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16 juin 2014 1 16 /06 /juin /2014 09:40

Lundi 10 mars 2014. En chemin pour Tibhirine…

 

« CE QUI PRIMAIT C’EST QU’IL Y AIT UN LIEN AVEC LA POPULATION » (Le jardinier de Tibhirine)

 

Nous prenons un bref petit déjeuner à la maison diocésaine d’Alger. Il est 5 heures 15, quand nous quittons la maison et que nous montons les quatre, à bord de la voiture de Jean-Marie. C’est un trajet éprouvant que nous entreprenons. Celui-là que Christian de Chergé a plusieurs fois réalisé. Mais je pense, particulièrement à cette fois-là, où il a prit ce chemin au lendemain du 1er décembre 1993. Il venait de commencer d’écrire ce qui deviendra son testament spirituel, qui ressemble comme nous l’avons vu, à celui de Jésus, dans l’évangile de Jean, au chapitre 17. Et je me dis, en écoutant Jean-Marie depuis hier soir, qu’il y a peut être, dans les paroles qu’il nous donne, un peu, beaucoup, là aussi comme quelque chose de son testament.

 

Jean-Marie nous raconte, une fois que nous sommes dans sa voiture, des choses que nous retrouvons, certes dans son livre : « le jardinier de Tibhirine », mais entendre de sa bouche ce qu’il a écrit dans son livre, et en être témoins, comme ça se traduit en ce moment, ça, c’est un grand don qui nous est fait. Nous le ramassons pour vous le partager. Ça me rappelle quand j’étais gamin, et que mon papa m’apprenait à labourer avec la charrue brabant, tirée par nos deux chevaux, Coco et Lisette.

Mon papa me disait : « ce grain que nous avons ramassé à la saison dernière, nous devons faire très attention de ne pas le perdre. Pour cela, il ne faut pas l’amasser mais en donner une partie et semer l’autre. Ramasser sans amasser. Ramasser pour donner. »

 

C‘est incroyable Jean-Marie ce que tu es en train de nous donner. Nous le ramassons, pour nous en nourrir, mais aussi pour le partager et le semer.

 

Nous venons de sortir de la ville d’Alger… Comme il est très tôt, la circulation est assez fluide…

 

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 - « Pourrais-tu nous dire Jean-Marie comment c’est venu, que tu sois appelé à devenir le jardinier de Tibhirine, là où tu es en train de nous emmener ? »

- « Le 20 mai 2001, dom André Barbeau, alors père abbé d’Aiguebelle et responsable de Tibhirine, me demande, en accord avec l’Evêque d’Alger, Henri Teissier, si je peux prendre en charge, la gestion du domaine… Henri, est un homme qui m’a beaucoup marqué, quand il était Evêque d’Alger. Je suis heureux de continuer de le rencontrer… »

« Ces deux hommes, André et Henri, me disent : nous souhaiterions continuer une présence. Est-ce que tu accepterais d’être le responsable de Tibhirine, en particulier des terres et du monastère ? Ce qui primait, c’était qu’il y ait encore un lien avec la population. Dans ce petit cimetière, j’ai éprouvé avec force, tout ce que pouvait être cet héritage de Tibhirine, dont j’étais indigne… En relisant le testament de Christian de Chergé, j’ai trouvé la trace d’un frère. J’ai compris aussi que devenir le jardinier de Tibhirine, allait m’engager bien au delà de la gestion du monastère. En acceptant, je recevais une part inestimable de la vie, de la mémoire, de la foi des martyrs de l’Atlas… Et j’ai accepté. »

« Une forme de présence chrétienne, notamment pour l’exploitation menée en association, avec quelques villageois : Mohamed, Youssef, et Samir… Vous allez les voir tout à l’heure. Ils vont nous accueillir, quand nous entrerons dans le monastère. »

 

 

Je me disais, à la pensée que dans quelques heures, nous entrerions dans le cimetière de Tibhirine : « C’est surprenant comment dans la proximité de certains tombeaux, tout un relèvement de nos êtres peut se réaliser. »

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Nous roulons à allure régulière, en traversant la plaine de la Mitidja, puis la ville de Blida… Il y a des constructions partout… Beaucoup ne sont pas terminées… Les splendides plantations d’orangers qui sont une des caractéristiques de Blida et de la plaine environnante, m’avaient beaucoup impressionné, quand en 1960, soldats, nous empruntions cette route pour aller en opération Etincelle et Jumelles dans l’Atlas blidéen.

Puis j’avais été choqué en 1983, quand nous étions venus en Algérie faire un campement avec 20 ados des Loisirs Populaires de Dole et 7 jeunes accompagnateurs. J’avais en effet découvert, que beaucoup de cultures vivrières avaient été abandonnées, sous l’administration Boumediene. J’avais trouvé qu’il fallait payer très cher le kilo de pomme de terre et la galette de pain…

 

 

Aujourd’hui, je suis heureux de voir que beaucoup de cultures et de plantations sont revalorisées. Mais cela ne nous empêche pas de déceler que ceux qui gouvernent le pays actuellement, veulent garder le pouvoir rien que pour eux.

Abdelaziz BOUTEFLIKA ne peut plus marcher suite à un A.V.C.

Il se déplace en fauteuil roulant et il brigue un quatrième mandat. Il se dissimule derrière lui toute une mafia d’hommes de pouvoir qui captent et gardent rien que pour eux, les ressources de ce pays si riche. BOUTEFLIKA sera réélu Président de la République Algérienne pour un quatrième mandat le 17 avril… Car les gens sont sous la crainte que ne reviennent les années noires comme entre 1990 et 2000. Une colère couve dans l’être profond des gens. Leur dignité est bafouée.

 

 

Ça y est nous voilà aux portes des gorges de la Chiffa.

Beaucoup de vilains souvenirs me reviennent, comme la peur et la crainte. Le réflexe de tenir et serrer son arme tout contre soi, au cas où nous tomberions en embuscade dans ces gorges fatidiques. Cependant je contemple les hauteurs de Chréa. A flanc de montagne, un nombre impressionnant de bulldozers et de pelleteuses sont à pied d’œuvres afin d’établir un immense ouvrage : une imposante autoroute est en construction qui ira d’Alger à Médéa, puis à Hassi-Messaoud, à Ghardaïa, et Tamanrasset…

Mais alors qu’une multitude de jeunes Algériennes et Algériens sont en chômage, ce genre de chantier, ne leur est pas accessible. Il est attribué à des entreprises chinoises…

Quels contrats commerciaux ont bien pu s’instaurer entre la Chine et l’Algérie ???

Nous entendons beaucoup parler de ces chantiers, où la main d’œuvre uniquement Chinoise, prend le travail des Algériens, et, se trouve exploitée elle aussi. Il n’y a aucune osmose entre ces chantiers et le peuple Algérien.

Qu’est-ce qui met en danger, encore aujourd’hui, la vie des Algériens ? Bien-sûr que c’est en partie le terrorisme caché et larvé. Mais en causant nous rencontrons des gens qui nous appellent à remonter en amont de ces actes terroristes dont on a toujours une crainte terrible, qu’ils ne reviennent déchiqueter la société Algérienne comme ils l’ont fait de 1990 à 2000 (Quant il y eut 150 000 à 200 000 morts). Et nous sentons qu’il y a comme cause à tout cela, une guerre latente, entre quelques oligarques pour garder le pouvoir et l’argent. Ils profitent de l’extraction du gaz et du pétrole, mais c’est au mépris des gens du peuple. Ils les privent du strict nécessaire et particulièrement de leur dignité.

 

Jean-Marie nous raconte que, dès qu’il a commencé d’entrer dans ce jardin de Tibhirine où il nous conduit, tous les jours il découvre des trésors de vie et de foi, que les moines ont laissés. Il se sent appelé après les avoir découverts, à les ramasser, particulièrement, dans la contemplation et la prière, dans le travail et le jardinage, afin de mieux nous les faire partager.

Merci Jean-Marie de la manière dont tu parles de ces graines de non-violence et comment tu nous offres de les ramasser afin de les emporter et les cultiver dans le jardin de nos relations. Tu me fais penser Jean-Marie, à cet homme, qui dans l’évangile de Mathieu au chapitre 13 verset 44, vient à trouver un trésor dans un champ. Il le recache après l’avoir découvert, et s’en va, ravi de joie, vendre tout ce qu’il possède, pour acheter ce champ, afin d’y amener tous ceux qui voudraient venir y ramasser les graines qui vont changer toute leur vie.

Désormais, en traversant les gorges de la Chiffa, ce ne sont plus des balles et un fusil, que j’ai serré contre moi. Je me suis démuni de ce qui entretient la crainte et la peur. J’ai laissé pousser en moi les plantes ensemencées par la petite fille Espérance, dont nous a parlé Jean-Marie Muller dans le sillage de Charles Péguy. Nous sommes capables de traverser les ravins des ténèbres et de la mort, comme il est dit au psaume 22. A condition que nous nous laissions habiter et travailler par cette présence aimante qu’est l’être même de Jésus.

 

Nous voilà en train de sortir des gorges de la Chiffa. Jean-Marie nous fait deviner au loin, la ville de Médéa, dans la lumière du soleil levant. Il est bientôt sept heures. Voici presque deux heures que nous roulons. Nous allons bientôt entrer dans la cité : « Tenez… voilà le fossé où au matin du 21 mai 1996, les têtes des sept moines ont été retrouvées. Sans les restes de leur corps… »

Jean-Marie nous fait comprendre : faut-il vraiment s’obstiner de chercher et vouloir tout trouver ce qui s’est passé juste avant le 21 mai ? On ne trouvera peut-être jamais comment ils sont morts… Ne faudrait-il pas aussi et surtout continuer à creuser le puits au fond de notre propre jardin, et tirer l’eau vitale, pour nous engager à transformer nos propres manière de vivre, bêcher, piocher et faire pousser les graines des béatitudes ! (Mathieu 5 ; L’invincible espérance page 35).

 

Ah ! vous savez quand nous entrons dans ce monastère comme nous allons le faire tout à l’heure, « nous sommes impressionnés en franchissant la petite porte… Elle donne sur une cour agréablement ombragée. C’est là que les patients du toubib, le frère Luc, se blottissaient le long du mur, sur les pierres de taille accolées… Les femmes et les enfants patientaient… Pendant plus de cinquante ans, il a soigné des milliers de malades, et ceux-là sont encore reconnaissants aujourd’hui. Ils sont nombreux à revenir à Tibhirine, pour lui rendre hommage. »

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Nous qui venions en Algérie, pour ramasser des graines de non-violence, afin de les remporter et les cultiver dans nos champs d’actions, nous sentons que nous avons mis à jour un sacré chemin en venant à Tibhirine. Nous voyons bien, que nous avons déjà trouvé de merveilleuses parcelles de ce que nous cherchions.

 

Ça y est, nous traversons la ville de Médéa et le petit village de Tibhirine est désormais en vue. Dire que ce petit village, insignifiant comme ça apparemment, s’est revêtu d’une dignité infiniment profonde. Il se passe en moi, en entrant dans Tibhirine, ce que je ressens quand quelqu’un d’éprouvé me fait entrer chez lui, et que je découvre l’infinie dignité de son être. Je repense à ce que Saint Irénée de Lyon, à la fin du 2ème siècle, révélait aux gens avec qui il vivait : « la gloire de Dieu c’est l’homme vivant. »

 

Jean-Marie, le visage tout rempli de paix, nous dit en arrivant devant le portail du monastère : « les portes vont s’ouvrir… Nous sommes attendus ».

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7 juin 2014 6 07 /06 /juin /2014 09:08

D'Alger à Tibhirine, Lundi 10 mars 2014

AVEC QUI PARTONS-NOUS POUR TIBHIRINE ?

QUELLE SERA NOTRE ESCORTE ? « Apoc. 3 4 »

 

Ainsi j’ai pu me lever tôt ce lundi matin. Révéillé bien avant quatre heures, je me mets debout afin de marcher vers la lumière… Partir pour Tibhirine.

La grâce qui nous est donnée, à Nelly, Bernard et Claude et à moi, c’est qu’en vivant de tels moments, nous n’allons pas garder, rien que pour nous, ce dont nous sommes témoins.

La grâce qui nous arrive, c’est déjà de vous porter dans nos cœurs de chair, vous tous les amis. Jean Marie (le jardinier de Tibhirine) nous a dit hier soir, qu’il n’y aurait pas d’escorte policière à notre embarcation pour Tibhirine. Notre escorte sera donc non violente. Ce sera vous : nous allons partir accompagnés par vous tous, que nous nommons avec vos paroles et vos mots, que nous appelons par vos noms. La grâce qui nous est offerte, c’est de vous porter dans nos cœurs de chair, vous tous. Et je me réjouis en conscience, d’être porté dans vos cœurs en vous portant dans le mien. Tout ce travail est une mise au monde, un enfantement…Nous le vivons en action de grâce.

 

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Je vous nomme, vous qui êtes au commencement de ma  vie, maman et papa, Susanne et Marius, et tout de suite, en même temps, vous mes sœurs et frère, comme je vous nommais sur cette même terre d’Algérie dans l’Ouarsenis…Il y a un peu plus de cinquante ans…Quand vos noms s’inscrivaient dans le cœur de Monsieur Mohamed H, dans celui, de Fatima, de Yasmina et d’Allia, ses filles, et dans celui d’Amed et Abdelkader, ses fils, pendant que c’était la guerre.

 

Après vous avoir nommés, vous, grâce à qui, j’ai commencé de vivre en votre chair et d’y être aimé, je vous vois vous tous dont les noms sont écrits sur mes cahiers : Sur celui là, qui va de Dampierre en France à Bethléem en Palestine, sur celui là aussi, qui va de Dampierre en France à Oued Fodda en Algérie, et sur celui là encore qui va de l’abbaye d’Acey en France à l’abbaye de Latroun en Palestine-Israel, et l’abbaye de Tibhirine en Algérie. Je vous nomme tous, celles et ceux dont le nom est paru dans mes cahiers, qui sont une part du livre de vie (Apoc 1- 11 ; 3- 6) Vous êtes notre escorte.

 

Oh ! qu’elle est de chair, ma prière ! Elle est de votre chair, de la mienne, et de la tienne ami Jésus, en qui repose tous celles et ceux que je nomme, mais aussi tous ceux et celles que tu n’oublies pas, et que tu sais appeler par leurs noms, toi Jésus Christ.

 

En découvrant dans la prière d’hier soir et dans celle de ce matin, ce qui se passe en ton cœur ami Jésus Christ, et dans le tien Christian de Chergé, et dans celui de tes compagnons de Tibhirine, je suis émerveillé de ce qui habite en vos êtres profonds. Cela me fait partir à la recherche de celles et ceux dont nous ne savons pas, ni le nombre, ni le chiffre, ni le nom. Combien êtes vous, et qui êtes vous, vous tous, dont le sang a coulé sur la terre d’Algérie. Vous êtes aussi notre escorte. Je pense à ce qui vous est arrivé à vous, frères et sœurs humains, dont le sang a coulé, suite à beaucoup de tortures, à la villa Susini, dans la forêt de Sidi Ferruche, à votre place Maurice Audin, à ton endroit Jean Marie Buisset, en plein djébel Ouarsenis, quand ta vie comme celle de tant d’autres, à « voltigée » en éclats… Je pense à vous tous frères et sœurs. Vous êtes aussi notre escorte. Vous tous, victimes  des luttes d’intérêts et de pouvoirs, durant les années noires, de 1990 à l’an 2000.

 

Je pense à vous, qui aux portes de la Casba et de Bab-el-oued, humblement vous vouliez être les petites branches, du grand et unique arbre, qu’est l’humanité, pour protéger les petits oiseaux, qui venaient se réfugier auprès de vous… Je pense à toi Abdelkader d’Oued Fodda, mort en 1997…

 

Et voici  que c’est tout l’arbre de vie qui a été saccagé, mis à feu et à sang, par la guerre. Je pense à toi l’homme de l’Oued Ardjem, tué durant une nuit d’embuscade, en 1960, pendant  l’opération Jumelles… Et à toi aussi, petit enfant des environs de Ténes, blessé durant une autre opération. Tu es mort dans nos bras. Je t’ai enterré, et ta maman n’aura jamais su où tu étais tombé. Je pense à vous tous, qui avez sombré, dans les affres de la mort, dont le sang et la chair ont pourri sans sépulture. Nous découvrions d’une opération à l’autre, «  vos ossements desséchés », comme dans le livre du prophète Ezéchiel au chapitre 37.  Je vous entends dire encore aujourd’hui : « nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, c’en est fait de nous » (v.12), alors que nous allons prendre le chemin de Tibhirine. Et nous n’avons même pas retrouvé tous vos ossements, moines de Tibhirine. Dans vos cercueils,  il n’y a que vos têtes. C’est alors que Yahwé-Dieu nous dit, à vous et à nous, car nous sommes nous aussi des gens qui sont tombés : «  Voici que j’ouvre vos tombeaux. De l’endroit où vous êtes tombés, je vais vous faire remonter…Et je mettrai mon esprit  en vous, et vous vivrez. » (Ez. 37 11- 14. )

 

Nous avons l’impression que tout a été arraché de cet arbre de vie. Pas facile de dire que « quand il est venu chez lui, il y en a quelques uns qui l’ont reconnu, là ou notre humanité est cassée, fracturée, abîmée. » (Jo 1 12 - Lc 24)

 

Petit reste !  vous êtes là, c’est vous aussi qui nous accompagnez ! C’est vous tous qui êtes notre escorte, infinie petite église d’Algérie. Merci à vous Hélène et Jean Marie Muller qui nous avez mis en lien, avec vos cousins, Anne et Hubert Ploquin. Vous avez été hôtes d’accueil, au monastère de Tibhirine, durant les années 2012, 2013. C’est grâce à vous que nous frappons à la porte de cette infime petite église d’Algérie et que nous entendons : «  Entrez ! » Emportés par vous, vous êtes aussi notre escorte.

 

Je vous vois dans l’escorte, des personnes qui nous accompagnent, vous aussi Bernadette et Jean  Coulet, qui m’avez offert le livre : «  Le jardinier de Tibhirine ». Et vous faites partie de l’équipée, des amis qui nous avez offert les ânes, il y a 33 ans : Andrée et Michel, Danielle et Alain, Michou et Jean, et vos enfants à tous . Grâce vous, nous avons pris goût à marcher aux pas de l’âne et ainsi, retrouvé le pas de l’homme que nous avons perdu. Tout cela fait partie intégrante de la culture de la non violence.  C’est pour en chercher les graines que nous nous sommes mis en route, afin d’entrer dans le jardin de Tibhirine et les y ramasser… Vous nous escortez, Bernard, Jean, Alphonse, et vous membres des familles de Jean-Claude et de Jean-Marie, du Lot et Garonne, du Gers, des Ardennes et du Jura, qui auriez tant voulu, que nous ne partions pas, à la guerre… Vous êtes aussi de notre escorte, Gaby Maire, Alice Domon, et Léonie Duquet. Votre sang a coulé sur une autre terre, celle d’Amérique Latine, pour que la paix vienne par la justice. Cette terre est aussi la Terre des Hommes.

 

Quelqu’un a merveilleusement écrit ta présence Gaby, dans cette escorte, pour Tibhirine. C’est ta sœur Marie Thérèse, qui dans les échos de Vitoria dit : « Qu’il y a un parallèle entre la vie des moines et la tienne. Comme à eux, la vraie question qui s’est posée à toi, c’est : doit-on partir ? doit-on rester au risque de notre vie ? Comme eux, tu es resté, en disant je préfère une mort qui mène à la vie, qu’une vie qui mène à la mort»  

 

Toi aussi Gaby, tu as tellement été bouleversé, par la guerre d’Algérie, où tu étais venu soldat, à Colomb-Béchar avec Gérard Mouquod et tant d’autres... 

 

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28 mai 2014 3 28 /05 /mai /2014 13:25

Alger, dimanche 9 mars 2014

 

NOUS NOUS PREPARONS A PARTIR RAMASSER LES GRAINES DE LA NON VIOLENCE DANS LES JARDINS DE TIBHIRINE

 

Ayant conscience que l’accompagnement de Claude, Nelly et Bernard me permet de vivre des moments de grâce  inouïe, j’essaye de n’en rien perdre. Je ramasse tout ce que je peux dans mon cahier …

 

Il y a quelques jours « Le jardinier de Thibirine », nous a proposé de nous emmener dans sa voiture  tous les quatre avec lui demain lundi 10 mars, à ce point-phare, pour notre humanité, qu’est Tibhirine.

 

Afin de bien m’y préparer, je savoure le calme et le repos que nous permettent de trouver dans la maison diocésaine d’Alger, les trois religieuses : Rita, Gabriella et Julia. Je lis et relis : « Sept vies pour Dieu et l’Algérie » par Bruno Chenu aux éditions Bayard. J’y reprends en priant le testament spirituel de Frère Christian page 210-212. Lu et médité ce soir à Alger, je reprendrai sans doute ce trésor, demain à Thibirine. Je découvre qu’il est de la même veine que ce que, toi, Ami Jésus, tu confiais à ton père la veille de ta passion, lorsque « Levant les yeux au ciel, tu lui disais : Père, l’heure est venue que je donne les paroles et les semences de la vie éternelle à tous ceux que tu m’as donné » ( Jean 17 )

 

Je me retrouve comme si, il y avait devant moi, sous mes yeux, deux sacs de graines précieuses. Et je sens bien que c’est de cela qu’il me faut me nourrir. Il y a quelque chose, comme une force qui est cachée dans ces deux sacs de graines, que sont ces deux testaments, celui de Jésus et celui de Christian. L’un et l’autre sont nouveaux, neufs, originaux. Je commence à les ouvrir l’un et l’autre. Je me mets à en manger une part, quelques mots de l’un et de l’autre. Ça me nourrit. Ça me fait du bien. Je savoure ce que je lis et que j’écoute, comme si c’était la 1ère fois que je les lisais et entendais. J’en garde une autre part que je ne mange pas. Je mets de côté les paroles qu’il faudra ensemencer, donner à d’autres, planter ailleurs, ne pas garder rien que pour moi, ni rien que pour nous.

 

Enfant de paysan, je me souviens alors, d’avoir vécu quelque chose de semblable avec mon père, lorsque chaque été, le mois de juillet venu, nous allions à Evans à la batteuse chez le Louis Muneret, entrepreneur. Nous y emmenions les deux premières charretées de gerbes de blé de la moisson que nous venions de commencer. Il y avait deux parts aussi qui étaient faites par nos mains, du grain qui venait de tomber dans les sacs : une part que nous emportions moudre au Moulin de la Bruyère. Avec la farine apportée chez le boulanger, nous faisions le pain pour nos repas familiaux. Et l’autre part du grain, nous la montions dans le grenier où il allait rester jusqu’à l’automne bien au sec. Nous le reprendrions pour les semailles au moment venu : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt … «  (Jean 12,23)

 

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A ta suite Frère Christian, et dans ton sillage Ami Jésus, toi Christ, je me mets à m’adresser à Notre Père, en empruntant vos mots à l’un et à l’autre et en les mêlant les uns aux autres.

Dès le commencement, c’est merveilleux comme ils se ressemblent :

Christian de Chergé : « S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme, qui semble englober maintenant … » (page 210)

Jésus Christ : «  Père, l’heure est venue maintenant … j’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner … » (Jean 17, 1,5,6)

Christian de Chergé : «  Ma vie était donnée à Dieu et à ce pays … (page 210)

Jésus Christ : « J’ai veillé sur eux, aucun ne s’est perdu » (Jean 17)

Christian de Chergé : «  Et toi, l’ami de la dernière minute qui n’a pas su ce que tu faisais … »  (page 212)

Jésus Christ : «  Sauf le fils de perdition, pour que l’écriture s’accomplisse … » (Jean 17, 12)

Christian de Chergé : «  Je sais le mépris dont on a pu entourer les algériens … »  (page 211)

Jésus- Christ : «  Le monde les a pris en haine … » (Jean 17, 14)

Christian de Chergé : «  Voici que je pourrai, s’il plait à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui, les enfants de l’Islam … » (page  212)

Jésus-Christ : «  Que tous soient un, comme toi, Père tu es en moi et moi en toi, qu’eux aussi soient un en nous …) (Jean 17, 21)

Oh ! Si c’est beau ! Comme vos paroles se rassemblent ! C’est peut-être aussi parce que les consonances de vos noms vibrent pareillement, Christian de Chergé … Jésus-Christ de Galilée … !

 

Je n’ai pas tout « égrainé «  … car je ne vais pas tout manger ce soir. Il me faut beaucoup en garder. En effet, à l’avenir je devrai guetter, voir venir le moment  et déceler l’endroit où semer et planter de ces paroles tellement vives, qui sont sorties de votre bouche à l’un et à l’autre, Jésus-Christ et Christian … en sorte que, elles parviennent de vos bouches à nos oreilles, et par là, «  jusqu’aux extrémités du monde. » (Ac. 1, 8)

Je vais me coucher tôt ce soir, afin de me trouver à pied d’œuvre demain matin. Une fois encore, «  il y aura eu un soir pour qu’il y ait un matin, et la lumière sera comme au premier jour. » (Gen. 1, 3,5 )

 

PS : n'hésitez pas à suivre les liens vers les personnes ou documents que citent Lulu... Ces liens sont positionnés par exemple sur les titres de livres cités. Vous retrouverez le testament spirituel de Christian de Chergé. (Exemple : voici un lien vers le site des moines de Thibirine)

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20 mai 2014 2 20 /05 /mai /2014 09:42

Oued Fodda, le 8 mars 2014 

 

«  MON PERE, IL EST TOUJOURS TON FRERE » (Hafiz)

 

Très désemparé lorsqu’il faut me servir d’un téléphone portable, je suis émerveillé en voyant comment mes amis d’Oued-Fodda savent l’utiliser pour créer des liens ou les entretenir. C’est étonnant comment « le téléphone arabe » fonctionne en ces coins aussi reculés.

Yahmina et son mari viennent de me raconter qu’il faudra que nous prenions du temps lorsque nous redescendrons de chez eux, du barrage de l’Oued-Fodda, pour nous arrêter à Karimia. Car c’est là que le grand frère Ahmed habite. En effet, Yahmina, Fatima et Alia lui ont téléphoné que Lucien l’ami de leur père Mohamed est arrivé au grand barrage avec trois français. Ahmed nous attendra chez lui à Karimia.

 

Ahmed est le fils ainé de Monsieur Mohamed H . Il avait été obligé de s’engager dans l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Il avait été envoyé en 1960 dans le secteur de Constantine. C’est là-bas qu’il recevait les lettres que son père me demandait de lui écrire.

Quelles déchirures cette guerre d’Algérie aura provoquées pendant des années dans nos familles, de chaque côté de la Méditerranée. Ahmed, algérien dont le père Mohamed a des sentiments et un engagement cachés pour la libération de son peuple, Mohamed le père est obligé de laisser son fils ainé Ahmed aller combattre dans l’armée française à l’autre bout de l’Algérie. Ahmed a pour ordre de tenter d’éteindre les foyers d’insurrection et d’annihiler les poches de résistance de son propre peuple algérien, face au maintien de fer et de feu de la présence colonisatrice française.

 

Mais Ahmed n’a pas pu attendre que nous redescendions à Karimia (ex Lamartine) pour nous saluer. Il veut nous voir et nous rencontrer dans l’immédiat du moment où il apprend notre arrivée dans leur pays. Il demande à ses fils de le monter en voiture de Karimia à Oued-Fodda…  Le voilà qui arrive..  Il s’est revêtu de ses plus beaux habits : sa belle gandoura blanche sur laquelle il a disposé sa grande et splendide djellaba pour nous accueillir. Nous nous embrassons comme des frères, les frères que nous sommes devenus par la parole créatrice de son père qui m’avait dit « qu’il était comme mon père, et que j’étais comme son fils. » Une profonde émotion envahit nos êtres.


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Beaucoup de signes de cette fraternité s’échangent entre nous. Monsieur Mohamed  H. est mort, mais le souffle de la fraternité suscité par sa parole de père est toujours vivant. Ni la distance, ni le temps, ni la guerre ne l’ont érodé.

Il a fait pousser la paix.

- Comment vas-tu Lucien ? Ta santé ?

- Et ta santé à toi Ahmed ? Tu me sembles bien fatigué.

- Voici mes fils … C’est eux qui m’ont conduits jusqu’à toi … Ils s’appellent Hafiz et Abderahmane …

- Je suis heureux de voir tes enfants, tes sœurs et leurs maris, leurs enfants, tes neveux et nièces, les petits-enfants de Monsieur Mohamed H. …

- J’ai encore d’autres fils : Mohamed, Mustapha, Rachid … Regarde combien déjà tu comptes à leurs yeux …

- Bien que nous ne nous soyons encore jamais vus … C’est la parole de ton père qui nous a fait frères.

 

En nous embrassant à nouveau et en nous serrant très fort dans les bras l’un de l’autre, je dis : «  Mais à propos Ahmed, est-ce que nous nous sommes déjà vus toi et moi ? Je n’en suis pas sûr. Je t’ai écrit sous la dictée de ton père lorsque tu étais soldat dans l’armée française. Je ne suis pas sûr que nous nous soyons vus. 


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En 1960, toi et moi nous étions l’un et l’autre loin de notre père, moi du mien, toi du tien. Je me souviens que la parole de ton père en Algérie avait apporté de la paix dans le cœur de mon père en France, ainsi que dans le cœur de ma mère et de mes frère et sœurs. Mais toi Ahmed, je pense que c’est dans les yeux et dans le regard de ton père que je t’ai vu, dans la force de ses paroles que je t’ai entendu.

Mais, comme on est en train de se voir, j’ai l’impression que c’est la 1ère fois que je te vois aujourd’hui. C’est dans le regard de ton père et dans ses yeux, dans ses paroles et dans ses mots que je t’ai connu. »

Avec beaucoup de déférence et de respect à l’égard de leur père et de moi, les fils d’Ahmed et leurs cousins écoutent et regardent ce qui se passe entre leur père et moi. Et voici qu’un des fils d’Ahmed me dit :  « Mon père, il est toujours ton frère »

 

Oh, comme elle est belle l’œuvre d’une parole  comme celle que prononça ton père à mon égard, Ahmed ! C’était lorsque la guerre  m’avait emmené, moi,  loin de mon père, et toi Ahmed loin de celui dont la parole nous rendaient frères. Je me souviens combien en France, particulièrement dans le cœur de mon père et dans celui de ma mère, dans celui de mes frère et sœurs, cette parole avait suscité de paix et de sécurité, grâce aux lettres que nous nous échangions. Les actes de ton père correspondaient tellement aux paroles qu’il prononçait. Il faisait ce qu’il disait, lorsqu’à nos retours d’opérations, tout bouleversé que j’étais, je pouvais trouver ouverte la porte de votre maison familiale à laquelle j’étais venu frapper. Il m’était possible d’entrer chez vous et de m’y trouver comme chez nous…

«  Les enfants, préparez le thé à la menthe pour Monsieur Lucien … n’allez pas le déranger dans son bureau, il est en train d’écrire…  « Monsieur Mohamed H. avait dénommé une pièce de votre mechta : « bureau de Monsieur Lucien. » C’est là que je ramassais dans mon cahier les paroles vives de mes camarades et les miennes durant les opérations Etincelle et Jumelles. J’y racontais aussi nos silences, le travail de nos consciences, la quête de quelqu’un de référent à qui j’aurais pu confier tout ce qui défigurait notre humanité, la mienne et celle des autres. Quelqu’un à qui j’aurais pu demander et dire : «  Dites-nous que nous avons raison de vouloir arrêter et stopper cette guerre qui n’en finit pas. » 

 

Il y avait Toi ami Jésus. Dans la prière, je te trouvais résident et dans cette mechta  et dans ma conscience. Mais en même temps, j’avais besoin de parler à quelqu’un de la façon de me dégager, libérer de cet enfer-mement dans lequel nous nous trouvions coincés et emprisonnés. J’aurais voulu trouver quelqu’un qui me dise ce que tu me disais ami Jésus, je cherchais un homme de France, de l’Eglise à qui j’aurais pu demander : « Dis-nous qu’il n’y a pas d’aménagement de la guerre, qu’il n’y a pas de manière humaine de faire la guerre. Dis-nous que nous avons une intuition juste en voulant rendre nos armes et nos bagages… »

C’est dans ce « bureau » que j’écrivais les lettres que ton père me demandait de t’envoyer Ahmed, c’est là aussi que j’écrivais les lettres à ma famille. C’est là que je venais relire celles que ma maman m’écrivait. J’en écoutais la musique familiale. Comme j’étais heureux de lire qu’ils avaient confiance qu’il ne m’arriverait rien de mal. En effet, la parole de ton père à mon égard, dont j’avais fait part à mon père et à ma mère, avait porté jusqu’à eux l’humble force constructive de demeurer des bâtisseurs de paix. Grace à ton père, ensemble, nous organisions notre défense de manière non violente, face au déferlement dévastateur de la violence et de l’horreur des armes. J’aimais beaucoup lire et relire dans « mon bureau de votre mechta », les lettres de ma maman toutes remplies de mots d’amour et de tendresse,  il y en avait toujours quelques uns qui étaient adressés à votre famille, ils étaient tout emprunts de respect. Ma maman y adjoignait ceux de mes petits frère et sœurs. C’était notre manière très humble « de faire cesser le feu » de cette horrible guerre.

 

Aujourd’hui, en ces retrouvailles avec Ahmed chez ses sœurs et leurs familles, en cet endroit même où nous avions tissé nos liens de fraternité malgré la guerre fratricide que nous nous faisions …

Aujourd’hui 8 mars 2014, il s’accomplissait entre nous, en présence de Claude, Nelly et Bernard, comme un travail de contemplation. Ça  transparaissait certainement sur nos visages et dans nos gestes. Une relation intense et profonde existait entre le peuple algérien et le peuple français par notre humble médiation.


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De là où habitent Yahmina et son mari, nous sommes invités à passer dans le lieu où réside Fatima et son mari et leurs enfants … Ils sont tous là … comme je voudrais garder dans mon cœur et dans ma mémoire leurs prénoms à chacun… J’en écris bien quelques uns, comme il faudrait prendre le temps d’écouter l’histoire de chacun… En effet, comment trouver les mots pour entendre l’histoire d’Alia qui est là… et celle d’Abdelkader qui n’est plus là … il a été tué peu après les moines de Tibhirine … Que sont devenus sa femme et ses enfants ?

Nous savourons chez Fatima et son mari les gâteaux et le thé à la menthe et le café confectionnés par les membres de la famille servis dans les plus belles tasses et vaisselle qu’ils possèdent. C’est bien lui Ahmed, fils ainé, dans le cœur de qui est resté déposée la parole du père : Mohamed. Il était fondamental que ses sœurs Yahmina, Fatima et Alia se dépêchent de faire venir ici même leur frère ainé pour nous rencontrer, mais en quelle année et pourquoi lui-même Ahmed est il redescendu de Oued Fodda à Karimia ?

 

Durant les trop courts instants que nous venons de vivre, il s’est créé une intensité de relations merveilleuses. Il va être très dur de nous quitter et de nous dire au-revoir. Il s’engendre dans de tels adieux, même si on n’en dit mot, une sorte de promesse évidente : « C’est sûr, hein, que nous allons nous revoir … Toi Lucien, tu reviendras en Algérie pour venir chez nous nous revoir … Nous, on fera tout pour aller te voir en France … »

Nous retrouvons Monsieur Sid Ali le chauffeur de taxi qui a passé tout l’après-midi à parler avec le gardien du barrage et les hommes venus causer avec eux… Nous quittons le barrage d’Oued Fodda pour descendre à Karimia. Nous nous arrêtons chez Ahmed en plein cœur de la ville, saluer son épouse Zohra.

 

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Une fois encore, nous buvons le thé à la menthe et mangeons les petits gâteaux confectionnés par cette femme. Nous nous exprimons ainsi avec beaucoup de respect, les sentiments de la fraternité, nous sentons bien qu’il ne faudra pas attendre trop longtemps pour nous revoir … Inch  Allah !

 

Au moment de nous quitter, nous nous saluons en nous tenant dans les bras l’un de l’autre Ahmed et moi. Je repense à l’embrassement de son père Mohamed à mon égard quand, en septembre 1960 je quittais le barrage en pleine guerre. J’étais venu saluer Monsieur Mohamed H. et sa famille. Nous avions tenté de nous exprimer des signes de paix et l’humble petite espérance que la guerre s’arrêterait bien vite. Lorsque nous quittons Oued Fodda aujourd’hui, j’apprends par Hafiz et Abdéramane que leur papa est gravement malade et qu’ils ont du mal à trouver les médicaments qu’il lui faudrait pour se faire soigner. Ils me donnent photocopie de l’ordonnance pour l’obtention des médicaments. Ils nous accompagnent en nous précédant avec leurs voitures, nous les suivons jusqu’à ce qu’ils nous mettent sur le chemin qui nous fait directement retrouver la route qui va de Chelef à Alger. Hafiz et Abdéramane nous font comprendre les paroles des prophètes Isaïe et Zacharie  qui logent dans mon cœur depuis longtemps : « Regardez ! C’est la première fois que nous vous voyons, mais déjà vous comptez beaucoup à nos yeux. Vous avez du prix, qu’est ce que vous êtes précieux. » (Zach. 9, Isaïe 49) Notre grand père Mohamed t’avait dit Lucien : «  Je suis comme ton père, tu es comme mon fils. » Et bien, nous te disons aujourd’hui : « Notre père Ahmed, il est toujours ton frère ».

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13 mai 2014 2 13 /05 /mai /2014 13:53

 

Barrage de l’Oued Fodda, le 8 mars 2014  (suite)

 

«  JAMAIS NOUS NE VOUS OUBLIERONS » Isaïe 49, 15

 

Durant ce repas confectionné par les mains des filles et petites filles de Monsieur H, je repense, comme j’en ai parlé plus haut, à l’attitude et aux paroles essentielles de Madame Germaine TILLION. Alors qu’elle réalisait ses travaux d’ethnologue dans les Aurès pendant les années où je venais au monde en 1936-1937, elle avait toujours veillé à ne pas faire dire aux Chaouias qu’elle rencontrait ce que parfois elle aurait aimé entendre de leurs bouches.

« C’est ce qu’ils pensent et veulent me dire que j’ai à écouter et à écrire », disait-elle.

 

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Volontairement donc, par respect pour ce qui nait et vient de la bouche de mes amis de l’Ouarsenis, je ne leur reparle pas de ma famille en France. Je laisse naitre et venir les choses. Et voilà que pendant que nous savourons ce repas de l’hospitalité offert par ces femmes de tout leur cœur, Yahmina et Fatima me disent : « Lucien, comment va ta petite sœur Bernadette ? » et quelques instants après : » et ton petit frère Georges, comment va t il ? » Les larmes me viennent aux yeux. Car ces noms de mes frère et sœurs de sang en France, que j’avais donnés à mes amis d’Algérie il y a plus de cinquante ans,  alors qu’ils me donnaient les leurs, ces noms sont restés écrits dans les paumes des mains des enfants de l’homme qui m’avait dit alors : « Ici tu es loin de ton Père. Je suis comme ton Père. Tu es comme mon Fils. »

 

Monsieur Mohammed H. avait alors donné à ses enfants ainsi qu’à moi et aux membres de ma famille de nous regarder les uns les autres comme des frères et sœurs. Quel bâtisseur de l’humanité il était ! N’était-ce pas bouleversant comment en pleine guerre la parole de cet homme, avait fait se rapprocher les deux rives et plages de la Méditerranée, comme se contractent les parois de l’utérus de notre Maman qui nous pousse à naitre. Cet homme avait alors suscité, et ça se continuait aujourd’hui, que cette mer en nous enfantant, nous engendre à nous reconnaitre de la même et unique humanité dans l’étonnement de nos différences : « Mare Nostrum, Nostra Mater »

 

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Les enfants de Monsieur H. accomplissaient les paroles de leur père à mon égard, en adoptant et en parlant de mes frère et sœurs comme s’ils étaient les leurs. Ces femmes vont mettre encore une cerise sur le gâteau qu’elles sont en train de nous offrir. En effet, pour continuer de nous signifier que nos noms à chacun sont écrits dans les paumes de leurs mains, l’une d’entre elles en riant me dit : « Monsieur Lucien Converset, 9 rue Carondelet 39100 Dole » C’était mon adresse au moment où nous nous étions écrits peu de temps après que j’étais arrivé à la cure Notre Dame de Dole en septembre 1966.

 

Il s’est passé durant la guerre de libération d’Algérie, entre cette famille de Monsieur H. et ma famille, ce qui s’est passé entre Yahwé Dieu et le peuple hébreu retenu en exil sous Nabuchodonosor. Quelque chose d’aussi intense, profond et indélébile que ce que les prophètes ont relaté : « Yahwé Dieu nous a caché dans l’ombre de sa main » Isaïe 49, 2, pour nous protéger de la haine pendant la guerre. Nos noms à tous sont écrits sur les paumes de ses mains. En nous ouvrant les bras et les mains les uns aux autres, nous certifions l’efficacité de la Parole de Dieu : « J’ai gravé votre nom à chacun sur les paumes de mes mains »

« Je vais même aller plus loin, dit Dieu. Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit ? Cesse-t-elle de chérir le fils de ses entrailles ? Eh bien, même s’il s’en trouvait une pour l’oublier, moi, je ne t’oublierai jamais. «  (Isaïe 49, 15)

Une fois encore le Verbe se faisait chair dans la chair de mes amis, dans celle des membres de ma famille et dans la mienne. (Jean 1, 14)

 

Oh, comme j’étais heureux ! Et je sentais bien que ce bonheur inondait le cœur de Claude, de Nelly et Bernard. Leur persévérance et leur confiance que nous arriverions à nous retrouver et à nous rencontrer avec la famille de Monsieur H., était en train de pleinement aboutir. Voilà que je me trouvais entouré d’amis, comme d’une grande famille, à l’endroit même où il y a 54 ans j’avais vécu à plusieurs reprises des retours d’opérations dans le Djebel qui faisaient que mon être se retournait.

 

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Il y avait eu le moment où nous revenions de Ténès. Et celui là du retour de l’Oued El Ardjem et celui là encore de Teniet-el-Haad, et il y avait eu un soir une nuit particulière. Le soir où jusque très tard dans la nuit je m’étais battu avec moi-même, avec ma conscience, comme Jacob avec l’ange au gué du Yaboq (Genèse 32,23 ) Peut-être était-ce avec Dieu lui- même que moi aussi je m’étais affronté.  Et comme Jacob, « j’étais resté seul » Mes copains ne m’avaient pas délaissé. Ils m’avaient laissé seul. Et quelqu’un était venu lutter avec moi jusqu’au lever de l’aurore. De ce quelqu’un qui m’était apparu durant cette nuit, je n’avais pu percevoir qu’un reflet de sa présence. Je l’avais un petit peu envisagé dans le miroir de ma conscience. Ça avait suffi pour me faire comprendre que je ne pouvais pas, que je ne devais plus continuer à porter des armes, si je voulais poursuivre mon chemin afin de devenir un homme porteur de paix. Enfin, à travers beaucoup de tempêtes et de temps tumultueux, la pauvre embarcation de ma conscience parvenait au port quand nous revenions d’opérations et que nous entrions dans ce petit village d’Oued Fodda.  C’est Monsieur H. et sa famille,  qui étaient devenus en pleine guerre comme des phares dans la tempête, un havre de paix, une sorte de port d’attache.

 

Grâce à eux, avec eux et pour eux, et pour moi, j’allais naitre à l’objection de conscience.  Ils me faisaient comprendre que : « Tout ce qui est signe de pouvoir absolu sur les autres, il faut t’en défaire. De ces munitions explosives, il faut te démunir. » Et aujourd’hui, 50 ans après, il m’était donné en présence de mes amis, Nelly, Bernard et Claude, de pouvoir revenir en plein cœur de l’Ouarsenis, retrouver ce qui restera pour toujours le berceau qui me reçut alors que je naissais à l’objection de conscience.

 

Après ce repas, tout empreint d’amitié reconnaissante et réciproque, Yahmina et son mari et toute une partie de la famille, voulurent nous emmener à quelques pas de là, voir où ils habitent : «  C’est dans la maison où il y avait ton commandant quand tu étais militaire. »

 

 

Nous voici en train de prendre le thé, le café  et les petits gâteaux de leur confection, dans la maison, où après des jours et des nuits de lutte, 50 ans auparavant, j’avais osé venir frapper à la porte de l’endroit où résidaient à nos retours d’opérations, ceux qui détenaient l’autorité sur nous. Ils auraient bien voulu commander aussi  nos consciences de jeunes hommes «  qui avions 20 ans dans l’Ouarsenis ».  Afin de garder le territoire de l’Algérie Française, croyant faire œuvre de civilisation, à combien de jeunes Français ces centurions avaient fait perdre le sens du respect, de la dignité des Algériens et Algériennes que nous rencontrions et poursuivions.

 

 

Du sein d’une plénitude de mots d’amitié, de tendresse fraternelle de la part de mes amis d’il y a plus de 50 ans, il me revenait aussi le ressac des paroles de mon capitaine, qui m’avait laissé « au garde à vous »  en ce lieu même. Il n’avait pas voulu me donner de « repos » durant tout l’entretien que nous avions eu alors : «  Converset, vous n’êtes qu’un objecteur de conscience, vous refuseriez de défendre vos camarades de section … Déjà il y a quelque temps, j’aurais du vous faire passer le tribunal militaire … « J’avais dit à mon capitaine : « Nous n’avons pas le droit de torturer une femme comme nous venons de le faire. »  Il m’avait alors rétorqué : « Les femmes du Djébel je les connais, ce sont des traitres et des menteuses ! »

 

Il eut fallu à cet homme avec qui je m’affrontais en conscience, dans une démarche non violente, de se laisser interpeller comme l’avait fait trois ans plus tôt le général Jacques Paris de la Bollardière, en pleine bataille d’Alger, au printemps 1957. A l’époque, le général Jacques Paris de la Bollardière était allé dire sa réprobation au général Massu puis au Général de Gaulle, par rapport à la violence pensée et organisée avec laquelle se faisait le ratissage de la Casbah. J’aimerais retrouver la citation des paroles du général Massu, quelques années avant de mourir, disant que durant la guerre d’Algérie nous aurions du et pu, ne pas pratiquer la torture comme ça s’était passé. Ce regret et ces remords, qui ont taraudé la conscience du général Massu, probablement suite à son affrontement avec Jacques Paris de la Bollardière, peut-être ont-ils meublés aussi la tête et le cœur du capitaine avec qui nous nous étions affrontés en juillet 1960, en cet endroit même. Ce lieu où Yahmina et son mari venaient de nous faire entrer, devenait l’endroit où nous nous exprimions notre fraternité avec les enfants et petits enfants de Monsieur H.

 

En tout cas, comme dans la vie du centurion romain et de ses proches à Capharnaüm, tu venais d’entrer, ami Jésus, tu venais nous retrouver là, en cet endroit de fracture, pour que nous réussissions à reconstruire notre humanité.

Tu étais en train de te faire chair. Nous te disions une fois encore : « Descends dans nos vies, pour que nous ne mourrions pas (Jean 4, 49). Nous ne sommes pas dignes que tu viennes sous ce toit, mais donne-nous la sagesse de savoir panser nos blessures en nous écoutant les uns les autres, et penser notre guérison en trouvant les mots pour oser dire humblement ton chemin de libération.

 

PS : Voici les paroles du Général MASSU que recherchait Lulu :

Dans une interview au journal Le Monde le 22 juin 2000 et reprise par la LDH-Toulon, le Général MASSU regrette la torture :

 "Non, la torture n'est pas indispensable en temps de guerre, on pourrait très bien s'en passer. Quand je repense à l'Algérie, cela me désole, car cela faisait partie d'une certaine ambiance. On aurait pu faire les choses différemment".

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30 avril 2014 3 30 /04 /avril /2014 21:28

LOURDES le 27 avril 2014

 

QUATRE PAPES POUR QUE LE VERBE SE FASSE CHAIR

 

Quelqu'un me demandait hier: "Est ce que c'est la première fois que tu viens à Lourdes ? " J'ai répondu " Non ! J'y suis venu beaucoup de fois quand je faisais mon service militaire en 1958-1959, quand nous nous préparions, nous Français, à faire la guerre en Algérie. Je suis peiné et déçu qu'en pleine guerre coloniale, l'Eglise ne nous ait jamais signifié ici à Lourdes qu'il ne fallait pas partir faire la guerre, que nous aurions dû entrer en objection de conscience, personnellement et en masse, en nous appuyant sur la parole du Christ, dans le sermon sur la montagne: " Tu ne tueras pas ... Tu ne porteras pas d'armes ... Aimez vos ennemis ... Heureux les artisans de paix ..."


Jeunes français nous avons été laissés "seuls" à nous compromettre à faire la guerre humainement, comme si il y avait une manière humaine de faire la guerre !

 

De cela, comme beaucoup d'hommes de ma génération, je suis revenu "malade" que mon pays la France, m'ait appelé et envoyé faire la guerre, et qu'elle continue à faire la guerre en étant pourvoyeuse des armes qu'elle fabrique.

 

Et voilà qu'il y a deux mois une amie me dit : « Veux-tu venir à Lourdes avec les malades ? » J'ai dit : « Oui, parce que je suis beaucoup malade moi-même. J'ai beaucoup de choses à me faire guérir. J'ai beaucoup à changer et convertir mon comportement, je fais partie d'un pays la France, qui est beaucoup malade de violence et qui est dans le monde la 5ème puissance à fabriquer des armes de destruction massive particulièrement l'arme nucléaire. Elle fait avec ça un trafic odieux et maffieux qui affame des régions entières de la planète et qu'elle fait couler le sang partout où voudrait surgir et se relever notre belle humanité, afin de vivre et se développer dans la culture de la non violence. »

LOURDES sanctuaire


Et me voilà à Lourdes avec vous tous amis du Jura. Je suis ému de vous retrouver pour certains. Avec les autres je suis heureux de faire connaissance et lier amitié. Je me suis mis à espérer une paix véritable durant ces jours où on nous annonçait la convergence de 4 papes à Rome pour nous appeler à la sainteté. J'ai pensé qu'ils allaient " se mettre en quatre " Jean XXIII, Jean Paul Ii, Benoit XVI et François pour trouver la parole vive, celle-la de Jésus, le Verbe, parole qui nous rentre dans la peau et nous habite, parole qui intervienne dans des pourparlers vrais entre responsables politiques, qui nous engage effectivement à être dès aujourd'hui des saints en devenant des fabricateurs de la paix.

 

C'est en nous démunissant de nos violences et de nos armements de manière unilatérale, particulièrement de l'arme nucléaire funeste et fallacieuse, que nous adjoindront la sainteté à la paix.

 

Alors j'ai beaucoup prié en union avec vous tous mes amis du Jura du diocèse de Saint-Claude, pour que le sermon de Jésus sur la montagne de Galilée trouve des échos vibrants dans le rocher de la grotte de Lourdes, dans le roc de nos cœurs et que les quatre papes s'y mettent pour sortir une parole qui résonne efficacement dans le monde entier. Parce qu'ils auront su trouver ensemble des mots de sainteté tels que : « Pour que la paix se fasse dans toute l'humanité il faut qu'il y en ait qui commencent à se désarmer, à se défaire de la violence, à se démunir de leur armement sans attendre. Ne pas faire comme on a fait jusqu'à maintenant, attendre que les autres aient désarmés leurs dieux pour désarmer les nôtres. En effet, il ne suffit pas de prier, il nous faut nous engager unilatéralement, commencer à ôter la violence de mon cœur, des recoins de nos vies, tout en exigeant que le pays où nous versons nos impôts arrêté de se servir de ça pour fabriquer des engins de mort et entretenir la haine entre les peuples. Demander que ces investissements, profitant jusqu'à ce jour à une oligarchie, soient pulsées comme une juste pension de réversion dans les pays où l'on meure affamés de pain et assoiffés de justice.

 

Juste avant de monter dans le car pour venir à Lourdes, des amis qui savent bien se servir d'Internet m'ont fait lire la lettre que Jean-Marie Muller a envoyée le jour de Pâques 20 avril 2014, comme : « Supplique à notre pape François afin de renoncer unilatéralement à l'arme nucléaire. »

 

Durant tout ce pèlerinage diocésain, j'ai espéré qu'en ce jour de la canonisation des papes Jean XXIII, Jean Paul II, les papes François et Benoit allaient se servir de cette lettre si urgente de Jean-Marie Muller, qu'en ce jour de fête ils allaient la reprendre à eux quatre, se mettre en quatre, pour donner une dimension mondiale à l'appel à la sainteté.

 

Que ce soit une Toussaint où chacun de nous renonce unilatéralement à la violence qui nous assaille et nous talonne, que chaque pays et état détenteur de l'arme nucléaire, se démunisse de ce qui l'asphyxie et suicide le monde, en commençant à l'exiger de notre propre pays, celui dont nous faisons partie.

 

Je suis peiné et déçu une fois de plus à Lourdes que l'Eglise de Rome, de Lourdes et du Jura nous laisse sur ce point fondamental et crucial, sombrer dans l'indifférence, la détresse et le marasme. Et cela à dimension humanitaire, comme ça s'est passé durant nos pèlerinages militaires à Lourdes dans les années 1959-1960, comme le 8 novembre 1983 quand les évêques de France réunis à Lourdes en assemblée plénière ont essayé de nous faire croire que nous « gagnerions la paix » en déclarant qu'il fallait : « cautionner la politique nucléaire de notre propre pays ».

 

Tout cela me concerne tellement, que j'avais écrit le 20 avril à Luigi Ventura, le nonce apostolique pour qu'il diligente cette lettre de Jean-Marie Muller au pape François.

 

Je lui demandais de nous aider à ce que l'Eglise de France et de Rome, une fois encore, ne passe pas à côté de ce qu’a dit et fait Jésus le galiléen dans son sermon sur la montagne (Matthieu, 5-6-7) afin que le Verbe continue de se faire chair (Jean, 1-14) dans la peau de notre humanité.

 

N'ayant aucune nouvelle du Vatican touchant à ce drame mondial, qu'il nous faut renoncer unilatéralement à l'arme nucléaire je suis retourné à la grotte de Massabielle. Je suis allé saluer la Vierge Marie avec vous tous. J'ai déposé à ses pieds ce fardeau, comme Bernadette déposait son fagot de misère. J'ai écouté le bruit du vent et je me suis laissé dire qu'il y a peut-être des choses à ce sujet dans la presse et les médias et que je n'ai pas su les lire.

 

Avec mes amis de l'Hospitalité Jurassienne de Notre-Dame de Lourdes, malademoi-même comme je viens de vous le dire, nous sommes encore là jusqu'à la fin avril.

 

Je vous en supplie, quand vous entendrez une parole vive et appelante sur cette urgence, faites-nous le vite savoir, que nous puissions l'emporter dans nos sacs, nos valises et nos cœurs, avec nos chapelets, médailles et statues.

 

Cette parole dite par l'Eglise de Jésus : « Nous renonçons unilatéralement à l'arme nucléaire », faites nous voir comment elle est donnée par le pape François, mettant ses 3 prédécesseurs dans le coup.

 

Nous l'écrirons alors avec Amour et Justice dans nos cœurs et sur la paume de nos mains. Nous l'emmêlerons avec tous les objets de piété que nous allons offrir à nos familles et à nos amis. Faites nous vite voir la teneur de cette parole, nous voudrions tellement entendre que : « Pour devenir des saints, soyons des faiseurs de Paix. Arrêtons la haine à nous-mêmes. N'attendons pas que les autres s'y soient mis. Commençons nous-mêmes à nous mettre en chantier. Balayons les armes qui sont devant la porte de notre maison, du palais de nos présidents et devant notre Assemblée Nationale. Exigeons que notre pays « renonce  unilatéralement à fabriquer, à se doter, et à vendre des armes, et surtout les armes nucléaires. »

 

Et qu'avec cette pension de juste réversion, plus aucun être humain ne meure affamé de pain, assoiffé d'eau potable, asphyxié et en manque de respect de sa propre dignité d'enfant de l'humanité de fils et fille de Dieu.

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26 avril 2014 6 26 /04 /avril /2014 08:01

 

D’ALGER à OUED FODDA,  le 8 mars 2014

 

VOS NOMS SONT GRAVES SUR LES PAUMES DE MES MAINS (ISAIE 49 )

 

Les panneaux routiers nous indiquent que nous approchons de CHLEF, l’ancienne ORLEANSVILLE. Comme je comprends qu’au moment de l’indépendance en 1962, le peuple algérien ait voulu effacer les noms des villes et villages qu’avait imposés  l’administration colonisatrice.

En effet, durant la guerre d’Algérie, la petite ville que nous dénommions (LAMARTINE), ne s’appelle plus ainsi. Elle a retrouvé son nom originel : (KARIMIA).

Je suis peiné et heureux en même temps de chercher et trouver, grâce au jeu des cartes Michelin, l’ancienne et la nouvelle, ces noms chargés du poids de notre histoire et ceux, nouvellement porteurs de nos aspirations et de nos espérances. Ne sont-ils pas désormais des signes du respect d’une civilisation et de la recherche de la véritable libération et identité d’un peuple ? 

 

Au moment où nous quittons la station service de TIBERKANINE , où nous avons fait halte afin de remplir le réservoir de la voiture, Monsieur Sid ALI le chauffeur du taxi nous dit : «  Pendant que nous buvions le café, je me suis fait expliquer par des gens de la région avec qui j’ai causé, quel chemin il nous faut prendre pour parvenir au barrage de l’OUED-FODDA, là où vous espérez retrouver vos amis de 1960. Il nous faut bien traverser la petite ville de KARIMIA, elle n’est plus guère loin … Tenez … Est-ce que ce ne serait pas ces habitations que nous voyons ? 

Je réponds : «  Oui, Oui. Voilà l’endroit où nous avions cantonnés en août 1960 … là sous ces eucalyptus … là le long de cette rivière OUED-FODDA, qui descend du barrage appelé aussi barrage du STEEG … Oh, comme cette eau coule encore ! 

 

Quelle émotion se met à travailler mon être profond !

C’est là en effet que j’avais beaucoup « miséré », c’est sous ces eucalyptus que j’avais mûri la manière et la façon qu’il me faudrait employer pour affronter mon capitaine et oser lui dire ma réprobation à propos de ce qui s’était passé dans l’opération d’où nous revenions.

J’avais écrit alors sur un carnet ce que nous vivions d’éprouvant, ce dont nous parlions avec les copains, nos réactions et aussi ce que je pensais et essayais de faire. J’ai conservé tous ces carnets, gardiens et révélateurs de ce que nous découvrions. Quelle lutte nous avions entreprise, afin de ne pas nous laisser « déglinguer » et démolir. Combien de fois chacun de nous s’était retrouvé à certains moments isolé et seul. Et cela, malgré les belles amitiés vécues et réalisées entre copains, au sein du groupe d’amis que nous formions dans la compagnie. Souvent, tout seul, en face de ma conscience.

Pourquoi qu’à deux, trois ou quatre, nous ne nous étions pas dit : « Avec ce qui vient de se passer, il nous faut en conscience rendre nos armes et nos bagages … ? 

Pourquoi ne sommes nous pas allés jusque là ? Pourquoi n’avons-nous pas pu le faire ?

 

Nous traversons KARIMIA et nous ne tardons pas à emprunter une route escarpée que je reconnais bien. Etablie dans les années de la construction du barrage en 1932, au flanc d’une montagne stable, cette route est toujours la même. C’est celle-là que nous empruntions avec nos G.M.C. en 1960 pour partir et revenir d’opérations dans le djebel. Elle est toujours aussi bien entretenue. Accessibilité au barrage hydro électrique oblige.

 

Un panneau : « Barrage de l’OUED-FODDA » apparait puis peu de temps après, encore un avec la même indication. Nous sommes vraiment sur la bonne route. Nous n’allons pas tarder de parvenir en cet endroit où rien ne semble avoir bougé d’un centimètre. Mais peut-être que des choses ont bougé mais qu’elles ne le paraissent pas dans l’immédiat. Ce seront probablement mes amis dont la situation aura bougé. De toute façon, je devrai garder, ancré en moi, l’attitude de Madame  Germaine TILLION, qui, lorsqu’elle réalisait en 1937 ses travaux d’ethnologue dans les AURES, disait à propos des CHAOUIAS qu’elle rencontrait : «  Je veille à ne pas leur faire dire ce que je voudrais bien qu’ils me disent, mais qu’il disent, ce que réellement ils ont à dire et veulent me dire » Mais peut-être que je ne retrouverai pas mes amis, parce que leur place aura changé.

 

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Ça y est, la guérite du gardien du barrage est en vue, sur le même petit promontoire où elle se trouvait en 1960. Je n’ai pas à préparer ce que je vais dire, ça vient tout seul. Je grimpe les marches d’escaliers qui me mettent en présence d’un homme en armes … Au moment où je lui explique en présence de mes trois amis Claude, Nelly et Bernard et du chauffeur de taxi Sid ALI : «Bonjour Monsieur, j’étais soldat de l’armée française ici en 1960. J’étais devenu ami avec Monsieur Mohammed   H. , je sais qu’il est mort en 1984 … »

Je m’apprête à lui demander s’il peut m’aider à rencontrer le fils de Monsieur Mohammed   H. qui travaille au barrage : Abdelkader, lorsque les hommes qui viennent de s’adjoindre au gardien me répondent et me font comprendre qu’il n’y a plus ici au village du barrage de gens qui portent le nom de famille   H.  et me disent «  Il faut redescendre à KARIMIA pour trouver quelqu’un qui s’appelle du nom de  H. … » Tout cela me décontenance …  ça me surprend qu’avec la grande famille que Monsieur H. a fondé, il n’y ait plus personne de leur famille qui réside ici. En fait, je suis en train de faire une erreur d’investigation dans ma recherche … Il n’y a peut-être plus personne qui porte le nom de famille de H. mais il y a probablement issus de la famille H. qui portent un autre nom. En effet, les filles de Monsieur H se sont mariées, elles ont mis au monde des enfants. Cela serait bien surprenant qu’il n’y ait pas quelques uns des petits-enfants de Monsieur Mohamed H qui habitent ici …

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Justement,  je suis en train d’expliquer pour la 4ème ou 5ème fois à des jeunes qui viennent de s’adjoindre aux hommes qui entourent le gardien , que j’ai été soldat ici il y a 54 ans … que j’avais lié amitié avec un homme père d’une grande famille qui habitait là et dont le nom est Monsieur H. … quand, voilà qu’un jeune d’une vingtaine d’années se met à sourire en entendant ce que je balbutie …

Il nous regarde, il a compris et il nous dit «  Venez avec moi, on va descendre au bas du village … »

Et  je me mets à dire les prénoms des enfants de Monsieur Mohamed H. , Abdelkader, Fatima, Yasmina … Parvenus très vite au bas du village, le sourire du jeune homme s’épanouit davantage encore sur son visage puis sur le mien, le nôtre, quand je redis les prénoms de Fatima, Yasmina. En effet, ce jeune homme me dit «  Voilà le mari de Fatima ! » C’est monsieur B. je comprends qu’il n’y a plus de gens qui portent le nom de Monsieur Mohamed H. mais il y a des gens de sa famille qui habitent là : ce sont les familles de ses filles, et ses filles elles-mêmes.

Je demande alors : « Et Fatima, est-ce que je pourrais la saluer ?» Le jeune homme me répond « Justement, la voilà qui arrive.»

Quelle joie et quel bonheur de nous saluer avec Fatima, Yasmina, Alia, avec leurs maris, leurs enfants et petits-enfants.

 

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En un court laps de temps, beaucoup de gens de la famille de Monsieur Mohamed H. se sont rassemblés autour de nous. Une merveilleuse fête de retrouvailles se réalise il y a plus de cinquante ans que nous ne nous étions pas revus. Et nous nous nous souvenions de nos prénoms ! Cela n’avait pas bougé. Je repensais à la parole du prophète Isaïe, (49) : «  pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre. Cieux, criez de joie ! Terre, jubile ! Moi, je ne t’oublierai jamais. Je t’ai gravé sur les paumes de mes mains, je t’ai caché dans l’ombre de ma main. «  Isaïe (49) 2, 6, 13, 16.

Il y avait quelque  chose dans nos regards et sur les traits de nos visages, qui n’avait pas changé, qui était resté et qui nous habitait.

Oh, le bonheur de nous retrouver !

Quels moments de fraternité étaient suscités entre-nous.

C’est alors que je leur redis «  Votre Papa m’avait dit, ici tu es loin de ton Père, je suis comme ton Père, tu es comme mon Fils »

Cinquante ans après qu’elles aient été dites, ce sont ces paroles fondatrices qui nous font  nous rencontrer et nous regarder en frères et sœurs, avec vous Fatima, Yasmina, Alia, vos maris, vos enfants et petits-enfants.

Je sentais comment Claude, Nelly et Bernard, mes compagnons de voyage, étaient associés à cette fraternité. Ils avaient tant fait pour que nos retrouvailles aboutissent.

Nous expérimentions que ces paroles étaient vraies, une fois encore «  Le Verbe se faisait chair »

 

Cinquante ans après qu’elles soient sorties de la bouche de leur Père et qu’elles aient été ramassées par eux les enfants et par moi, ces paroles qui fondaient notre relation d’amitié et de fraternité, n’avaient pas bougé d’un iota.

Ni les années, ni les distances, ni la guerre que nous avions faite, subie, traversée, n’avaient  donné un seul coup de ciseau à ce qui nous reliait.

Pendant près d’une heure, nous sommes là à nous exprimer notre émotion et notre joie les uns aux autres.

Nous nous prenons à témoins les uns en présence des autres et nous reconnaissons ce qui nous relie les uns avec les autres aussi  intensément depuis tant d’années, et qui ressurgit en plein midi de ce jour.

 

C’est alors que, demandant des nouvelles de leur plus jeune frère Abdelkader, ses trois sœurs me répondent : «  Abdelkader est mort ! C’était durant ces années qu’on ne veut plus revoir … Les années noires de 1990 à 2000. C’est durant cette décennie terrible qu’a été déchirée la vie des moines de TIBHIRINE, celle de Pierre CLAVERIE et son chauffeur Mohammed et de combien d’autres, 150 000, 200 000 qui sont morts. Les noms de tous ces gens ne sont-ils pas écrits dans les paumes des mains de quelqu’un comme l’est le nom d’Abdelkader. Je veux y adjoindre le nom de Jean-Marie BUISSET, l’ami des Ardennes tué le 29 mai 1959, celui de l’homme de l’Oued EL ARDJEM tué dans l’embuscade que nous avions montée et le nom de l’enfant que j’avais enterré … Sa mère ne l’ayant peut-être jamais retrouvé.

La famille de mes amis, comme beaucoup d’autres familles, avait été déchiquetée en raison de questions de pouvoir, d’argent et de violence.

En 1960, l’attitude, l’accueil et les paroles de leur Papa et grand-père m’avaient ouvert les yeux et le cœur et fait entrer en objection de conscience.

Nous avions essayé de faire obstacle à la guerre.

Dans les années 1990-2000, ils avaient maintenu leur lutte afin de pouvoir vivre.

Qu’est ce que j’aurais  voulu connaitre ce qui s’était passé, mais ça ne se demande pas comme ça, il faut de longs partages afin de pouvoir commencer à y parvenir.

Peut-être qu’un jour ils me partageront ce qui leur a ôté leur frère Abdelkader.

Et voilà que nous sommes interpellés à la table préparée, pendant que nous causions.

Ainsi les filles et les petites-filles de Monsieur Mohamed H. ont préparé pour Nelly, Bernard, Claude et moi un repas chaud, du lapin, des légumes et du couscous : » Asseyez-vous … Vous allez manger ! « La fraternité qui nous relie se célèbre  et se fête par le repas de l’hospitalité »

 

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23 avril 2014 3 23 /04 /avril /2014 19:55

Le 8 mars 2014

PARVIENDRONS-NOUS A désarmer NOS DIEUX ?

 

Nous ne nous disons pas grand-chose, dans le taxi conduit par Sid-Ali, qui nous emmène depuis Alger en direction de l’OUARSENIS. Je sens beaucoup de respect de la part de mes amis Nelly, Bernard et Claude,  avec qui et grâce à qui, je me suis embarqué dans cette recherche. En même temps je sens une détermination, de leur part, à tout faire pour que je retrouve mes amis de 1960, la famille H.

Aujourd’hui, roulant sur cette route, du contrefort de l’Atlas Tellien… je pense et je nous revois 54 ans auparavant. C’était sur cette même route, que nous partions en « opération JUMELLE », le 24 juillet 1960. Nous nous déplacions en G.M.C. Nous ne savions pas où nous allions, mais les officiers du commandement, eux le savaient. Nous partions faire « la pacification et le maintien de l’ordre. » En fait, nous partions exécuter « le plan CHALLE », qui consistait à vider les gens de leurs douars et les expulser de leurs mechtas, afin de les parquer, et de les établir dans des « villages de regroupements » ça permettait d’avoir main mise permanente sur eux, et de déclarer « zones interdites » d’immenses territoires  où les soldats que nous étions, pouvaient et devaient tirer impunément sur tout ce qui ce qui bougeait. C’était une véritable déportation de population, pensée et organisée, en haut lieu, exécutée par les troupes que nous étions. C’est ce qui continue de se passer, dans beaucoup d’endroits de la terre, comme aujourd’hui encore en PALESTINE, pour les Bédouins du NEGUEV. C’est dans cette situation dramatique, dont j’avais été témoin, que j’avais commencé de devenir « objecteur de conscience ».

Aujourd’hui, avec mes amis Nelly, Bernard et Claude, je sens que nous cherchons à emprunter un chemin de pardon. Si nous arrivons à trouver mes amis de la famille H., comment parviendrons-nous à leur signifier que nous leur demandons ce pardon ? J’espère retrouver en plein Djebel, ces amis de 1960, mais je n’en suis pas sûr !

Hier, lorsque nous allions dans l’OUARSENIS pour l’opération Jumelle, avec des centaines de soldats en arme, c’étaient des tonnes de munitions que nous emportions, afin de maintenir « L’ALGERIE FRANCAISE », sous le joug colonial.


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Aujourd’hui, je pars avec des amis, dans une recherche non-violente. Démunis de tout pouvoir, ayant les mains nues, étant presque sûrs de trouver des gens dont les mains de jardiniers, sont semeuses de graines de possible. J’espère pouvoir retrouver les personnes que j’avais connues, lorsqu’elles étaient enfants. Aujourd’hui, devenues des femmes et des hommes avec qui, nous pourrons nous aborder, nous rencontrer, et nous reconnaitre, frères et sœurs en Humanité. Nous pourrons alors entrer dans une attitude, qui nous fera dire, à nos dieux : «  Pardonnez nous nos offenses… » Le papa des personnes que j’espère retrouver, ne m’avait-il pas dit, en 1960 : «  Ici tu es loin de ton père, je suis comme ton père… Tu es comme mon fils. » Les dieux de nos armées, grâce à la manière dont nous nous causerons, deviendront des dieux désarmés.

Mais allons nous retrouver mes amis de 1960 ?

 

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18 avril 2014 5 18 /04 /avril /2014 14:24

Le 8 mars 2014

« JE SUIS COMME TON PERE, TU ES COMME MON FILS »

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Voilà les mots qui me reviennent au moment où nous quittons ALGER, en ce matin de 8 mars 2014, pour essayer de retrouver le chemin, du petit village d’OUED FODDA, dans le massif de l’OUARSENIS pas très loin de la ville de CHLEF. C’est là, que dans le milieu de la guerre d’ALGERIE, en plein été 1960, loin de tous les miens, ces mots m’ont été donnés de la bouche même de Monsieur Mohamed H. : « Ici tu es loin de ton père… Je suis comme ton père… Tu es comme mon fils… »


Cet homme avait l’âge de mon papa. Sa femme et lui, avaient mis au monde, une famille nombreuse, comme mon papa et ma maman. Au fur et à mesure, que je faisais connaissance avec eux, je m’étais amusé à laisser chanter leurs prénoms, en mon cœur, en commençant par les plus petits : Abdel-Kader, Fatima, Yasmina, Alia, Ahmed… je leur avais dit les prénoms de mes petites sœurs et de mon petit frère. Ils étaient petits paysans et ils élevaient quelques chèvres, qui étaient gardées par les enfants dans les collines avoisinantes du Djebel OUARSENIS, de ce côté ci du barrage de STEEG (appelé aussi barrage de l’oued Fodda). Cet homme, Mohamed H. était aussi jardinier dans le domaine du barrage.

 

 

Comme beaucoup d’Algériens de l’époque, il subissait jour et nuit, le supplice de ce que j’appellerai « l’écartèlement » de cœur, il tenait à répondre au devoir de solidarité avec les hommes de la région, qui étaient dans le maquis, et qui venaient de nuit, demander nourriture et argent, afin de continuer le combat pour l’indépendance de leur pays. De jour, il devait signifier qu’il ne toucherait rien au maintien de l’ordre colonial imposé par la France. Nous étions dans le fief du BACHAGA BOUALEM qui s’était assujetti à la France. Comme dans beaucoup d’endroits en Algérie, durant les années 1959 – 1960 dans ce petit village d’OUED FODDA, important stratégiquement en raison du barrage hydro électrique, un casernement de baraques et de tentes militaires y avait été construit et installé. Un jour dans les débuts de notre arrivée, avec le régiment auquel j’appartenais, et de notre installation en ces lieux, nous nous étions croisés dans ce village cet homme et moi. Il avait voulu me montrer qu’il respectait la présence française, qu’intérieurement il devait honnir. Il m’offrit le café devant la porte de sa mechta… « schrob l’kawah ! »

 

 

Puis dans les jours suivants, je repassai aux abords de sa maison, mais à l’insu des officiers de la compagnie à laquelle j’appartenais. Petit à petit cet homme me faisait entrer dans la cour de sa mechta, puis dans les pièces de la maison et dans le petit jardin « assois-toi ici sous les branches de la vigne… Je t’ai préparé un couscous… » En fait c’était dans le profond de son être qu’il me faisait entrer, là où il cultivait, comme il pouvait, les graines de possible, de la paix et de la fraternité. Ensemble, dans nos conversations, nous remontions comme nous pouvions les pentes du déferlement de la guerre. C’est alors qu’il m’avait dit un jour, et qu’il aimait me redire : « je suis comme ton père. Tu es comme mon fils »

 

Nous faisions tout pour diminuer et empêcher l’écartèlement de nos êtres, car moi aussi je vivais un démantèlement de mon être d’homme.

 

Je faisais une guerre, je participais à des opérations qui déchiquetaient cette part d’humanité, qui depuis des siècles, s’était enracinée là, dans les flancs de ces djebels, au profond de ces oueds. C’est au cœur de tout cela que Monsieur Mohamed H. me confia un jour, qu’il était père d’un grand fils, son ainé Ahmed. Et son fils était lui aussi à la guerre. Engagé dans l’armée française, complice à son corps défendant, de l’occupation de son propre pays. Je comprenais qu’ils n’avaient pas pu faire autrement, le père et le fils, que de se laisser prendre dans cet engrenage. Un jour le père me dit : « Mon fils Ahmed est loin, soldat dans l’armée française. Il est dans la région de Constantine. Voilà son secteur postal. Tu veux bien lui écrire une lettre en mon nom. Je ne sais pas écrire… Mais je voudrais lui dire tant de choses… Je voudrais tellement que là où il est, quelqu’un, un homme lui dise ce que je t’ai dit un jour : « tu es comme mon fils. Je suis comme ton père. »

 

Monsieur Mohamed H. aurait voulu que son fils entende ce que j’avais entendu de sa bouche à lui : « Tu es loin de ton père. Ici je suis comme ton père. Tu es comme mon fils ». Alors je m’étais mis à écrire à ce fils sous la dictée de son père. Ses mots avaient une sacrée teneur, une merveilleuse : tenue. Ils me faisaient tenir debout, moi aussi en même temps que le fils de Monsieur Mohamed H.

 

Je ne le voyais pas dans l'immédiat, mais ce sont ces mots là et ces faits, qui, alliés à d’autres, m’interpelleraient à devenir objecteur de conscience.

 

Ils ressemblaient étonnement aux mots que je trouvais dans la bible, et qui s’échangeaient entre Jésus et son père. Jésus, dès l’instant de sa conception et de sa naissance s’était trouvé en « des lieux de fractures », là où on « massacre les innocents ». Puis il avait reçu un jour, dans sa vie d’homme, des mots pour tenter de le rapprocher de son père, dont il était loin en son humanité. Ces mots lui parvenaient par des écrits, qui étaient comme des lettres que son père lui adressait par le scribe qui avait fait les psaumes.

 

Un jour, Jésus avait adopté pour lui, ces mots des psaumes 2 et 109 : « Tu es mon fils, moi aujourd’hui, je t’ai engendré. » C’est à l’écoute de ces mots, que lui le Verbe, avait continué de se faire chair. Dans sa condition d’homme, Jésus avait pu dire aux disciples, qui se demandaient comment il fallait faire pour être des hommes : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous aime. » Et dites à Dieu : « Notre père. »

 

 

Etonnant ! Cet échange entre Dieu et l’homme, entre la divinité et l’humanité. Ça avait pu se passer, parce qu’un jour, Jésus s’était immergé dans l’océan des vivants, il s’était incarné, inséré dans le tissu des humains. Il s’était revêtu de l’étoffe humaine. Notre condition humaine habitait en lui. Il ne s’en débarrassait pas. Il s’en revêtait comme d’un habit qui lui collait à la peau.

 

Lorsque Monsieur Mohamed H. m’avait dit pour la première fois : « tu es comme mon fils, je suis comme ton père. » J’avais failli lui dire : « comment toi, un algérien, un musulman, quelqu’un qui est pour le FLN, tu me dis ça à moi, un français, un chrétien, un occupant, un suppo du colonialisme ! » En me servant le thé à la menthe de son jardin, en égrainant dans le plat de couscous que sa femme nous avait préparé, les grains de raisins d’une grappe, cueillie à la treille du jardin, dans lequel nous prenions notre repas, Monsieur Mohamed H. m’avait fait comprendre que nous étions lui et les siens, moi et les miens, de la même chair. Celle-là de notre Humanité - Une. Et qu’il ne fallait pas l’abimer : « quand vous irez en opération dans le Djebel, m’avait-il dit un jour, de l’autre coté du barrage, j’ai une fille qui est mariée, et qui habite là bas, Allia… Tu feras attention à ce que vous soldats, vous ne lui fassiez aucun mal… »

 

J’avais compris, que le sang versé de son côté, le sang versé de mon coté, avait assez coulé.

 

Il avait trop coulé. Il fallait arrêter le massacre. Un même sang demandait à continuer de couler dans nos veines.

 

 

J’avais compris tout cela. Mais le lendemain, nous repartions en opération, pendant quelques jours. Des fois ça durait une semaine… Et nous revenions à notre B.O.A. (Base Opérationnelle Avancée), dans le village l’OUED FODDA. Je revenais saluer Monsieur Mohamed H et sa famille. Je ne pouvais pas lui dire ce que nous avions fait, mais il le savait, car tout se savait dans le Djebel. Il n’y avait pas de portable, mais les terribles nouvelles, des fouilles de mechta, de la déportation de populations, de la constitution de « villages de regroupements » selon le plan Challe, tout cela se colportait très vite.

 

 

Dans ma conscience d’homme, tout un travail se continuait pour nous relever d’où nous étions tombés. Les paroles du prophète Ezéchiel me revenaient : « Je relèverai votre chair de la terre où la mort l’a fait tomber. » (Ez.37)

 

 

Un jour Monsieur Mohamed H. m’avait dit son dégoût d’apprendre que les gens des douars qui étaient tués dans les opérations, étaient laissés à pourrir sur le terrain, dévorés par le soleil le jour et par les chacals, la nuit… Je pleurais de honte. Je devinais ce qu’il me disait, car j’avais vu des ossements desséchés, dans des endroits que nous traversions, où il y avait eu des opérations précédemment.

 

 

Interpelé par Monsieur Mohamed H. et par d’autres, je demandais à la grâce de Dieu, de nous relever des attitudes mortelles, dans lesquelles nous tombions. Je le priais de nous sortir de l’enfer-mement, où nous étions bouclés. Je raconte dans un de mes cahiers, comment je luttai pour obtenir d’enterrer l’homme qui avait été tué dans l’embuscade que nous avions tendue, la nuit précédente, dans l’Oued-El-Ardjem dans l’Ouarsenis. Bouleversante situation ! J’aurais dû remonter encore plus haut, en amont, dans ma conscience d’homme et oser rendre mes armes et bagages sur le champ. Je ne l’ai pas fait. Ça ne va pas vite pour entrer en objection de conscience. Je vais mettre des jours et des nuits avant de pouvoir affronter, verbalement, mon capitaine, à propos de la manière dont nous faisions les opérations. Celui-ci me traitera alors, « d’objecteur de conscience ». Je me souviens que je refuserai ces mots tellement ils étaient synonymes de traitrise. Mais en fait, je commençais de devenir objecteur de conscience, et je pense aujourd’hui, en 2014 que, je n’aurai jamais fini, de lutter chaque jour, pour le devenir réellement, dans toute l’étoffe de ma vie.

 

Toute la naissance et la maturation, de ma prise de conscience, s’étaient réalisées en cet endroit de la Terre, à OUED FODDA, dans le village de Monsieur Mohamed H. C’est là que je suis né un jour du temps, à l’objection de conscience. C’est là que l’objection de conscience est née en moi.

 

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C’est pourquoi en retournant en Algérie cette année, je tenais à venir me recueillir afin de ramasser mon être en morceaux, ici à OUED FODDA. J’espérais que les enfants de Monsieur Mohamed H. y vivaient et y habitaient encore. Car c’était là que leur père avait été pour moi, « comme mon père », en ces années terribles de la guerre d’Algérie.

 

Mais les membres de la famille de Monsieur Mohamed H. vivaient-ils et habitaient-ils encore là ? 

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4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 08:00

Lavangeot le 30 mars 2014

 

 

                                                                                                              Monsieur Le Président de la République

 PALAIS DE L’ELYSEE

                                                                              55 Faubourg Honoré

                                                                              75008 PARIS

 

 

 

                Monsieur le Président,

 

Trois Palestiniens ont encore été assassinés, ce samedi 22 mars, à JENINE, par les forces israéliennes, dans une opération conjointe de l’armée, di Shin Beth et d’une unité spéciale de la police.

Ces victimes viennent s’ajouter, Monsieur Le Président, aux 57 autres et aux 897 blessés, recensés depuis le début des négociations.

Au même moment, Monsieur Le Président, Israël accélère les mises en chantiers dans les colonies, ce qui réduit de jour en jour, les chances de mettre un jour sur pied, un Etat viable comme préconisé par la communauté internationale.

 

Nous pensons là, Monsieur Le Président, qu’il s’agit bien, d’une politique délibérée, comme le signale également Amnesty International et qui rappelle dans son rapport intitulé « Gâchette facile » que des soldats israéliens, font preuve d’un mépris flagrant pour la vie humaine, et s’exprimant par l’assassinat de dizaines de citoyens palestiniens, y compris des enfants… Vous imaginez Monsieur le Président ?

 

Richard FALK, l’expert indépendant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés dénoncE aussi la politique d’Israël dans ces territoires, affirmant qu’elle présente les caractéristiques de « l’apartheid » et du « nettoyage ethnique »

 

Que faites-vous Monsieur le Président ?

Que fait la France, Monsieur Le Président ?

 

Rien pour l’heure, qui puisse servir la cause de la paix. En France, vous continuez à cautionner la scandaleuse criminalisation du boycott, contre un état qui viole tous les jours, le droit, Monsieur le Président, criminalisation engagée par Michèle ALLIOT-MARIE.

 

Pour les résolutions concernant la PALESTINE, la FRANCE a voté au conseil des droits de l’homme de l’O.N.U. ce 28 mars 2014.

Comment vous êtes vous situé au nom de la France, Monsieur le Président, lors de ces élections ?

 

Dans l’attente, d’une réponse complète, claire, et rapide, je vous prie, Monsieur le Président, d’accepter mes salutations distinguées.

 

LUCIEN CONVERSET

 

 

Copies pour information à :

-          Monsieur le Ministre des affaires étrangères

-          Monsieur le Ministre des affaires européennes

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  • : Lulu en camp volant
  • Lulu en camp volant
  • : Lucien Converset, dit Lulu est prêtre. A 75 ans, il est parti le 25 mars 2012 avec son âne Isidore en direction de Bethléem, où il est arrivé le 17 juin 2013. Il a marché pour la paix et le désarmement nucléaire unilatéral de la France. De retour en France, il poursuit ce combat. Merci à lui ! Pour vous abonner à ce blog, RDV plus bas dans cette colonne. Pour contacter l'administrateur du blog, cliquez sur contact ci-dessous.
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