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4 avril 2016 1 04 /04 /avril /2016 06:51

« LA VIOLENCE N'EST PAS UNE FATALITE.

L'HISTOIRE PEUT DEVENIR NON VIOLENTE »

(Guy RIOBBE, cité par JEAN MARIE MULLER)

 

Lettre commencée à Midelt le vendredi 11 septembre 2015

Durant mon voyage de Dampierre à Bethléem en 2012- 2013, en quête de la paix, il me revenait souvent des paroles fortes de l'évangile, des psaumes, de Job et des prophètes ou d'autres endroits de la bible.

 

Certaines venaient éclairer les ruelles sombres ou les sentiers ténébreux dans lesquels parfois je me trouvais, les passages chaotiques que j'avais à assumer à certains jours. D'autres paroles venaient éclairer et mettre en lettres de lumière, des attitudes et des gestes ainsi que des moments porteurs de bonne nouvelle, comme lorsque j'ai appris la naissance d'un petit enfant chez des amis qui m'étaient chers, quand des gens aux yeux de qui j'étais « camp volant », m'ont fait une place avec grand cœur dans leut tout petit lieu de vie. 

 

Aujourd'hui, un peu de la même manière, c'est dans la liturgie des heures partagées avec les moines de Midelt, car ils m'ont fait entrer dans leur communauté, que des paroles vives viennent éclairer ma vie, par exemple quand tout à l'heure le frère Antoine nous a aidés à chanter : « Ami Jésus, continue en nous ce que tu as commencé » et hier soir, dans la célébration des complies au psaume 90 Dieu nous disait à chacun : « Plus tu chercheras à t'unir à moi, plus tu deviendras toi même : libéré, libérant et libre » Et ces autres mots égrenés et semés dans l'inquiétude de ma chair blessée :  « Toi qui es mon allié, tu es aussi mon libérateur. » ( Ps 143 )

 

Dans les partages de 10h30 et de 16h sur invitation d'Omar : « Venez boire le thé que Baha a préparé », j'aime entendre comment Jean-Pierre Flachaire ( le jeune ) et Omar ont travaillé à la réfection de la chapelle, en gravissant l'un et l'autre le musulman et le chrétien, les barreaux de l'échelle à deux battants. Et c'est aussi dans la lecture du livre d'Alphonse Georger : « Journal d'un séminariste en Algérie, en 1960-1962 » que Jean-Pierre m'a prêté hier, que je trouve aujourd'hui : « Ma lumière et mon salut » ( Psaume 26 ) à propos de ce que j'ai vécu moi aussi séminariste en Algérie en 1959-1960. Je viens de lire ce livre en pleurant, parce que Alphonse nous révèle à partir de la situation dans laquelle il se trouve, quelle horreur répand la guerre que l'on nous a fait faire et que nous avons faite en Algérie. En même temps, la lecture de ce livre intensifie en moi, cette conviction qu' « à l'impossible nous sommes tenus ». Devant l'attitude des officiers qui étaient ses chefs, Alphonse a appris à s'opposer à des ordres injustes, à oser dire non alors qu'il était mêlé à une ambiance dégradante, à faire objection de conscience, tout en étant un homme très relié à tous ses camarades de compagnie et section.

La violence n'est pas une fatalité

Et parmi toutes les ressources que je découvre contenues dans ce journal, voici à mes yeux le trésor des trésors.

 

Alphonse raconte qu'un jour, il quitte son casernement de Castiglione pour venir à Alger. Il vient y rencontrer des aumôniers, des séminaristes et des chrétiens et aussi des hommes de bonne volonté, ne se reférant pas forcément à l'évangile, mais étant tous des lutteurs pour se défaire et démunir de la violence, de la haine et de la guerre. Il y est accueilli fraternellement et sur la table de la salle de réunion, parmi les revues et documents mis à leur disposition, il tombe sur un petit livre : «  Témoignage d' Amour » de Jean-Marie Buisset.

 

Vous devinez ma stupéfaction quand à mon tour, là, à Midelt, ce vendredi 11 septembre, en lisant ce journal d'un séminariste en Algérie, je tombe sur la recension du livret que nous avions fait au sein de l’aumônerie de la caserne de Bayonne avec le père Jégo, Bernard Robbe, Jean-Claude Paulay et moi.

 

Ce petit livre est constitué des lettres que Jean-Marie nous adressait en avril-mai 1959 depuis l'Algérie, là où il était venu soldat au 2ème RPIMA six mois avant nous. En effet, avec Jean-Marie Buisset, nous avions scellés une amitié merveilleuse dès notre arrivée à la caserne Bosquet de Mont de Marsan dès le 2 septembre 1958, jour de notre incorporation. Tout de suite, l'étincelle de l'amitié s'était allumée entre nous deux, ainsi qu'avec Jean-Claude et Bernard et avec combien d'autres camarades.

 

Parti en Algérie à la fin mars 1959, Jean-Marie nous écrivait à l’aumônerie de la caserne de Bayonne où nous poursuivions notre stage pré AFN ( Afrique Française du Nord ). Les faits et paroles écrits par Jean-Marie dans les lettres qu'il nous adressait nous révélaient dans quel drame cette guerre nous faisait plonger.

 

A chaque lettre reçue, nous sentions ce qui déchirait le cœur de notre ami Jean-Marie et nous devinions ce qui nous attendait lorsqu'à notre tour nous arriverions de l'autre côté de la méditerranée. Ces lettres, par l'amitié et la prière qu'elles recelaient nous préparaient à entrer comme Jean-Marie dans la résistance à la haine et à la violence. Nous étions touchés par l'amour qui continuait de résider et habiter dans l'être de notre ami et dans son attitude face à la guerre. Nous nous prêtions ces lettres les uns aux autres (les photocopieurs n'existaient pas) Je me souviens que nous nous disions que c'était comme lui qu'un jour nous serions appelés à agir et réagir. Nous lisions ces lettres dans nos rassemblements d’aumônerie avec le père Jego et nos groupes d'amis. Nous nous racontions que ça ressemblait au partage des lettres des apôtres Pierre, Paul et Jean dans les 1ères communautés chrétiennes de l'église naissante. Nous sentions bien que nous étions en train de constituer une église qui continuait de naître. Les lettres, une fois lues, nous revenaient et à nouveau nous les partagions avec d'autres.

 

A la fin mai, quand nous avons appris que Jean-Marie était tué (tombé en embuscade dans le massif de l'Ouarsenis, ses parents, ses sœurs et son frère  apprenant sa mort le 29 mai 1959, jour de la fête des mères) nous avons rassemblé toutes les lettres et avons cherché à constituer un petit livre que nous avons offert et envoyé à une multitude de camarades et amis en Algérie et en France dans les équipes d’aumônerie avec lesquelles nous étions en lien. Elles atteignirent le cœur de beaucoup et déposèrent en chacun un souffle d'amour et de résistance à la violence. Cependant, ces amorces d'pobjections de conscience, ne me conduisent pas à penser refuser de partir en Algérie . Dans l'ambiance où nous vivions ce n'était pas pensable.

 

Cinquante sept ans après, là au Maroc, à Midelt, je trouve le livre écrit par Alphonse Georger : « Journal d'un séminariste-soldat. » Ce livre m'est prêté par Jean-Pierre Schumacher, survivant de Tibhirine, et dans ce livre je découvre page 128, la reprise du petit cahier « Témoignage d'Amour » constitué des lettres que Jean-Marie Buisset nous avait envoyées à Bayonne depuis Boghari Castiglione, Aïn-Dahlia du cœur de l'Ouarsenis, montagne dans laquelle était cachée Tibhirine ! Quelle convergence !

 

Bien sûr qu'un jour j'espère pouvoir rencontrer Alphonse Georger. C'est lui qui a accueilli Amédée et Jean-Pierre au lendemain de la disparition des 7 témoins de l'Atlas. Amédée et Jean-Pierre ne pouvaient plus demeurer à Tibhirine. Alphonse, alors évêque co-adjuteur de Léon Etienne Duval à Alger, leur avait offert un lieu de vie aux Glycines. Alphonse devint par la suite évêque d'Oran, succédant à Pierre Claverie, assassiné le 1er août 1996, avec son chauffeur Mohammed. Alphonse est aujourd'hui évêque-ermite dans la région de Cherchell. C'est Jean-Paul Vesco qui lui a succédé comme évêque d'Oran. Nous avons rencontré Jean-Paul et été accueilli par lui à l'évêché d'Oran en mars 2014 avec Nelly et Bernard et Claude Chauvin.

 

A la veille du jeudi saint de cette année 2016, Jean-Luc Bey me dit : « Si on allait voir la Madeleine ? Elle m'a souhaité mon anniversaire hier. » Sœur Madeleine a été institutrice de Jean-Luc, Eric, Brigitte et de combien d'autres de nos amis à l'école Jean Bosco durant les années 1970-1980. Il y avait aussi dans l'équipe éducative, Odile, Vivianne, Christine, Fabienne, Gaby … Sœur Madeleine est depuis plusieurs années en retraite dans la communauté des sœurs dominicaines d'Orchamps, à deux pas de chez nous. Jean-Luc et son épouse Béatrice et moi, nous sommes infiniment reconnaissants à Madeleine de nous avoir appris à lire et à écrire, à faire lecture et écriture des humbles évènements fondamentaux de nos vies, à la lumière de l'évangile de Jésus. Nous ne voyions pas d'emblée l'essentiel de ce nous vivions. Souvent, cela demeurait caché à nos yeux. C'est alors que Madeleine nous disait : « En vous écoutant raconter ce que vous me dites, voyons donc ! » Merci Madeleine de continuer à chercher dans le fouillis de nos vies le sens de notre existence.

 

 

Et me voilà heureux de raconter à Madeleine et aux religieuses dominicaines d'Orchamps en cette veille du jeudi-saint, l'émouvante histoire qui m'est arrivée avec Jean-Pierre Schumacher à Midelt en septembre 2015, grâce au frère Benoit de l'abbaye d'Acey : l'offrande du livre d'Alphonse Georger : » Journal d'un séminariste soldat ». Je leur raconte ma découverte que dans ce livre est serti le »témoignage d'amour » de Jean-Marie Buisset, tout petit livre réalisé par l'équipe de l'aumonerie de Bayonne et le père Marcel Jégo dont je suis le secrétaire. » Et voilà qu'en entendant le nom d'Alphonse Georger, les sœurs me disent : « Mais nous le connaissons Alphonse Georger. Il est le frère d'une de nos sœurs, religieuse à Neufchateau dans les Vosges. Plusieurs disent : « Je l'ai lu ce livre. »

 

Me voilà profondément heureux de trouver le chemin qui me permettra de rencontrer un jour très prochain je l'espère, celui qui devient notre ami Alphonse.

 

C'est grâce à une plénitude d'amis !

 

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27 mars 2016 7 27 /03 /mars /2016 05:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. Aujourd'hui, Lulu nous parle de frère Christian, prieur de l'Atlas, assassiné le 23 mai 1996 avec 6 frères de sa communauté. 

Les moines de Tibhirine - Frère Christian

Lucien : « Qu'est-ce donc ce qui a tant attiré Christian de Chergé à vouloir donner sa vie à ce pays ? Il dit dans son testament « Ma vie était donnée à Dieu et à ce pays » 

Jean-Pierre : « C'est beau comment les frères de Tibhirine nous avions tous des raisons très personnelles et intimes qui nous ont poussé à venir et très souvent à revenir en Algérie. »

Christian dans son même testament dit que c'est sur les genoux de sa mère, sa toute première église, précisément en Algérie qu'il a appris que «  l'Algérie et l'Islam étaient tout un. »   

 

Christian naît à Colmar le 18 Janvier 1937 son père Guy de Chergé est commandant du 67ème régiment d'artillerie d'Afrique en 1942. « J'avais 5 ans et je découvrais l'Algérie pour un premier séjour de 3 ans. Ma mère nous a appris à mes frères et à moi le respect de la droiture et des attitudes de cette prière musulmane.                      

Ils prient Dieu disait ma mère.

Ainsi j'ai toujours su que le Dieu de l'Islam et le Dieu de Jésus-Christ ne font pas nombre.« Musulmans et chrétiens ont le même ciel au dessus de leur livre »

En 1956, à 19 ans, il entre au séminaire des Carmes.

Et voici qu'en septembre 1958 il est appelé à faire son service militaire. En 1957 il y a eu la terrible bataille d'Alger. Le sort de l'Algérie qui a traversé l'histoire de sa famille et la complexité de ce conflit lui font se poser bien des questions, mais pas un seul instant il ne songe à échapper à son engagement.

Lucien : « J'ai connu et expérimenté les mêmes sentiments. Pourquoi n'avons nous pas été objecteurs avant de partir ? »

Jean-Pierre : « Il prend son poste d'officier dans les services administratifs, du djebel au nord de TIARET en 1959, dans ses bagages il emporte le Coran avec la Bible.

Lucien : « Exactement au moment où est tué Jean-Marie Buisset, et quelques mois avant que je ne vienne faire des opérations dans ce djebel Ouarsenis.

J'y emporterai moi aussi le Coran avec la Bible dans mon sac à dos et j'apprendrai quelques mots d'arabe.

Jean-Pierre : « Un jour il fait une rencontre dont il ne peut pas imaginer à quel point elle va bouleverser sa vie. Mohamed est un homme simple, pieux et père de 10 enfants, qui travaille sous l'autorité française. Il n'ignore pas l'ambiguïté de sa situation et sait qu'à tout moment il peut tomber sous les balles des siens, combattants de l'armée de libération nationale ( ALN ) … Christian le voit prier et ces deux êtres se retrouvent tels 2 frères liés en Dieu. « Toute cette période reste gravée par un rayon de lumière qui a changé l'éclairage de ma vie et l'a conduite où j'en suis, écrit-il en 1985 . Un homme profondément religieux, garde-champêtre de la commune a aidé ma foi à se libérer en s'exprimant au fil d'un quotidien difficile, comme une réponse tranquille avec la simplicité de l'authenticité... » Au cours d'une embuscade, Mohamed tente de faire cesser le tir, cherchant à protéger son ami en danger. Christian sent la menace peser sur son sauveur. Il le voit inquiet et lui promet de prier afin qu'il soit épargné d'une soif éventuelle de vengeance. Hélas, le lendemain, au nom de l'offense, Mohamed est assassiné. Il a donné sa vie pour sauver son frère chrétien. Mohamed deviendra un guide essentiel placé sur le chemin de l'une des initiations les plus fondamentales de sa vie.

« Celui qui sauve un homme est considéré comme ayant sauvé tous les hommes »

Cette phrase du Coran habitera Christian à jamais et constituera le lien qui l'attache à l'ami sacrifié. Cette blessure que Christian porte toujours au cœur est à l'origine de sa volonté de rester en Algérie. Dans le sang de cet ami, assassiné pour n'avoir pas voulu pactiser avec la haine j'ai su que mon appel à suivre le Christ devrait trouver à se vivre tôt ou tard dans le pays même où m'avait été donné ce gage de l'amour le plus grand. Mohamed, l'ami parti devant est aussi la preuve de la présence du Christ chez les musulmans qui pratiquent la religion du cœur.

A propos de faits très graves tels que les tortures, Christian écrit « Il n'est jamais permis d'accomplir un acte mauvais même s'il est prescrit par un supérieur »

Marqué par la force de la prière musulmane et par le geste d'amour qui l'a retenu à la vie, de retour au séminaire des Carmes, il étudie aussi l'arabe et le Coran.

Ordonné prêtre en 1964 à St Sulpice, il est nommé chapelain à la Basilique du Sacré cœur à Montmartre.

Là, un ami du séminaire lui indique l'abbaye d'Aiguebelle, devant sa soif de vie contemplative. Il y entre en 1969. Cette abbaye est très liée à Tibhirine.

Sachant sa détermination de partir au monastère de Tibhirine en Algérie, son père, le général Guy de Chergé lui écrira : « Relis l'évangile... Pourquoi vas-tu t'enterrer là-bas ? « Il y entre le 15 Janvier 1971. En 1972 il part 2 ans à Rome suivre des cours d'arabe et d'islamologie. Il y bâtit des passerelles entre le Coran et la Bible.

 

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26 mars 2016 6 26 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. Aujourd'hui, Lulu nous parle de frère Bruno assassiné le 23 mai 1996 avec 6 de ses frères moines. 

Les moines de Tibhirine - Frère Bruno

Jean-Pierre : « C'est étonnant comme chacun de nous à Tibhirine nous avons été marqués par l'Algérie, bien avant d'y venir réaliser la communauté monastique que nous avons constituée. Pour la plupart il y a eu comme un re-tour. Ainsi le frère Bruno... là aussi il faudra que tu ailles voir le livre de René Guitton, ce qui y est écrit à propos de Bruno, dont le nom était Christian Lemarchand »

Lucien : Il faut que je te dise Jean-Pierre, que justement, quand nous avons appris le 23 Mai 1996 la mort des frères de Tibhirine, un de nos amis Pierre Charcusset

( que je rencontrais grâce à Maurice et Simone et toute une équipe d'amis de Choisey avec qui nous fabriquions le bois des campements aux PONTETS pour les gosses des Loisirs Populaires de Dole) me dit en pleurant : « Dans les 7 moines, il y a un de mes amis, c'est Christian Lemarchand. J'ai fait mon service militaire avec lui. Quel homme que ce Christian ! Il avait pris le nom de frère Bruno au monastère.

 

Bruno (Christian Lemarchand) est né au Vietnam, et dès sa jeune enfance il grandit en Algérie qui devient le berceau de son destin. Son père militaire de carrière entraîne la famille au gré de ses mutations coloniales dans plusieurs postes algériens. Ce passé s'inscrit en lui à jamais et le retient à ce pays auquel il voue un véritable amour. Il éprouve le sentiment irrésistible d'appartenir à cette terre. Il sait qu'il y reviendra. A 26 ans il est ordonné prêtre, puis devient enseignant professeur de lettres, directeur du collège de Saint-Charles à Thouars dans les Deux-Sèvres. Attiré par la vie monastique, il entre à 50 ans dans l'abbaye de Bellefontaine. Passe alors un prêtre de Constantine qui donne une conférence et parle de l'Algérie, réveillant les cicatrices et l'amour enfouis au cœur de Bruno. Il part pour Tibhirine en 1984. Au monastère il est frère hôtelier. Il revient faire un séjour à Bellefontaine. Il retourne définitivement à Tibhirine en 1989. Il y prononce ses vœux. Christian de Chergé le nomme Supérieur délégué de l'annexe de Fez.

Il lit beaucoup les Pères du désert, Jean de la Croix.

Il assiste Thami le jardinier. Beaucoup de liens s'instaurent entre les deux communautés pour des raisons économiques de subsistance et de partage de la même foi. Il y a mille kilomètres entre les deux. C'est l'épine dorsale de l'Atlas qui les relie l'une à l'autre. C'est comme entre une mère et sa fille. Les voilà nomades de montagne. Quel merveilleux trait d'union entre elles deux.

 

Et voilà que, en raison de tous ces liens, entre eux, les moines de Tibhirine qui vont élire bientôt leur prieur, demandent à Bruno de bien vouloir être là auprès d'eux. Quand on vit des moments importants dans notre existence, on aime beaucoup que les frères soient là, nous assurent de leur présence aimante. N'est-ce pas merveilleux quand la démocratie est vécue ainsi dans la fraternité.

Bruno quitte Fez le 18 Mars 1996 pour prendre le chemin de Tibhirine. Thami le  jardinier éprouve un mauvais pressentiment. Il veut dissuader Bruno de partir, mais le moine se doit d'être présent dans quelques jours à l'élection du prieur de Tibhirine.

Il quitte Fez ce jour là pour ne plus jamais revenir, comme ceux qui s'en retournent chez eux finir leur vie. »

 

Lucien : « Inouï tout ce qui s'est tricoté entre vos deux communautés durant ces années noires...c'est comme une guirlande de lumières toutes petites et scintillantes. Qu'est ce que je suis touché et marqué par ce que tu me racontes et m'appelles à lire ainsi que tes frères sur la vie des témoins de l'Atlas. C'est beau comment vous continuez.

Jean-Pierre : « T'as remarqué l'image sacrée qui est dans la Chapelle entre l'autel et la représentation de la Vierge Marie que l'on prie au moment du Salve Regina.

Sur cette image nous voyons les 7 dormants d’Éphèse. Elle a été peinte par les sœurs moniales de Tazert ( village dans l'Atlas marocain ) et offerte à notre communauté Notre Dame de l'Atlas de Midelt, quand a eu lieu l'inauguration et qu'est venu Dom André Barbeau le 8 Septembre 2000.

Lucien : « Et qu'est-ce donc ce qui a amené Christian à relier sa vie à celle de l'Algérie. Comment il l'a fait ?

Jean-Pierre : « Au moment où des hommes vont tenter d'arracher à la terre d'Algérie nos 7 Frères, une sève d'une étonnante abondance s'est mise à couler des racines de ces petits arbres blessés. Et cet arrachement plutôt que de les faire disparaître va faire apparaître ce qui est l'essentiel d'une vie : la manière de nous aimer les uns les autres.

Jusqu'à ce jour on ne connaissait pas Tibhirine pour ainsi dire. Et voilà que leur enlèvement, leur disparition pendant deux mois, puis l'annonce de leur mort au lieu de s'installer dans la vengeance et la haine, s'éparpillent à travers le monde pour y faire pousser les graines de la non-violence. Combien de cœurs et de sillons humains se sont ouverts à travers le monde pour y recevoir des semences de paix et de justice.

Lucien : « Comment est-ce que je vais faire pour ramasser tout ce que tu me dis et me propose de lire...

Jean-Pierre : « Tu ne pourras pas tout ramasser, c'est tellement abondant. Saisis ce qui te convient aujourd'hui et ce dont tu as besoin pour avancer sur le chemin de la non-violence... Arrange toi pour que ça nourrisse ta vie de relation avec Dieu et tes frères en Humanité et que ça donne goût et attrait de faire de même à ceux qui n'en ont pas encore connaissance... »

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25 mars 2016 5 25 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. Aujourd'hui, Lulu nous parle de frère Paul assassiné le 23 mai 1996 avec 6 de ses frères moines.

Les moines de Tibhirine - frère Paul

Jean-Pierre : « Un autre de nos frères a lui aussi accompli comme Célestin son service militaire en Algérie. C'est le frère Paul Favre-Miville.

 

Tu vas trouver dans le livre de René Guitton « Si nous nous taisons » plein de choses très belles au sujet de son rapport à l'Algérie. Ce Paul est né à Bonnevaux dans les pré-alpes de Savoie, dans la vallée de l'Abondance. Il va au collège de Thonon. Son père, forgeron au village voudrait que son fils reprenne la forge. Paul préfère se spécialiser et suivre une formation de plombier-chauffagiste. « Il ignore combien son choix sera un jour essentiel à la vie d'une communauté et d'un petit village perdu au cœur de l'Atlas algérien. C'est là qu'il effectue son service militaire, dans la région de Blida, donc pas très loin de Tibhirine. Après beaucoup de recherches, il arrête son choix en 1984. Paul écrit au Père Abbé Jean-Marc de l'abbaye de Tamié. C'est dans cette abbaye que Christophe l'a précédé, et Christian de Chergé vient y rencontrer la communauté en quête de vocations nouvelles pour Notre Dame de l'Atlas. Paul est conquis par les propos du prieur de Tibhirine. C'est décidé. Il prononcera ses vœux solennels en Algérie, et ce n'est qu'après la mort de son père qu'il part pour l'Atlas le 29 décembre 1989. Il est accompagné par le père abbé Jean-Marc. Ils arrivent pour assister à la profession de foi de Christophe.

 

En 1991, Paul prononcera ses vœux de stabilité en présence de Christian de Chergé et de 8 membres de sa famille. » 

« Paul est le frère plombier de Notre-Dame de l'Atlas. Il est responsable de toute l'installation d'eau, du bâtiment et de l'exploitation agricole. C'est lui qui a réalisé le système d'irrigation. Il connaît bien son métier, il y a été familiarisé dès son enfance. »

« Au monastère, Paul est très respectueux du silence, mais il sait avoir le mot pour rire, pour dédramatiser les tensions, et le conseil juste dans les moments les plus difficiles. Il est souriant et parle peu de lui, jugeant que l'intérêt c'est les autres. »

« Le 26 Mars 1996, à quelques heures de l'enlèvement, il revient d'un séjour en France, rapportant des boutures de hêtre. Il espère les voir grandir dans les jardins de Tibhirine....Il meurt la même année que sa mère. Elle ne connaîtra pas le destin de ce fils qu'elle a tant aimé, et qui a choisi de se retirer du monde pour être plus près de Dieu, au service des hommes. »

 

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24 mars 2016 4 24 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. A l'occasion de ce triste anniversaire, Lulu nous parle aujourd'hui de frère Célestin assassiné le 23 mai 1996 avec 6 de ses frères moines

Les moines de Tibhirine - frère Célestin

Jean-Pierre : « Un de nos frères de Tibhirine, le frère Célestin Ringeard est venu comme toi faire son service en Algérie. C'était en 1957. Il a 24 ans

 

«  Le groupe auquel il appartient a fait prisonnier un jeune combattant du FLN. C'est la première fois qu'il est confronté à semblable situation. Il est bouleversé. Il intervient alors auprès de ses camarades afin que la vie du fellaga soit épargnée. Grâce à lui, le jeune homme ne sera pas exécuté et des années plus tard, le fils de ce rescapé viendra jusqu’au monastère de Bellefontaine retrouver le père Célestin pour le remercier.

C'est un homme de terrain. Dans la mouvance des prêtres ouvriers qui émergent à la fin des années 1960, il devient éducateur des rues à Nantes.

Pendant des années, il travaille auprès des plus démunis... Il les soutient jusqu'au fond des abîmes où les circonstances de la vie les ont plongés.


Il a accompagné ainsi non seulement les pauvres, mais aussi des drogués et des prostituées... n'abandonnant personne et veillant à ce que les plus malheureux ne passent jamais Noël dans la solitude. Il a accompagné les démunis. Il n'envisage pas un instant de ne pas être avec eux, tant il se sent l'un d'eux. Une nuit un jeune homme homosexuel lui lance un appel. Célestin se rend à son chevet, mais le garçon se défenestre au moment où le prêtre parvient au bas de l'immeuble. Ce désespéré meurt à ses pieds sur le trottoir. Après des années de confrontation à la violence permanente, il entre à la Trappe à Bellefontaine où il restera 4 ans.

Il y fait connaissance avec Michel Fleury et Bruno Lemarchand. Ensemble ils font route pour Notre Dame de l'Atlas en Algérie en 1986. Célestin a 52 ans.

 

Célestin comme Christian de Chergé expérimente cette arrivée en Algérie comme un retour. Il semble répondre à un appel. Depuis toutes ces années, le lien est resté sous jacent mais puissant entre eux et cette terre où ils trouveront tous les deux la mort. A son arrivée, il est accueilli au pied de la passerelle par l'homme qu'il a épargné pendant la guerre et qui le serre dans ses bras. D'emblée, le contact avec ce pays passe par la communion avec l'autre, l'étranger, pour lui sans aucun doute, le frère. C'est en 1989 qu'il prononce ses vœux définitifs à l'Atlas. Choqué et meurtri émotionnellement et physiquement, par l'incursion du groupe du GIA en 1993, il est rapatrié en France pour subir plusieurs pontages. Il reste en convalescence à Bellefontaine. Son plus ardent désir est de rejoindre sa communauté et l'Algérie. Comme le dira et vivra Pierre Claverie, évêque d'Oran, assassiné avec son chauffeur Mohamed le 1er Août 1996 «  Nos sangs sont mêlés dans la violence. Jésus s'est posé sur ces lignes de fractures de l'Humanité. Il est mort là. C'est le sens de la croix ». Célestin reviendra en France. Comme si il avait  conscience du dénouement proche, il a tenu à être du nombre.

 

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23 mars 2016 3 23 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. A l'occasion de ce triste anniversaire, Lulu nous parle aujourd'hui de frère Christophe assassiné le 23 mai avec 6 de ses frères moines. 

Les moines de Tibhirine - frère Christophe

Christophe Le Breton né à Blois en 1950

Marqué par les événements de 1968. Il ressent à travers le printemps révolté une soif d'absolu. C'est pour être coopérant qu'il part en Algérie de 1972 à 1974. Enseignant dans un quartier populaire d'Alger, il prend à cœur le sort des personnes handicapées. Pendant sa période de coopération, un prêtre d'Alger l'invite à participer à une messe chez les moines de l'Atlas. C'est là qu'il décide de sa vocation monastique.

 

En 1975, il a fini sa coopération. Il revient à l'Abbaye de Tamié.

C'est de là, après quelques années, que le désir de revenir à Tibhirine le gagne.

C'est là qu'il fera vœu de stabilité. Il prononce ses vœux temporaires en 1976 à Tibhirine. Cette année là, Christophe revient à Tamié. Il y reste jusqu'en 1980. Il y est ordonné prêtre. Il fait un séjour aux Dombes. Il y suit une formation de menuisier. Il reprend confiance en Tibhirine et fait connaître à Christian son souhait de revenir à Tibhirine. Tamié lui accorde son changement de stabilité. Christophe prend à Tibhirine la charge du jardinage. Il fait appel à des gens du village pour certaines tâches spécifiques. En 1992 il y devient maître des novices.

 

Avec Célestin ils se chargent de la liturgie, adaptent des chants en arabe. Il se joint très tôt au Ribat Es Salam.

Les moines à Tibhirine comme dans tous les monastères, composent une mosaïque d'opinions et de tempéraments divers qui se nourrit chaque jour d'une confrontation féconde.

Jean-Pierre : « Tu vois, on parlait d'une échelle à deux battants tout à l'heure pour exprimer par cette image notre recherche de Dieu, entre chrétiens et musulmans, notre quête de l'Absolu. Mais dans un monastère, nous pouvons reprendre cette image de l'échelle à plusieurs battants cette fois, pour dire le chemin escarpé et particulier que chaque moine emprunte pour tendre à rencontrer Dieu, en respectant le fait que chacun de ses compagnons emprunte un chemin lui aussi unique mais que tous convergent vers le même point . »

Lucien : « En t'écoutant Jean-Pierre et en retraçant ces chemins empruntés personnellement par chacun de tes frères de Notre Dame de l'Atlas, et par toi-même, je suis renvoyé au chemin que j'ai pris moi-même un jour de 1959 en direction de l'Algérie, en compagnie de Jean-Claude, Bernard, Jean, Alphonse et combien d'autres ... ceux que j'appelle mes amis-copains de régiment. C'était le même chemin que vous, les moines de Tibhirine. Nous prenions, nous aussi depuis Alger-Sidi Ferruch la route des gorges de la Chiffa ... Nous traversions Médéa... Nous entrions dans le massif de l'Ouarsenis... Nous ne connaissions pas encore l'existence du monastère de Tibhirine.

 

Jean-Pierre : « Déjà Luc Dochier et Amédée Noto étaient là à Tibhirine... Moi j'y entrerai en 1964 au lendemain de l'indépendance.

Lucien : « Nous empruntions le même chemin que vous, mais ce n'était pas dans le même but. C'était le contraire de l'échelle à double battant. Nous venions pour soi-disant (pacifier)...Comme nous avons abîmé ce mot !

Nous avons jeté dans l'abîme sa signification. En fait, massivement (nous étions en permanence plus de 400.000 soldats en Algérie pour maintenir l'ordre... celui-là de la colonisation !) Nous venions poursuivre des vivants, des résistants. Afin de justifier cette traque et la mort qui souvent s'en suivait, nous mettions sur ces hommes et ces femmes les étiquettes de « rebelles » et « terroristes ».

Et des fois, c'étaient aussi de nos amis et compagnons qui trouvaient la mort dans la profondeur de ces oueds ou sur le flanc des djebels.

 

C'est pas très loin de là que notre ami Jean-Marie Buisset fut tué dans une embuscade, à quelques kilomètres de Médéa-Tibhirine. Ses parents apprirent sa mort le jour de la fête des mères, le 29 Mai 1959 à Beaulieu dans les Ardennes.

Je dis « notre ami » en parlant de Jean-Marie, car parti quelques mois avant nous en Algérie, il avait écrit à plusieurs d'entre nous des lettres tellement marquantes qu'avec l’aumônier, le Père Jego, nous en avions fait un petit livre que nous avions intitulé «  Témoignage d'Amour ». Que de crapahuts et opérations j'ai moi aussi accomplies dans cette région avec les camarades du régiment parachutiste dans lequel je me trouvais : le 3ème RPIMA. Je ne savais pas bien sûr, que des frères comme Luc et Amédée étaient à Tibhirine depuis 1946 déjà, «  témoins d'une invincible espérance » au flanc de cet Atlas que nous rendions si meurtrier pour les algériens et aussi pour les soldats que nous étions.

 

Et toi Jean-Pierre, tu es venu à Tibhirine en quelle année ?

Jean-Pierre : « C'est en 1964 que je suis arrivé avec un groupe de religieux envoyé par notre Abbaye de Timadeuc en Bretagne ».

C'était au lendemain de l'Indépendance. « A cette époque en effet, l'avenir est incertain pour les européens d'Algérie, il est sérieusement question d'abandonner Notre Dame de l'Atlas. Le Père Duval, célèbre « progressiste » que l'OAS surnomme « Mohammed Duval » oppose toute son énergie à la fermeture de l'abbaye... Évêque d'Hippone en 1946, il est depuis 1954 Évêque d'Alger et affirme ses positions en faveur de l'auto-détermination. Plusieurs moines s'en vont en France rejoindre leur abbaye d'origine et seuls quelques frères résistent, fidèles aux vœux de « vivre et mourir dans ce nid d'aigle »

Lucien : « C'est dans cet Ouarsenis, face à ce rouleau compresseur que fut le plan Challes, où tant de gens trouvèrent la mort, la déportation, l'engament forcé dans la constitution de harkas, qu'avec quelques camarades nous opposions  ce que nous disait notre conscience d'homme. C'est extrêmement dur d'oser faire sortir de sa bouche et de son regard de tout petit soldat tout seul face à un cordon d'officiers parachutistes baraqués et baroudeurs, certains ayant fait l'Indochine, que la dignité de n'importe quel homme est intouchable.

 

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22 mars 2016 2 22 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. Aujourd'hui, Lulu nous parle de frère Michel assassiné le 23 mai 1996 avec 6 autres de ses frères moines.

 
Les moines de Tibhirine - Frère Michel

Puis vint le nom de Michel Fleury, frère du Prado à Marseille, ouvrier fraiseur, adhère à la CGT, il y découvre le prolétariat nord africain et dès lors, il est sensibilisé aux misères de ces hommes, dont il vit la douleur et l'espoir

 

Il entre à l'abbaye de Bellefontaine en 1980. Il y rencontre le vicaire général de Constantine qui fait un exposé sur l'église d'Algérie. A peu de temps de là, un ami prêtre de Nantes, chargé des relations avec les maghrébins, rentre d'un voyage à Tibhirine : « Une notice nécrologique de Christian de Chergé à propos du Père Aubin de Médéa, est porteuse du sens de la présence des moines en terre d'Islam, du sens de la vie offerte. Michel comprend de façon décisive que sa mission, sa démarche spirituelle le destine à cette vie de don, dans le silence, pour le peuple algérien »

 

«  Michel arrive à Tibhirine en 1987. Il découvre la prière en partage et très vite veut la vivre dans la réunion spirituelle du RIBAT ES SALAM. Sa perception de la spiritualité musulmane, telle qu'elle est vécue dans le rituel soufi est forte. »

 

Je cite beaucoup, dans ce que j'écris là, des passages du livre de René Guitton : » Si nous nous taisons » Jean-Pierre Schumacher dit de Michel, à la page 80 : « Quand, en 1993, les hommes en armes étaient intervenus au monastère à la veillée de Noël, arrêtés par les jeunes membres du groupe, nous passions par le cloître au niveau de la porte qui donne vers la cuisine. Nous pensions que notre heure était venue. Michel a emboîté le pas sans mot dire, docilement. Je pensais au texte d’Isaïe : « Comme un agneau qu'on mène à l’abattoir, il n'a pas ouvert la bouche » Ce texte, appliqué à Jésus me dit quelque chose de ce que dut être l'attitude de Michel la nuit de l'enlèvement de 1996, et durant le temps qui s'est écoulé jusqu'à sa mort. Il était prêt, il était offert par le même esprit que ce jour où il quitta le Prado pour aller à la Trappe puis pour venir en Algérie.

Lucien : « Je cherche à savoir davantage ce qu'est le Ribat Es Salam ainsi que le Soufisme. »

Jean-Pierre : « Un jour de 1979 Christian de Chergé part accomplir une retraite à l'Assekrem, l'un des ermitages des petits frères du Père De Foucault.

Et Jean-Pierre Schumacher me raconte que c'est durant cette absence de Christian qu'il lui fut donné à lui Jean-Pierre, de rencontrer des membres d'un groupe soufi de la confrérie des Alawiyims, grâce à la présence de jeunes étudiants malgaches, venus étudier au centre de formation administrative de Médéa.

Les soufis constituent une branche de la mystique musulmane et forment un groupe de pensée qui n'est pas représentatif à lui seul de l'Islam. Ils ont une recherche d'ouverture et de compréhension de l'autre.

C'est Jean-Pierre qui a été à l'initiative de la première venue à Tibhirine de ces soufis de la confrérie du cheikh Ahmed AL-ALAWI ( de Mostaganem, décédé en 1975. )Quelle joie pour Christian de Chergé de prendre le relais à son retour de l'Assekrem. Les soufis souhaitent rencontrer tous les frères et surtout partager la prière, les hadiths, et les mudakharas ( paraboles ) Les soufis sont des hommes qui cherchent, creusent une voie et qui, à Tibhirine proposent aux moines de la creuser avec eux. Le mot RIBAT, que l'on retrouve dans MA-RABOUT, dans le nom de la ville de RABAT, est le nom que vont prendre les réunions des moines et des soufis rassemblés deux fois par an. Le RIBAT c'est le mot désignant le lien avec lequel on noue les fagots de bois. Ce sera désormais ce qui signifie les rencontres où il sera question de ce lien qui attache et relie les êtres entre eux et à Dieu.

 

Ces rencontres vont s'intensifier pendant près de 15 ans sous la responsabilité de Christian de Chergé. Elles prendront le nom de RIBAT ES SALAM. Cette responsabilité de Christian sera partagée avec Claude RAULT, Évêque du Sahara,

et avec frère Michel, puis frère Christophe. Le Cheikh KHALED BEN TOUNES se souvient comment l'un des derniers thèmes qui a été choisi à Notre Dame de l’Atlas  a été le Habli. Comment Dieu nous invite à consolider le Habli, le lien, avec lui , et comment de part et d'autre nous vivons la consolidation de ce lien divin dans la permanence et la présence de chaque jour, chacun projetant une image et se nourrissant de la vision de l'autre, tous s'enrichissant par les différences...

« Cette vie les gardait mais à distance, dans la même expérience du divin, et dans l'obéissance à la parole, chacun la vivait de son côté... Ainsi peu à peu, de part et d'autre, d'une échelle double imaginaire, musulmans et chrétiens,montaient chaque degré, se rapprochant les uns des autres en s'approchant de Dieu » .

A Tibhirine, ce sont les populations des montagnes qui sont descendues fonder un bourg dans l'espace protecteur du monastère, devenu leur lumière. Les villageois ont fait sortir les frères de leur enceinte pour qu'ils les aident à avancer. Les religieux ont accepté, toujours dans le respect de l'identité du culte et de la culture de chacun. Ils ont montré qu'il existe un langage autre, que celui des armes, celui du dévouement.

Quand les chrétiens côtoient les musulmans, ils admirent chez eux la prière à l'absolu de Dieu, présent dans les questions concrètes de l'existence, dans tous les actes de la vie. En retour, les musulmans reconnaissent une Humanité grandiose dans l'acte du Christ, une marque de cet amour fondamental que l'on trouve également dans l'ancien testament et dans le coran. Chacun est renvoyé à sa foi, en conscience de sa propre richesse par les différences. Tous regardent dans la même direction, en parcourant leur propre itinéraire.

Lucien : « Et Christophe, lui aussi va faire partie du Ribat Es Salam ? »

Jean-Pierre : «  Il va en faire partie de manière intense aux côtés de Christian et de Michel. Christophe, tu le sais, c'est le poète »

Lucien : «  Mais au juste, comment Christophe est venu en Algérie ? Qu'est-ce qui l'a amené à Tibhirine ?

En écoutant Jean-Pierre, je suis interpellé comme pour les autres frères à lire ce qui le concerne dans les livres mis à ma disposition.

 

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21 mars 2016 1 21 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. A l'occasion de ce triste anniversaire, Lulu nous parle aujourd'hui de frère Luc assassiné le 23 mai 1996 avec 6 de ses frères moines. 

 
Les moines de Tibhirine - Frère Luc

Très naturellement, le 1er nom qui vint sur nos lèvres fut celui de frère Luc Dochier, le frère médecin de Tibhirine. Luc est né en 1914 dans la Drôme. Il est médecin externe à l’hôpital Grange Blanche à Lyon. Il entre à Aiguebelle en 1941 et débarque en Algérie le 28 août 1946. C'est le jour de la saint Augustin.

 

C'est, « un signe fort du destin, comme un ordre du ciel qui lui montre les voies de l'enracinement dans ce pays » Souvent, frère Luc va aider les mères algériennes à donner la vie, lui qui ira jusqu'à donner la sienne en communion avec ses frères, pour Dieu et pour l'Algérie. Il va contribuer à enfanter l'Algérie.

 

Suite demain

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20 mars 2016 7 20 /03 /mars /2016 06:00

Le jour de Pâques, le 27 mars, c'est le 20ème anniversaire de l'enlèvement des moines à Tibhirine. A l'occasion de ce triste anniversaire, Lulu nous parle de ces 7 moines qui furent assassinés le 23 mai 1996. 

 

 

 

Les frères de Tibhirine

Midelt, le mercredi 9 septembre 2015

 

Très vite greffés sur Tibhirine, tout en étant à Midelt, au cœur du Maroc, Jean-Pierre Schumacher et moi nous nous disons ce qui a créé en l'un et l'autre, notre attrait pour l'Algérie. Nous nous racontons notre amour du peuple algérien, ainsi que « l'invincible espérance » de sa libération encore à-venir.

Et dans un premier temps, cela me ré-interpelle à chercher ce qui faisait l'attachement pour l'Algérie de chacun des 7 frères de Jean-Pierre, compagnons de Tibhirine. Je savais que plein de choses étaient très bien ramassées par Bruno Chenu dans le livre « Sept vies pour Dieu, sept vies pour l'Algérie » ainsi que dans le livre de Christine Ray, intitulé : « Christian de Chergé » J'avais lu aussi et relu avant de venir 2 livres parmi d'autres : « Si nous nous taisons » … de René Guitton et celui de Jean-Marie Muller « Les moines de Tibhirine » Tous ces ouvrages nous traduisent la passion de ces hommes pour devenir en plein Ouarsenis, au cœur de l'Atlas, cultivateurs de la non-violence au beau milieu des jardins de Tibhirine, dans les sillons de la terre algérienne. Certes, en arrivant à Midelt, beaucoup de gestes et paroles se livrant dans des faits que j'avais lus et entendus à propos de ces témoins, habitaient en mon être. Mais il se passait quelque chose d'étonnant  « d'où m'était-il donné de pouvoir les entendre exprimer de la bouche de Jean-Pierre lui-même qui les avait vécus avec eux » ( Luc 1, 43 )

 

Les paroles de Jean-Pierre allaient devenir comme de petites graines de la non-violence que je n'aurais jamais fini d'ensemencer dans le terreau de ma vie, reliée à celle de tous les amis que vous êtes. Et ces petites graines , j'allais les trouver grâce à l'artisanat de la parole du témoin Jean-Pierre, attachées aux branches et brindilles du grand arbre de l'Humanité que sont les membres de la communauté de Tibhirine. Jean-Pierre m'aiderait à les cueillir, à  « ramasser aussi celles qui sont tombées afin que rien ne se perde » ( Jean 6, 12 ), afin que tout se donne et se communique.

 

Lucien : « Parle-moi Jean-Pierre de tes compagnons de Tibhirine, comment eux et toi vous êtes arrivés en Algérie ? »

Jean-Pierre : « Je veux bien volontiers mais tu iras voir aussi dans les livres dont tu viens de me parler. Je te les trouverais ici dans notre bibliothèque. Je t'en trouverais d'autres encore. »

Et voilà ce que je commençai de ramasser dès ce mercredi 9 septembre 2015.

Suite demain

 

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16 mars 2016 3 16 /03 /mars /2016 10:51

Samedi 27 février 2016

 

Philippe et Patrick m'avaient accompagné par la rue des Gardes et la rue Jules Machard jusqu'à la gare de Dole. Nous avions vécu une belle journée ensemble, au foyer des Paters où ils m'avaient invité à dîner. A plusieurs reprises, Philippe m'avait partagé son estime pour l'attitude du pape François vis à vis des gens dans l'épreuve, des pauvres, des blessés de la vie, des migrants : « Il ne nous laisse pas tomber », m'avait il dit en souriant humblement.

Nous voici tous les trois entrant dans la salle d'attente de la gare de Dole.

Il est aux environs de 16h15. Mon train pour Ranchot est à 16h49. Nous avons donc un bon moment devant nous.

Notre regard est attiré par un panneau publicitaire représentant le pape François.

Philippe en voyant cet affichage dit : « Qu'est ce que nous dit le pote à Guy Gilbert ? »

Nous lisons sur le panneau une parole sortie de la bouche de François, probablement quand il a ouvert dernièrement le jubilé : » Notre humanité blessée a besoin de miséricorde … Le nom de Dieu est miséricorde »

 

Il a du coeur pour ceux qui sont dans la misère

Je suis très touché par plusieurs choses en cet instant où nous venons d'entrer en gare avec Philippe et Patrick : C'est la disposition donnée en ce lieu public, au visage de François le pape, et la mise en valeur de son affirmation:  « Notre humanité blessée a besoin de miséricorde. » Mais il y a quelque chose qui me chagrine. C'est que je sens que le mot  «  miséricorde » a du mal d'accrocher notre attention. Nous ne tardons pas à nous en rendre compte. J'aperçois sur le quai Jean-Pierre. Nous nous connaissons bien et nous sommes heureux de nous saluer de temps en temps dans la ville de Dole. Je vais pour ouvrir la porte afin d'aller lui dire Bonjour. En même temps il entre dans la salle d'attente, et nous nous présentons les uns aux autres.

Jean-Pierre : ( à Philippe et Patrick ) Je le connais bien Lulu. C'est lui qui m'a fait la communion … Il a perdu son grand ami Marcel Blondeau …

Lucien : «  On était en train de lire Jean-Pierre les paroles du pape avec Philippe et Patrick. Ce sont des amis avec qui je viens de passer une bonne journée.

Philippe : « Ça ! tu peux le dire … on a passé une sacrée belle journée … »

Lucien : « On était en train de nous laisser dire par le pape François que Dieu nous donne sa miséricorde … Il est miséricordieux à notre égard … »

Nous regardons à nouveau le panneau d'affichage, les quatre ensemble. Beaucoup de gens passent entre nous. Car le panneau se trouve à deux pas du poste de compostage des billets de chemin de fer, et deux trains viennent d'être annoncés, l'un partant sur Dijon et l'autre sur Besançon. C'est Philippe qui relit ce qui est écrit sur le panneau, les paroles de François : «  Notre humanité blessée a besoin de miséricorde … Le nom de Dieu est miséricorde … »

 

Nous nous regardons les uns les autres avec des airs dubitatifs et Jean-Pierre, comme ça, simplement dit : 

Jean-Pierre : «  Je ne sais pas ça veut dire quoi … »

Lucien : « J'écoute bien ce que tu dis Jean-Pierre. C'est un mot un peu difficile … Cherchons voir ensemble ce qu'il veut dire. »

Je ne me doute pas de l'ampleur qui va être donnée à notre recherche. A l'instant arrivent dans la salle d'attente de la gare  trois jeunes filles qui causent entre elles. Elles restent à rire à quelques pas de nous … Et voici que spontanément Jean-Pierre leur dit.

Jean-Pierre :  «  Les filles, y a quelque chose qu'on comprend pas … »

Et Jean-Pierre désigne notre petit groupe en direction du panneau publicitaire … Les trois jeunes filles s'approchent de nous, pensant peut être que nous les appelons à notre aide pour une démarche à propos d'un billet  ou pour un renseignement à propos d'un transport … Je sens bien que dans l'immédiat, il faut donner à ces jeunes filles des précisions à propos de l'interpellation de Jean-Pierre.

Lucien : « Nous venons d'entrer en gare … Nous sommes marqués par ce panneau publicitaire représentant le pape François et nous lisons ce qu'il a dit il n'y a pas très longtemps : «  Notre humanité blessée a besoin de miséricorde … le nom de Dieu est miséricorde … Nous cherchons ensemble ce que peut bien vouloir dire : «  la miséricorde »

Une des trois jeunes filles, accueillante à la parole de Jean-Pierre, se retrouvant comme nous et avec nous et ses deux copines, dit :  « Je ne sais pas ce que veut dire miséricorde … Puis, souriant me dit : » Vous connaissez ma famille. Je suis la petite fille de …

Lucien : «  Je suis très heureux de te rencontrer … Tes grands parents nous ont beaucoup aidés dans nos cheminements avec les enfants au pas des ânes … »

La jeune fille : «  C'est vrai que mon grand-père avait des ânes … Tenez voilà ma maman qui arrive. »

Et voilà la maman qui arrive avec une petite fille qui s'appelle Rose.

Heureux de nous retrouver, nous cherchons ensemble, en pleine salle d'attente avec cette maman, sa petite fille Rose et toutes ces personnes ce que veut bien dire « miséricorde ».

Jean- Pierre jubile d'avoir créé un tel mouvement et nous nous disons ce que nous devinons, ce dont nous avons intuition.

Quand nous expérimentons ce qu'est la galère et la misère, le cœur de Dieu est tout proche de nous, de notre misère . Il est débordant d'amour et de tendresse à notre égard. Quand est ce que nous le sentons bien ?

C'est lorsque les autres ne nous laissent pas tomber. Quand est ce que c'est que nous expérimentons que Dieu est miséricordieux ? Quand est ce que nous sentons que son cœur est tout proche de notre misère ? C'est quand les autres nous sont solidaires de notre misère et aussi quand nous ne faisons qu'un avec ceux qui sont dans la misère.

Philippe : «  ( avec Patrick) Lulu t'entends ? Y a ton train pour Ranchot qui va arriver en gare, faut pas que tu le loupes … On va t'accompagner sur le quai 

Lucien « A la Re-voyotte mes amis »

 

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  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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