Vendredi 11 septembre 2015
VEUX-TU NOUS DIRE ENCORE JEAN-PIERRE, CE QUE TU AS VU EN CHEMIN ?
Il est dix heures, Omar vient de nous appeler à boire le thé, tous ensemble, les moines et tous les gens présents dans le monastère.
Ayant conscience que c'est un plein panier de trésors de graines de non-violence que je viens de recevoir de la part de Jean-Pierre, et que c'est encore un autre panier qui est en train de se remplir d'autres trésors de partage. Je veille à ce que rien ne se perde.
Je dis à Jean-Pierre.
Lucien : « Veux-tu nous dire encore Jean-Pierre ce que tu as vu en chemin grâce à Christian ? »
Jean-Pierre : « Le frère Christian nous a accueillis et reconnus tels que nous étions. Nous n'étions pas novices par rapport à l'Islam. Il nous regardait et nous rencontrait sur un plan d'égalité dans notre connaissance de l'Islam, afin de progresser ensemble. Nous avions quelque chose de très important à recevoir de lui. Et lui, voulait beaucoup recevoir de nous. Nous ne voulions pas de la relation maitre-élève. Il avait cette qualité spirituelle et nous aussi. Nous avions à apprendre et à progresser ensemble. Chacun avait sa propre richesse. Il avait la sienne, nous avions la nôtre. Ça ne veut pas dire que nous n'étions pas unis. Il y a l'image de la roue et du moyeu. Il y a aussi l'image du moteur électrique. S'il n'y a pas de tension dans un moteur électrique, c'est plat, ça ne marche pas. Il faut le positif et le négatif. S'il n'y a pas de différence de potentiel, le moteur ne peut pas tourner. En présence des capacités de chacun, il ne faut pas que l'un ou l'autre soit éliminé. Pour que le moteur tourne, il faut mettre les capacités ensemble. Coopérer ensemble, avec les capacités de chacun pour faire un tout. C'est à faire ça, qu'est appelé un vrai supérieur. Ce sont Saint Pierre et Saint Paul, s'il n'y avait eu que Saint Pierre ou que Saint Paul, quelle pauvreté ça aurait été. Paul avait le souci de garder le lien avec Jérusalem.
Lucien : « Veux tu me dire Jean-Pierre comment a été vécu le Ribat es Salam à Tibhirine ? »
Jean-Pierre : « Il y a surtout eu Christian, Christophe et Michel de notre communauté, qui y ont été engagés. J'y étais très ouvert. Je craignais que ce soit un pôle unique. Le Ribat es Salam avait été fondé par Christian et Claude Rault, devenu évêque de Ghardaïa – Sahara. Nous voulions rester des cisterciens, mais aussi continuer d'entrer en devenir. Christian a demandé aux soufis s'ils voulaient bien venir à Tibhirine deux fois par an. Nous ne voulions pas que tout soit tiré dans ce sens-là. Mais ça ne veut pas dire que nous étions fermés. Nous vivions une tension tout en cherchant à garder l'unité. Nous cultivions les deux tendances.
Lucien : « Une sorte de tension créatrice ? »
Jean-Pierre : « C'est ça. »
Lucien : « Et en plein milieu de ces années noires, c'est quoi qui a contribué à ce que vous restiez ? »
Jean-Pierre : « Il fallait chercher l'unanimité sans exclure celui qui n'est pas conforme à la tendance la plus forte. Il a fallu plusieurs séances pour savoir si, unanimement, nous restions ou pas. En 1993, nous avions déjà choisi que si nous partions, nous nous rejoindrions à Fes au Maroc. Si nous ne pouvions pas revenir en Algérie, nous irions ensemble dans un autre pays musulman. Nous voulions rester ensemble, quoi qu'il arrive. Nous avons choisi de rester. Nous voulions ne pas abandonner la population. Il y a eu des pressions pour que nous partions, de la part du gouvernement algérien et de l'ambassade de France. A Rome, les autorités de notre ordre cistercien nous ont laissé libres de choisir, « selon votre conscience commune ». Les autorités algériennes ont poussé très fort pour que nous partions, ainsi que certaines opinions françaises. « Qu'est-ce que vous fichez là-bas en Algérie ? … Vous êtes fous … » , nous disait-on. Un jour, c'est Christophe qui causait avec un algérien, un habitant de Tibhirine. Il lui disait : « Nous ne sommes pas sûrs de rester, nous sommes comme les oiseaux sur la branche. » Mais l'algérien lui a dit : « En fait, la branche, c'est vous, et les oiseaux, c'est nous.
« Quelqu'un a dit aussi : » Est ce que le pasteur se sauve lorsque les brebis sont en danger ? » et en plus, nous avions fait un vœu dans la stabilité, celui-là d'être fidèle au peuple algérien. C'est comme dans la vie conjugale. Quand le GIA en 1993 a dit : « Ordre aux européens et étrangers de partir d'Algérie » nous avons dit : « Est ce que c'est le GIA ou notre maitre Jésus qui nous a envoyé en mission ? »
Lucien : « Je suis émerveillé et touché ami Jean-Pierre de tout ce que tu rends possible que je puisse ramasser de graines de non-violence en t'écoutant. Tu n'es pas trop fatigué ?
Jean-Pierre : « Non ! J'aime bien parler de tout cela. C'est le Seigneur qui nous porte tous et qui est à l'origine de tout cela. »
commenter cet article …