Dampierre, le 6 août 2014
COMMENT RETROUVER NOS VISAGES D’HOMMES LORSQU’ILS ONT ETE DEFIGURES ?
Aujourd’hui chez les chrétiens c’est une grande fête : celle de la reconnaissance que Jésus, « le Fils de l’Homme » est transfiguré en présence de trois de ses disciples : Pierre, Jacques et Jean. Cette transfiguration se réalise de manière étonnante : « Son visage devient brillant comme le soleil et ses vêtements blancs comme la lumière… » (Mt, 17,2). En même temps, les disciples qui assistent à cet évènement entendent et comprennent que ce « Fils de l’Homme » Jésus, est le Fils bien aimé de Dieu, en qui son Père a mis tout son amour » (Mt 17, 5) Et nous-mêmes nous prenons acte que ce qui s’est dessiné sur le visage de l’Homme-Dieu, est dessiné désormais sur nos visages à nous tous membres de l’humanité. C’est notre acte de foi-confiance. C’est gravé dans nos cœurs. Comment empêcher que ce qui s’est réalisé là soit abimé par nous-mêmes.
Au début du mois de juin de l’année dernière, en traversant les territoires palestiniens, afin de me rendre à Bethléem, je suis passé au pied du Mont Tabor où, cet évènement de la transfiguration s’est accompli. Et il y eut quelque chose d’étonnant : l’ânesse Joséphine que j’avais dû retrouver pour accomplir ce voyage n’était pas tellement partante. Elle me faisait marcher très lentement. Elle trainait les sabots. Ça m’énervait. Mais je compris qu’elle faisait cela pour m’aider à voir clair. Elle me disait : « Est-ce que tu prends conscience en passant au pied du Mont Tabor, que vous les humains vous abimez ce qui vous est révélé sur cette montagne … Ne marche pas trop vite … Comprends que vous vous défigurez les uns les autres. Regarde bien durant cette marche que nous sommes en train de faire ce que des hommes font à d’autres hommes.
Et de fait, en entrant à Jenine dans le petit peu de « territoires laissés » aux Palestiniens, je découvrais qu’ils sont « occupés « comme me le confirmait le Père Jonny lorsqu’il m’accueillit à Naplouse en compagnie des religieuses de Mère Térésa : « Ici on est en territoire occupé » J’apprenais que des membres du pouvoir israélien, appuyés par les soldats de l’armée Tsaal, vidaient des familles entières de leurs habitations et accaparaient leurs maisons et leurs terres. Ce n’est pas une attitude d’hommes. Notre humanité en est défigurée.
Quelques temps après, j’apprenais que des responsables politiques et civils, capturaient l’eau dans les nappes phréatiques des villages palestiniens pour la pulser dans leurs propres villes et leurs colonies. Ils dévitalisaient ainsi le pays palestinien.
J’apprenais encore, quelques temps après, que des hommes empêchaient d’autres hommes de se rendre dans leurs familles, ainsi que sur leurs lieux de travail, quand ils en avaient un, ainsi que dans les lieux de soins, tels que dispensaires et hôpitaux, en érigeant un mur de séparation de huit mètres de haut. Notre mère la Terre, n’était plus la Terre des hommes.
Aujourd’hui, jour de la transfiguration, j’apprends par le journal, que dans « Gaza, la population redécouvre une vie sans les bombes » Une trêve enfin commence, voilà un mois que le Gazaouis n’ont pas arrêtés d’être pilonnés, emprisonnés, asphyxiés par d’autres hommes. A la manifestation de Besançon l’autre jour, afin d’arrêter cette guerre, quelqu’un qui connait bien Gaza et le drame vécu par ses habitants, nous appelait à proclamer : « Nous sommes tous des Palestiniens » Cinquante jeunes filles et jeunes gens israéliens ont refusé dernièrement d’aller à la conscription. Ils sont devenus refuzniks, refusant de défigurer des Palestiniens. Mais nous autres, pays européens, nous devons arriver à nous organiser pour empêcher cette guerre. Est-ce que nous ne continuons pas à fabriquer et vendre des armes ? Nous divulguons même sur les ondes au moment des informations la propagande israélienne qui justifie le déluge de bombes sur Gaza, en faisant l’opération « Bordure protectrice ». Bien sûr que nous réprimons aussi l’attitude du Hamas. Nous sommes appelés à dépasser les intérêts communautaristes et confessionnels dans la gestion de tous pays.
Nous ne pouvons pas non plus laisser se défigurer le visage de notre humanité par tout ce qui se passe en Irak, en ce moment, où des dizaines de milliers d’Irakiens, appartenant à des minorités religieuses, notamment des chrétiens mais aussi yézidis, vivent un véritable exode. Ils ont été vidés de Mossoul le 10 juin dernier, ils viennent d’être expulsés de Qaraqosh, par les miliciens sunnites de l’Etat Islamique (EI). Ils sont démunis de tout, et fuient vers le Kurdistan, ils sont en danger de mort. (Beaucoup ont déjà été massacrés).
Nous jeûnons aujourd’hui, pour prendre conscience que dans notre être d’homme et dans notre peau, qu’au profond de nous, est logée notre capacité d’arrêter de nous massacrer les uns les autres. Je dis : « les uns, les autres, « car j’ai pris conscience quand j’étais soldat durant la guerre d’Algérie, que, lorsque les Algériens étaient vidés de leurs mechtas durant les opérations jumelles Cigale et Etincelle, afin d’établir le Plan Challes, nous, soldats, nous nous vidions de notre humanité. Quand nous abimions des hommes, nous nous abimions nous-mêmes, nous cessions d’être des hommes nous-mêmes. Le fait de jeûner aide à approfondir cette prise de conscience.
Et nous jeûnons aujourd’hui 6 août, aussi afin de commémorer ce qui a été fait à des hommes par d’autres hommes ce jour-là, et empêcher que ça se reproduise : l’éclatement d’une bombe atomique au dessus d’Hiroshima, provoquant la mort de 180 000 personnes. Nous jeunerons aussi le 9 août pour la même raison et dans le même but que l’éclatement d’une même bombe atomique sur Nagasaki, provoquant la mort de 130 000 personnes, ne se renouvelle jamais.
Nous ne pouvons pas et n’avons pas le droit de nous maintenir dans de telles menaces de mort, les uns par rapport aux autres, en devenant détenteurs de telles armes de destruction massive. Cette attitude est criminelle, nous sommes aux antipodes de l’humain, de telles déflagrations sont de lamentables défigurations de l’humanité.
A Hiroshima et à Nagasaki, c’est toute l’humanité qui a été défigurée. Tout d’abord, ceux qui ont déclenchés l’éclatement de l’arme nucléaire à l’encontre de toute une cité, de tout un peuple ; en accomplissant de tels crimes, ils ont cessé d’être dans une attitude d’hommes. Certains ne s’en sont pas remis.
Et ils ont été défigurés aussi, ceux qui ce jour-là, ont été tués, annihilés, le visage brûlé. Leurs terres ont été rayées de la carte, plus rien ne pourra y pousser. Les survivants, abimés jusque dans leur capacité de mettre au monde des enfants, avec le risque de faire naitre des petits profondément handicapés.
Le jeûne est un véritable laboratoire. Nous jeûnons pour chercher comment nous arrêter d’entretenir une telle menace, une telle peur et terreur les uns par rapport aux autres, et nous arrêter de nous défigurer les uns les autres. Afin tout simplement de prendre conscience que nous avons la capacité d’être véritablement des humains les uns envers les autres.
Aujourd’hui, jour de la Transfiguration , je prends conscience que nous nous sommes défigurés à Hiroshima et Nagasaki, en prétendant accéder à la paix mondiale, en mettant à genoux tout un peuple, et en l’annihilant.
Aujourd’hui, grâce au jeûne et à l’opinion de tous les amis qui y participent, il y a quelque chose que je vois mieux. En jeûnant, je refuse de continuer à laisser se défigurer mon visage et à se dénaturer mon regard sur quelqu’ homme que ce soit. Je retrouve mon visage d’homme, parce que je refuse de pactiser avec le gouvernement de mon pays qui continue à se doter d’armes nucléaires plus performantes. En jeûnant, j’entre aussi en dissidence par rapport à mon Eglise qui continue de cautionner l’armement nucléaire de la France, en maintenant la déclaration de la Conférence des Evêques de France du 8 novembre 1983. Toute notre amitié reconnaissante à vous Jean-Marie MULLER et au M.A.N.V. (Mouvement Alternatif Non Violent) qui apportez aux membres de l’A.D.N. (Alerte pour le Désarmement Nucléaire) que nous sommes, le ressourcement prophétique, qui nous fait nous envisager les uns les autres en humanité, comme le Christ nous dit que Dieu notre Père nous regarde tous, le jour de la transfiguration.
Nous jeûnons dans une humble joie pour retrouver notre dignité, en appelant notre pays à se démunir de l’arme nucléaire. Invité hier à un repas familial dans un village voisin de Dampierre, un homme de mon âge, sachant nos engagements et que nous jeûnons pour demander l’arrêt de l’armement nucléaire de la France de manière unilatérale, cet homme me racontait que son oncle Raymond lui disait quand il était gamin : « Au lieu de faire des usines d’armement, on ferait mieux de faire des casseroles, d’y mettre à manger, ainsi, on pourrait nourrir le monde » mais tout de suite après, quelqu’un d’autre me disait : « La centrale nucléaire de Creys-Malville … c’est elle qui m’a donné du travail … ça m’a permis d’élever ma famille, mais je sais pourtant que les effets du plutonium mettent 26 000 ans pour ne plus avoir de nocivité. »
Nous nous sommes partagés nos questions et réflexions vitales pour l’avenir de l’humanité : Nous nous sommes demandé quel héritage nous laissons à nos enfants et petits enfants ? ils sont là en train de jouer dans la salle à manger au milieu de nous. Leur laisserons-nous une terre qui risque de leur éclater dans les mains et à la figure, les défigurant pour toujours.
Je ne suis pas sûr d’être arrivé à nous interpeller, afin d’emprunter un tout autre chemin que celui-là, dans lequel nous sommes embarqués ? J’aurais tellement voulu que nous nous remettions en cause, que quelque-chose de la transfiguration de Jésus apparaisse sur nos visages, dans notre bouche et dans nos cœurs, et que nous nous aidions les uns les autres à « Libérer la France de son arme nucléaire » comme nous y appelle Jean-Marie Muller, que nous cessions de préméditer un crime contre l’humanité et de la défigurer.
Ainsi, nous retrouverions nos visages d’hommes, de femmes et d’enfants.
En jeûnant, je voudrais que nous nous apprenions à chercher et trouver les chemins pour nous arrêter de programmer et perpétrer notre odieux massacre les uns par les autres. Je suis humblement confiant que nous pouvons être des bâtisseurs et non des casseurs.
Telle est notre Transfiguration !