Dampierre le 17 avril 2020
« QUAND JE SERAI PLUS GRANDE, JE VOUDRAIS ÊTRE VÉTÉRINAIRE DES ANIMAUX DE LA MER... » (Camille, bientôt 8 ans)
Ce sont les paroles de Camille qui va bientôt avoir 8 ans. Elle, et son jeune frère Côme, 5 ans, sont à la garde de leur tante Rachel dans leur maison familiale, sur les plateaux du Doubs. Confinement oblige. Leurs parents, personnels soignants, sont appelés à partir auprès des nombreuses personnes fragilisées dans leur être profond et en leur santé, dans leur psychisme et au cœur de leur vie relationnelle. Dure est l’épreuve du coronavirus qui plombe notre Humanité entière.
Camille m’a appelé ce matin au téléphone: « On voulait t’appeler Lulu parce que j’avais beaucoup aimé, il y a 2 ans, les ballades avec les ânes en forêt de Chaux avec mes cousines et mes cousins... et l’année dernière, à l’abbaye d’Acey, quand Rachel revenait de son tour du monde... Rachel nous raconte les belles histoires avec les enfants dans les campements... quand vous partiez l’été autour des lacs du Jura... je voudrais bien que tu me parles des ânes... comment ça s’est passé... quand on vous les a prêtés... puis donnés... quand ils sont devenus à vous... comment elles s’appelaient les mamans des premiers ânons ? »
Je suis prêt à raconter à Camille ce qu’elle est en train de me demander... Mais c’est un flot de paroles qui a besoin de sortir de sa bouche... et que je tiens à continuer d’écouter...
«... Il paraît que tu as plein de belles histoires à raconter... les grandes joies que les ânes ont donné aux enfants... les soins et les caresses que les enfants savaient donner aux ânes... parce que moi je voulais te dire que j’aime beaucoup les animaux... j’aime pas qu’on leur fasse du mal... »
J’essaye de commencer à répondre à ce que Camille me dit, qu’elle attend de moi au téléphone. Mais je sens qu’avant que j’intervienne, Camille a toujours des choses très importantes à me dire... et que ce n’est pas encore venu que je lui réponde. C’est là, qu’elle me dit :
«... Parce que tu vois, moi je voudrais être vétérinaire quand je serai devenue plus grande... je voudrais soigner les animaux de la mer... les poissons qui sont tout tristes parce qu’on a jeté des choses qui sont empoisonnées là où ils nagent... les oiseaux qui ne peuvent plus s’envoler dans le ciel, parce que leurs plumes, leurs ailes sont toutes collées avec les produits du pétrole que les gros bateaux rejettent dans l’eau de la mer... »
Là je pense que je vais pouvoir dire à Camille toute mon estime à propos de son projet et tout ce que je ressens en écoutant les paroles vibrantes et toutes remplies d’émotion qui sortent d’elle-même. Je sens certes tout un travail de conscientisation qui s’opère dans l’être de Camille, grâce aux partages que son frère et elle vivent avec leurs parents et leur tante, bien avant cette période de confinement. Pas de dramatisation ni de culpabilisation fatalisante. En écoutant Camille je comprends que je suis en présence d’une enfant dont la personnalité se développe profondément. Elle illustre pour notre joie à tous, membres de la famille et amis, ce que Madame Maria Montessori dit de chaque enfant, des nôtres et de ceux des autres : « L’enfant n’est pas un vase que nous adultes, nous serions chargés de remplir. L’enfant est une fleur dotée de senteurs, de couleurs et de capacités immenses. Nous, adultes sommes appelés à être les facilitateurs de leur éclosion et de leur fructification ».
En décryptant les paroles de Camille, je découvre en elle, comme dans l’être de beaucoup d’enfants et de jeunes, la recherche et le projet de réparer ce que nos courses effrénées au profit et au pouvoir ont cassé et brisé. En même temps que surgissent les paroles de la bouche de Camille, la vérité avec laquelle elles sont exprimées réalise comme une poussée d’espérance. Les semences que Camille fait pousser en son jardin intérieur sont en train de déborder dans les plates-bandes du jardin commun à toute l’Humanité. Ce que Camille réalise personnellement nous fait du bien à tous.
C’est alors que Camille me dit : « Pourquoi on a attendu que le coronavirus arrive pour arrêter la pollution de la Terre et de la Mer...? »
Oh Camille ! Je crois entendre la jeune fille Greta Thunberg et combien d’autres jeunes... Vous nous suppliez de changer nos comportements face à la Terre, dans l’économie, dans la gestion de ce qui est offert à toute l’Humanité des biens de la Terre. Tu as beaucoup d’espérance en l’Humanité dans la façon dont tu exprimes ta question. Nous avons l’impression en t’écoutant que durant cette période de confinement, nous sommes déjà en train de changer et transformer nos attitudes. Je le crois et fais confiance avec toi. Justement, je vais vous raconter à ton frère et à toi, comment les ânes nous ont été offerts, prêtés, puis donnés.
C’est vrai que c’est à moi Lucien que Jean qui avait les ânesses NENETTE et MONA a dit le soir du 29 août 1981 : « Ma famille et moi nous vous donnons nos ânesses ». Mais j’ai compris en mon cœur qu’il ne les donnait pas pour que j’en sois propriétaire, mais pour qu’avec les animateurs comme votre tante Rachel, nous rendions possible que tous les enfants qui marcheraient à leur pas, se laissent apprivoiser avec eux. Quand des fois, les enfants me disaient : « Qu’est-ce qu’ils sont gentils tes ânes Lulu !» je reprenais toujours les enfants. Je disais : « Qui c’est qui tient l’âne en ce moment ? Qui c’est qui le caresse ? Qui c’est qui marche au pas des ânes ? » Les enfants disaient : « C’est nous... » Je disais : « Les ânes sont pour vous. Les ânes sont à vous. Mais ils sont tenus et caressés par vous, afin que le campement terminé, vous prêtiez les ânes à d’autres enfants, à ceux qui vont faire un autre campement ».
Et les enfants étaient heureux et nous aussi les animateurs. Et on écrivait des cartes postales pour remercier Jean et sa famille de nous avoir prêté, puis donné les ânes. Et on leur racontait comment on ne gardait pas les ânes rien que pour nous. On ne jouait pas aux propriétaires.
Alors il y a des gens qui ont appris comment nous nous y prenions pour que les ânes soient au service de tous les enfants qui avaient des projets... Alors il y a eu d’autres gens qui nous ont donné leurs ânes pour qu’ils servent à tous.
Je trouve que ça ressemble beaucoup à ce que tu veux faire une fois devenue grande « vétérinaire pour soigner les animaux de la mer » qui sont à tout le monde.
Côme, Camille, cousins et amis, dites à votre tante Rachel qu’à la prochaine ballade au pas des ânes nous nous raconterons que l’âne et le bœuf qui ont soufflé sur les pieds du petit enfant Jésus quand il est né dans la grotte de Bethléem, c’étaient des animaux qui avaient été prêtés. De même l’ânon AOUI sur le dos de qui Jésus est monté pour entrer à Jérusalem le jour des Rameaux, l’ânon AOUI avait été prêté par des gens de Bethfagé.
C’est comme ça que le monde tourne bien. « Quand ceux qui ont des belles choses dans leurs mains, les prêtent, les donnent et les partagent... » (Actes des Apôtres 2, 44) Nous nous raconterons aussi qu’il y a eu au XIIIème siècle un homme qui a su merveilleusement se détacher de ce qu’il avait, pour le donner à ceux qui en ont le plus besoin que lui : c’est Saint François d’Assise. Il n’a pas fondé de foyer mais il a bâti une grande famille de frères et de sœurs en épousant Dame Pauvreté. Quand il traversait une rivière à pieds nus, il aimait tellement l’eau, qu’il l’appelait « Sœur eau ». Il causait avec les oiseaux. Et les oiseaux, « les uccellis » lui répondaient. C’était un véritable concert qu’ils lui offraient. Il parlait aussi avec les poissons. Déjà il voulait que l’on respecte « leurs parcours dans les sentiers des eaux »comme il est chanté au psaume 8,9, comme tu le veux en devenant vétérinaire des animaux de la mer, Camille.
Camille, le projet de François d’Assise et le tien se ressemblent beaucoup. L’un et l’autre vous voulez réparer les blessures qui sont faites aux côtes de notre mère la Terre, là où ça se touche entre la Mer et la Terre, là où poussent les arbres, où nichent les oiseaux et là ou frayent les poissons.
Quand Jorge BERGOGLIO a été élu pape en mars 2013, il a voulu prendre le nom de FRANCOIS. Il empruntait ce nom pour que lui-même et nous tous en Église et en Humanité, nous changions la façon d’organiser la marche du monde. Il n’a jamais arrêté de demander à Jésus du Lac de Tibériade et à François des côteaux d’Assise, de nous aider à ce que les plus riches se défassent d’une grande part de ce qu’ils ont pour que le plus pauvres trouvent leur place. Un jour il a écrit une lettre en 2015 à tous les gens de bonne volonté du monde entier. Elle commence par les mots que Saint François d’Assise utilisait pour remercier Dieu de la beauté de la Terre, de la mer, des oiseaux, des poissons « LAUDATO SI ». Il supplie les enfants de Dieu que nous sommes, de prendre conscience que nous sommes aussi fils et filles de la Terre. Elle est notre Mère. Il dit les mêmes paroles que celles que tu dis Camille à propos des oiseaux et des poissons. Un grand penseur, Edgar Morin disait, après lecture de cette lettre de François, que si on s’orientait dans le sens de ce qui y est écrit, nous pourrions sauver la Terre.
C’était en 2015.
Nous n’avons pas dû faire assez.
Et si nous nous remettions à lire « Laudato Si » et à en vivre. Alors en correspondance avec Jésus, François, celui d’Assise et celui de Rome, avec Edgar Morin et tous les gens de bonne volonté, si on se reliait à l’appel, à celui de Camille et à celui de tous les enfants du monde, et qu’un changement commence à s’opérer... dans nos comportements... à commencer par moi... par nous... que j’arrête, que nous arrêtions d’inventer et trouver et de nous munir de ce qui nous donne du pouvoir, de l’avoir, du savoir sur les autres - ça pourrait contribuer à ce que dans notre pays la France, nous arrêtions, non pas le travail dans nos entreprises, mais la fabrication de ce qui tue et humilie l’autre, et nous abîme nous-mêmes.
Lulu