calendrier. C’est au mois de novembre, dans la relation de la vie de Martin Luther King.
Comment se fait-il que nous n’ayez pas eu idée, de proposer à nos forces de courage de nous engager sur le chemin du général Jacques Paris de Bollardière, qui a fait objection à la torture pendant la bataille d’Alger, des deux religieuses Léonie Duquet et Alice Domont, victimes de la dictature de Vidéla en Argentine ou du prêtre jurassien Gabriel Maire assassiné à Vitoría au Brésil le 23 décembre 1989 en raison de ses engagements avec les sans terres et les enfants des rues, et combien d’autres militants de la non-violence. Je ne vois pas d’écho dans le calendrier aux mouvements non-violents tels que le M.AN.V. ou I.C.A.N. à qui vient d’être décerné le prix Nobel de la paix en raison de sa lutte contre l’armement nucléaire.
Ceci dit, bien sûr que je maintiens mon estime pour ce que j’ai trouvé dans beaucoup de pages de « votre calendrier », mais je me refuse de le faire « mien » et de pouvoir l’offrir. Je suis très triste. Parce que je crois à votre mouvement de libération de nos prisons et de nos enfer-me-ments.
Dans l’attente de vous lire, je vous dis mon estime pour votre travail afin de nous aider à nous libérer de tout ce qui nous fait violence.
Lucien CONVERSET
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